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Politique, pauvreté et stabilité. le Sénégal peut-il basculer dans des violences sociales

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par Vivien MANEL
Institut français de géopolitique - Université Paris 8 - Master I géopolitique 2008
  

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A - 3 : La manifestation de Kédougou

Le fait que la région de Kédougou, ancien département de la région de Tambacounda, considéré comme tel dans cette étude, située dans le Sud-est

du pays à 750 km de la capitale, recèle d'importants minerais (or, fer, marbre) avait conduit les autorités à y implanter un lycée technique industriel et minier pour inciter les jeunes de la région et, au-delà, à intégrer ces filières. Cet établissement, malgré de nombreuses difficultés, a réussi à former des dizaines de jeunes. Aussi lorsqu'après l'alternance, le Président de la République s'est engagé à valoriser le potentiel minier de la région et à faire de Kédougou le pôle de développement minier du pays, ces derniers dont la plupart peinait à trouver du travail, ont cru voir la fin de leurs difficultés d'insertion. Mais, alors que l'usine, Sabodala Gold Opérations (SGO), une filiale de l'australienne Mineral Deposit Limited détentrice de la concession minière, devait officiellement ouvrir ses portes le 15 mars 2009 après avoir fini l'installation de la cité minière entièrement équipée, les jeunes de la région, encore dans l'attente de se faire embaucher, ont commencé à s'interroger. Ils sont nombreux les jeunes bacheliers sortis du lycée technique de Kédougou (en 2004 ils étaient 84) qui, faute de moyens n'ont pu continuer leurs études et qui pensent que l'entreprise pouvait les enrôler et appuyer leur formation avec la stratégie du « Learning By Doing » (apprendre en travaillant).

Car si grace à l'ouverture de cette usine, le Sénégal allait entrer dans l'ère de la production industrielle de l'or avec une capacité de 5 tonnes d'or par an, il est certain que cette extraction minière entraînera également une dégradation de l'environnement et une forte pollution. Les populations de Kédougou en sont conscientes puisqu'elles ont adressé une lettre ouverte au Président Wade à cet effet. Elles y affirment : « l'extraction industrielle de l'or par les multinationales cause pollution, intoxication au cyanure, déplacement massif de populations, ravage de l'environnement, développement de maladies comme la tuberculose, le VIH SIDA. Que deviendront les terres fertiles de la Falémé quand finiront les activités des compagnies et, que gagneront les populations locales après que tout cela soit terminé ; en vérité la somme des dégradations écologiques et des atteintes à la santé provoquées par l'exploitation des mines d'or et de fer va ruiner la

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nouvelle région pour des générations à venir et, nous ne croyons pas que les multinationales payeront l'ardoise » 11.

C'est dans ce contexte que les jeunes ont envahi les rues de la ville pour rappeler qu'ils ne se contenteraient pas seulement des réalisations du programme social minier signé entre l'Etat et l'entreprise minière comme la réhabilitation des infrastructures routières sur les axes MandankoligKhossanto-Sabodala et Sabodala-Bransan-Khossanto pour désenclaver la région. Ces jeunes, autant que les autres franges de la population de la région de Tambacounda, exigent de pouvoir bénéficier des retombées de l'exploitation et de la commercialisation du minerais contenu dans leur sous sol. Dans la même lettre on peut lire : « ~ les investisseurs du secteur qui nous envahissent ont trop d'avantages à notre détriment et ceci, malgré le Programme Social Minier qui nous est tant vanté par vos Ministres, et qui, à notre avis pose problème dans sa mise en oeuvre, parce que géré par une Unité logée au sein du ministère des Mines et de la Géologie ; comme si nous étions encore immatures et incapables pour décider de nous-mêmes »12.

La marche pacifique de décembre 2008 avait pour but de mobiliser toutes les populations de Kédougou, pour dénoncer la spéculation foncière, la cherté de la vie et pour que les jeunes soient embauchés dans la société minière qui y exploite l'or, le marbre et le fer. Ce mouvement de protestation organisé par les étudiants de la région s'est mué en affrontements avec les forces de l'ordre renforcées par l'armée. On déplore la mort d'un jeune agé de 25 ans, tué par balle selon certaines sources, trois morts pour d'autres et plusieurs autres blessés.

11 - le document qui explique la révolte des jeunes de Kédougou adressé à Maître Wade, dans Ferloo du lundi 29 décembre 2008

12 - Idem

Sources : L'Office du Samedi 27 Décembre 2008, Le Matin du Vendredi 26 Décembre 2008 et www.tambacounda.info photos de la manifestation de Kédougou en décembre 2008

Ce qui surprend dans cette affaire, c'est, outre la célérité avec laquelle vingt et une des personnes arrêtées ont été jugées et condamnées à cinq, sept et dix ans d'emprisonnement ferme, verdict qui pour Me Sidiki Kaba, avocat des prévenus, «n'est pas de nature à oeuvrer dans le sens de l'apaisement », c'est la réaction des autorités. Après avoir, dans un premier temps, accusés des mercenaires venus de la Guinée Conakry, du Mali, de la Gambie et du Ghana, d'avoir «combattu » auprès des populations locales, le ministre de l'Intérieur, Cheikh Tidiane Sy, s'est déplacé à Kédougou pour disait-il : « simplement présenter les condoléances et constater les dégâts et pas pour autre chose ». Cette réponse était servie aux représentants des populations locales venus négocier la libération des jeunes arrêtés. Il faut dire qu'aujourd'hui, tous les jeunes qui avaient écopé de peine de prison, sont libres du fait de la grâce présidentielle. Les violentes réactions qui ont été notées sur la manière dont cette manifestation a été réprimée se

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résumaient toutes à dénoncer l'injustice dont sont victimes les habitants de Kédougou. Car, à leur avis des faits plus graves se sont déroulés dans d'autres localités sans que les pouvoirs publics ne réagissent de la sorte. L'exemple qui est le plus revenu, c'est celui de ceux qui, à Kébemer petite ville natale du chef de l'Etat dans la région de Louga, ont, pour réclamer un portefeuille ministériel, brûlé le drapeau national.

