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Politique, pauvreté et stabilité. le Sénégal peut-il basculer dans des violences sociales

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par Vivien MANEL
Institut français de géopolitique - Université Paris 8 - Master I géopolitique 2008
  

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B - Chômeurs et très nombreux, les jeunes s'entassent dans les centres urbains : doit-on craindre le péril jeune ?

Des estimations faites sur la base des projections démographiques officielles, donnent chaque année une idée sur l'évolution de la population du Sénégal. Ainsi, la population totale serait passée de 9 858 482 hts en 2002 à 1 1519 226 hts en 2007, le taux d'accroissement étant de 2,7 %20. Néanmoins, pour avoir des détails sur sa structuration et sa répartition selon divers critères, il faut se reporter sur les statistiques du dernier recensement général de la population et de l'habitat (RGPH) du Sénégal. Publiées en 2002, par l'agence nationale de statistique et de la démographie, ces statistiques, sont, encore aujourd`hui, les chiffres officiels à partir desquels se fondent les analyses sur la population. Elles montrent que 54,9% de la population est âgée de moins de vingt ans soit un peu plus de la moitié, alors que la tranche d'age qui va de quarante à soixante neuf ans ne représente que 15 % et la proportion des cinq ans à trente cinq ans représente environ 63,2 % (calcul effectué par l'auteur).

20 - Agence Nationale de la Statistique et de la Démographie (ANSD) dans : « Situation Economique et Sociale du Sénégal en 2007 », Octobre 2008.

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REPARTITION DE LA POPULATION DU SENEGAL PAR AGE EN 2002

3000000

2500000

2000000

1500000

1000000

500000

0

2904741

0 - 9 10 19 20 - 29 30 - 39 40 - 49 50 -59 60 - 69 70 -79 80 - 89 90 et +

2500075

1664387

1080665

728232

448611

291578

168550

50736

17757

Sources : Troisième Recensement général de la Population et de l'Habitat, ANSD 2002

Un des enseignements qu'on peut tirer de ces statistiques, c'est le rapport de dépendance qu'elle induit. En effet, selon les chiffres de l'ANSD, le coefficient de dépendance était en 2002 de 86,5 personnes inactives pour 100 actives et devrait s'établir en 2008 autour de 84 inactifs pour 100 actifs. En d'autres termes, une personne active avec un faible revenu, dans la plupart des cas, le salaire moyen mensuel oscillant, dans le secteur public, entre 50 000 F cfa (environ 76,22 euros) et 75 000 F cfa (environ 114,33 €), doit prendre en charge la famille composée de plusieurs personnes. Elle cherchera à prendre sur elle tous les besoins de celles-ci, depuis les plus élémentaires comme se nourrir, boire, se vêtir et se loger entre autres. Si pendant longtemps, les subventions faites par l'Etat pour soutenir les produits de première nécessité ont permis de maintenir leurs prix à des niveaux acceptables pour que les faibles revenus puissent y accéder, cela est de moins en moins le cas aujourd'hui. Le renchérissement du coût de la vie, qui affecte tous les pays à travers le monde, frappe plus durement ceux d'Afrique subsaharienne (dont le Sénégal), qui importent massivement des produits alimentaires, céréaliers principalement du fait de la faiblesse de leurs productions agricoles et de leurs revenus.

40

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La baisse du pouvoir d'achat qui lui est consécutive, en plus d'affecter les personnes actives, détériore de façon profonde les conditions de vie de tous ceux qui étaient pris en charge d'une façon ou d'une autre. C'est le cas pour des millions de jeunes.

La situation des jeunes, au Sénégal, se précarise de plus en plus. Cela s'explique par plusieurs facteurs. La baisse du pouvoir d'achat des parents ou tuteurs est pour beaucoup de jeunes le début du « calvaire » ou tout au moins celui d'un long cheminement individuel qui peut, pour les plus tenaces et les plus chanceux, déboucher sur la prospérité. En effet, livrés à eux-mêmes parce que les parents ne peuvent plus, ou parviennent difficilement à satisfaire leurs besoins, la plupart des jeunes se retrouvent dans l'obligation de s'inventer des stratégies pour se prendre en charge. Pour ceux qui étaient scolarisés, cette situation sonne le glas de leur cursus ou la fin de leur formation. Au cours de l'année académique 2006/2007, le Sénégal comptait seulement 78 274 étudiants sur une population cumulée de jeunes âgés de vingt à trente ans de 2 278 806 en 2002. Ces statistiques montrent l'ampleur de la déperdition scolaire puisque le taux brut de scolarité au primaire était de 35,9% en 2007. Jacques Morisset, économiste en chef du bureau de la Banque mondiale au Sénégal, abonde dans le même sens quand il affirme, lors de la présentation du rapport sur l'emploi en 2007, que : « seulement 5 % des actifs sénégalais ont fait des études supérieures »21.

