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Les tensions entre l'union africaine et la cour pénale internationale à  l'occasion de la poursuite des chefs d'état africains

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par Stephanie Laure Anguezomo Ella
Université de Limoges - Master 2 2015
  

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Paragraphe II) Les cas des dirigeants africains en exercice : Soudan/Kenya

En dehors des poursuites à l'encontre du chef d'État soudanais, Omar EL BECHIR, les rapports entre la CPI et l'UA se sont envenimés, lorsque la Cour a décidé de mener des poursuites contre le président et le vice-président kenyans, Uhuru KENYATTA et William RUTO SAMOEI.

Pour le cas soudanais, la délivrance du premier mandat d'arrêt contre Omar EL BECHIR n'est que le début des hostilités entre les deux institutions. Le 6 juin 2005 une enquête est ouverte par la Cour sur la situation du Darfour (Soudan) suite à un renvoi par le CS du 31 mars 2005 par le biais de la résolution 1593. Le 4 mars 2009, un mandat d'arrêt pour crimes contre l'humanité et crimes de guerre est lancé et ne sera jamais exécuté non seulement par le Soudan, État non partie, refusant de coopérer avec la Cour mais aussi par les autres États africains parties au Statut, qui vont sans cesse recevoir EL BECHIR en méconnaissance des obligations découlant du Statut. L'Union va non seulement exprimer sa profonde préoccupation devant cette mise en accusation et les conséquences de celle-ci sur le processus délicat de paix en cours au Soudan60 mais elle va également adresser une demande au CS afin qu'il reporte les poursuites contre BECHIR en vertu de l'article16 du Statut, mais en vain61. Il s'agit du premier mandat émis contre un chef d'État en exercice. Le 12 juillet 2010, la Chambre préliminaire émet un second mandat d'arrêt, qui sera le premier mandat d'arrêt pour

60UA, CONFÉRENCE DE L'UNION AFRICAINE, douzième session ordinaire 1er-3 Février 2009, Décision sur la demande par le procureur de la CPI de la mise en accusation du Président de la République du Soudan, Assembly/AU/Dec. 221 (XII), http://au.int/en/sites/default/files/decisions/9559-assembly_fr_1_3_february_2009_auc_twelfth_ordinary_session_decisions_declarations_message_congratulations_mot ion.pdf, (consulté le 15/12/2015)

61UA, CONFÉRENCE DE L'UNION AFRICAINE , treizième session ordinaire 1er-3 Juillet 2009, Décision sur le rapport de la Commission sur la réunion des États Africains parties au Statut de Rome de la Cour Pénale Internationale, Assembly/AU/Dec.221 ( XIII) Rev.1, http://au.int/en/sites/default/files/decisions/9560-assembly_fr_1_3_july_2009_bcp_assembly_of_the_african_union_thirteenth_ordinary_session.pdf, (consulté le 15/12/2015)

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génocide, pour trois chefs d'accusations de génocide contre les groupes ethniques des Fur, Masalit et Zaghawa. Suite à des demandes répétées de l'UA au CS de suspendre les poursuites sur le fondement de l'article 16 du Statut et sans prises en compte de celles-ci, l'UA dans un communiqué de presse datant du 4 février 2010, notera les grands risques et dangers liés à la poursuite du processus de la CPI dans le contexte actuel de recherche de la paix62 et demandera aux États de ne plus coopérer avec la CPI conformément à l'article 98 du Statut relatif aux immunités dans l'arrestation et le transfert du président EL BECHIR à la Haye63. Nous aborderons de façon plus approfondie la coopération quasiment inexistante dans cette affaire, qui a crispé les tensions entre l'Union et la CPI.

Par l'ouverture des poursuites contre le président Uhuru KENYATTA et son vice-président William RUTO SAMOEI, la campagne anti-CPI est à son comble. Par une ordonnance du 30 mars 2013, la Cour suprême kényane validait l'élection de Uhuru MUIGAI KENYATTA et William RUTO SAMOEI en leur qualité de président et de vice-président de la République du Kenya alors qu'au moment de cette décision l'un comme l'autre était accusé devant la CPI en tant que coauteurs indirects de crimes contre l'humanité relatifs aux violences post-électorales de décembre 200764. Le 5 novembre 2009, le procureur de sa propre initiative, proprio-motu, décide d'ouvrir une enquête sur la situation du Kenya en relation avec les violences post-électorales de 2007-2008 au cours desquelles près de 1300 personnes auraient été tuées (voir site de la CPI). Le 8 mars 2010, la Chambre préliminaire II a délivré des citations à comparaître à l'encontre de six kényans dont le président et son vice-président. Pour ce qui est du Président KENYATTA, les charges à son encontre ont été confirmées le 23 janvier 200265. Réunie en session extraordinaire le 12 octobre 2013, l'UA évoque la politisation de la justice pénale internationale en ces termes :

