WOW !! MUCH LOVE ! SO WORLD PEACE !
Fond bitcoin pour l'amélioration du site: 1memzGeKS7CB3ECNkzSn2qHwxU6NZoJ8o
  Dogecoin (tips/pourboires): DCLoo9Dd4qECqpMLurdgGnaoqbftj16Nvp


Home | Publier un mémoire | Une page au hasard

 > 

Les lanceurs d'alerte français, une espèce protégée ?

( Télécharger le fichier original )
par Julia Le Floc'h - Abdou
Paris X Ouest - Nanterre La Défense - Master II Droit pénal et Sciences criminelles 2015
  

précédent sommaire suivant

Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy

Annexe 6 : RECHERCHE ET EXPOSÉ DÉTAILLÉ DE L'AFFAIRE DREYFUS/ZOLA ET DE L'UTILISATION DE L'EXCEPTION DE

VÉRITÉ

L'affaire Dreyfus fut à l'origine d'une des plus grandes crises politiques de la IIIème République. À titre liminaire, la divulgation publique du scandale viendra d'un citoyen extérieur à l'affaire et d'un fonctionnaire, tous deux soucieux de rendre justice à Dreyfus.

L'affaire débute en septembre 1894, lorsqu'une lettre est rapportée à la Section de Statistiques454 du Ministère de la Guerre. Partiellement déchiré, non daté et non signé, le bordereau est adressé à l'attaché militaire allemand (en poste à l'ambassade d'Allemagne) et laisse entendre qu'un officier français lui livre des renseignements militaires. Le capitaine Alfred Dreyfus, polytechnicien et capitaine d'artillerie stagiaire, est immédiatement soupçonné sur la base d'une ressemblance d'écriture. Il est arrêté et placé en détention provisoire.

Chargé du procès pour haute trahison du capitaine Dreyfus, le Conseil de Guerre se réunit du 19 au 22 décembre 1894 à Paris. Au début du délibéré, le président du Conseil de Guerre reçoit un pli fermé et scellé en provenance de la Section des Statistiques. Communiqué en toute illégalité (hors de tout débat contradictoire), ce « dossier secret » est censé contenir les preuves irréfutables de la culpabilité de l'accusé (truffé de faux documents, il est réalisé par l'état-major militaire). Confortés dans leur conviction, les membres du Conseil de Guerre déclarent l'accusé coupable et le condamnent à la déportation perpétuelle, à la destitution de son grade et à la dégradation.

En 1895, la Section de Statistique du Service des Renseignements est remaniée. Le lieutenant-colonel Georges Picquart prend ses fonctions comme chef du Deuxième Bureau. On lui demande d'enquêter sur la famille Dreyfus afin de rapporter la preuve décisive contre Alfred. En mars 1896, l'enquête bascule. Picquart découvre un document (nommé aujourd'hui « le petit bleu ») prouvant que le commandant Ferdinand Esterhazy est celui qui a transmis, pour l'Ambassade allemande, les renseignements militaires. Suite à ces découvertes, il alerte son supérieur qui refuse d'entendre les éléments à charge qu'il détient.

454 Baptisé Section de statistique dès 1871, ce service incarne le contre-espionnage militaire français.

148

Inquiet des trouvailles de Picquart, l'état-major lui inflige plusieurs représailles. Se sentant en danger, il divulgue les informations au Vice-Président du Sénat (qui tentera d'obtenir la révision du procès de Dreyfus). Ayant connaissance de différents éléments impliquant Esterhazy, Mathieu Dreyfus (frère d'Alfred) porte plainte contre lui auprès du Ministère de la Guerre. Esterhazy est alors présenté en 1898 devant un Conseil de guerre sous le chef de haute trahison mais acquitté le 11 janvier 1898.

C'est à ce moment précis, qu'Émile Zola, écrivain connu et témoin attentif de son temps, scandalisé par l'acquittement d'Esterhazy, décide de publier dans l'Aurore, J'accuse ! Lettre ouverte au Président de la République, le 13 janvier 1898455. Le but de Zola est de s'exposer volontairement à des poursuites afin de forcer les autorités à le traduire en justice. Son procès étant l'occasion d'un nouvel examen public des cas Dreyfus et Esterhazy456.

