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La participation des diasporas camerounaises de France et de Grande-Bretagne à la vie politique nationale: émergence et consolidation de la citoyenneté à distance

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par Ruth Mireille Manga Edimo
Université Yaoundé II - DEA en science politique 2008
  

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B. L'orientation nationaliste de l'UNEK

Nous l'avons mentionné dans notre introduction, une diaspora se reconnaît par le lien ou l'attachement gardé, malgré la distance, avec le pays d'origine. Pour ce qui est de la manifestation du « nationalisme à distance », Eva Ostergaard-Nielsen définit les pratiques politiques transnationales comme « les différentes formes (par lesquelles) les migrants et les réfugiés participent à la vie politique de leur pays d'origine, directement en passant la frontière, et indirectement, par l'intermédiaire des institutions du pays d'accueil ou des organisations internationales »77(*). L'important ici, c'est que des acteurs s'engagent à distance pour une cause nationale. De manière générale, cet engagement peut entrer soit aux côtés de l'Etat, soit contre l'Etat. Pour ce qui est de l'UNEK ou des étudiants camerounais de France et Grande-Bretagne, l'engagement politique s'est fait contre les régimes en place au Cameroun, d'abord contre le régime colonial, ensuite contre le régime « néo-colonial »78(*).

En 1998, l'historien Benedict Anderson est revenu sur la question nationale à partir du thème de l'exil qui en serait à l'origine79(*). Résumant sa pensée, Dufoix note que c'est de la « confrontation avec l'autre, le non-soi, que naîtrait le nationalisme comme mise en avant de la pureté nationale dans des contextes où toute singularité est menacée par le mélange »80(*). Or, la transnationalisation liée au développement post-industriel favorise les migrations mais aussi le maintien d'un lien qu'Anderson appelle « nationalisme à longue distance »81(*). Les migrants ou descendants de migrants organisent leur présence dans le pays d'accueil selon leur rapport à l'origine et tentent donc d'influencer la politique du pays dont ils se sentent ``parents''. Le refus individuel ou collectif de reconnaître l'autorité du régime en place, dans le pays d'origine ou sur « la terre promise et désirée », entraîne la formation d'un espace politique alternatif constitué par des groupes tous opposés au même ennemi. C'est ainsi que l'UNEK, ancienne AEC, intéressée et très attentive à la politique du moment sur le territoire camerounais, et ne supportant plus la présence des « colonisateurs » dans leur pays, ne tarda pas à se transformer en un mouvement politique82(*). Elle s'affilia d'abord à l'UPC, puis au Front-Uni, pour combattre tour à tour, le régime colonial et l'Etat « néo-colonial ». Dans cette lutte, l'on a donc pu observer une jeunesse camerounaise résidant à l'étranger, s'investir dans la vie politique de leur pays d'origine dans les années 50, 60, 70. Cependant, du fait de leur caractère parfois contestataire, leurs positions politiques n'étaient pas toujours bien accueillies par les autorités publiques.

1. Les objectifs de l'UNEK

A travers sa charte, l'UNEK s'était assignée les tâches suivantes :

« défendre les intérêts et sauvegarder en toutes circonstances les intérêts moraux et matériels présents et futurs de tous ses membres ; concourir à la formation culturelle de ses membres et notamment promouvoir et encourager toutes les réalisations se rapportant aux civilisations kamerunaises ; renforcer le sens de la grande solidarité kamerunaise ; amener ses membres à prendre conscience de leurs droits et devoirs ; étudier les problèmes relatifs au kamerun et tout autre problème connexe ; lutter pour l'indépendance et l'unité africaine ; entretenir les relations avec les autres organisations nationales ou internationales d'étudiants, de jeunesse et de travailleurs sur les bases suivantes : -lutter contre l'impérialisme, lutte pour la paix et l'amitié entre les peuples, coopération et entraide dans la mesure du possible et sous la seule réserve du respect de son indépendance- »83(*).

Il était possible de distinguer des sections territoriales et des sections académiques de l'UNEK. Pour ce qui est des sections territoriales, nous pouvons mentionner celles du Royaume-Uni et d'Irlande du Nord ; d'Irlande du Sud ; du Nigeria ; de la Chine populaire, et de l'URSS.

