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Les commémorations du 11 novembre en Belgique francophone pendant l'entre-deux-guerres. Les cas de Bruxelles, Liège et Mons

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par Emeline WYNANTS
Université de Liège - Master en histoire 2012
  

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2.4.3.3 La translation du corps du Soldat Inconnu.

Lorsque le corps fut choisi, on le place dans un cercueil spécial en acajou orné de casques et de lauriers d'argent, surmonté d'une grande croix. Ce sarcophage aurait été lui-même surélevé sur un catafalque entouré d'une garde d'honneur.416(*) Les cinq bières voient défiler la population brugeoise entre 18 et 21h. Les quatre autres cercueils ayant reçu les mêmes soins, ceux-ci restent dans la chapelle ardente jusqu'au lendemain ; ils seront ensevelis dans le cimetière de la Ville. 417(*)

Le lendemain, un train spécial est affrété pour conduire le Jass Inconnu à Bruxelles. Là aussi, la gare est transformée en chapelle ardente : tentures sombres bardées des couleurs nationales, cierges, catafalque monumental, ... dressés au centre du grand hall de la gare. Au pied du catafalque, se trouvent la couronne de la ville de Bruxelles (oeillets et chrysanthèmes) et celle de l'armée (chrysanthèmes et orchidées). Le sarcophage est sorti du wagon par huit418(*) ou dix419(*) mutilés aidés de quatre grands blessés, ils le posent sur un affût de canon tiré par six chevaux. Le premier ministre, Georges Theunis420(*), et le bourgmestre de la ville de Bruxelles, Adolphe Max, reçoivent les premiers les restes et entourent le cercueil du drapeau national. Le Prince Léopold -futur Léopold III- et le Roi s'inclinent suite à quoi l'on procède à la levée du corps, le cortège se forme et se met en branle au son de la Marche funèbre de Beethoven.421(*)

Figure 9La Nation Belge, 12 novembre 1922, p.2.

Le cortège se dirige silencieusement vers la Colonne du Congrès où la foule ainsi que la Reine Elisabeth, la Princesse Marie-Josée et les représentants alliées et de l'armée, attendent l'arrivée du Héros Inconnu. Tout au long du parcours, le Roi Albert et le Prince Léopold suivent le cortège funèbre à pieds. La minute de silence n'a pas lieu à 11h puisque le cortège n'est pas encore arrivé à la Colonne.422(*)

2.4.3.4 La première cérémonie d'hommage au Soldat Inconnu belge.

La cérémonie d'hommage au Soldat Inconnu est très solennisée. Le rituel est institué par voie d'affiches et par publications successives du programme dans la presse. Le 6 novembre 1922, la proclamation suivante est adressée à la région bruxelloise : « Le 11 novembre, anniversaire de l'Armistice, qui mit fin aux horreurs de la plus affreuse des guerres, les restes d'un soldat inconnu, mort pour la Patrie, seront solennellement inhumés, à Bruxelles, au pied de la Colonne du Congrès. En rendant hommage à ce héros anonyme, la Belgique honorera tous ceux qui, par le sacrifice de leur vie423(*), ont sauvé l'existence du pays et ont assuré, contre les entreprises d'un ennemi sans scrupule, le triomphe du Droit et de l'Honneur outragés. Nous convions nos concitoyens à s'associer à cette manifestation de pieuse gratitude, en arborant, en berne, aux façades de leurs demeures, le drapeau national. Un coup de canon annoncera le moment précis, où, vers la fin de la matinée du 11 novembre, la sublime dépouille du soldat inconnu sera placée dans la sépulture où elle reposera désormais. A cet instant, la circulation sera interrompue dans le pays entier, les trains, les tramways, les véhicules, quels qu'ils soient, arrêteront leur marche ; les hommes resteront debout et la tête découverte, et - pendant une minute- jusqu'à ce que soient mises en branle les cloches de toutes les églises et de tous les beffrois, la population partout marquera par son silence ému et par son recueillement le respect dont elle entoure les mânes des martyrs glorieux ensevelis, côte à côte, dans les tombes ignorées, sous la terre sanglante dans champs de bataille où ils ont pour nous remporté la victoire ».424(*)

A 11h15, le Roi épingle les décorations belges425(*) sur le cercueil du Jass, les généraux étrangers l'imitent426(*).

