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Les lanceurs d'alerte français, une espèce protégée ?

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par Julia Le Floc'h - Abdou
Paris X Ouest - Nanterre La Défense - Master II Droit pénal et Sciences criminelles 2015
  

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2 - Un droit du travail insuffisamment sécurisant

En France, la protection des salariés lanceurs d'alerte est devenue intelligible grâce à l'affirmation croissante des libertés salariales. Depuis une trentaine d'années, se sont construits, dans le monde du travail, des droits et libertés attachées à la personne humaine. Le travailleur devenant ainsi un citoyen dans l'entreprise depuis les lois Auroux de 1982 et l'intronisation dans le Code du travail de l'article L.1121-1154.

Les articles qui ont esquissé les prémices d'une protection pour les lanceurs d'alerte sont ceux punissant le harcèlement sexuel (art. L.1153-1 à L.1153-6 du Code du travail) et le harcèlement moral (art. L.1152-1 à L.1152-6 du Code du travail) ainsi que les représailles subies par un salarié qui les dénonce155.

La protection consiste dans la possibilité pour le salarié de solliciter l'annulation de toute mesure discriminatoire. La nullité ouvre droit à des dommages et intérêts appréciés souverainement en fonction du préjudice subi pendant toute la durée des mesures discriminatoires. Le salarié dispose pour agir devant le Conseil des prud'hommes d'un délai spécial de cinq ans, qui court à compter de la révélation de la discrimination (art. L.1134-5 du Code du travail).

Le droit à la liberté d'expression est également une garantie que peuvent déployer les salariés. Cette liberté a été reconnue à tous salariés dans le cadre d'une entreprise et a été posée par l'article L.1121-1 du Code du travail et complété par les articles L.2281-1156 et L.2281-3157.

Cette liberté d'expression du salarié, dans un premier temps, a été accordée en dehors de l'entreprise. La Cour de cassation, dans son célèbre arrêt Clavaud de 1988 avait indiqué que le salarié a le droit de s'exprimer et de manifester librement ses opinions même si cela gêne son employeur. Le licenciement qui sanctionne la liberté d'expression du salarié en dehors de l'entreprise fut jugé illégal (Cass, Soc, 22 avril 1988, n°87-41.804).

154 Art. L.1121-1 du Code du travail : « Nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché ».

155 « Le salarié devra établit les faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement » et cela sera à « la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement » (art. L.1154-1 du Code du travail).

156 Art. L.2281-1 du Code du travail : « Les salariés bénéficient d'un droit à l'expression directe et collective sur le contenu, les conditions d'exercices et organisation de leur travail ».

157 Art. L.2281-3 du Code du travail : « Les opinions que les salariés, quelle que soit leur place dans la hiérarchie professionnelle, émettent dans l'exercice du droit d'expression ne peuvent motiver une sanction ou un licenciement ».

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Dans un second temps, l'exercice d'une libre expression a été accordé au salarié au sein même de l'entreprise. C'est en se fondant sur cette liberté que la Cour de cassation a estimée qu'un salarié ne pouvait pas être sanctionné pour avoir dénoncé des faits délictueux à l'Inspecteur du Travail158.

En la matière, on retrouve cette formule récurrente dans les arrêts de la Cour de cassation : « sauf abus, le salarié jouit dans l'entreprise et en dehors de celle-ci, de sa liberté d'expression à laquelle seules des restrictions justifiées et proportionnées sont admises »159. Est proclamé, ainsi, pour le salarié un « droit de critique » envers son entreprise.

Apparaissant comme favorable pour le salarié lanceur d'alerte qui se croit paralysé par son lien de subordination, il faut néanmoins qu'il veille à ne pas employer des formules abusives, diffamatoires, injurieuses ou excessives160 161. Pour évaluer l'abus dans les propos tenus, la Cour de cassation, en 2014, s'est appuyée sur trois critères : la position élevée dans la hiérarchie, la diffusion des informations et les propos abusifs162.

Ce pouvoir de critique a été plus facilement concédé aux chercheurs. La jurisprudence emblématique en la matière est liée à l'affaire André Cicolella.

