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Politique, pauvreté et stabilité. le Sénégal peut-il basculer dans des violences sociales

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par Vivien MANEL
Institut français de géopolitique - Université Paris 8 - Master I géopolitique 2008
  

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Conclusion

Quelque soit la part de réalité, de représentations voire de surestimation de l'exemplarité et de la maturité du modèle sociopolitique sénégalais le postulat qui fait de l'Etat du Sénégal l'exemple de démocratie en Afrique est de plus en plus contesté. Abraham Ehemba dit à ce sujet : « On exagère franchement le niveau de notre démocratie. Nous avons cette propension à nous croire le nombril de l'Afrique (...) Et pourtant... il suffit de nous débarrasser un peu des enflures d'un « sénégalo-centrisme » pour regarder de près nos fragilités économiques, nos déficits et déficiences démocratiques ; nos anomies politico-démocratiques sont encore réelles, à certains endroits, béantes » (Ehemba, 2006). En effet, on peut affirmer au terme de cette recherche que, depuis 2000 et malgré les apparences et des représentations très ancrées, les principes de bonne gouvernance et de transparence dans la gestion des affaires publiques, qui sont l'apanage de tout Etat démocratique, sont foulés au pied les uns après les autres au point que la stabilité du pays ne tienne plus qu'à une étincelle qui mettrait le feu aux poudres. D'autant plus que si pendant longtemps, les jeunes ont été considérés comme la seule sinon la principale menace, les foyers de tensions se sont multipliés ces dernières années. La personnalisation du pouvoir avec toutes les dérives et les conflits qu'elle engendre, ainsi que la pauvreté qui, à la faveur de la récente crise économique va grandissant et concerne des effectifs de population de plus en plus croissants, constituent aujourd'hui de grandes menaces sur la stabilité du pays.

Comme nous l'avons signalé, la contestation sociale n'est plus seulement l'affaire de l'opposition, des élèves, des étudiants et des syndicats. Le mécontentement social, politique et économique auquel toutes les franges de la population du Sénégal sont confrontées a bel et bien engendré de nouveaux comportements. La détermination avec laquelle les populations, à la faveur de la crise économique et de ses avatars organisent, mènent les mouvements de protestation et occupent les rues qui depuis semblent être leur principal espace d'expression, tranche d'avec ce qu'elle était avant 2000. Si avant cette échéance électorale l'opposition par la capacité de mobilisation

de Wade, avec les étudiants, était à l'origine de presque toutes les violentes manifestations politiques et sociales, aujourd'hui celles-ci sont le fait de multiples et divers acteurs sociaux, politiques et même religieux. En effet, même interdites pour motif de troubles à l'ordre public par les autorités (ce qui est d'ailleurs de plus en plus souvent le cas), les marches de protestations, rassemblent des centaines de personnes issues des différents coins des centres villes prétes à affronter les forces de l'ordre. Et même si l'attitude des autorités publiques consiste à chercher à justifier les violences sociales et politiques par l'intervention de pays étrangers malveillants et/ou de mercenaires à la solde de l'opposition, de nouveaux acteurs et de nouveaux territoires se sont joints aux manifestations sociales qu'elles soient pacifiques ou non. Des zones rurales aux centres urbains, des sphères laïques aux milieux religieux (imams de Dakar), des jeunes aux vieux, le mécontentement social va grandissant et les formes de protestation et d'expression du mal vivre des populations se sont radicalisées. C'est dans ce sens qu'il faut comprendre les émeutes de Kédougou ancien département de la région de Tambacounda et la marche de protestation des imams et chefs de quartiers de la banlieue de Dakar entre autres. « Président, faut pas déconner sinon on va déconner » telle était entre autres les mises en garde adressées au chef de l'Etat dans l'une de ces manifestations.

Si les mises en garde sont adressées directement au chef de l'Etat, c'est surtout parce que les populations ont le sentiment que c'est lui qui décide de tout et qui est le plus à même de trouver des solutions à leurs problèmes. Aussi, à la faveur de la crise économique et du renchérissement du coût de la vie qui ont fortement affecté et affaibli le pouvoir d'achat des populations aggravant du même coup leur pauvreté, celles-ci se sont tournées vers celui par qui elles espéraient l'avènement du changement dans tous les domaines. Pour ce faire, plusieurs programmes ont été mis en oeuvre pour pallier les insuffisances de l'agriculture, réduire la très forte dépendance des centres urbains (Dakar en particulier) aux importations de riz et de blé et enfin, par la promotion de l'emploi des jeunes de la banlieue dakaroise, de juguler ou tout au moins d'atténuer les effets de la pauvreté et

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de la paupérisation croissante. Mais pour l'heure, ces différents programmes posent plus de problèmes qu'ils prétendent en résoudre. Tandis que les paysans dénoncent une vague de spoliation de leurs terres suite à ce que la presse nomme la « boulimie foncière du régime wadien », les jeunes des autres régions du Sénégal hormis Dakar s'estiment victimes d'exclusion et de discrimination socio spatiale.