L'objectif du romancier est atteint. Le Ministre de la Guerre porte plainte pour diffamation publique envers une autorité publique contre Zola et Alexandre Perrenx, le gérant de L'Aurore. Ils passent devant les Assises de la Seine entre février et avril 1898457 (à cette époque, la diffamation envers une autorité publique était passible des Assises).

Devant la cour d'Assises de la Seine, la défense déployée fut l'exception de vérité. Les retranscriptions judiciaires de l'époque font état du refus, par la cour, de ce moyen de défense.

Zola dans son article avait écrit les propos suivants : « J'accuse, enfin, le premier Conseil de guerre d'avoir violé le droit en condamnant un accusé sur une pièce restée secrète, et j'accuse le second Conseil de guerre d'avoir couvert cette illégalité par ordre, en commettant à son tour le crime juridique d'acquitter sciemment un coupable (Esterhazy) ».

[...]458 ».

Au cours de l'audience, les requérants (Zola et le directeur de publication Georges Clémenceau) vont déclarer entendre « être admis à prouver la vérité des imputations diffamatoires qui leur sont reprochées, conformément aux dispositions de l'article 35 de la loi de 1881. Et qu'en conséquence, et pour se conformer aux exigences de l'article 52 de ladite loi, ils articulent et offrent de prouver tant les faits suivants [...] que les autres faits imputés à diverses personnes ou à divers corps dans l'article poursuivi

455 V. DUCLERT, L'affaire Dreyfus, La Découverte, janvier 2012, p. 42-125

456 Dans J'accuse !, il termina l'article par ses propos : « En portant ces accusations, je n'ignore pas que je me mets sous le coups des articles 30 et 31 de la loi sur la presse du 29 juillet 1881, qui punit les délits de diffamation. Et c'est volontairement que je m'expose »

457 L'affaire Dreyfus : le procès Zola devant la cour d'Assises de la Seine et la cour de cassation (7-23 février, 31 mars-2 avril 1898). Compte-rendu sténographique in-extenso et documents annexes (complet en 2 tomes), aux bureaux du Siècle, Paris, 1898, p. 400 (mis en ligne par la Bibliothèque Nationale de France le 15 octobre 2007 et consulté le 23 mars 2016) http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k62779w

458 L'affaire Dreyfus : le procès Zola devant la cour d'Assises de la Seine et la cour de cassation, op.cit., p. 21-400

149

Pour réfuter aux prévenus l'exception de vérité, la Cour a mis en avant deux éléments discutables.

En premier, elle va rappeler que le second Conseil de guerre a acquitté Esterhazy le 11 janvier 1898 et qu'en vertu de l'article 35 c, l'exception de vérité ne pouvait être mobilisée.

Cette position est à tout le moins contestable. En principe, et ce même à l'époque, les actes ayant fait l'objet d'un non-lieu ou d'un acquittement pouvaient être évoqués sans limitation de durée afin de prouver la vérité des propos diffamatoires. Ce n'était que la preuve de faits constituant une infraction ayant donné lieu à une condamnation effacée par la réhabilitation ou la révision qui était interdite459.

En second, la Cour va rejeter l'exception de vérité pour les propos suivants « J'accuse, enfin, le premier Conseil de guerre d'avoir violé le droit en condamnant un accusé sur une pièce restée secrète ».

Au début de l'audience, les prévenus et leur avocat Maître Labori vont réclamer la communication des pièces et des procédures dont a eu à connaître le Premier Conseil de guerre. Et ce afin de démontrer la réalité du dossier secret, transmis en dehors de tout débat contradictoire, et ayant permis de condamner Alfred Dreyfus pour haute trahison.

