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Politique, pauvreté et stabilité. le Sénégal peut-il basculer dans des violences sociales

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par Vivien MANEL
Institut français de géopolitique - Université Paris 8 - Master I géopolitique 2008
  

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A - 2 : La marche des imams de Guédiawaye dans la banlieue de Dakar

Chronologiquement, les Imams (dignitaire religieux musulman, qui dans une mosquée dirige les prières) de Guédiawaye dans la banlieue de Dakar, ont été les premiers à organiser une marche de protestation contre la vie chère, mais aussi et surtout contre les factures d'électricité trop élevées. En fait, confrontée à une pénurie de combustible pour alimenter ses centrales et partant fournir régulièrement de l'électricité à tous les abonnés, la Société nationale d'électricité (SENELEC), en était réduite à multiplier les coupures et les délestages. Ce système lui permettait d'alimenter tour à tour les différentes parties de la ville hormis certaines zones jugées sensibles comme le palais présidentiel et ses abords. Le problème à l'origine de cette manifestation c'est qu'en plus d'une distribution très erratique pour ne pas dire trop rare, la SENELEC a non seulement augmenté le tarif de l'électricité de 17 % mais elle a procédé, en plus, à une double facturation qui consiste à envoyer aux consommateurs deux fois la même facture pour la même période. A cela s'ajoute le fait que les multiples coupures d'électricité endommagent les appareils électroménagers des familles. Pour exprimer leur exaspération face à cette situation et au mutisme des pouvoirs publics, des imams ont donc pris, à Guédiawaye dans la banlieue de Dakar, la tête d'une forte mobilisation. Ils ont été soutenus par des centaines de personnes qui vivent les mêmes difficultés. Dans le mémorandum écrit à cet effet, le collectif des imams et chefs de quartiers estiment qu'en agissant de la sorte, la SENELEC fait montre d'une « volonté délibérée et cynique de résorber son déficit de trésorerie chronique sur le dos des ménages déjà durement éprouvés par l'effritement implacable, et chaque jour plus affirmé, de leur pouvoir d'achat »8. Au cours de cette marche de protestation, les populations

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se sont directement adressées au chef de l'Etat lui-même par le biais de banderoles et de slogans comme : « Gorgui (le vieux, surnom donné à Wade) faut pas déconner sinon on va déconner )), « we are tired help please )) ou encore « surfacturation des factures : ça suffit )). Certains manifestants ont tout simplement apporté avec eux des bougies et des lampes à pétrole pour rappeler qu'à cause des délestages, ils en étaient réduits à s'éclairer avec ces moyens qu'ils croyaient appartenir au passé.

Une marée humaine dont l'effectif n'a été communiqué ni par la police ni par les organisateurs eux-mêmes, a ainsi emprunté les principales artères de la ville de Guédiawaye pour se retrouver à la préfecture où les dirigeants de la manifestation (imams et chefs de quartiers) ont été reçu par les autorités. Ils en ont profité pour exiger le « remboursement par la SENELEC des sommes indûment perçues depuis le 1er août 2008, la fourniture permanente de l'électricité sur toute l'étendue du territoire national et la fin des délestages, le dédommagement conséquent et diligent des ménages victimes de détériorations d'appareils ménagers et autres )). Ils ont également lancé un appel en direction des pouvoirs publics pour qu'ils prétent une attention particulière « sur la gestion de ce dossier très sensible qui peut être une source potentielle de troubles à l'ordre public ))9. Invité à cette manifestation Momar Ndao dira : « Cette marche est un message d'alerte très fort lancé aux autorités, nous leur demandons de se réveiller. Sinon le réveil des populations peut faire mal ))10.