Au lendemain des évènements tragiques de mai 1955, l'UNEK, prit ses responsabilités en entrant dans l'action. Elle tint un meeting à Paris et en Province pour informer l'opinion française et internationale sur la situation au Cameroun. Le retentissement de ces meetings était tel que le gouvernement français, par l'intermédiaire du Gouverneur Roland Pré, réagit violemment par la suppression des bourses du président de l'AEC, Balla Benoît, et de deux responsables de la section de Montpellier, dont Simo Mbobda, étudiant en médecine. A l'avènement du premier gouvernement camerounais présidé par André Marie Mbida, selon Pierre Nkwengué, ancien président et militant de la dite organisation et auteur de l'ouvrage l'UNEK ou la contribution des africains à la l'émancipation de l'Afrique : «on pouvait légitimement s'attendre (à partir de ce moment), à une amélioration de la situation matérielle des étudiants camerounais et à une compréhension, voire une véritable collaboration avec les étudiants et patriotes camerounais pour une indépendance réelle de ce pays. Bien au contraire, les choses (sont allées) s'empirant davantage jusqu'à une intensification de la répression... ».

En effet, dès sa prise de pouvoir, le gouvernement Mbida se caractérisa vis-à-vis du peuple par une politique presque « anti-nationaliste » se manifestant par une répression féroce des upécistes et de leurs sympathisants ; et vis-à-vis des étudiants, par des mesures rétrogrades et réactionnaires, à savoir : la suppression des bourses de six étudiants de Grenoble, parmi lesquels Meloné Thomas, Sack Joseph, et Folyack E. Pendant ce temps au Cameroun, les patriotes ouvrirent une souscription nationale pour venir en aide aux étudiants victimes de cette situation de suppression de bourse. L'engagement de l'UNEK pour la cause nationaliste était tel qu'elle ne manqua pas de multiplier ses sphères d'influence.

2. Les actions de l'UNEK

- L'UNEK à l'Organisation des Nations Unies

Les premières prises de positions des étudiants camerounais remontent au moment où l'Organisation des Nations Unies (ONU) siégeait au Palais de Chaillot à Paris. La première pétition sur la Réunification et l'Indépendance du pays fut portée à mains propres à l'ONU. En 1957, l'UNEK mandata un jeune étudiant en sciences économiques de l'université de Toulouse et vice-président à l'information de la Fédération des étudiants d'Afrique Noire Francophone (FEANF), Ossende Afanda Castor pour exprimer le point de vue des étudiants camerounais devant la quatrième Commission de l'ONU sur le problème de la réunification et de l'indépendance. Il développa un discours qui fit sensation dans la presse française.

En novembre 1958, la délégation de l'UNEK mena un débat sur la levée de tutelle qui fut renvoyée à la session « spéciale » consacrée uniquement à cette question au 13 mars 1959. Cette délégation soutenait le même point de vue que celui de l'UPC dont la délégation était conduite par le vice-président Ouandié, venant de Conakry. A la session spéciale du 13 mars 1959, l'UNEK envoya une délégation conjointe avec le NUKS composée : de Tchaptchet Njinga, Victor Ngu, et Georgyi Ndinka. Les deux derniers représentaient le NUKS. En effet, il y avait deux camps : le camp des patriotes (UPC, UDEFEC, JDC) conduite par le Dr Félix Roland Moumié et Tchoumba Ngouakeu, et la délégation de l'UNEK et le NUKS conduite par Tchaptchet ; et d'autre part, le camp des colonialistes français comprenant le Premier ministre Ahmadou Ahidjo et le président de l'Assemblée législative, M. Kemga Daniel.

Ces patriotes soutenaient le point de vue selon lequel « l'ONU devait organiser le référendum sur la réunification, ensuite les élections générales avant toute levée de tutelle, tandis que le gouvernement français et ses ``acolytes'' camerounais demandaient la levée de tutelle « pure et simple ». Après deux semaines de débat, la levée de tutelle fut votée au profit de la France et ses « émules ». Le troisième congrès de l'UNEK condamna fermement ce décret84(*).

- l'UNEK face à l'assassinat des leaders nationalistes

Sept mois après la prise de pouvoir par le président Ahmadou Ahidjo, le secrétaire général de l'UPC, Ruben Um Nyobè, fut assassiné, abattu dans le maquis. Ceci conduisit à une manifestation de protestation à la rue 26 Murillo, à Paris, siège de l'ambassade du Cameroun, pendant que le Premier ministre s'y trouvait lui-même. Cette manifestation rassembla une foule nombreuse composée d'étudiants africains et français membres de l'Union Nationale des Etudiants Français (UNEF). La banderole portant les inscriptions « A bas les assassins de Ruben Um Nyobe »85(*) était portée par les membres du Comité exécutif de l'UNEK, dont son président Vroumsia Tchinaye. Cet assassinat fut également la cause d'un refroidissement des rapports entre les autorités camerounaises et la diaspora camerounaise militante de l'Occident, à cette époque.

