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La relation thérapeutique dans les interférences entre la biomédecine et la tradipratique. Une lecture anthropologique à  l'hôpital Laquintinie et à  l'African Clinic de Douala (cameroun).

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par Bruno Duovany BEKOLO ENGOUDOU
Université de Douala (Cameroun) - D.E.A en anthropologie, mention santé 2007
  

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2- Des normes «  officieuses » d'accès à la santé à l'HLD

Les normes « officieuses » d'accès à la santé sont tous ces préalables que les patients et le personnel médical adjoignent aux normes officielles pour rétablir l'équilibre sanitaire. En clair, il est ici question de toutes les conditionnalités officieuses, illégales voire informelles d'accès à la santé à l'HLD. Comme dans toute structure, l'on est en présence de normes officielles et officieuses. Les premières étant produites par le système ou la tutelle (le ministre de la santé) alors que les secondes résultent de l'inventivité des acteurs qui cherchent toujours à contourner les premières où à passer à travers elles (CROZIER M. et FRIEDBERG E., 2001 p17). L'analyse ou l'observation des interactions entre patients et soignants vient ; dès lors ; jeter un faisceau de lumière sur toutes ces normes au nombre desquelles figure en bonne place la vente illicite des médicaments.

· La vente illicite des médicaments

L'une des prescriptions du code de déontologie médicale est celle ayant trait à la vente illégale des médicaments. En effet, le personnel soignant ne doit, sous aucun prétexte, vendre aux patients des médicaments même si ceux-ci serviront à leur prompt rétablissement. Cependant lors de nos observations, nous avons constaté que cette pratique est bien encrée dans les moeurs de cet hôpital. Le cas de figure qui suit s'est déroulé au pavillon de la médecine et nous est rapporté par un patient qui a requis l'anonymat, voici son propos :

  Je suis hospitalisé depuis près d'un mois dans cet hôpital. Ça veut dire que j'ai vu beaucoup de choses que si je vous dis tout, ça va vous faire mal. Parfois ; quand on te prescrit les médicaments, l'infirmier te dit qu'ils sont chers et qu'il peut te trouver ceux qui sont moins chers quelque part. comme moi je n'ai pas les moyens, j'accepte. Mais on m'a appris que ces médicaments viennent du gazon (appellation donnée à la partie du marché centrale de Douala où l'on vend des médicaments). Il parait que certains médecins et infirmiers d'ici là ont leurs livreurs et leurs vendeurs là-bas. Moi je veux seulement guérir. (Entretien réalisé le 20-10-06 à l'HLD). En outre, ce propos vient s'ajouter à celui qui suit :

  Tout le monde sait que dans cet hôpital on vend les médicaments, on détourne les patients. Quand le médicament qu'on t'a prescrit ne se trouve pas à la pharmacie, les infirmiers et parfois même le médecin te conseillent d'aller l'acheter dans une pharmacie précise. Si ce n'est pas ça, ils peuvent te proposer de te vendre le médicament que tu recherches à un bon prix. C'est comme ça ici à l'hôpital. L'an dernier, ma fille était gravement malade et je l'ai amenée ici et on nous a hospitalisés. Comme je n'avais pas suffisamment d'argent pour acheter les médicaments mon voisin de lit qui était là, m'a indiqué une infirmière qui pouvait me vendre des médicaments à un bon prix. Il m'a dit de ne pas m'inquiéter pour la provenance. Elle était en rapport avec un médecin de ce pavillon qui maîtrise son travail. J'ai suivi son conseil, j'ai eu les médicaments et l'enfant s'est rétabli deux semaines plu tard. Moi je trouve que ça nous aide, vous savez, tout est difficile sans cet hôpital. (Entretien réalisé le 20-10-06 avec M. NDONGO Jean à l'HLD).

Les discours tenus par les patients du pavillon de la médecine générale de l'HLD en rapport avec la vente illicite des médicaments nous plongent irrésistiblement dans l'univers médical de cet hôpital. Nos enquêtes nous ont révélés que bien des soignants sont effectivement en rapport avec des vendeurs du « gazon ». Lesquels leur envoient des patients inversement. SOCPA A. (op. cit.), le démontre clairement dans ses travaux de recherches portant sur les pharmacies de rues à Douala. La vente des médicaments montre à cet effet que bien des patients sont ballottés entre le personnel soignant et certains vendeurs du « gazon ».

