WOW !! MUCH LOVE ! SO WORLD PEACE !
Fond bitcoin pour l'amélioration du site: 1memzGeKS7CB3ECNkzSn2qHwxU6NZoJ8o
  Dogecoin (tips/pourboires): DCLoo9Dd4qECqpMLurdgGnaoqbftj16Nvp


Home | Publier un mémoire | Une page au hasard

 > 

La force du verbe dans la tradition orale wolof: l'exemple des chants du Cercle de la jeunesse de Louga

( Télécharger le fichier original )
par Ousseynou WADE
Université Cheikh Anta DIOP de Dakar - DEA 2007
  

précédent sommaire suivant

Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy

Chapitre II : L'édification du mémorable

Dans une société d'oralité, un dispositif est mis pour éviter les atteintes et les érosions du temps. Elle évite de s'abimer dans l'oubli. La temporalité historique est « marquée », domestiquée pour inscrire un sens que la mémoire peut se réapproprier définitivement.

I. Les « sacs à paroles »

Cette édification s'appuie sur les griots, « les sacs à paroles ». Ils arrachent à la mémoire, à l'oubli des actes et des événements promus au rang du mémorable. Ils gèrent et transmettent la mémoire. Ils sont des gardiens qui révèlent ce qu'ils veulent bien révéler. (cf à l'épopée mandingue : Livrer les clés des douze portes du mandingue.

« L'ex-tase du quotidien » est un autre mode d'édification du mémorable. Le récit de la tradition orale donne l'impression d'immenses fresques, une mise en scène gigantesque. Le cadre, l'espace avec les personnages et faits sont hors-normes.

Ainsi, on donne à retenir un sens par la magie du verbe, une cristallisation en un certain nombre de paradigmes. La mise en scène permet de rejouer indéfiniment la pièce. L'épopée illustre bien ce cas de figure car elle est le lieu de prédilection du discours historique. L'extraordinaire s'érige en norme pour des hommes ordinaires. La frontière n'est plus perceptible entre réel/imaginaire/merveilleux. Le quotidien banalisé est évanescent, insignifiant, mortel. C'est pourquoi il y a procédé de grossissement, un changement de plan et d'échelle.

L'incursion du fantastique et du merveilleux dans le quotidien est une façon d'arracher celui-ci de la banalité. La tradition est donc une machine à débanaliser pour fabriquer du mémorable.

II. L'épique : pour rendre l'histoire « plus épique »

« Un plus historique » est produit, dans une civilisation d'oralité pour que « l'histoire » puisse se constituer. L'exemple de Cheik Aliou Ndao26 est cité dans la préface de sa pièce de théâtre L'Exil d'Albouri.

L'existence de l'épique pose des préalables. Il faut des « guerriers », « des clercs et prêtes » (autorité médiatique), « un milieu populaire où règne l'oralité », « des classes spécialisées pour dire les hauts faits ».

L'influence de l'écrit génère un mode d'organisation de la mémoire qui devient seul crédible. Le rapport Ecrit/Oral s'y pose en système d'exclusion. Le Pr Diagne invite à éviter les pièges et errements qui guettent le chercheur africain « formé à la normativité » car ii y a « perte de la situation de performance », l'oralité primitive ; la production « soumise un à travail de transcription et de traduction » ; le « danger si le griot lui narre une épopée dont ses ascendants sont les protagonistes.

Dans une autre perspective, il montre comment les maîtres de vérités traitent l'histoire en amorçant un divorce avec celle-ci et en changeant de perspective. L'histoire est amplifiée par la démesure du souffle épique.

III. L'encre du scribe est sans mémoire

S'appuyant sur Phèdre27, le Pr Diagne évoque le caractère évanescent que l'écriture induit dans la mémoire de ceux qui auront acquis la connaissance. La confiance à l'écriture les empêche d'exercer leur mémoire. C'est dire que dans une civilisation d'oralité l'absence d'image visuelle est compensée par les ressources du verbe. L'épopée « ré-invente » l'histoire par le biais d'un « art », d'une « mythologisation ».