Aussi, au moment où intervint l'empoisonnement du Dr Félix Roland Moumié, le patriote venait d'étudier avec le président de la section France de l'UPC, Tchaptchet Njinga, les mesures concrètes à prendre pour faire face à la suppression des bourses d'étudiants en faveur de l'indépendance du pays.

Le onzième congrès des étudiants camerounais de l'Occident, en décembre 1960, concrétisa cette radicalisation par l'adoption d'une charte et l'adhésion au Front-Uni anti-colonialiste et anti-impérialiste, créée par les organisations patriotiques. Egalement, ce congrès devait porter à la présidence du Comité exécutif un jeune étudiant licencié es-mathématiques Woungly Massaga, qui fut expulsé de France quelques mois plus tard, en 1961, en même temps que le président de la section France de l'UPC. Il faut dire que si l'UPC manifesta sa confiance envers l'UNEK, c'est que la plupart des ''diasporiques'' sympathisaient naturellement avec ce parti à cause de ses options sur l'avenir du pays.

- Les rapports avec l'UPC

La direction de l'UPC insista constamment sur l'importance des groupes associés, et notamment sur la collaboration des étudiants camerounais de Paris. Elle les considéra comme un moyen vital pour attirer une plus large section de la population camerounaise dans le mouvement nationaliste et, ainsi d'accroître la représentativité de l'UPC devant les Nations Unies. Militant donc au sein de l'UNEK, la diaspora camerounaise de France partenaire du mouvement nationaliste au Cameroun et essentiellement estudiantine, a de manière importante, contribué à la lutte pour l'indépendance du Cameroun.

La plupart des jeunes étudiants camerounais résidant en Occident, et notamment en France et en Grande-Bretagne, sont effectivement devenus militants de l'UPC en 1955, après les massacres de mai et l'interdiction de l'UPC le 13 juillet de cette année-là86(*). Pour la plupart, ils se sont retrouvés au lycée de Clermont-Ferrand, et avec d'autres Camerounais dans les différentes facultés de la même ville. Ils semblaient avoir fait de l'Académie de Clermont-Ferrand, un véritable lieu de repère des jeunes patriotes camerounais87(*). Il y avait là-bas, Gabriel Abolo, qui déjà au pays s'était illustré lors des premières grèves du lycée Leclerc et s'était fait remarquer par ses contacts suivis avec Gaston Donnat88(*). Dès son arrivée à Clermont-Ferrand, il annonça son positionnement, en s'affichant ouvertement comme membre du parti communiste français (PCF). Deux autres Camerounais, nouveaux venus dans la ville, étaient de la même sensibilité politique que lui : les frères Emile et Alexandre Moutymbo. C'est aussi à Clermont -Ferrand que s'installèrent Emah Ottou, Abel Eyinga, et Nicanor Njiawué. S'y installa également Jean-Martin Tchaptchet. C'est en effet, ce dernier, Soba Djallo et Woungly-Massaga qui ont formé un comité de base de l'UPC, selon les dispositions spéciales de la section France. Pour la plupart, la première vision de la politique a été fixée par l'UPC. Le passage des études à la politique s'est apparemment fait le plus naturellement du monde. Les massacres de mai 1955, puis l'interdiction de l'UPC en juillet de la même année, par un décret du gouvernement français qui avait été annoncé à la Radio, en France troublèrent « profondément » les jeunes camerounais. Ils leur fallut alors davantage suivre ce qui se passait au pays.

-Des liens avec la Fédération des étudiants d'Afrique Noire (FEANF)

Les jeunes étudiants camerounais de l'Occident militaient à la fois au sein de la FEANF et de l'UNEK. Cette dernière était une section territoriale de la FEANF. L'UNEK a adhéré au Front-Uni avec les organisations patriotiques : UPC, JDC, UDEFEC. Le rôle politique de la FEANF et des sections territoriales était d'une grande importance. Le gouvernement français avait pour principal souci de récupérer les cadres africains qui se formaient en France et la FEANF, dont l'UNEK était une section territoriale se devait de les aider à prendre conscience de cette réalité pour les empêcher d'y succomber.