Les raisons de cet état des choses sont diverses. Tout d'abord ; l'on à la conscience professionnelle qui est piètre chez ceux ou celles qui se livrent à ce genre de pratiques. Ensuite, l'on peut indexer la sécurité sociale inhérente à leur fonction ou à leur profession. Enfin l'âpreté de l'existence est également à la base de ces dérives et le fait que les médicaments ne sont pas à la portée de toutes les bourses. En fait, selon le major des urgences de cet hôpital, l'hôpital Laquintinie est l'hôpital le plus sollicité par les classes sociales moyennes et pauvre. Ces dernières sont nombreuses. Ce qui a pour conséquence un travail énorme. Quant on fait le rapport demande/offre en prestations sanitaires, on se rend compte qu'on fournit beaucoup d'efforts pour des salaires qui ne sont pas toujours à la hauteur du travail abattu. C'est pourquoi il affirme :

  Ici aux urgences par exemple, nous sommes toujours sollicités. Le jour comme la nuit. Parfois même je sens comment mes collègues sont dépassés. Ce qui crée la mauvaise humeur, qui se répercute sur la qualité de l'accueil des malades, la déprime, le stress et le rançonnement des patients et la négligence. Certes les équipes de relève sont bien organisées mais le travail est éreintant. (Entretien réalisé le 07-01-07 avec le major des urgences de l'HLD en la personne de MANGA Simon).

Les remarques que fait ce major rejoignent l'analyse de PR TIDIANE DIAKITE (1989, op. cit.). Selon lui, dans les hôpitaux publics africains, le travail est immense au point où le personnel soignant préfère se servir (extorquer de l'argent aux patients) au lieu de servir. C'est ce que nous appelons le rançonnement des patients.

· Du rançonnement et de l'accaparement des patients

Le rançonnement des patients est le fait pour un agent de santé de cet hôpital d'exiger le paiement de l'argent pour un service rendu à un patient. C'est le fait pour un patient de payer un service pour lequel il ne devrait pas. En clair, il s'agit du paiement des « dessous de table » et des « bakchichs » pour bénéficier des prestations sanitaires (DIAKITE T., op. cit. p60). Ces pratiques, en effet, ont cours dans nombre d'hôpitaux publics camerounais en général et dans ceux de la ville de Douala en particulier. C'est ce qu'attestent ces propos recueillis sur le terrain :

 Ici à l'hôpital Laquintinie, si vous voulez être bien traité, vous devez toujours motiver les infirmiers et certains médecins. Les tarifs varient selon le service demandé et vont de 500F à 5 000F voire plus. Quand vous ne payer pas, vous êtes délaissés et personne ne s'occupe de vous normalement. On vous fuit même. On va dire que vous êtes un mauvais patient. Mais quand vous motivez les infirmiers et voire les médecins, on vous traitera de bon patient. (Entretien réalisé le 27-01-07 à l'HLD avec le patient M. NDOMBA).

M. FOUMZIE nous a tenu un discours similaire. Il déclare à en effet :

  Je pense comme mon voisin de banc. L'argent ici est roi dans cet hôpital. Si tu l'as quand tu es malade, s'il est possible qu'on te fasse revenir à la vie après ta mort, ils n'hésiteront pas. Regardez, nous sommes là depuis 8h du matin pour attendre un médecin qui ne viendra peut être pas puisqu'il est déjà 15h. Quand il va venir il faudra que j'apprête 5000F pour sa bière. Sinon il ne va pas honorer au rendez-vous qu'il va me donner. Si tu veux qu'on s'occupe bien de toi ici, mets les moyens en jeu. Ils s'occupent bien des patients qui paient. Nous les pauvres, on nous maltraite partout même ici à l'hôpital. On dit qu'on lutte contre la pauvreté. Moi je crois plutôt qu'on lutte contre les pauvres.  (Entretien réalisé le 27-01-07 aux urgences de l'HLD)

Les discours analogues sont légions et la litanie est presque la même. « Ils -le personnel soignant- nous maltraitent ». En fait, le personnel soignant, pour un nombre de nos informateurs, s'apparente à des bourreaux, à des tortionnaires (DIAKETE T. op. cit.). Les raisons de cet état de chose sont nombreuses et diverses. Nous nous ferons un plaisir de les énumérer dans un chapitre ultérieur.

Pour ce qui est de l'accaparement des patients, elle est renvoie au fait que certains médecins et infirmiers détournent des patients qui se dirigent à l'hôpital Laquintinie pour les conduire vers leurs cliniques privées dans les quartiers de la ville. C'est la raison pour laquelle le phénomène de « tâcleurs » prend de plus en plus de l'ampleur au niveau de l'entrée de cet hôpital.