Dans sa démarche, l'épopée dilate l'espace et le temps, les personnages et les actions pour créer des noeuds ou des replis pour l'« enfler » et le « marquer ». « C'est une machine à fabriquer l'exceptionnel pour instaurer du mémorable ». De ce fait, l'action héroïque conditionne le mémorable qui en est l'instance d'archivage. Lorsque le mémorable est imprimer, la perte esthétique et dramatique est considérable.

IV. Le théâtre et son double

Le projet de l'épopée est d'assumer la promotion, la gestion et la transmission du mémorable historique. L'histoire est maintenue à une dimension « à hauteur d'homme » mais les faits et personnages sont hissés à un niveau surhumain pour mieux impressionner et alors prendre la crédibilité.

Une réécriture de l'histoire est visible avec une puissance mystique comme adjuvant de taille pour triompher. Le dialogue des hiboux dans l'épopée mandingue est cité par le Professeur de philosophie.

Le résultat auquel aboutit l'épique se révèle dans sa capacité à soustraire les hommes aux menaces de l'oubli et de donner sens et direction à leur existence actuelle

Chapitre III : Les usages du passé

Le passé est la préfiguration de l'avenir. On se rappelle le passé pour deux causes principales. C'est d'abord une filiation aux ancêtres dont on se réclame. Du coup, ce rappel, rôle des généalogies, dit l'origine et légitime le rang occupé. Ensuite, cette anamnèse du passé a la prétention de construire une renommée égale à celle des ancêtres. C'est comme un nouveau départ pour les ancêtres.

I. De l'intérêt que l'on prend à l'histoire

Empruntant l'expression « usage du passé » à Moses FINLEY28, Mamoussé Diagne, affirme qu'on se sert du savoir de son passé pour édifier un présent ou projeter un avenir. La fonction d'archivage le rend disponible intellectuellement.

Les individus et les sociétés qui se souviennent ne retiennent ni ne restituent tout ce qui advient. Avec Jean BAZIN29, on découvre que seuls les faits « marquants » sont mémorisés. Ce qui se met en place déborde la pure connaissance des faits historiques pour concerner leurs significations fondamentales. Le récitant offre un miroir où on « se reconnaît, se complaît et se glorifie » pour reprendre le mot de L. KESTELOOT et Bassirou DIENG30. Elle renchérit : « l'épopée propose des modèles, des héros, des valeurs et des anti-valeurs ».

Dans ce sens, l'évocation du passé permet d'abolir une distance temporelle, de résorber l'écart entre morts et vivants. En même temps, on prend à témoin les ancêtres en refusant de ne point trahir la descendance.

La généalogie fonde l'origine d'un droit : ce qu'on doit faire en fonction de ce qu'on est. C'est une revendication et une demande de reconnaissance d'une légitimité. La généalogie est ainsi l'équivalent moderne d'un fichier d'identité avec une mention particulière.

Aussi, la devise, considérée comme la « petite histoire dans la grande » garde une fonction signalétique. Elle présente un personnage et peut être vue comme une carte de visite verbale, un curriculum vitae oral individualisant. Christiane SEYDOU et Jacques DERRIDA corrobore cette idée. Le dernier cité, par un jeu de mots avance que la devise « tient-lieu » de ce que la personne a le plus essentiel, c'est un « lieu-tenant » de la personne.

La devise représente un programme incarné dans une conduite. C'est d'ailleurs ce qui se révèle dans le face-à-face nocturne des rois sorciers, par hiboux interposés. Le futur maître du Manding est d'abord un maître de langue, un expert dans la confection des devises. Son royaume est d'abord verbal. La puissance mystique transite lui-même par le verbe.