Chimiste, toxicologue et ancien conseiller scientifique à l'Institut national de l'environnement industriel et des risques (INERIS), il dirigea l'unité d'évaluation des risques sanitaires sur les effets des éthers de glycol, solvants utilisés dans les peintures, colles, détergents, vernis mais dangereux pour la santé humaine. En 1994, il demanda à être reçu par son directeur pour défendre la nécessité de publier les résultats acquis sur la nocivité des éthers de glycol. Dès le lendemain de cette demande, il fit l'objet d'un licenciement pour insubordination et faute lourde163. En octobre 2000, après six années de procédure, la Cour de cassation reconnue le caractère abusif de son licenciement et pour la première fois la nécessité de « l'indépendance due aux chercheurs ». L'employeur devant « exercer son pouvoir hiérarchique dans le respect des responsabilités » qui sont confiées aux chercheurs164.

C'est dans cet esprit, que la Cour Européenne des Droits de l'Homme a elle aussi condamné un employeur, sur le fondement de l'article 10 de la Convention protégeant la liberté d'expression, qui muselait un chercheur. Dans l'affaire Hertel, la Cour avait donné raison à un

158 Cass, Soc, 14 mars 2000, n° 97-43.268, Mlle Piltron c/ M. De Cunéaz : « Le fait pour un salarié de porter à la connaissance de l'Inspecteur du Travail des faits concernant l'entreprise et lui paraissant anormaux, qu'ils soient ou non susceptibles de qualification pénale, ne constitue pas, en soi, une faute grave ».

159 Cass, Soc, 14 décembre 1999, pourvoi n° 97-41.995, Pierre c/ SNC Sanijura et A

160 M-P BLIN-FRANCHOMME et I. DESBARATS, Droit du travail et droit de l'environnement : Regards croisés sur le développement durable, Ed. Sa Lamy, 17 juin 2010, p. 174-332

161 Cass, Soc, 19 février 2014, n°12-29.458 ; Cass, Soc, 7 mai 2014 n° 12-35.305.

162 Cass, Soc, 14 janvier 2014, n° 12-25.658

163 Rapport sénatorial, Risques chimiques au quotidien : éthers de glycol et polluants de l'air intérieur. Quelle expertise pour notre santé ? Compte-rendu des auditions (tome 2), publié le 11 octobre 2006 (consulté le 24 mars 2016).

164 Cass, Soc, 11 octobre 2000, n° 98-45276, INRS c/ M. Cicolella

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chercheur qui avait interdiction de publier des articles consacrés aux dangers des fours à micro-ondes sur la santé. Cette interdiction était fondée sur une loi suisse de 1986 prohibant le dénigrement de produit et la concurrence déloyale165. La Cour avait déclaré que « la mesure en cause a [...] pour effet de censurer partiellement les travaux du requérant et de limiter grandement son aptitude à exposer publiquement une thèse qui a sa place dans un débat public dont l'existence ne peut être niée. [...] Et qu'il serait particulièrement excessif de limiter la liberté d'expression à l'exposé des seules idées généralement admises »166.

Récemment, la Chambre sociale de la Cour de cassation a rendu un arrêt indiscutable en matière de protection du salarié lanceur d'alerte. Le 30 juin 2016, la Chambre sociale a cassé un arrêt de la Cour d'appel de Basse-Terre en Guadeloupe qui avait refusé d'annuler le licenciement pour faute lourde d'un salarié d'une association ayant dénoncé au procureur de la République les agissements de membres de l'association susceptibles de constituer une escroquerie ou un détournement de fonds publics. Tout en reconnaissant que ce licenciement était sans cause réelle et sérieuse puisque le salarié (dont la bonne foi ne pouvait être mise en cause) n'avait commis aucune faute en révélant de tels faits aux autorités judiciaires, la Cour d'appel avait refusé d'annuler le licenciement et d'appliquer l'article L.1161-1 du Code du travail issu de la loi du 13 novembre 2007 relative à la lutte contre la corruption protégeant les lanceurs d'alerte, au motif que les faits dénoncés ne se rattachaient pas à des faits de corruption. La Cour de cassation va déterminer que la Cour d'appel avait violé l'article L.1161-1 du Code du travail alors même qu'elle « avait constaté que le licenciement était motivé par le fait que le salarié, dont la bonne foi ne pouvait être mise en doute, avait dénoncé au procureur de la République des faits pouvant être qualifiés de délictueux commis au sein de l'association ». La Cour va affirmer pour la première fois qu'« en raison de l'atteinte qu'il porte à la liberté d'expression, en particulier du droit pour les salariés de signaler les conduites ou actes illicites constatés par eux sur leur lieu de travail, le licenciement d'un salarié prononcé pour avoir relaté ou témoigné, de bonne foi, de faits dont il a eu connaissance dans l'exercice de ses fonctions et qui, s'ils étaient établis, seraient de nature à caractériser des infractions pénales, est atteint de nullité »167. Ainsi, la Chambre sociale va aller dans le prolongement des décisions de la Cour européenne des droits de