62UA, Communiqué de presse de l'Union Africaine du 4 février 2010 sur l'arrêt du 3 février de la Chambre d'appel de la Cour Pénale Internationale sur le Darfour, file:///C:/Users/Loah/AppData/Local/Temp/Rar$DIa0.394/Communiqué%20UA%20FEVRIER%202010.pdf, (consulté le 16/10/2015)

63UA, CONFÉRENCE DE L'UNION AFRICAINE , treizième session ordinaire 1er-3 Juillet 2009, Décision sur le rapport de la Commission sur la réunion des États Africains parties au Statut de Rome de la Cour Pénale Internationale, Assembly/AU/Dec.221 ( XIII) Rev.1, http://au.int/en/sites/default/files/decisions/9560-assembly_fr_1_3_july_2009_bcp_assembly_of_the_african_union_thirteenth_ordinary_session.pdf, (consulté le 15/12/2015)

64Ghislain MABANGA, Cour pénale internationale ( Art.27 du Statut de Rome): Union Africaine versus Cour pénale internationale, quand le politique tient le judiciaire en état, Revue des droits de l'homme, 3 février 2016, https://revdh.org/2013/10/17/union-africaine-versus-cour-penale-internationale-quand-le-politique-tient-le-judiciaire-en-letat/, ( consulté le 14/04/2016)

65CPI, Chambre Préliminaire II, Décision relative à la confirmation des charges rendue en application des alinéas a) et b) de l'article 61-7 du Statut de Rome,ICC-01/09-02/11-382-Red, https://www.icc-cpi.int/iccdocs/doc/doc1882633.pdf, 23 janvier 2012, (consulté le 1/01/2016)

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« (...) RÉITÈRE la préoccupation de l'Union africaine en ce qui concerne la politisation et l'utilisation abusive des inculpations des dirigeants africains par la CPI, ainsi que les inculpations et les poursuites sans précédent engagées contre le Président et le Vice-président en exercice du Kenya en rapport avec les événements récents au Kenya »66. Puis l'Union réaffirma :

« (...)les principes des législations nationales et du droit coutumier international selon lesquels les chefs d'État en exercice et autres hauts représentants de l'État jouissent de l'immunité durant leur mandat.67», tout en demandant la suspension des procès jusqu'à la fin de son mandat. Dans une lettre de l'UA à la CPI68, l'Union demande à la Cour de revoir les procès en cours car elle craint que les autorités kényanes soient déstabilisées. Il faut en effet pourvoir conjuguer les obligations des autorités kényanes avec leurs obligations internationales sinon il y a un risque de vide constitutionnel d'où la demande fait à la Cour de respecter les obligations constitutionnelles des accusés. Dans sa réponse, la CPI69 précise qu'elle ne peut pas remettre en cause le fondement même des États et reste engagée à une coopération amicale avec l'UA.

L'article 27 du Statut ne prenant pas en compte l'immunité personnelle, l'UA contestera les poursuites menées contre KENYATTA et BECHIR parce que selon elle la CPI agit en violation des règles de droit international relatives au droit à l'immunité. Pour l'UA : « aucune poursuite ne doit être engagée devant un tribunal international contre un chef d'État ou de gouvernement en exercice ou toute autre personne agissant ou habilitée à agir en cette qualité durant son mandat70». Seulement cette volonté de faire appliquer l'immunité est en contrariété avec l'article 27 du Statut de Rome, ratifié par les États africains (dont le Kenya) qui fustigent à ce jour la Cour de critiques.

A- La volonté d'application de l'immunité aux chefs d'État en exercice et l'article 27 du Statut

L'article 27 du Statut précise que :

66UA, CONFERENCE DE L'UNION AFRICAINE, Session extraordinaire 12 Octobre 2013, Décision sur les relations entre l'Afrique et la Cour Pénale Internationale (CPI ), Ext/Assembly/AU/Dec.1(Oct.2013), http://au.int/en/sites/default/files/decisions/9655-ext_assembly_au_dec_decl_f_0.pdf, (consulté le 15/12/2015) 67Ibid

68UA, Lettre de l'Union Africaine ( Hailemariam Desalegn et Nkosazana Dlamini Zuma) à la Cour Pénale internationale à l'occasion des poursuites contre le Président Kenyan et son vice Président, 10 septembre 2013, Ref. BC/U/1657/09/13, file:///C:/Users/Loah/AppData/Local/Temp/Rar$DIa0.631/Lettre%20de%20l'Union%20africaine%20à%20la%20CPI.p df, ( consulté le 15/10/2015)

