WOW !! MUCH LOVE ! SO WORLD PEACE !
Fond bitcoin pour l'amélioration du site: 1memzGeKS7CB3ECNkzSn2qHwxU6NZoJ8o
  Dogecoin (tips/pourboires): DCLoo9Dd4qECqpMLurdgGnaoqbftj16Nvp


Home | Publier un mémoire | Une page au hasard

 > 

Les lanceurs d'alerte français, une espèce protégée ?

( Télécharger le fichier original )
par Julia Le Floc'h - Abdou
Paris X Ouest - Nanterre La Défense - Master II Droit pénal et Sciences criminelles 2015
  

précédent sommaire suivant

Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy

II Ð Des procédures de signalement délimitées

Malgré l'instauration d'un droit d'alerte, il demeure restreint à des domaines spécifiques et à des individus établissant un lien de subordination (A). Les signalements des agents publics ou privés sont encadrés strictement par des lois récentes et anciennes (B).

A Ð Des champs d'alerte sanctuarisés

Le droit d'alerter a été limité dans son champ matériel (1) et personnel (2).

1 Ð Le droit d'alerte, un pré-carré réservé

Comme cela a été vu précédemment, les lois de 2007 à 2013 ont posé un statut protecteur limité à certains champs matériels de signalement : la corruption (loi du 13 novembre 2007), la sécurité sanitaire mais uniquement pour les produits mentionnés dans le CSP (loi du 29 décembre 2011), la santé publique et l'environnement (loi du 16 avril 2013), les conflits d'intérêts relatifs aux membres de l'exécutif (loi du 11 octobre 2013), les crimes et délits constatés par les fonctionnaires publics et les salariés (loi du 6 décembre 2013), les conflits d'intérêts constatés par les fonctionnaires publics (loi du 20 avril 2016).

Ces lois enferment les alertes aux délits financiers et économiques, à la sécurité sanitaire et à l'environnement. En revanche, la loi du 6 décembre 2013 demande à être interprétée puisqu'ayant un champ plus vaste. À l'avenir, il faudra suivre le sens donné, par les juges, à ce texte lorsqu'ils seront confrontés à des poursuites contre des lanceurs d'alerte.

En dehors de cette application matérielle, deux autres champs de signalement éthique ont été restreints : le renseignement et le secret des affaires.

a Ð Le renseignement étatique : le sempiternel conflit entre sécurité nationale et droit à l'information

Selon Daniel Lochack « À forcer de parler de transparence, on finit par oublier le secret. Non pas le secret résiduel [É] mais le secret prévu et organisé par les textes, le secret des documents qui échappent à la communication en vertu même de la loi, le « secret d'État ».

32

[É] Conviendrait-il que l'on se préoccupe de limiter au maximum cette zone d'ombre soustraite aux regards des citoyens et menaçante pour les libertés »106.

Après la tempête Snowden et ses révélations dans le domaine du renseignement, la protection des lanceurs d'alerte en la matière a fait l'objet d'un travail international. Tout d'abord avec l'adoption des Principes de Tshwane107. Ces principes imposent que les lois nationales doivent protéger les agents publics, y compris les militaires et les sous-traitants travaillant pour les services de renseignement, s'ils révèlent des informations au public, dès lors que sont réunies quatre conditions : (1) l'information concerne les actes répréhensibles d'un gouvernement ou d'entreprises travaillant avec l'État ; (2) la personne a tenté de signaler un acte répréhensible ; (3) la révélation d'informations s'est limitée aux informations répréhensibles ; (4) le lanceur d'alerte a des motifs raisonnables de penser que la révélation d'informations est plus bénéfique que dommageable pour l'intérêt général.

Même si la révélation d'informations ne satisfait pas aux quatre critères, le lanceur d'alerte ne doit pas être sanctionné si l'intérêt général de révéler des informations est supérieur à l'intérêt général de les garder secrètes.

Les organes européens ont, par la suite, approuvé la démarche proposée à Tshwane108 109 110.

Dans ce contexte d'ébauche d'un corpus de standard européen, la France s'est dotée d'une législation en matière de conciliation entre secret-défense et lancement d'alerte pour les agents de renseignement avec la loi n°2015-912 du 24 juillet 2015 relative au renseignement111. Cette loi a créé l'article L.861-3 du Code de la sécurité intérieure112 qui pose un statut pour les lanceurs d'alerte au sein des agences de renseignement.

Censée fonder une protection accrue pour les agents, la loi les a en réalité emprisonnés dans un domaine très restreint. En effet, l'article L.861-3 du CSI fait référence à un article

106 D. LOCHACK, « Secret, sécurité et liberté », Publications du Centre universitaire de recherches administratives et politiques de Picardie, Paris, PUF, 1988, p.1-70

107 Ces principes mondiaux ont été rédigés par 22 organisations et centres universitaires de recherche, lors de 14 réunions organisées dans le monde entier par l'Open Society Justice Initiative. Le processus s'est achevé lors d'une réunion en Afrique du Sud, à Tshwane. Ils ont été publiés le 12 juin 2013.

108 L'APCE a adopté une résolution qui avalise les Principes de Tshwane en vue de renforcer le juste équilibre entre le droit des citoyens à savoir et la protection des préoccupations légitimes en matière de sécurité nationale : Résolution 1954 (2013) relative à la sécurité nationale et l'accès à l'information du 2 octobre 2013.