En fait les interrogations que se posent les populations c'est entre autres : comment l'Etat peut-il prétendre résoudre les problèmes de l'agriculture et de la dépendance alimentaire sans les paysans ? Et comment les autorités publiques pensent-elles juguler le chômage des jeunes en ne ciblant que ceux de la banlieue de Dakar alors que dans les autres régions, Tambacounda par exemple, du fait de l'inexistence d'un tissu industriel et de la faiblesse du secteur informel, les jeunes y sont souvent plus exposés aux problèmes de la pauvreté ? L'exemple de la violente manifestation de Kédougou qui avait servi aux jeunes de cette localité de tribune pour interpeller les autorités publiques sur le chômage endémique qui y sévit. Aussi, confrontées à une situation de pauvreté qui s'aggrave de jour en jour et ayant en face d'elles un régime qui de par les politiques et les programmes qu'il met en oeuvre, ne semble pas en mesure de faire face à une crise multiforme et à ces retombées.

Si pendant quelques années l'émigration en direction de l'Europe et des Etats-Unis d'Amérique a été pour nombre de nombreux jeunes le seul moyen de s'extirper de la dégradation de leurs conditions de vie et de l'absence de perspectives d'avenir, la crise économique mondiale a amené ces pays à renforcer les mesures pour endiguer les flux migratoires. Ce faisant, les jeunes sont de plus en plus contraints de rester au pays et de faire face au chômage, à la pauvreté, aux inégalités sociales et à la non prise en charge par les pouvoirs publics des problèmes auxquels la jeunesse est confrontée d'autant que le secteur informel, malgré sa capacité de création d'emplois, ne parvient pas à influer positivement sur l'amélioration de leurs conditions de vie. La recrudescence de la violence (40 meurtres entre décembre 2008 et mai 2009) dans les grands centres urbains comme Dakar

est, pour de nombreux observateurs imputables à cet état de fait. Une situation qui, avec la paupérisation des campagnes où les systèmes agricoles sont complètement déstructurés, favorise l'exode rural des jeunes, ne peut que prendre des proportions de plus en plus inquiétantes.

Du coup le mécontentement social prend de l'ampleur et de plus en plus de voix s'élèvent pour tirer la sonnette d'alarme sur les risques de conflits et de troubles sociaux que les frustrations des populations face à l'incapacité et aux agissements des pouvoirs publics pourraient engendrer. Alors que certains parlent de nouvelle Casamance dans les zones où la spoliation foncière se pose avec plus d'acuité, d'autres n'hésitent tout simplement pas à parler de risque de guerre civile en comparant la situation du pays à celle de la Côte d'Ivoire avant la crise qui y sévit depuis plusieurs années. Si la comparaison peut paraître quelque peu exagérée, elle laisse entrevoir néanmoins l'ampleur des conflits de pouvoirs et des inégalités sociales dans les différentes régions du pays en particulier à Dakar et à Tambacounda et entre elles.

En effet, entre 2000 et 2009, la majorité présidentielle a multiplié les actes politiques et les calculs politiciens qui ont favorisé le clientélisme politique, à instaurer le népotisme étatique, l'exercice quasi monarchique du pouvoir, le piétement de l'éthique politique et démocratique, des luttes de pouvoirs avec les médias privés et l'opposition et une collusion entre pouvoir et confrérie religieuse au détriment d'une lutte véritable contre la pauvreté et ses effets.