165 L'article 2 de la loi fédérale contre la concurrence déloyale du 19 décembre 1986 (loi LCD) contient une clause générale selon laquelle sont « déloyaux et illicites non seulement toute pratique commerciale mais aussi tout comportement qui est trompeur ou qui contrevient de toute autre manière aux règles de la bonne foi et qui influe sur les rapports entre concurrents ou entre fournisseurs et clients ». L'article 3, énumérant certains agissements déloyaux, précise notamment qu'« agit de façon déloyale celui qui (...) dénigre autrui, ses marchandises, ses oeuvres, ses prestations, ses prix ou ses affaires par des allégations inexactes, fallacieuses ou inutilement blessantes (...) ».

166 CEDH, 25 août 1998, Hertel c/ Suisse, req. n° 53440/99

167 Cass, Soc, 30 juin 2016, n°15-10.557 (arrêt n° 1309)

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l'homme qui considèrent que les sanctions prises à l'encontre de salariés ayant critiqué le fonctionnement d'un service ou divulgué des conduites ou des actes illicites constatés sur leur lieu de travail constituent une violation à leur droit d'expression au sens de l'article 10-1 de la CESDH168 ; et dans le prolongement de sa propre jurisprudence qui admet la nullité du licenciement ou de toute mesure de rétorsion portant atteinte à une liberté fondamentale du salarié169. Dans sa note explicative, la Cour de cassation, en soulignant que son arrêt constitue une première, va énoncer que cette décision « est de nature à protéger les lanceurs d'alerte, dans la mesure où la chambre sociale instaure cette immunité non seulement lorsque les faits illicites sont portés à la connaissance du procureur de la République mais également, de façon plus générale, dès lors qu'ils sont dénoncés à des tiers »170.

Avec ces différentes garanties, il est plaisant d'imaginer que le salarié lanceur d'alerte bénéfice d'une immunité renforcée. Pourtant, elle peut s'affaiblir lorsque le salarié est assujetti à une obligation contractuelle ou légale qui remplies les conditions fixées à l'article L.1121-1 du Code du travail171. En effet, lors de la conclusion d'un contrat de travail, il est habituellement mentionné que celui-ci doit être exécuté de bonne foi172. La bonne foi correspondant à la « conviction de se trouver dans une situation conforme au droit, avec la conscience d'agir sans léser les droits d'autrui173 », les juges prononceront le caractère abusif du licenciement ou des représailles subies par le lanceur d'alerte à l'aune de celle-ci174.

De cette obligation, les tribunaux ont décelé un devoir de loyauté du salarié à l'égard de l'entreprise, qui doit le conduire à s'abstenir de faire connaître à des tiers des informations à caractère confidentiel concernant l'entreprise. Selon Olivier Leclerc « Cette obligation s'inscrit donc parmi les obligations inhérentes au contrat de travail »175.

Le salarié peut, également, être astreint à une obligation générale de discrétion et ne peut donc pas divulguer, ni à l'extérieur, ni à l'intérieur de l'entreprise, des informations dont il a connaissance (Cass, Soc, 5 mai 1997, CSPB, 1997, S.91).

L'employeur aura tendance à renforcer cette obligation en faisant souscrire au salarié une clause lui interdisant de divulguer certaines informations (dite clause de confidentialité).

