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Politique, pauvreté et stabilité. le Sénégal peut-il basculer dans des violences sociales

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par Vivien MANEL
Institut français de géopolitique - Université Paris 8 - Master I géopolitique 2008
  

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A - 4 : Des grèves scolaires et universitaires à répétition

L'école sénégalaise connaît des grèves cycliques depuis les années 1980 avec la mise en oeuvre des plans d'ajustement structurels. Chaque année, élèves et étudiants continuent de descendre dans la rue pour les mêmes revendications récurrentes qui tournent autour de l'amélioration des infrastructures (augmentation des établissements scolaires, des salles de classes et des tables-bancs, des logements des étudiants, etc.), des supports pédagogiques (livres, manuels etc.), l'augmentation des effectifs des enseignants et des professeurs, le paiement des bourses et aides. En 2006 par exemple, les élèves du lycée Mame Cheikh Mbaye de Tambacounda ont fait une grève de plusieurs jours pendant lesquels ils ont saccagé les locaux du Conseil régional, bloqué la circulation en brûlant des pneus sur la chaussée et affronté à coup de pierres les forces de l'ordre. Ils revendiquaient essentiellement le renouvellement des livres de la bibliothèque et de l'équipement d'une salle informatique.

Mais, depuis 2006, ce sont les enseignants du moyen et du secondaire réunis autour du Cadre unitaire des syndicats de l'enseignement moyen et

secondaire (CUSEMS) et les instituteurs du primaire et du préscolaire quiont entamé un conflit avec l'Etat pour la satisfaction de leurs revendications.

Pour les premiers, les points de discorde tournent autour de la question de
« la réforme du statut des volontaires, vacataires et contractuels ; de la

rationalisation de la carte scolaire et universitaire ; de l'amélioration des conditions d'apprentissage et d'enseignement ; de la promotion de l'habitat social et du payement des indemnités de déplacement ». Et face aux lenteurs administratives qu'ils reprochent au gouvernement, les enseignants ont progressivement radicalisé leur mouvement de protestation au point où on s'interroge encore sur la validité et la crédibilité du baccalauréat de 2006, vus les nombreux dysfonctionnements dans l'organisation des examens. Car, outre ces défectuosités, ces derniers ont, face au mutisme du gouvernement, procédé à la rétention des notes et au boycott des conseils de classe. Depuis lors, les années scolaires se suivent et se ressemblent, prolongeant le malaise du système éducatif. Entre octobre 2007 et mars 2008 les enseignants en étaient déjà à prés de deux mois de grève et donc autant d'heures de cours en moins pour les élèves. Celle de 2008-2009 connaît aussi de nombreuses perturbations, au total près de cinq mois d'arrêt des cours dans le public.

Les seconds, quant à eux, réclament à l'Etat une indemnité de recherche documentaire (Ird) de 60 000 F Cfa (environ 91€) et pour obtenir la satisfaction de leurs revendications, ils ont tout bonnement arrêté de dispenser les cours. De sorte que du préscolaire au secondaire c'est tout le système qui est bloqué. On est toutefois en droit de s'interroger sur les véritables motivations de ces instituteurs. Car après avoir, pendant plus de trois ans, campé sur leurs positions, estimant que l'indemnité de recherche documentaire ne pouvait être inférieure à 91 euros, ils viennent de signer un accord avec le gouvernement, le mardi 26 mai 2009, pour la fixer à seulement 15 000 f cfa (22,86 euros) et à l'horizon 2011 à 25 000 f cfa (38,11 euros). En fait, il me semble que les enseignants et les instituteurs se sont sentis victimes d'injustice de la part des pouvoirs publics. En effet, alors qu'en 2006, les magistrats ont vu leur indemnité de judicature passer de 150 000 à 300 000 f cfa (de 228 à 457 euros) avant de s'établir à 450 000 f cfa (686 euros) en 2008 ; les gouverneurs de régions voyaient la même année leur salaire passer de 300 000 à 800 000 f cfa (de 457 à 1219 euros) et

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récemment, en 2008, les sortant de l'ENA se sont vus octroyer une indemnité qui s'élève à 250 000 f cfa (381 euros)14.