Cet état de fait peut, en grande partie être imputable à l'insuffisance des infrastructures scolaires et universitaires, à un système d'éducation en proie depuis plusieurs années maintenant à des problèmes récurrents comme le manque de professeurs et d'enseignants, des grèves interminables et à des formations souvent inadaptées aux besoins des entreprises. D'ailleurs l'obtention d'un diplôme est loin d'être une garantie pour un travail. Les propos qui suivent sont édifiants «Au Sénégal tu as beau étudier

21 - Jacques Morisset, économiste en chef du bureau de la Banque mondiale au Sénégal, cité par le Quotidien le Soleil, du lundi 15 octobre 2007

et avoir des diplômes, si tu n'as pas les moyens, tu ne pourras pas t'en sortir. Maintenant les entreprises ne recrutent plus, elles préfèrent prendre des stagiaires.».

Toutefois, pour beaucoup de jeunes, le système scolaire et universitaire, malgré ses insuffisances, n'est pour rien dans leur manque de formation. Le rapport sur l'emploi au Sénégal estime que plus de la moitié des travailleurs du secteur informel n'ont jamais été à l'école. Si l'on considère, toujours selon ce rapport, que le secteur informel est le plus grand pourvoyeur d'emploi au Sénégal car absorbant près de 97 % des créations d'emplois chaque année « Cent mille actifs trouvent un emploi chaque année, dont 97.000 dans le secteur informel »22, alors on comprend aisément que, formés ou pas, diplômés ou non, beaucoup de jeunes parviennent à trouver du travail. Ils s'insèrent dans l'économie informelle, accumulant les petits boulots comme vendeurs à la sauvette, laveurs de voitures, coxeur23 etc. Il faut cependant préciser qu'accéder à un emploi dans le secteur informel ne signifie pas systématiquement s'extirper de la pauvreté et résoudre toutes ses difficultés liées à la satisfaction des besoins primaires comme se nourrir, se vêtir, se loger décemment, se soigner etc. En effet, la faiblesse des revenus (salaire médian estimé à 23 000 f Cfa soit 35 euros) 24 dans ce secteur est telle que ces travailleurs ont juste de quoi survivre.

Par ailleurs, il faut préciser que l'économie informelle n'est développée que dans et autour des grandes villes. Dakar étant celle où sont concentrées les principales activités économiques et industrielles du Sénégal absorbe ainsi la presque totalité de ceux et celles qui dans les autres villes ou les zones rurales, peinent à s'en sortir. En effet, le déséquilibre structurel entre Dakar et le reste du pays - autres villes et zones rurales - est tel qu'elle reste la seule qui dispose de l'essentiel des possibilités d'offres d'emploi. D'ailleurs les pouvoir publics ne font rien pour inverser cette situation. Car, alors que la détérioration des conditions climatiques, la raréfaction des pluies et des

22- idem -

23 - coxeur : ce terme désigne des individus qui sur les arrêts de cars ou dans les gares routières se chargent d'interpeller, de rechercher et de négocier les prix avec les voyageurs moyennant une petite ristourne. Il y en a qui en ont fait leur métier à temps plein.

24- Source : le secteur informel à Dakar, enquête réalisée par l'ANDS, 2003

politiques mal adaptées obèrent les résultats des activités agricoles, exacerbant les difficiles conditions de vie de millions d'individus, majoritairement jeunes, l'Etat cherche à mettre en oeuvre un « projet emploi des jeunes de la banlieue » de Dakar.