Les « tâcleurs » sont ces personnes que tout malade, toute personne qui veut entrer à l'hôpital Laquintinie rencontre à l entrée dudit hôpital et qui lui propose les services un médecin exerçant en consultations privées. Ces tâcleurs ont pour but d'orienter les patients vers les cliniques privées de certains médecins et infirmiers de l'hôpital Laquintinie. Lesquels médecins et infirmiers leur versent des sommes d'argent qui sont fonction du nombre de patients qu'ils leur ont amenés. C'est ce que déclare M NTOLE :

  Mon travail consiste à conduire des malades vers les pharmacies et les hôpitaux privés avec lesquels je travaille. Après ma licence, comme le dehors est dur, c'est un ami qui m'a initié ce métier pour que je puisse survivre. Ça me rapportait de quoi survivre en payant ma chambre, mes vêtements, en assurant ma nutrition et ma santé. Un malade que je conduis dans une clinique privée équivaut à 1500 FCFA om à 1000Fcfa. Soit le patient me motive, soit le pharmacien, le médecin et l'infirmier le font. En fin de journée, ici je peux détourner 5 malades et parfois plus ou moins (Entretien le 02-02-07 à l'entrée de l'hôpital Laquintinie de Douala) M. NGANKEU Blaise dit pour sa part :

 Mon travail de tâcleur me permet de soutenir ma petite famille. Je travaille avec 2 médecins de cet hôpital qui ont leurs cliniques. Quand je parviens à convaincre un malade, je l'amène là-bas. Le transport est à la charge de la clinique qui m'emploie. Je peux percevoir 500 voire 1000F par médicament acheté par la malade que j'ai amené dans cette pharmacie ou dans cet hôpital. C'est dans l'après midi qu'il est plus facile de détourner les patients parce que à cette heure tout le monde sait qu'il est difficile de rencontrer un spécialiste. Lorsqu'ils n'ont pas pu le rencontrer, ils sont obligés de nous suivre. Ce qu'ils oublient, c'est que nous travaillons en collaboration avec certains médecins et infirmiers qu'ils recherchent. Ce qui veut dire que nous connaissons leur emploi de temps. C'est pourquoi, les malades qui nous connaissent et viennent rencontrer un médecin, viennent directement nous voir avant d'entrer à l'hôpital (Entretien le 02-02-07) à l'entrée de `HLD)

Ce que l'on doit dire ; c'est que ces tâcleurs nous ont semblé bien informés sur les allées et venues de biens des médecins et infirmiers de cet hôpital, c'est la raison pour laquelle nous avons cherché à vérifier leurs dires. Il s'est avéré qu'ils maîtrisaient effectivement sinon tout l'emploi du temps, tout au moins une bonne partie de l'emploi du temps de ces médecins et infirmiers. Ce qui induit qu'ils sont manifestement en relation et en intelligence d'esprit avec eux. Les anecdotes qui suivent viennent infirmier nos allégations et vous a été rapportées par les patients rencontrées à l'intérieur de cet hôpital. M BAZOU Calvin déclare : 

  Je suis là depuis le matin. Jusqu'à 14h le docteur n'est pas encore là mais je suis sûr qu'il est dans sa clinique personnelle. Mais allé à leur chef, ils vous diront qu'ils sont empêchés ou qu'ils sont malades, en tout cas ils ne vous diront pas la vérité. La conséquence est que nous sommes obligés d'attendre et de toujours attendre. Quand c'est trop, on va dans les cliniques privées et les cabinets privés du sous quartier.  (Entretien du 03-02-07 au pavillon de la médecine de l'HLD). M. BATOUM Honoré quant à lui affirme :

Dans cet hôpital, c'est vrai qu'il est propre et bien entretenu mais le véritable problème est celui des hommes qui travaillent ici. Ils pensent que la maladie se résume seulement aux médicaments ou à l'achat des médicaments dès que l'infirmier te remet une longue ordonnance il pensent que c'est suffisant même s'il te brime, te fait patienter pour le rencontrer ou te manque de respect. Ta vie même, il s'en moque surtout quand tu n'a pas les moyens, ce qu'il faut, c'est d'abord payer les soins si tu veux survivre et guérir. Sinon tu vas croupir ici, personne ne va se gêner, le personnel de santé va passer tout à coté de toi sans te demander ce qui ne va pas. Moi je pense qu'ici à l'hôpital Laquintinie, le premier souci du personnel de santé n'est pas la prise en charge des patients. Je vous assure que si maintenant je décide d'aller dans la clinique du Docteur que je suis en train d'attendre je vais le trouver là-bas. Et il va bien m'accueillir et bien me traiter. Mais ici à l'hôpital il n'a pas le temps d'être patient.  (Entretien du 03-02-07 au pavillon externe de l'HLD)