Mais la Cour a déclaré que « les débats de cette affaire ont eu lieu en totalité ou en partie à huis clos, que la juridiction militaire a estimé que dans un intérêt d'ordre public, il n'y avait lieu de faire connaître les faits dont elle était saisie. Considérant, dès lors, que la communication de ces procédures, si elle était ordonnée, aurait pour résultat de détruire l'effet des décisions rendues par les deux Conseil de guerre et de porter atteinte à l'autorité de la chose jugée. Et considérant, enfin, que l'article 52 de la loi de 1881 oblige le prévenu qui veut prouver la vérité des faits des faits diffamatoires à signifier au Ministère public, dans les cinq jours de la citation, la copie des pièces dont il entend se servir et qui doivent être en sa possession, mais qu'aucun article de la loi précitée n'oblige le Ministère public à fournir au prévenu des documents dont la défense voudrait se servir »460. Enfin, les juges vont énoncer que « la loi ne permet pas de livrer à une discussion, même pour en faire ressortir la vérité d'imputations diffamatoires, des décisions de justice définitives » 461 frappées de l'autorité de la chose jugée.

Ainsi, la cour a rejeté ce moyen de défense au motif que les prévenus n'avaient pas les éléments de preuve postérieurement à la publication poursuivie et a « ordonné qu'il soit passé

459 C'est d'ailleurs sur cette difficulté à comprendre la différence de traitement pour l'application de l'exceptio veritatis entre les personnes acquittées et celles dont la condamnation a été révisée, que le Conseil constitutionnel a, dans sa décision QPC du 7 juin 2013, Philippe B, déclaré comme inconstitutionnelle cette interdiction posée à l'article 35 c.

460 L'affaire Dreyfus : le procès Zola devant la cour d'Assises de la Seine et la cour de cassation, op.cit., p. 194-400

461 L'affaire Dreyfus : le procès Zola devant la cour d'Assises de la Seine et la cour de cassation, op.cit., p. 42-400

150

outre aux débats ». Dès lors que le Ministère public n'a pas à fournir les pièces connues par les juridictions militaires (couvertes par le sceau du secret-défense) et ayant autorité de la chose jugée, les prévenus ne peuvent rapporter la preuve des propos litigieux.

Zola est condamné à la peine maximale d'un an d'emprisonnement et 3 000 francs d'amende.

Le 2 avril 1898, une demande de pourvoi en cassation reçoit une réponse favorable. Il s'agit de la première intervention de la Cour dans cette affaire judiciaire. La plainte contre Zola aurait, en effet, dû être portée par le Conseil de guerre et non par le Ministre de la guerre. Ainsi suit, la cassation de l'arrêt pour vice de forme. Zola fait à nouveau l'objet d'un procès devant la cour d'Assises de Seine-et-Oise qui le condamne en juillet 1898 à la peine maximale d'un an de prison et 3 000 francs d'amende. Il s'exile en Angleterre avant le prononcé du jugement.

Le 17 novembre 1899, Waldeck-Rousseau, président du Conseil des ministres, dépose une loi d'amnistie couvrant « tous les faits criminels ou délictueux connexes à l'affaire Dreyfus ou ayant été compris dans une poursuite relative à l'un de ces faits ». Malgré de nombreuses protestations, la loi est adoptée.

Après plusieurs contestations, dont celle de Jean Jaurès dans un discours prononcé à la Chambre des députés462, la Cour de cassation est saisie d'une procédure de révision.

Le 12 juillet 1906, la Cour de cassation annule sans renvoi le jugement du Conseil de guerre et amorce la réhabilitation du capitaine. Il réintégra l'armée et sera sur le front lors de la Première Guerre mondiale, à sa demande463.

Ce n'est donc qu'en 1906 que seront réhabilités le capitaine Dreyfus, le lieutenant-colonel Picquart et Emile Zola.

462 Dans lequel, il évoque les incohérences et les « faux » qui constellent le dossier Dreyfus.

463 Voir : A. RANZ et JC. DE REVIERE, Le dossier secret de l'affaire Dreyfus, L'ombre d'un doute, film documentaire, diffusé sur France 3 le 4 mai 2015 (117mn)

151

précédent sommaire suivant






Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy








"Des chercheurs qui cherchent on en trouve, des chercheurs qui trouvent, on en cherche !"   Charles de Gaulle