109 Le Comité des ministres du Conseil de l'Europe, dans sa recommandation CM/Rec (2014) 7, a dans l'exposé des motifs repris les Principes en les mettant en balance avec les dispositions élaborées sur la protection des lanceurs d'alerte.

110 Résolution du Parlement Européen - Résolution P7-TA-PROV (2014) 0230 du 12 mars 2014 relative au programme de surveillance de la NSA, des organismes de surveillance des divers Etats membres et des incidences sur les droits fondamentaux des citoyens européens et sur la coopération transatlantique en matière de justice et d'affaires intérieures.

111 Loi n°2015-912 du 24 juillet 2015 relative au renseignement, JO n°0171 du 26 juillet 2015, p. 12735

112 « Aucun agent ne peut être sanctionné ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, de recrutement, de titularisation, de notation, de discipline, de traitement, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation, d'interruption ou de renouvellement de contrat, pour avoir porté, de bonne foi, des faits mentionnés à l'article 801-1 à la connaissance de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement ».

33

nouvellement créé : l'article L.801-1113. En combinant ces deux articles, la loi énonce que l'agent ne pourra effectuer une alerte, de bonne foi, si les services de renseignement procèdent à des violations manifestes au droit à la vie privée. Les exemples selon lesquels les comportements d'un service étatique pourront être dénoncés par un agent ont été amorcés dans la loi114. La question d'étendre les alertes à d'autres infractions a été proscrite. Il aurait pourtant été essentiel d'élargir les alertes aux violations aux droits de l'Homme, comme le prônait le principe n°37 de Tshwane115. Ë propos de cette loi nouvelle, Jean-Philippe Foegle a souligné que « présenté comme une avancée notable [...], le nec plus ultra en matière de contrôle des activités de renseignement [...] le système institué apparaît bien éloigné du standard émergent en la matière [...] à l'échelon international et européen »116.

Les possibilités de signalement avancées par la loi ont exclu la divulgation par voie médiatique. Pourtant la CEDH exige que les lanceurs d'alerte puissent avoir accès à la presse lorsque ceux-ci ne disposent « d'aucun autre moyen efficace pour procéder à la divulgation » et révèlent des informations « que les citoyens ont un grand intérêt à voir publier ou divulguer » telles que l'usage par les pouvoirs publics de « procédés irréguliers ou illégaux »117. Prolongeant cette tendance, des arrêts récents de la CEDH en matière de divulgation d'informations classifiées sont venus rappeler la prééminence de l'intérêt du public à être informé si les révélations relèvent du débat d'intérêt général ; et qu'à ce titre, la dénonciation par voie de presse est admissible en dernier ressort et en cas d'impossibilité manifeste d'agir autrement118.

La loi Renseignement a fait l'objet de vives critiques. Le député Lionel Tardy, lors de son examen à l'Assemblée nationale le 24 juin 2015, avait tenu les propos suivants : « Cet amendement remet en question le dispositif pour les lanceurs d'alerte. [...] Le Snowden

113 Art. L.801-1 CSI : « Le respect de la vie privée, dans toutes ses composantes, notamment le secret des correspondances, la protection des données personnelles et l'inviolabilité du domicile, est garanti par la loi. L'autorité publique ne peut y porter atteinte que dans les seuls cas de nécessité d'intérêt public prévus par la loi, dans les limites fixées par celle-ci et dans le respect du principe de proportionnalité ».

114 On retrouve le cas où la mesure de surveillance serait mise en oeuvre hors des hypothèses dans lesquelles celles-ci peuvent être mises en place (article L.811-3), le cas où les services n'auraient pas sollicité l'autorisation du Premier ministre en bonne et due forme (article L.821-2) ou le cas où les données collectées n'auraient pas été supprimées à l'issue du délai prévu par la loi (article L.822-2).

115 Les divulgations devraient recouvrir l'ensemble des crimes, des violations aux droits de l'homme et du droit humanitaire international. Egalement la corruption, les menaces pour la santé et sécurité publique, les dangers pour l'environnement, l'abus de fonction publique, l'erreur judiciaire, la mauvaise gestion des deniers publics ou le gaspillage des ressources.

116 JP FOEGLE, « De Washington à Paris, la « protection en carton » des agents secrets lanceurs d'alerte », La Revue des droits de l'homme, Actualités droits-libertés, 4 juin 2015, p. 2-23 (consulté le 4 mars 2016) https://revdh.revues.org/1369

117 CEDH, 22 novembre 2007, Voskuil c/ Pays-Bas, requête n° 64752/01

118 CEDH, Grande Chambre, 12 février 2008, Guja c/ Moldavie, req. n°14277/04 ; CEDH, 3ème sect., 8 janvier 2013, Bucur et Toma c/ Roumanie, req. n°40238/02

34

Français va devoir se cacher si un jour il existe [É]. C'est regrettable, car l'expérience américaine justement aurait dû nous instruire. Ce n'est visiblement pas le cas ».

Une dose de secret doit saupoudrer les activités des services spéciaux de renseignements. Pour autant, ces services, bras armé de la France exécutant des actions à la lisière de la légalité, doivent être irréprochables dans certains domaines119. Le caractère vil de quelques opérations doit dès lors pouvoir être dénoncé avec force.

précédent sommaire suivant






Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy








"Un démenti, si pauvre qu'il soit, rassure les sots et déroute les incrédules"   Talleyrand