Toutefois, pendant que les enseignants et les instituteurs continuaient leur confrontation avec les autorités publiques, ce sont les élèves du primaire au secondaire qui descendaient dans les rues pour dénoncer les grèves incessantes des enseignants et instituteurs. Ainsi, le mercredi 23 avril 2008, avec des ardoises en main où on pouvait lire« nous voulons étudier », les élèves (âgés de 6 à 12 ans) des écoles élémentaires des quartiers voisins de Camp Navétane et Gouye situés dans la commune de Tambacounda, ont sillonné les principales artères de la ville : une mobilisation inédite au Sénégal. Car descendre dans la rue à cet âge, certes pour des motivations louables, est tout de même inquiétant. Mais, cette mobilisation a le mérite de montrer qu'aucune composante du système éducatif ne semble épargnée par les difficultés du secteur. En effet, n'est-ce pas déjà entraîner de futurs grévistes et perturbateurs du système éducatif ? Il n'est dès lors pas étonnant de voir qu'à leur tour, les élèves des lycées Galandou Diouf, Seydou Nourou Tall, Kennedy de Dakar, ceux du lycée moderne de Rufisque (Dakar), ceux du lycée de Mame Cheikh Mbaye de Tambacounda, ceux du lycée de Sédhiou et de bien d'autres établissements, envahirent à plusieurs reprises entre 2008 et 2009 les artères de ces villes pour exprimer leur écoeurement face à cette situation. Ils soutenaient cependant les revendications des enseignants comme le dit Joseph Diouf du lycée Blaise Diagne de Dakar : <<On fait la grève pour que le gouvernement paye les professeurs. Ils sont fatigués, ils se sacrifient pour nous. Le gouvernement s'en fiche des professeurs qui réclament leurs indemnités. La situation dure depuis des années, et nous ne pouvons plus la tolérer. Nous ne voulons pas être des otages »15.

Si pour le moment, les élèves des écoles et collèges du public, ont manifesté leur courroux par des marches de protestation qui se terminent le plus souvent par des affrontements avec les forces de l'ordre (quatre bus

14 - Source : Ministère des finances

15 - Ndéye Maty Diagne dans Nettali du Jeudi 19 Mars 2009

d'une société de transport de Dakar ont été saccagés), rien n'indique qu'il en sera toujours ainsi. En effet, pendant que le Président de la République continue à clamer partout, à cor et à cri, qu'il est le seul à consacrer 40 % du budget de l'Etat à l'éducation, le système éducatif continue d'être en proie à une multitude de problèmes qui hypothèquent véritablement l'avenir de la

Sources : APS du 17 février 2009 et Nettali du 19 mars 2009 photos de grèves d'étudiants et d'élèves à Dakar

jeunesse sénégalaise. Est-ce que les jeunes vont continuer à assister - impuissants ?- à cette lente et progressive déstructuration du système éducatif ? Vont-ils se contenter d'attendre sagement que le bras de fer entre le gouvernement et le corps enseignant connaisse un épilogue heureux ? Car si l'accord qui vient d'être signé entre les instituteurs et le gouvernement (le 7 juin 2009) met pour le moment un terme à la grève dans les écoles primaires, les problèmes des enseignants du moyen et secondaire ne sont pas encore résolus. D'autant que la poursuite de ce conflit est de plus en plus assimilée, autant par les élèves eux-mêmes que par les enseignants, l'opposition et les observateurs, comme un manque de volonté de la part de l'Etat. Ce qui fait dire à Mamadou Diop Castro de l'Union démocratique des enseignants du Sénégal (Uden) dans le quotidien Walfadjri du 5 Mars 2008 : « c'est le gouvernement qui affiche le mépris et manoeuvre pour sortir de la situation »16 et à Marième Dansokho du Sypros : « C'est inconscient et irresponsable. Même si un seul établissement est en grève, le gouvernement ne doit pas attendre pour régler la situation à plus forte raison pour des milliers d'enseignants»17.

16 - Walfadjri du 5 mars 2008 / 17 - Idem

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L'enseignement supérieur sénégalais souffre à la fois d'un accès limité et d'une très faible couverture du territoire national : seules quatre régions (Dakar, Saint-Louis, Thiès et Ziguinchor) sur quatorze concentrent la totalité des établissements d'enseignement supérieur. Les régions comme Tambacounda qui enregistrent des taux de réussite au baccalauréat supérieurs à la moyenne nationale sont hélas dépourvues d'établissements d'enseignement supérieur public. En 2008 il était de 60,1 % à Tambacounda contre 42,9 % au niveau national. La progression continue des effectifs de bacheliers issus de l'enseignement secondaire au niveau national n'a pas été suivie d'une hausse de l'offre de l'accès au supérieur. Ce qui crée un véritable engorgement au niveau de la principale université du pays, l'Université Cheikh Anta Diop (UCAD), dont les effectifs avoisinaient, en 2003/2004, les 40 000 étudiants pour un établissement qui à sa création était destiné à en n'accueillir que 25 000. En 2008 ils étaient 27 000 pour la seule faculté de lettres alors qu'on y trouve de nombreuses facultés comme celle de médecine, de pharmacie, des sciences juridiques, des sciences humaines..