69CPI, Lettre de la Cour Pénale Internationale en réponse au courrier de l'Union Africaine ( 10/09/13), 13 septembre 2013, Ref. 2013/PRES/00295-4/VPT/MH, file:///C:/Users/Loah/AppData/Local/Temp/Rar$DIa0.587/Reponse%20CPI%20à%20UA.pdf, (consulté le 18/10/2015) 70UA, CONFERENCE DE L'UNION AFRICAINE, Session extraordinaire 12 Octobre 2013, Décision sur les relations entre l'Afrique et la Cour Pénale Internationale (CPI ), Ext/Assembly/AU/Dec.1(Oct.2013), http://au.int/en/sites/default/files/decisions/9655-ext_assembly_au_dec_decl_f_0.pdf, (consulté le 15/12/2015)

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«1. Le présent Statut s'applique à tous de manière égale, sans aucune distinction fondée sur la qualité officielle. En particulier, la qualité officielle de chef d'État ou de gouvernement, de membre d'un gouvernement ou d'un parlement, de représentant élu ou d'agent d'un État, n'exonère en aucun cas de la responsabilité pénale au regard du présent Statut, pas plus qu'elle ne constitue en tant que telle un motif de réduction de la peine.

2.Les immunités ou règles de procédure spéciales qui peuvent s'attacher à la qualité officielle d'une personne, en vertu du droit interne ou du droit international, n'empêchent pas la Cour d'exercer sa compétence à l'égard de cette personne. »

En adoptant le Statut de Rome, les États entendaient le respecter dans toutes ses dispositions y compris l'article 27, veiller à ce que la position officielle ne serve pas de rempart pour commettre des ignominies et surtout qu'elle ne serve pas d'obstacle à la justice ou de sanctuaire de l'impunité. Or, l'UA s'appuie sur le principe du droit à l'immunité reconnu par le droit international pour contester les procès en cours contre KENYATTA, RUTO et EL BECHIR alors que conventionnellement parlant, cet argument est irrecevable. Nous étudierons la pertinence de cette volonté d'application de l'immunité.

1) La pertinence de cette volonté d'application de l'immunité

L'UA soutient que des poursuites judiciaires nuirait aux efforts de paix entrepris tant au Kenya qu'au Soudan. Pour les poursuites contre Omar EL BECHIR, l'UA avance que l'acte d'accusation risquerait de saper les efforts déployés en vue de faciliter le règlement du conflit au Darfour71. D'ailleurs la présidente de la Commission de l'UA, Nkosazana DLAMINI-ZUMA, en remettant en cause le mandat d'arrêt contre EL BECHIR, déclare en 2012 : « Il est important de faire la paix au Soudan, surtout au Darfour. Le président EL BECHIR doit participer à ça. (...) C'est plus important de faire la paix au Soudan que de se précipiter pour l'arrêter. (...) Il serait néfaste d'arrêt le président soudanais Omar EL BECHIR (...), car il doit être associé au processus de paix dans son pays. (...)»

Quant à celles à l'encontre du président et vice-président Uhuru KENYATTA et William SAMOEI RUTO, l'UA met en avant que les poursuites risquent de déstabiliser les affaires de sécurité nationale (le règlement des problèmes à l'origine des violences post-électorales) et des affaires de sécurité

71UA, CONFÉRENCE DE L'UNION AFRICAINE , treizième session ordinaire 1er-3 Juillet 2009, Décision sur le rapport de la Commission sur la réunion des États Africains parties au Statut de Rome de la Cour Pénale Internationale, Assembly/AU/Dec.221 ( XIII) Rev.1, , (c http://au.int/en/sites/default/files/decisions/9560-assembly_fr_1_3_july_2009_bcp_assembly_of_the_african_union_thirteenth_ordinary_session.pdfonsulté le 15/12/2015)

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régionale (le Kenya est en première ligne dans la lutte contre le terrorisme dans le corne de l'Afrique)72. Le refus par la Cour d'écarter l'immunité en vertu de l'article 27-2 du Statut au motif de la stabilité et de la recherche de la paix revient à considérer qu'elle estime que «la justice est essentielle à une paix durable73» alors que l'Union de par sa résistance semble soutenir le contraire. Il semblerait qu'il faille choisir entre ses deux impératifs, poursuivre les auteurs de crimes graves, au nom de la justice, ou les intégrer dans un processus de transition, au nom de la paix74.