Figure 10La Nation Belge, 12 novembre 1922, p.1.

A 11h25, le cercueil est au pied de la tombe, les clairons sonnent Aux Champs, un canon tonne par intervalles et les drapeaux s'inclinent. Ensuite, la dépouille est descendue dans la fosse alors que le canon annonçant la minute de silence retentit. Suite à cela, un défilé débute, il est interrompu entre 11h45 et 12h15 par le discours royal427(*). Ce dernier développe différents thèmes. En premier lieu, le souverain rappelle les évènements tragiques qui ont mené à cette cérémonie : l'ultimatum, le courage, le patriotisme et la patience de la population.428(*) S'ensuit alors, une réflexion sur l'emplacement choisi et la signification de la commémoration : « Hommage de notre patriotique ferveur et de notre infinie gratitude »429(*). Le Roi poursuit son discours en exprimant sa gratitude envers toutes les personnes éprouvées par la guerre, toutes celles qui n'ont pu trouver le repos du deuil. De plus, le Roi revient sur la question du choix, de l'origine de ce Soldat : « Nous ne nous préoccupons pas de savoir s'il est bourgeois, ouvrier ou paysan, s'il est Flamand ou Wallon, nous l'honorons parce qu'il personnifie à nos yeux toutes les plus solides qualités de notre race, parce qu'il est le symbole intangible de la défense de notre indépendance retrempée par l'épreuve et de notre unité, gage des destinées immortelles de la Patrie ».430(*)A la lecture de ce discours, nous voyons bien que ce Soldat Inconnu est vu par le souverain comme le symbole national du deuil et de l'amour national.

Suite à cette cérémonie de la Colonne du Congrès, des offices religieux ont lieu : d'abord à 13h, dans la Cathédrale Sainte-Gudule, en présence de la famille royale ; ensuite à 15h, au temple protestant en présence de représentants de l'armée et du gouvernement ; enfin à 16h, un service est organisé à la synagogue. 431(*)

Le Soldat Inconnu connaît plusieurs types d'hommages et notamment l'hommage poétique432(*) :

Vous ne reverrez plus les monts, les bois, la terre,

Beaux yeux de mes soldats qui n'aviez que vingt ans

Et qui êtes tombés, en ce dernier printemps,

Où plus que jamais douce apparut la lumière.

On n'osait plus songer au réveil des champs d'or

Que l'aube revêtait de sa gloire irisée,

La guerre occupait tout de sa sombre pensée

Quand au fond des hameaux on apprit votre mort.

Depuis votre départ, à l'angle de la glace,

Votre image attirait et les coeurs et les yeux,

Et nul ne s'asseyait sur l'escabeau boiteux

Où tous les soirs, près du foyer, vous preniez place.

Hélas ! Où sont vos corps jeunes, puissants et fous,

Où, vos bras et vos mains et les gestes superbes

Qu'avec la grande faux vous faisiez dans les herbes ?

Hélas ! La nuit immense est descendue en vous.

Vos mères ont pleuré dans leur chaumière close,

Vos amantes ont dit leur peine aux gens des bourgs,

On a parlé de vous tristement, tous les jours,

Et puis un soir d'automne on parla d'autre chose.

Mais je ne veux pas, Moi, qu'on voile vos noms clairs,

Vous qui dormez là-bas dans un sol de bataille

Où s'enfoncent encore les blocs de la mitraille

Quand de nouveaux combats opposent leurs éclairs.