Mais quelles que soient les réactions des uns et des autres, il me semble important de revenir sur celle des autorités. En parlant de mercenaires étrangers qui auraient combattu aux côtés des populations, participant en cela à rendre violente une manifestation qui se voulait pacifique, les pouvoirs publics semblent verser dans la recherche effrénée de boucs émissaires. Si ce n'est pas l'opposition qui instrumentalise les manifestations et les manifestants, c'est une infiltration de forces étrangères ou de mercenaires qui en justifie la violence. Ils donnent ainsi l'impression de croire les populations locales incapables de fait de violence. Ce qui me semble une inquiétante méprise. Car ce faisant, ils minimisent la profondeur du mécontentement social et privilégient la répression de ces manifestations. C'est ce qui s'est d'ailleurs passé à Kédougou (Tambacounda) en décembre dernier comme c'était déjà le cas à Dakar. S'il n'est pas prouvé à ce jour que des mercenaires étrangers ont participé à cette marche de protestation, les premiers lingots d'or issus du sous sol de Kédougou et présentés au chef de l'Etat le 3 juin 2009 vont forcément rendre la région plus attractive à cause des possibilités d'offre d'emploi liées à l'extraction et la commercialisation de ce minerai.

Dès lors, qu'il y ait des manifestations sociales et/ou politiques ou pas, on peut s'attendre à ce que les migrations vers Kédougou croissent. D'ailleurs il n'est pas sür que se soient seulement des étrangers qui vont affluer vers cette région pour essayer de profiter des retombées de l'exploitation de l'or. Et, si les pouvoirs publics ne mettent pas en oeuvre des politiques d'accompagnement par le biais de la réalisation du désenclavement de la région, de la construction d'infrastructures sanitaires, éducationnelles. ., pour relancer le développement de la région, comme le

demandent les populations locales, l'on peut s'attendre à ce qu'elles se sentent exclues du partage des dividendes de la commercialisation de l'or. Dans leur lettre adressée au Président, on peut y lire : a les populations de Kédougou sont dans la psychose, stressent et chaque jour doutent ; pas une route bitumée pour au moins faciliter les évacuations sanitaires et le déplacement des populations, Kédougou est toujours sombre la nuit, aucune stratégie sérieuse pour rendre les localités plus amènes au développement humain » (Ferloo décembre 2008). En outre, sachant que le cours du lingot d'or était le 2 juin 2009 à 22 000 euros (14 431 032 F Cfa)13, l'on peut s'attendre à ce que les populations, appuyées ou non par des mercenaires venus des pays limitrophes ou autres, cherchent à réclamer leur part du a gâteau ». c'est ce qu'elles disent toujours dans cette lettre : a Monsieur le Président de la République : Ceux sont ces frustrés, ces laissés pour compte qui se sont organisés dans ce mouvement fort pour réclamer leur droit au développement , et porter leur cri à votre écoute pour vous permettre de prendre les décisions adéquates aux problèmes soulevés et dont souffrent les couches défavorisées au rang desquelles la jeunesse de la nouvelle région de Kédougou» (Ferloo décembre 2008).

Il est donc clair que les émeutes de Kédougou ne sont pas à prendre à la légère. Elles préfigurent, comme ci-dessus évoqué, la conduite que les populations, les jeunes singulièrement, sont prêtes à adopter si elles se sentent, un tant soit peu flouées par les autorités dans le cadre de l'exploitation des mines d'or, de fer et de marbre de la région. Et face à la répression dont elles ont été victimes, on peut craindre que pour toute autre manifestation ayant les mémes causes et visant les mémes buts, qu'elles soient mieux préparées à affronter les forces de l'ordre. Du coup, si l'Etat continue de privilégier la confrontation au détriment de la négociation et du dialogue, la violence franchira certainement un palier supplémentaire et pourrait avoir entre autres pour conséquence d'installer dans la région, et ce

13 : Source : www.banque-de-france.fr

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de façon durable, l'insécurité. Dans ce contexte, la tentative de l'Etat d'expliquer la survenue de certains conflits sociaux par l'immixtion de forces étrangères peut s'avérer pour le moins insidieuse car il n'est pas dit que cette violence épisodique ne peut pas se généraliser. S'il est aisé de savoir d'où part une vague de violence, il est toujours plus difficile d'en cerner les contours et partant d'en déterminer le terme. D'autant que les manifestations violentes ne sont pas seulement le fait des jeunes de Kédougou. En effet, le milieu scolaire reste un foyer où les tensions récurrentes sont en hausse constante autant au niveau de la fréquence des grèves que de leur violence.

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"Aux âmes bien nées, la valeur n'attend point le nombre des années"   Corneille