La très grande proximité du chef de l'Etat avec le siège et les responsables de la confrérie mouride, si elle est politiquement intéressée et « machiavéliquement exploitée par le PDS »57 a engendré des frustrations au niveau des autres confréries et confessions religieuses autant qu'elle accroît les pouvoirs et l'influence de Touba et de son marabout. Ce dernier use de plus en plus de son influente protection pour intervenir en faveur de certains hommes politiques que Cissé kane Ndao appelle des « transhumants

57 : Cissé Kane Ndao Walfadjri du 20 mai 2005

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confrériques » pour l'obtention d'un poste de responsabilité ou pour sa conservation. Cette immixtion du religieux sur la scène politique et sur la gestion des affaires publiques ajoutée à la puissance économique de la mouridiya favorise l'émergence de voix qui s'élèvent pour réclamer une plus grande islamisation de la société sénégalaise, de ses institutions et de ses codes en particulier celui de la famille, inspiré du modèle français, qui à leur avis, devrait être plus conforme aux préceptes du coran. Une situation qui sonne le glas d'une pacifique cohabitation interreligieuse et inter-confrérique en méme temps qu'elle crée les fondements d'une défiance dont on ne saurait prévoir la violence des luttes d'influence et des conflits pour le contrôle du pouvoir d'une probable République islamique. D'autant que l'extension des réseaux religieux radicaux qui, par leur prosélytisme, leur puissance financière et leur forte capacité de mobilisation semblent chercher à pallier le « déclin de l'Etat comme acteur central »58 surtout en Afrique subsaharienne.

La collusion entre le religieux et le temporel, la mal gouvernance, la situation de la démocratie et les difficultés socio économiques rencontrées par les populations qu'elles soient de Dakar, de Tambacounda où de toute autre région du Sénégal sont fortement médiatisées par les organes de presse privés du fait de l'accaparement des médias publics dont les programmes (partiaux, partisans et partiels) ont essentiellement pour objectif de véhiculer une image aussi luisante que possible du chef de l'Etat et du Sénégal. Mais, en ayant favorisé l'émergence d'une presse privée qui est moins enclin à se faire son chantre et qui cherche plutôt à privilégier la diffusion d'une information « juste » qu'elle soit favorable ou non aux pouvoirs publics et à son image, le président Wade, considérant que celle-ci l'avait trahi, a instaurer un climat de fortes tensions entre les deux entités. En effet, les relations entre les médias privés et le régime de Wade sont si tendues qu'on s'est imaginé que ces derniers pourraient, du fait des brimades et de la violence dont ils sont victimes, bénéficier de la sympathie

58 - Rawane Mbaye cité par Bakary Sambe dans « Cheikh El Hadji Malick Sy et l'islamisation du Sénégal (partie 2/2) » novembre 2007

de la population qui par un soulèvement populaire chercherait à les défendre, ou bien d'une alliance avec des forces d'une opposition quelque peu radicaliste pour mettre un terme à toutes ces tracasseries. Le fait est que, autant les populations que l'opposition ont profité et continuent de profiter du foisonnement de médias privés (presse écrite, radio, télévision) pour avoir les moyens d'exprimer librement leur colère, leur mécontentement leur mal vivre et le rejet du régime en place. Aussi, il est aisé de supposer qu'elles ne resteront pas spectatrices de la remise en cause de la liberté et de l'embrigadement de la presse, de la liberté d'expression, mais aussi et surtout de la liberté après l'expression. Dans tous les cas, les luttes de pouvoir entre presse et autorités publiques se sont multipliées depuis 2000 et la défiance entre les différents acteurs qui s'accroît de jour en jour fait peser beaucoup d'incertitudes sur la stabilité du pays.

Sur le plan politique, alors que l'opposition continue de convier la coalition présidentielle à un dialogue où, de concert, un diagnostic sera fait sur les problèmes sociaux, politiques et économiques du pays, cette dernière se contente pour l'heure de « déterrer les cadavres » du régime socialiste (voir en annexe quelques extraits de la lettre réponse de Wade). Mais, en ayant remporté les dernières élections locales et régionales dans la partie Nord et Quest du pays (dont Dakar en particulier) qui concentre plus de 70 % de la population, l'opposition n'entend pas rester aphone. Bien au contraire. A la faveur des assises nationales qui lui ont permis de faire un profond diagnostic du mal vivre des populations et de la mal gouvernance érigée en principe de gestion, celle-ci entend profiter de sa nouvelle légitimité pour continuer à dénoncer les « dérives » du régime en place. Aussi, ce que l'on craint, c'est que, du fait de l'absence de dialogue et de concertation entre les différents responsables politiques, la radicalisation des positions et les luttes de pouvoir entre les deux camps ne se muent progressivement en confrontation et pire en affrontement partisan. Une situation qui pourrait participer à une déstabilisation durable du pays.