Je recueille en mon coeur votre gloire meurtrie,

Je renverse sur vous les feux de mes flambeaux

Et je monte la garde autour de vos tombeaux,

Moi qui suis l'avenir, parce que la Patrie.

Emile Verhaeren

Tu dormais jusqu'ici dans la terre accueillante

Où les hasards d'un fer cruel t'avaient couché.

Depuis des mois, tranquille, à ton rêve attaché,

Tu mêlais ton sommeil à l'histoire vivante..

Aujourd'hui, te voici loin des champs d'épouvante,

Tout un peuple fervent sur ton corps s'est penché

Et le chemin de ton retour était jonché

De larmes et de fleurs, en offrande émouvante.

La Patrie a voulu te donner pour tombeau

O mon frère inconnu, son autel le plus beau.

Désormais tu seras près de nous dans ta gloire.

Et si le dur destin te prit jusqu'à ton nom,

Le drapeau qui soutint tes espoirs de victoire

Sera, Frère inconnu, ton immortel blason.

JJ van Dooren

Bien qu'une certaine unité se soit créée autour de ce symbole, toute la presse ne se montre pas unanime au sujet de l'inhumation.L'indépendance Belge, qui relate les cérémonies, titre: « Le Pathétique hommage de la Nation reconnaissante à ses Héros »433(*). Aujourd'hui, le titre peut surprendre mais l'acceptation première du terme pathétique est : « qui émeut »434(*). Après un article descriptif, le journaliste regrette simplement que ces cérémonies soient de pâles copies des cérémonies françaises.435(*)Le Drapeau Rouge, quant à lui, ne se donne pas la peine de relater les cérémonies et va même plus loin en titrant « Contre la comédie tragique du 11 novembre ». Pour ce journal d'extrême gauche, la commémoration d'un Soldat Inconnu n'est qu'une mascarade pour tenter de faire oublier à la population qu'elle s'est battue pour une paix qu'elle n'a toujours pas et que le gouvernement laisse périr dans la misère les Anciens Combattants, les mutilés de guerre, les veuves et les orphelins.436(*)

* 416BALACE F., « Le soldat inconnu belge : du lieu de mémoire au lieu d'affrontement », in COCHET F. et GRANDHOMME J-N. (dir.), Les Soldats Inconnus de la Grande Guerre : La mort, le deuil, la mémoire, Paris, SOTECA, 14-18 Editions, 2012, p.373

* 417La Nation Belge, 11 novembre 1922, p.2; Le Soir, 11 novembre 1922, p.5 ; L'indépendance Belge, 11 novembre 1922, p.5 ; La Dernière Heure, 11 novembre 1922, p.3

* 418BALACE F., « Le soldat inconnu belge : du lieu de mémoire au lieu d'affrontement », in COCHET F. et GRANDHOMME J-N. (dir.), Les Soldats Inconnus de la Grande Guerre : La mort, le deuil, la mémoire, Paris, SOTECA, 14-18 Editions, 2012, p.373

* 419La Meuse, 12-13 novembre 1922, p.4, L'indépendance Belge, 14 novembre 1922, p.5 ; La Dernière Heure, 12 novembre 1922, p.3

* 420Georges Theunis (28 février 1873- 4 janvier 1966): Homme politique issu du parti catholique, Georges Theunis est électricien de formation et représente la Belgique lors de la commission des réparations. En novembre 1920, il devient ministre des Finances. Le 16 décembre 1921, il est nommé premier ministre et le reste jusqu'au 13 mai 1925. En 1932, il reçoit le ministère de la Défense Nationale.

(VAN MOLLE P., Le parlement belge 1894-1969, Ledeberg/Gent, Erasmus, 1969, p. 315).