Si cette initiative peut être salutaire pour les millions de jeunes qui se trouvent déjà dans la banlieue et qui sont au chômage, elle est en revanche un appel lancé implicitement aux jeunes des autres localités à se ruer vers la capitale et sa banlieue. Au Sénégal, 60 % (Morisset, 2007) des chômeurs ont moins de trente cinq ans. Ce sont ainsi des centaines de milliers de jeunes voire des millions qui atterrissent sur le marché du travail de la capitale, sans qualification aucune et sans moyens pour s'en procurer. Livrés à euxmêmes et n'espérant aucun soutien de l'Etat, car en dépit des multiples initiatives promues par celui-ci pour lutter contre le chômage des jeunes, le problème reste entier. Il est important de préciser qu'au Sénégal il n'existe ni Agence nationale pour l'emploi (ANPE ou Pôle emploi), ni allocation chômage. Ce sont donc les jeunes eux-mêmes qui, pour satisfaire leurs besoins, sont contraints de s'inventer des stratégies de survie. Aussi, pendant que certains choisissent d'intégrer l'économie informelle, si tant est qu'ils y parviennent, d'autres par contre se laissent happer par la délinquance et le banditisme. Une troisième catégorie, quant à elle, choisit de braver les dangers de la traversée de l'océan pour rejoindre « l'eldorado européen ». J'ai rencontré un jeune homme qui a déjà tenté six fois la traversé sans y parvenir et qui reste déterminés à réessayer. La seule explication qu'il donne quand je lui demande pourquoi, c'est « Deuk bi da méti té dama bugga tekki » (wolof, littéralement : « la vie est difficile ici alors que je veux devenir quelqu'un d'important»). Autrement dit, il veut se sentir utile, important, ne pas rester insignifiant, dépendant et sans ressources.

De plus en plus de jeunes, pour fuir la misère, en arrivent à ce choix extrême malgré les difficiles images de morts et de noyés qui nous sont servis sur ce phénomène, malgré les multiples dispositions prises par les pays de départ et d'arrivée des migrants, malgré le risque de se faire traquer, arrêter et expulser à tout moment. La tentation est d'autant plus grande

lorsque, de retour d'un séjour en France, en Espagne ou dans quelques autres pays d'Europe ou des Etats-Unis, ces jeunes immigrants semblent avoir fait fortune. En 2006, près de 31 000 immigrants clandestins dont la moitié serait originaire du Sénégal sont partis des côtes africaines.

Pour ceux des deux autres catégories susnommées, ils s'attachent à essayer de s'extirper quotidiennement des difficultés qui les assaillent en usant de moyens légaux et parfois illégaux. Il vient dès lors plusieurs interrogations. Jusqu'à quand ces milliers de jeunes vont-ils continuer à accepter que leur situation sociale et économique n'évolue pas ? Jusqu'où sont-ils prêts à admettre que la misère et la pauvreté qui gangrènent leurs conditions de vie ne soient, autre chose qu'une fatalité ? Jusqu'à quand continueront-ils à accepter voir à tolérer que, certains en soient à construire des villas de grand standing, à convoler en noce une, deux ou trois fois, à rouler en 4X4 rutilantes, juste parce qu'ils profitent du népotisme ou parce qu'ils sont des thuriféraires des tenants du nouveau régime ?

Moustapha Niasse, ancien premier ministre de Wade, passé dans l'opposition depuis mars 2001, disait à propos de la situation socio économique du Sénégal : « Les Sénégalais sont coincés entre les deux mâchoires d'un saurien prêt à les engloutir avec d'une part, le poids de la misère quotidienne, et d'autre part la corruption ambiante »25. Les Sénégalais, les jeunes singulièrement, vont-ils attendre tranquillement d'être happés par les « mâchoires du saurien » ?

S'il est difficile à ce jour de donner une réponse, qu'elle soit affirmative ou pas, à ces interrogations, la multiplication de faits divers de plus en plus violents donne à penser que le risque de radicalisation de la jeunesse existe bel et bien. Depuis quelques années, le visage du banditisme sénégalais a évolué. En pire. Au début des années 2000 la « bande à Ino et Alex », du nom de ces célèbres voyous auteurs de vingt huit agressions et quatre viols dont celui d'une religieuse, avait ému et surpris le peuple sénégalais par la violence de leurs actes et les armes utilisées (kalachnikov entre autres). Mais

25 - Moustapha Niasse, cité par Thiendella Fall dans Walfadjri du 24 Avril 2009

aujourd'hui, des bandes de cambrioleurs, d'agresseurs, de coupeurs de route... dotées toutes d'armes à feu, de matériel informatique et méme, parfois de permis internationaux, essaiment à travers le pays et montrent bien que l'époque du coupe-coupe et de la machette est depassee au Senegal. Chaque jour des faits divers, les uns plus violents que les autres, sont relatés dans la presse. Aucune région n'est épargnée, toutefois celle de Dakar reste de loin la plus touchee. Les 2/3 des agressions relatees par la presse ont lieu dans cette region et sa banlieue. Le Senegal serait même devenu, à l'instar de bien d'autres pays de l'Afrique de l'Ouest comme les deux Guinees et le Nigeria, une des plaques tournantes de la drogue en provenance d'Amérique du Sud et à destination de l'Europe. Les saisies, de cocaïne notamment, seraient passees, selon Le rapport annuel de l'Organe International de Contrôle des Stupefiants (OICS) publie en fevrier 2008, de 2,8 tonnes en 2006, à 5,7 tonnes en 2007.