II. Le panthéon verbal

La renommée, le « nom » permet de conférer ou de refuser la valeur d'une existence. Le « grand nom », détaché de celui qui le porte poursuit une sorte de vie autonome. C'est ce qui le rend apte à continuer de retentir comme un roulement de tambour intemporel.

De là, le philosophe constate que le groupe social ou la collectivité est convoqué par le griot qui évoque les généalogies à titre de témoin comme validation ou reconnaissance de la place revendiquée. Evoquer ses ancêtres, c'est par leur entremise, se voir reconnue une dignité qu'en principe on doit tout faire pour mériter. La grandeur qui naît d'un tel comportement rehausse l'individu en lui attribuant un « grand nom » qui renvoie à un acte sans précédent. Le grand nom est privé comme le chant qui le célèbre.

Ainsi naît la renommée et l'homme de renom est un homme prévisible par définition : ses actes ne peuvent s'écarter d'un code, sous peine de disqualification. Le Professeur rappelle l'offre généreuse de Cheikh Amadou Bamba à Lat Dior consistant à rester à ses côtés. A cause de la réputation que tout le Cayor et le Baol ont attachée à son nom, il décline l'offre. L'homme au grand nom est quelqu'un qui ne s'appartient plus. Le nom est quelque chose qui est conféré, on doit rendre des comptes à ceux qui le décernent.

Les gardiens de la tradition travaillent par leur art la matière épique pour qu'elle soit institutionnalisée et devînt pourvoyeuse de références. Il s'agit alors de faire émerger de « grandes figures »permettant de lier faits et valeurs

Le « gommage » du contexte de certains événements, le flou instauré par la distance autour des faits et des personnages, l'arasement des différences aboutissent à l'émergence de « types ». En assurant les conséquences qu'entraine sa volonté de rendre « l'histoire plus historique », le mémorable oral déleste celle-ci de beaucoup de faits empiriques relevant de l'historicité concrète.

Le récit épique ne se contente pas de promouvoir des valeurs. Elle les codifie et procède à leur hiérarchisation.

Beaucoup de récits expliquent le comportement de la femme dans la sphère conjugale. Ce comportement est convoqué comme explication et fondement ultime de la fortune d'un fils. Le serment maternel constitue un ressort important de la dramatisation surtout pendant les moments précédents les guerres et les entreprises périlleuses : bataille de Guillé ; bataille de Gouy ndiouli ; le Cid.

Le courage ne réside pas dans le simple mépris de la mort-qui pourrait être assimilé à l'insouciance ou à la témérité-mais dans ce qui fonde une telle attitude : l'exaltation des valeurs sans lesquelles la vie perdrait tout sens. Tout comportement découle d'un pacte signé avec le système structuré des valeurs autour duquel se bâtit le profil héroïque.

Le code des valeurs peut, de ce fait, se concevoir comme une galerie de portraits types dont chacun assure un aspect essentiel du système global que la société globale met en avant. La position de Mbaye GUEYE31 conforte le Professeur Diagne lorsqu'il déclare : « la tradition orale est la première institutrice de la collectivité, son intention primordiale n'est pas de reconstituer le passé dans ses rythmes et ses ruptures, mais d'exalter plutôt ce qui est chargé de grande valeur humaine. »

III.  L'anamnèse reconstruite

L'édification, la gestion et la transmission du mémorable social sont liées à des stratégies de pouvoir plus ou moins visibles. La question décisive est donc celle des modes d'être du mémorable oral, en rapport avec les différents enjeux.

La gestion de la mémoire dans certaines sociétés peut relever d'individus ou de groupes spécialisés. L'éclairage de S. B. DIAGNE32 et de Régis DEBRAY33, Ivan BARGNA34.

Les techniques de gestion et de transmission du symbolique sont les moyens par lesquels se fait la dramatisation de la vie politique d'une société.