Nous comprenons dès lors que le service médical public sert de moyen pour s'approprier les patients, lesquels qui, voulant être bien traités sont obligés de se déverser chez ces médecins et infirmiers détenteurs de centres de santé privés. A l'hôpital, nos médecins viennent honorer leurs matricules de la fonction publique. L'on joue sur deux fronts pour pouvoir améliorer ses fins de mois. Cependant, étant donné qu'il est difficile de suivre deux lièvres à la fois, l'on préfère privilégier son investissement privé au détriment de ses charges et de ses responsabilités envers l'hôpital public. La conséquence en est que nombre de patients se plaignent de rendez-vous non honorés, de lapins que des prestataires de soins leur ont posés, de la négligence, du manque de sérieux de leurs part. mais l'alternative qu'on leur donne est de se rendre auprès des « tâcleurs » ou de suivre les prestataires de soins dans leurs cliniques personnelles. Quand chacun d'eux a ses patients fidélisés, ils sont bien traités tant à l'hôpital que dan sa clinique. Mais les patients « orphelins » ou sans « tuteur » sont abandonnés à leur sort. Il apparaît à cet effet que la relation thérapeutique est basée sur la connaissance des proches parents, du client, et du patient et beaucoup plus sur le faits qu'ils ont les moyens. De plus pour fidéliser son patient à sa clinique privé, le médecin ou l'infirmier se montre patient compréhensif et généreux. Bref ils deviennent subitement un bon médecin ou infirmier et jouiront de ce fait d'une bonne considération dans leur quartier et auprès de la population morbide (L'KHADIR A. juin 1998). Ces notions d'estime et de considération sont indispensables dans la relation thérapeutique. Les prestataires de soins à toujours besoin de se sentir estimé, valorisé et considéré au sein de la société dans laquelle il vit. Bien des paramètres socioculturels politico-économiques font en sorte que certains soignant préfèrent exercer de façon autonome pour se faire un capital social et économique important. C'est ce qu'affirme M. KALDJOP Vincent, propriétaire d'un centre de santé privé au quartier MAKEPE (Douala) en même temps infirmier à l'Hôpital de District de la Cité des Palmiers :

 Ce travail me permet de rencontrer une bonne partie de population de cette ville. A l'hôpital, je rencontre plusieurs personnes qui ont besoins de mes services tout comme ici au quartier. Quand je ne peux pas les satisfaire à l'hôpital, je leur demande de venir dans mon cabinet médical. Là j'ai tout mon temps et je peux même soigner à crédit ou la patient va payer progressivement. Mais ce n'est pas le cas à l'hôpital où il y a toujours affluence, où le travail est énorme et où les salaires sont bas. Ici par contre, je peux me faire un peu de sous dans avoir à rendre compte à qui que ce soit, je préfère cette activité parallèle au lieu de soutirer aux malades à l'hôpital. Les gens de ce quartier me respectent, il m'aiment bien parce qu'ils savent que je leur rend service.[...] Je dois vous avouer que ce n'es pas facile de concilier les deux emplois du temps et de satisfaire tout le monde. Mais on se bat comme on peut. C'est vrai qu'ici je peux réaliser des profits en termes de relations et en termes de fonds. (Entretien réalisé le 20-02-07 dans les locaux du « cabinet médical de la Paix » sis à MAKEPE-MATURITE).

Ce propos témoigne de ce que la relation thérapeutique est tout aussi importante voire indispensable que les médicaments dans les cliniques privées. Là, le personnel médical est plus consciencieux parce que la fonction y est lucrative. Mais lorsqu'il sort est à l'hôpital, cette relation thérapeutique est minorée et l'on met beaucoup plus d'accent sur l'achat des médicaments de la part des patients. Ceci parce qu'on sait d'avance qu'ils ne seront pas à même de s'en procurer. La relation médicale apparaît alors comme une pure perte de temps à l'hôpital Laquintinie parce que le travail ne rapporte rien. Ce temps qu'on va alors consacré au malade et qui ne rapporte peut être utilisé dans le cabinet médical privé qui, lui ; rapporte en terme de présent de relation, de devise et de considération. D'où l'on comprend pourquoi bien des patients et des soignants sont très souvent sur le pied de guerre.

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"Nous voulons explorer la bonté contrée énorme où tout se tait"   Appolinaire