Par ailleurs, à la faveur de la crise financière, les pays europeens se barricadent, durcissent les lois contre l'immigration clandestine et multiplient les reconduites aux frontières. L'exemple de l'Italie qui est un des principaux pays d'immigration et qui vient de voter une loi qui cree « le delit d'immigration et de séjour clandestins » est edifiant. Silvio Berlusconi a declare recemment : « Nous fermons les portes et nous ne les entrouvrons que pour ceux qui viennent pour travailler et s'intégrer»26. Dès lors, si l'on admet que, quoiqu'on en pense, l'émigration clandestine a permis à des milliers de jeunes Senegalais de changer de situation socioeconomique, il est clair que, cette situation va engendrer de nouveaux comportements. En effet, les mesures draconiennes prises par les pays de destination, impliquent necessairement pour de nombreux jeunes de se trouver de nouvelles pistes d'insertion en restant dans leur pays d'origine. Le Sénégal est particulièrement concerne car il reste un des principaux passages vers l'Europe et les Etats-Unis d'Amérique. Et étant donné que le secteur informel reste le principal pourvoyeur d'emploi (97 %), il me semble, que les risques et

26 - Nadjia Bouaricha dans El Watan l'info. au quotidien, le 17 mai 2009

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les menaces de déstabilisation de la scène sociale qui pourraient être le fait des jeunes, viendront plus de l'incapacité du régime en place de tenir ses promesses de plein-emploi et son souhait de réguler ce secteur. Par exemple, en 2007, après que les autorités publiques aient décidé de faire déguerpir tous les marchands ambulants qui occupaient les trottoirs des principales artères (Ponty, Colobane...) de la capitale (Dakar), une violente manifestation avait été organisée par ces derniers. Ils reprochaient à l'Etat de chercher à les priver de leur gagne-pain en ne leur proposant aucune solution de rechange. Etant donné que le secteur informel reste pour la plupart d'entre eux la seule et unique voix pour une insertion économique, ces jeunes étaient prêts à user de tous les moyens qui étaient en leur possession pour parvenir à leurs fins comme le soutient un de leur représentant cité par LeQuotidien « le pouvoir ne peut à la fois « judiciariser » l'immigration clandestine, traquer les vendeurs à la sauvette (...) et espérer gouverner dans la tranquillité ». Au lendemain de cette violente protestation, les autorités sont revenues sur leur décision et ont permis aux marchands ambulants de continuer à travailler sur ces trottoirs. A la une de plusieurs journaux du pays on pouvait lire : « l'Etat recule devant les marchands ambulants ».

Source : le Quotidien du 22 novembre 2007, photos de la manifestation des marchands ambulants à Dakar

On voit donc, comme pour les cas précédents (imams, élèves, étudiants...) que la rue est devenue un véritable territoire où s'expriment toutes les rivalités de pouvoir qui chaque fois mettent une frange de la population face aux pouvoirs publics. Mais cette « victoire » des jeunes

marchands ambulants, en plus d'être inédite, participe à leur conférer une place de choix sur l'échiquier politique et social. L'on peut également supposer qu'elle constitue un avertissement en direction des pouvoirs publics comme pour leur dire qu'il faudra éviter autant la mobilisation des jeunes que leur colère.

Le risque que l'on peut encourir ici c'est de voir surgir un leader charismatique dont le discours tranche d'avec celui de ceux qu'on entend aujourd'hui sur la scène politique et sociale. Un leader qui sache cristalliser le mécontentement et la déception des jeunes en une force revendicative qui serait prête à user de moyens pacifiques mais surtout brutaux pour se faire entendre. Un leader qui, à l'image de Wade quand il était opposant particulièrement en 1988 et en 1993 a réussi, grâce aux jeunes et à la violence dont ils ont fait preuve dans les rues de Dakar et d'autres régions, à amener les pouvoir publics à instaurer un couvre-feu, saurait mobiliser et galvaniser des foules de jeunes. Bref quelqu'un qui propose une alternative à l'alternance, un renouveau du changement et des perspectives plus optimistes pour des centaines de milliers de jeunes qui, comme déjà évoqué, cherchent par tous les moyens à se sortir de la misère sociale, certains au péril de leur vie.

Autant Wade avait réussi à mobiliser la jeunesse en 2000, autant il avait su s'allier avec la presse et les médias privés qui avaient beaucoup participé à la régularité du scrutin. Il convient de voir ce que sont devenues ces relations et les risques qui pourraient en émaner.

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"L'ignorant affirme, le savant doute, le sage réfléchit"   Aristote