Les prises de position de la FEANF exercèrent une pression énorme sur les stratégies de néocolonialisme et marquèrent tout le processus de la décolonisation, de la Loi-cadre aux indépendances. A cet égard, l'Académie de Clermont-Ferrand fut la première en France à déclencher des mouvements d'ampleur nationale dans les universités françaises.

Pour ce qui est de l'UNEK, son rôle syndical se limitait à l'encadrement des élèves et étudiants camerounais pendant les vacances, et ceci, jusqu'aux évènements de mai 1955. Avec la montée des revendications, les autorités du ``Cameroun sous tutelle'' s'étaient rendus compte que des activités « comme les colonies de vacances » risquaient de se transformer en stages de formation politique de jeunes nationalistes camerounais. D'ailleurs, les simples ``ballets africains'' qu'exécutaient les élèves commençaient à être transformés en moyens de récupération des fonds en vue d'organiser les conférences publiques pour populariser les luttes politiques des peuples africains.

Au Cameroun, d'anciens syndicalistes étudiants, anciens présidents ou dirigeants de l'AEC ou de l'UNEK elle-même, ont joué un rôle important comme patriotes : Bebey Eyidi, Vroumsia Tchinaye, Bernard Fonlon notamment, et même Sengat-Kuoh.

L'UNEK, relais des organisations nationalistes du Cameroun

Par organisations nationalistes, il faut entendre essentiellement les divers groupements patriotiques qui se battaient pour la Réunification et l'Indépendance du Cameroun, et avec lesquels l'UNEK finit par constituer, en 1960, un Front anti-impérialiste.

Tout au long des années 1950 et même au-delà, l'UNEK s'est comportée avec le plein accord de la majorité de ses membres, comme une antenne de l'UPC (parti nationaliste le plus totalement acquis à la lutte anti-impérialiste) en France. C'est sans doute la raison pour laquelle les étudiants qui n'avaient pas la fibre patriotique s'en méfiaient, quand ils ne se livraient pas à des opérations centrifuges visant à déstabiliser leur syndicat. M. Abel Eyinga89(*) se souvient avoir assisté, jeune étudiant, en 1954, dans la grande salle des sociétés Savantes à Paris (28, Rue Serpente, au Quartier latin), à un grand meeting organisé par l'AEC et dont le principal animateur était Ruben Um Nyobè. Comme la plupart des autres syndicats étudiants africains, l'UNEK n'a pas suscité l'hostilité des autorités coloniales au moment de sa création. Une loyale collaboration avec celles-ci semble même avoir caractérisé les premières années de l'existence de l'AECF. Ce n'est qu'après s'être convaincues des orientations nationalistes de la direction de l'Association que les rapports ont changé. Par la suite, l'hostilité s'est renforcée en même temps que l'UNEK se consolidait, que ses positions se précisaient et qu'au Cameroun l'irrésistible vague d'organisations patriotiques tendaient à déborder l'administration coloniale.

* 77 Stéphane Dufoix, op.cit., P. 106

* 78 Expression utilisée par les nationalistes eux-mêmes pour qualifier le régime dérivé de la colonisation.

* 79 Benedict Anderson, « Long-distance nationalism» in B. Anderson (1998), The Spectre of Comparisons, Londres, Verso, PP. 58-74

* 80 Stéphane Dufoix, op.cit., P.107

* 81 Cité par Stéphane Dufoix, op.cit., P.107

* 82 A sa création, l'organisation eut d'abord pour but principal, la défense des intérêts des étudiants camerounais à l'étranger. C'est dire que son rôle fut d'abord syndical.

* 83 Article 3 de la Charte de l'UNEK.

* 84 P. Nkwengué, op.cit. , P. 90

* 85 Ibid.

* 86 Ce fut le cas par exemple pour Woungly-Massaga, ancien président de l'UNEK, et ancien étudiant camerounais de France qui vit, la politique d'abord, comme « une passion du pays et du peuple ».

* 87 Daniel Abwa, op.cit., P. 29

* 88Daniel Abwa, op.cit.

* 89 Ancien étudiant camerounais en France et membre de l'UNEK, est aujourd'hui président d'un parti politique camerounais qui a son siège à Ebolowa.

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