Les groupes, communautés ou classes aristocratiques ont seuls intérêts à se remémorer des événements qui avaient de l'importance à leurs yeux. C'est de cette façon que l'on convertit un souvenir en tradition publique qu'il fut vrai ou faux. L'objectif est de rehausser le prestige, garantir un pouvoir ou justifier une institution. L'histoire devient comme « palimpseste, écrit et réécrit aussi souvent qu'il était nécessaire. » Big Brother d'ORWELL

Pour le Pr. Diagne ce qui résulte de ces réécritures, c'est justement la capacité à identifier celle d'être les traditions qui est sortie victorieuse de ses confrontations avec les autres.

Quand l'implication du récitant dans le jeu social se traduit en oubli, c'est une sanction pour le tribunal de la mémoire orale car on a affaire à des anti-modèles et de l'indicible. Le Professeur conclut que toutes les variables sont « vraies », dans la mesure où chacune d'elle traduit un point de vue et une « posture » qui engagent le sens d'une existence. Le parallélisme dressé entre le conte et l'épopée par Bassirou DIENG et KESTELOOT35 donne raison au philosophe. Elle soutient qu'au fond « si l'épopée est l'histoire des rois, le conte serait l'histoire du peuple gouverné par ces rois ». Le conte privilégie l'axe horizontal (il est plus démocratique) alors que l'épopée privilégie l'axe vertical (elle est plus aristocratique). L'épopée met en branle une stratégie sociale qui lui permet d'être « mobilisatrice », surtout les moments de doute et de besoin de valeurs. Le conte renvoie à une stabilité, un luxe, un divertissement, une détente. L'épopée devient un réservoir de modèles destiné à la formation des leaders d'une société. Leur fonction politique est nette : ils ont pour but « d'instruire, d'exalter le nationalisme, de réactualiser l'idéologie ».

La mémoire épique retient ce qui est mémorable. Ce dernier ne coïncide pas forcément avec la victoire. La mort glorieuse plus mémorable que la victoire, est la seule façon de vaincre son vainqueur, ou tout au moins, de partager avec lui les lauriers de la gloire et les tambours de la renommée. Avec Charlemagne et ces deux échecs de l'expédition sur Saragosse, la conscience populaire évacue le traumatisme d'une bataille perdue au moyen d'une « chanson »par la magie de laquelle « l'échec se transforme en victoire ».

Les blessures de l'esprit ne laissent pas de cicatrices pour parler comme Hegel ou elles cicatrisent admirablement dans une civilisation d'oralité.

On retiendra de ce parcours que l'édification du mémorable est un processus de sédimentation et d'ajustements au terme duquel se met en place ce qu'un groupe reconnait et commémore. Ce souvenir a pour fonction de fonder et de refonder : le consensus social.

Le temps constitue la menace principale pour une civilisation orale, pour y parer elle développe un ensemble de stratégies discursives originales.

L'édification du mémorable privilégie l'épique. Le grossissement et l'intervention du merveilleux à forte dose dans la mise en scène permettent d'arracher les faits et les personnages à la quotidienneté dans la quelle ils risquent de se dissoudre.

La gestion de cette histoire constituée est confiée aux gardiens de la mémoire. Par l'emploi de techniques appropriées, ils placent en perspective le mémorable et règlent le jeu des acteurs qui sont les grands noms du passé. Ces derniers constituent des modèles de référence. La tradition élève les grands hommes et leurs hauts faits au rang de paradigmes offerts à l'admiration et à l'imitation de la postérité.

Les décalages opérés donnent à lire l'histoire en termes de signification plus qu'en termes de faits. Le résultat est la production d'un espace de représentation où se récapitule l'idéologie de la société. La dramatisation intervient par l'entremise du « maître de la parole » pour une mise en scène. Il mobilise la magie du verbe, pour faire « rejouer » l'histoire.

L'épopée n'est une machine efficace à capturer le temps que parce que, à des événements et à des acteurs hors pair, elle assure une prise en charge qui mobilise toutes les ressources en langage.

précédent sommaire suivant






Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy








"Piètre disciple, qui ne surpasse pas son maitre !"   Léonard de Vinci