Par ailleurs, outre la personnalisation du pouvoir dénoncée vigoureusement par la presse privée, on prête de plus en plus au président

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Wade des intentions de sa dévolution monarchique. Il se susurre qu'il veut se faire succéder par son fils Karim d'où les responsabilités croissantes qui lui sont confiées depuis 2000. Apparu sur la scène publique et politique à la faveur de l'élection de son père, Karim Wade a rapidement gravi les échelons passant de conseiller à la présidence à ministre en passant par la direction de l'ANOCI. Différentes responsabilités qui selon les observateurs permettent à Karim d'être initier à la gestion des affaires publiques pour peut-être un jour lui succéder à la tête de l'Etat. C'est dans ce sens, semble-t-il, qu'il faut interpréter sa récente inscription sur les listes des candidats du PDS lors des dernières élections locales municipales et régionales alors que celui-ci avait créé un mouvement politique parallèle au parti de son père et nommé « génération du concret ». Toutefois, la cuisante défaite de la majorité présidentielle lors des élections de mars 2009 a semblé sonné, pour le président Wade comme un désaveux ou tout au moins une mise en garde quant à cette intention de « monarchiser » la gestion du pouvoir en foulant au pied les principes de la démocratie qui veulent que le peuple décident de qui doit le gouverner. Mais, même si le président sénégalais Abdoulaye Wade, 82 ans, se défend de promouvoir son fils Karim pour lui succéder, il a relancé les spéculations et controverses en lui confiant un ministère de premier plan. En devenant ministre d'Etat chargé de la Coopération internationale, de l'aménagement du territoire, des transports aériens et des infrastructures, Karim Wade, 40 ans, est devenu le premier fils d'un président de la République à faire partie d'un gouvernement au Sénégal.

En définitive, l'on peut affirmer que dans son histoire récente, le Sénégal n'a jamais été aussi proche de l'implosion sociale. Car comme nous l'avons évoqué et montré, alors que les foyers de tensions sociales se multiplient, que les populations envahissent les rues pour exprimer leur mal vivre et leurs souffrances, les pouvoirs publics se claquemurent dans une logique où la satisfaction des besoins des populations occupe la portion congrue. D'autant que Wade et son gouvernement avaient été considérés comme capables de prendre en charge l'amélioration des conditions de vie

des sénégalais quelque soit leur appartenance politique, sociale, religieuse et leur région de provenance.

Cependant, s'il reste vrai que la situation sociale est tendue, s'il reste vrai que les manifestations et les violences sociales se multiplient, il me semble qu'il existe encore au Sénégal un certains nombre de « freins » socioculturels qui font que la contestation sociale ne va pas au-delà des marches de protestation. Il s'agit entre autres du métissage interethnique et interreligieux. En effet, les crispations ethniques et les divergences religieuses, méme si elles existent, on peut tout de méme affirmer qu'elles sont encore fortement inhibées et occultées par une intégration sociospatiale qui interdit toute forme d'embrasement social. La région de Dakar qui semble la plus exposée est celle où quelque soit leur appartenance ethnique et religieuse, les individus se sentent uniquement sénégalais. Par ailleurs, même si, ils ont tendance à disparaître, le fatalisme et la propension des Sénégalais à toujours chercher le compromis (massla en wolof) sont également, à mon avis, des valeurs qui permettent, pour le moment, d'endiguer les risques et les menaces qui pèsent sur la stabilité du pays. En outre, il me semble qu'il manque aux sénégalais ce potentiel révolutionnaire qui transforme tout mécontentement social en une vague de violence déstabilisatrice de toute forme de stabilité sociale. Mais pour combien de temps encore ?

D'autant que le président Wade affirme souvent qu'il n'a pas encore trouvé, au Sénégal, quelqu'un capable de lui succéder comme s'il lui appartenait de s'occuper, comme on le ferait d'un héritage, de qui devrait diriger le pays après lui. Ludwig von Mises écrit : « A la base de toutes les doctrines totalitaires se trouve la croyance que les gouvernants sont plus sages et d'un esprit plus élevé que leurs sujets, qu'ils savent donc mieux qu'eux ce qui leur est profitable ». Considéré par ses proches comme celui sans qui le Sénégal ne saurait se construire un avenir florissant, Wade se sentirai-il irremplaçable ? Et le cas échéant, et malgré leur pacifisme et leur fatalisme les sénégalais se laisseront-ils faire ? Une chose est sure c'est qu'en Afrique, la plupart des vagues de violences sont consécutives à un

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processus électoral comme cela était le cas récemment au Kenya, en Ethiopie, en Côte d'Ivoire, au Madagascar. Les élections présidentielles de 2012 au Sénégal pourraient peut-être permettre d'en voir plus clair surtout si Wade insiste dans son désir de se faire succéder par son fils.

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"Entre deux mots il faut choisir le moindre"   Paul Valery