168 CEDH, 18 octobre 2011, Sosinowska, req. n°10247/09 ; CEDH 12 février 2008, Guja c/Moldavie, req. n°14277/04

169 Cass, Soc, 6 février 2013, n°11-11.740, Bull. V, n° 27 ; Cass, Soc, 29 octobre 2013, n°12-22-447, Bull V n°252 170 https://www.courdecassation.fr/IMG///20160630NoteExplicativesoc1510557.pdf

171 Toutefois, la Recommandation du Comité des Ministres du Conseil de l'Europe a énoncé que l'employeur ne pouvait se prévaloir d'obligations légales ou contractuelles pour empêcher un signalement.

172 Cette exigence est rattachée à l'article 1134 du Code civil qui l'impose dans l'exécution du contrat.

173 Selon le rapporteur de la loi Blandin et G. CORNU, Vocabulaire juridique, 8ème édition, PUF, Paris, 2009, p.119-986

174 Voir Cass, Soc, 8 novembre 2006, n°06-60.007 : la Cour a considéré qu'une salariée responsable de la direction médicale n'avait pas commis de faute en signalant de bonne foi à sa hiérarchie des faits délictueux en rapport avec ses attributions.

175 O. LECLERC, « Sur la validité des clauses de confidentialité en droit du travail », Droit social, février 2005, p. 173-180

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Elle est destinée à protéger l'entreprise et peut s'appliquer après la fin du contrat de travail (Cass, Soc, 19 mars 2008 : RJS 2008, n°631).

Les juridictions françaises vont apprécier cette clause eu égard à la liberté d'expression telle que déjà reconnue pour les salariés. Pour cela, elles vont se fonder sur l'article L.120-2 du Code du travail commandant que la restriction apportée à une liberté individuelle soit justifiée et proportionnée. Par cet article, le salarié qui divulgue une information dans le but de protéger la santé ou l'environnement, ne peut se voir imposer une obligation de confidentialité. La restriction invoquée par l'employeur ne serait alors pas proportionnée au but recherché. Selon Olivier Leclerc, la liberté d'expression est, ainsi, mise en balance avec la protection de la santé176.

Pour autant, si le salarié, tenu par une clause de confidentialité, livre des informations par voie de presse, il sera poursuivi et probablement condamné pour avoir commis une faute grave177.

Subsiste dès lors un droit d'alerte limité par la loi, malgré le principe de la liberté d'expression, des dispositions législatives interdisant toutes formes de représailles, et une favorable interprétation jurisprudentielle des différentes obligations contractuelles.

Que cela soit dans le domaine public ou privé, retenons que différentes infractions peuvent être utilisées pour poursuivre un lanceur d'alerte qui a révélé des informations par la voie interne ou externe. La violation du secret et de la discrétion professionnelle, le manquement au devoir de réserve et de loyauté, le vol et le recel de vol, la dénonciation calomnieuse sont des délits permettant de rentrer en voie de condamnation178.

Après cet aperçu de textes abondants la matière, il est nécessaire d'étudier les différentes formes de divulgation à la disposition du lanceur d'alerte.

Cette grille de lecture dévoile qu'une pleine libération de la parole n'a pas été permise en France, que cela soit par les canaux et dispositifs d'alerte mis en place ou par l'utilisation limitée du droit à la liberté d'expression.

176 Ibidem, p. 179-180

177 Selon Olivier Leclerc, il faut supposer que la divulgation ne s'accompagne pas d'un dénigrement de l'employeur. En effet, faute pour l'employeur de réagir à l'alerte interne, les salariés pourraient être tentés d'appuyer plus fortement leur message, au risque de franchir la limite de l'abus de la liberté d'expression.

Pour illustration, Cass, Soc, 4 février 1997, n°96-40678 : la Cour de cassation a jugé justifié le licenciement de deux salariés qui avaient dénoncés des pratiques dangereuses pour la santé publique imputables à un laboratoire médical en raison de leur participation « à une campagne de dénigrement contre leur employeur » - O. LECLERC, « Sur la validité des clauses de confidentialité en droit du travail », Droit social, février 2005, p. 180-180

178 Voir Titre II, Section 1, Paragraphe I

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