A propos de cette marche, un quotidien sénégalais (Sud Quotidien) titrait à sa Une le lendemain « Sénégal-Marche des populations de Guédiawaye contre la vie chère : Une marée humaine assoiffée de révolte )). Que les populations aient été sur le point de déclencher une révolte est

8 - Astou Winnie BEYE dans Le Qotidien du 11 décembre 2008

9 - Idem

10 - Idem

difficile à dire. Toujours est-il qu'elles ont affirmé qu'elles ne paieraient les
factures du mois d'octobre que si la SENELEC revenait à un mode de
facturation normal, le ministre de l'Energie, Samuel Sarr ayant reconnu lui-

même que sur un total de 720 000 factures, 159 000 soit environ 22 % comportaient des anomalies.

Sources : Pressafrik et Le Matin Vendredi 19 Décembre 2008 photos de la marche des imams à Guédiawaye dans la région de Dakar

Cette marche dirigée par des imams a, bien entendu, suscité beaucoup de commentaires. Certains estimaient que les imams étant des consommateurs comme toutes les autres composantes de la population, avaient, eux aussi, le droit d'exprimer leur mécontentement par des moyens pacifiques. D'autres par contre - plus à cheval sur les dogmes religieux ? - estimaient qu'en tant que guide religieux, l'imam ne devait pas s'immiscer, de cette façon, dans le débat social. Qui a tort, qui a raison ? Je ne saurai sans doute pas trancher ce débat, mais les manifestant ont sans doute pensé qu'ils avaient raison. Toujours est-il que des imams ont dirigé une marche de protestation et ce fait est, en soi, un événement inédit au Sénégal. Le fait que des « vieux » retraités pour la plupart et de surcroît des guides religieux choisis le plus souvent pour leur probité morale, leur érudition dans le domaine de l'islam et l'exemplarité de conduite sociale, aient décidé de faire fi des risques de répression (qui depuis 2000se sont multipliés) pour organiser et mener une marche de protestation est pour le moins assez singulier. Et à ce titre, il permet de mesurer la profondeur du mécontentement social et surtout de montrer que les imams comptent bien se servir des pouvoirs que leur confèrent leur position sociale et leurs responsabilités religieuses pour dénoncer la dégradation des conditions de vie des populations et peut être en exiger la prise en charge par les autorités publiques.

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Dans tous les cas, la marche de protestation des imams qui, il est important de le préciser, a donné lieu à une forte mobilisation de la population n'a connu aucun débordement, surement grace à l'appel au calme qu'ils ont lancé, malgré la présence des forces de l'ordre, pose plusieurs interrogations : sommes-nous entrain d'assister à la radicalisation de toutes les franges de la population, même de celles dont personne n'entend qu'elles expriment leur courroux par des marches de protestation ? Pourquoi cette marche n'a pas été dispersée par les forces de l'ordre comme c'est le cas pour beaucoup d'autres ? Faut-il croire que les pouvoirs publics craignent la réaction des populations s'ils s'en prenaient à ces notables ? Pourquoi est-ce que se sont des imams de la banlieue et non ceux des quartiers huppés de Dakar comme le Point E et les Almadies ? Faut-il croire qu'il y a des entités socio spatiales qui vivent les coupures d'électricité et la vie chère de manière différente ? Une chose est sure, c'est que si les habitants des quartiers riches de Dakar ont les moyens de se payer des groupes électrogènes pour pallier toute défaillance dans la distribution de l'électricité, on ne les a pas entendu se plaindre de quelque surfacturation ou erreur de facturation que se soit. Est-ce une manifestation de l'approfondissement des inégalités sociales ? En tout état de cause cette réaction des imams face aux pratiques de la SENELEC, au renchérissement du coût de la vie et de la baisse du pouvoir d'achat des ménages, montre l'effritement de certaines valeurs comme le massla (wolof) (propension a toujours cherché le compromis quelque soit le problème et l'enjeu pour ne heurter la sensibilité d'aucune des parties concernées), fondatrices de la stabilité du pays.

Cependant, si les imams ont manifesté leur courroux dans le calme, ce n'est pas le cas d'autres manifestations comme celle qui s'est déroulée à Kédougou en décembre 2008. Voyons ce qu'il en est.

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"L'ignorant affirme, le savant doute, le sage réfléchit"   Aristote