* 421Le Journal de Liège, 12 novembre 1922, p.2. ; Le Soir, 12 novembre 1922, p.1 ; L'indépendance Belge, 12 novembre 1922, p.3

* 422La Nation Belge, 12 novembre 1922, p.1 Le Soir, 12 novembre 1922, p.1 ; L'indépendance Belge, 11 novembre 1922, p.5

* 423 Une nouvelle fois, nous voyons bien que dans le chef du gouvernement, il est important d'honorer les morts. Rien n'est dit au sujet des vivants. Ce qui explique que très vite le symbole du Soldat Inconnu soit récupéré par les Anciens Combattants pour revendiquer pensions et avantages sociaux comme l'a montré Alain Colignon. (COLIGNON A., Les anciens combattants en Belgique francophone 1918-1940, Liège, Michel Grommen, 1984, p. 113).

* 424 Cité par Le Soir, 7 novembre 1922, p.1.

* 425 Un arrêté du 8 novembre 1922 confère au Soldat Inconnu : la Croix du Chevalier de l'ordre de Léopold avec palme, la Croix du Chevalier de l'ordre de Léopold II avec palme, la Croix de guerre avec palme, la Médaille de l'Yser, la Médaille de la Victoire, la Médaille Commémorative de la Campagne de 1914-1918.

Moniteur Belge- Journal Officiel, Bruxelles, Imprimerie du Moniteur Belge, 11 novembre 1922, p. 7590-7591

* 426 Croix de guerre française (ARCHIVES GÉNÉRALES DU ROYAUME, Conseil des ministres, procès-verbal, séance du 30 octobre 1922, p.414), Congressional Medal of Honor et la Croix de guerre italienne (BALACE F., « Le soldat inconnu belge : du lieu de mémoire au lieu d'affrontement », in COCHET F. et GRANDHOMME J-N. (dir.), Les Soldats Inconnus de la Grande Guerre : La mort, le deuil, la mémoire, Paris, SOTECA, 14-18 Editions, 2012, p. 378.).

* 427 Remarquons encore une fois que les discours sont peu nombreux lors des cérémonies commémoratives de l'Armistice, exception faite des inaugurations de bâtiments. Nous y voyons une volonté de ne pas accaparer ce moment solennel par des discours politiques, revanchards, ...

* 428 Discours royal d'Albert 1er reproduit dans MINISTÈRE DE LA DÉFENSE NATIONALE, DIRECTION DE L'ÉDUCATION DES FORCES ARMÉES, La Colonne du Congrès et le Soldat Inconnu, Bruxelles, Institut géographique militaire, 1957, p.61

* 429Discours royal d'Albert 1er reproduit dans MINISTÈRE DE LA DÉFENSE NATIONALE, DIRECTION DE L'ÉDUCATION DES FORCES ARMÉES, La Colonne du Congrès et le Soldat Inconnu, Bruxelles, Institut géographique militaire, 1957, p.61

* 430 Discours royal d'Albert 1er reproduit dans MINISTÈRE DE LA DÉFENSE NATIONALE, DIRECTION DE L'ÉDUCATION DES FORCES ARMÉES, La Colonne du Congrès et le Soldat Inconnu, Bruxelles, Institut géographique militaire, 1957, p.61

* 431Le Journal de Liège, 14 novembre 1922, p.2. ; La Nation Belge, 12 novembre 1922, p.3 ; Le Soir, 12 novembre 1922, p.3 ; L'indépendance Belge, 11 novembre 1922, p.5

* 432Le Journal de Liège, 9 novembre 1922, p.2 ; Le Courrier de l'Armée, 11 novembre 1922, p.1.

* 433L'indépendance Belge, 11 novembre 1922, p.3

* 434 « Pathétique », in Dictionnaire historique de la langue française, Paris, Dictionnaires Le Robert-Sejer, 2006, p.2607.

* 435 C'est l'opinion qu'il développera dans un article ultérieur (L'Indépendance Belge, 13 novembre 1923, p.1).

* 436Le Drapeau Rouge, 11 novembre 1922, p. 1.

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"Les esprits médiocres condamnent d'ordinaire tout ce qui passe leur portée"   François de la Rochefoucauld