Comme pour les élèves, les manifestations des étudiants se soldent la plupart du temps par des affrontements avec les forces de l'ordre. C'était le cas par exemple le 21 février 2006 à Dakar lorsqu'après avoir trouvé des vers dans leur dîner et découvert les mauvaises conditions de stockage des aliments, les étudiants s'en étaient violement pris au Centre des oeuvres universitaires. Véhicules, restaurants, magasins de stockage, guichets entre autres ont été saccagés ou calcinés. De plus l'entrée des forces de l'ordre dans le campus à la poursuite des étudiants, obligeant l'un d'eux à sauter d'un immeuble et violant par là les « franchises universitaires », à participé à envenimer la situation puisque ceux-ci ont exigé, avant tout retour au calme, le retrait de ce qu'ils appellent « les forces du désordre». C'est ce que soutient un des responsables de l'Union des étudiants de Dakar (UED) lorsque le gouvernement, par la voie du ministre de l'Education a affirmé sa disponibilité à résoudre les problèmes par le dialogue : «tant que l'université sera occupée par 'les forces du désordre', nous ne négocions pas alors que

notre espace est transformé en camp de policiers ))18. Pour apporter leur soutien à leurs camarades de Dakar, les étudiants de saint Louis ont voulu marcher vers la gouvernance sur une distance de douze kilomètres pour déposer une lettre de protestation. Ils ont été bloqués par la gendarmerie sous prétexte que la marche n'était pas autorisée. Les affrontements ont fait plusieurs blessés dont un étudiant ayant reçu des éclats de grenades lacrymogènes.

Absent du pays au moment des faits, le Président Wade a affirmé à propos de ces grèves : « C'est une main étrangère qui, avec l'opposition, sont derrière la grève. Elle a reçu des financements pour déstabiliser le pays. J'étais dans l'opposition. Je connais certains d'entre eux, ils n'ont pas le courage de descendre dans la rue. C'est facile de manipuler des étudiants et d'aller se mettre dans un lieu où tout le monde te voit et tu dis que t'as rien fait. Les étudiants doivent refuser de se faire manipuler ou si les opposants demandent de marcher qu'ils imposent aux opposants de se mettre au devant ))19. Sans prendre le temps de comprendre leurs motivations et les raisons qui les poussent à s'en prendre violement aux infrastructures universitaires et à affronter la police et la gendarmerie, les autorités choisissent la voie de la politisation du mouvement. Pourtant, même s'ils ont considéré les propos du président comme une provocation, les étudiants continuent de clamer que ce qu'ils veulent c'est seulement l'amélioration de leurs conditions d'étude. Aussi déplorent-ils l'attitude des autorités qui à leur avis ne sont disponibles pour des négociations que lorsqu'il y a des échauffourées et des affrontements entre eux et les forces de l'ordre.

Dans tous les cas, que ce soit une main étrangère ou l'opposition comme le prétend le chef de l'Etat, ou tout simplement les étudiants qui déterminent eux-mêmes leurs plateformes revendicatives et mettent en oeuvre des stratégies pour leur satisfaction, il me semble que tout retard dans la résolution de la crise du système éducatif ne fera que cristalliser et radicaliser les positions.

18 - Coumba Sylla, Nettali, le 21 février 2006 19- Nettali du 21 février 2006

En plus des grèves d'élèves, d'étudiants et d'enseignants, le front social sénégalais enregistre depuis quelques temps des manifestations inédites. Après les émeutes de la faim, la marche des Imams de Guédiawaye, celle des populations de Fatick et celle des habitants de Kédougou pour ne citer que celles là, les manifestations de colère sont devenues récurrentes au Sénégal. Fait nouveau, c'est qu'elles sont presque toutes réprimées dans la violence. Pourtant la Constitution du Sénégal garantit le droit de manifester pacifiquement. Toutefois, si les manifestations sociales se multiplient et se radicalisent elles ne sont pas pour autant les seules menaces qui pèsent sur la stabilité du pays. Avant 2000, le président Wade a su galvaniser et mobiliser une jeunesse qui appelait le changement de tous ses voeux. Neuf ans après son élection, il convient d'examiner les relations qu'il entretient avec celle-ci et en quoi elle pourrait constituer une menace pour le pays.

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"Il faut répondre au mal par la rectitude, au bien par le bien."   Confucius