Deux écoles s'affrontent sur la prévalence de la paix ou de la justice. D'un côté les politiques, diplomates et négociateurs donnent priorité à la paix car ils craignent que des poursuites judiciaires à l'encontre des auteurs de crimes internationaux nuisent à l'obtention d'un cessez-le-feu et proposent des amnisties officielles ou des arrangements secrets75. De l'autre côté les défenseurs des droits de l'homme et les représentants d'institutions judiciaires donnent la priorité à la justice car ils pensent qu'une paix durable achetée par l'impunité est illusoire et provisoire et que la justice peut avoir un effet pacificateur en dissuadant de futurs crimes76.

Selon Mabvuto HARA, président de la Southern African Development Community Lawyers Association, l'argument de "la paix avant la justice" soutenu par les dirigeants africains "sert à perpétuer l'impunité"77. En outre, les poursuites à l'encontre de Kenyatta n'emportent pas de risques ni dans la lutte contre le terrorisme ni dans le risque de manquement à la sécurité nationale, lorsqu'on sait que l'attaque du centre commercial de Westgate a eu lieu au Kenya alors que le président Uhuru KENYATTA était aux commandes de son pays et non à la Haye78. Dans le cas du Soudan, l'UA a créé un panel de hautes personnalités (le GUAD), présidé par l'ancien président Thabo MBEKI pour examiner la situation du Darfour et soumettre des recommandations sur les meilleurs moyens de

72Moussa BIENVENU HABA, L'offensive de l'Union Africaine contre la Cour pénale internationale: la remise en cause de la lutte contre l'impunité, 9 décembre 2013, Clinique de Droit International Pénal et Humanitaire, http://www.cdiph.ulaval.ca/blogue/loffensive-de-lunion-africaine-contre-la-cour-penale-internationale-la-remise-en-cause-de-la, (consulté le 20/12/2015)

73CPI, Communiqué de presse 21/09/2015, Cour pénale internationale:« La justice est essentielle à une paix durable», ICC-CPI-20150921-PR1152, https://www.icc-cpi.int/fr_menus/icc/press%20and%20media/press%20releases/Pages/pr1152.aspx, (consulté le 18/10/2015) 74J-B.JEANGENE VILMER, L'Afrique face à la justice pénale internationale, Le Monde.fr, 12 Juillet 2011, http://www.lemonde.fr/idees/article/2011/07/12/l-afrique-face-a-la-justice-penale-internationale_1547244_3232.html http://www.lemonde.fr/idees/article/2011/07/12/l-afrique-face-a-la-justice-penale-internationale_1547244_3232.html (consulté le 1/12/2015)

75Ibid

76Ibid

77Mary KIMANI, Recherche de justice ou complot occidental, Afrique Renouveau, Vol 23/3 Octobre 2009 p12, http://www.un.org/fr/africarenewal/vol23no3/233-cpi.html (consulté le 25/11/2015)

78Moussa BIENVENU HABA, L'offensive de l'Union Africaine contre la Cour pénale internationale: la remise en cause de la lutte contre l'impunité,9 décembre 2013, Clinique de Droit International Pénal et Humanitaire, http://www.cdiph.ulaval.ca/blogue/loffensive-de-lunion-africaine-contre-la-cour-penale-internationale-la-remise-en-cause-de-la, (consulté le 20/12/2015)

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traiter les questions s'y afférant. L'établissement de ce panel traduit la détermination de l'UA à trouver des approches autre que la CPI et souligne de sa recherche à trouver un équilibre entre paix et justice79.

Cependant, dans l'argumentaire de la paix et de la stabilité, la Cour est également censée prendre en compte l'intérêt de la victime avant l'ouverture des poursuites. Elle ne peut s'obstiner vouloir rendre justice à tout prix dès lors que le contexte et l'intérêt de la victime ne scient pas. Il peut arriver qu'il ne soit pas dans l'intérêt de la justice de procéder à des poursuites judiciaires si les victimes ne veulent pas de cette justice, qu'elles préfèrent l'oubli en ce sens que la soif de justice attiserait le sentiment de revanche et donc des tensions au sein d'une nation, au détriment de sa stabilité80. Il est fort probable de rencontrer certaines situations où les populations victimes sont soit réticentes voire opposées à des poursuites, soit potentiellement menacées dans leur sécurité ou leur bien-être. Le procureur peut ainsi recourir aux « intérêts de la justice » pour justifier un refus temporaire d'enquêter ou de poursuivre ou une suspension des poursuites. Pareillement, il faut aussi envisager des situations dans lesquelles l'ouverture d'enquêtes et de poursuites saperait la volonté des parties en entraînant des mesures de représailles sur les populations victimes 81. Mais l'on se questionne parfois sur l'application pratique de cette notion par la Cour, la justice doit être poursuivie mais à quel prix ?

Après le transfert de Laurent Gbagbo à la Haye, on ne peut affirmer avec certitude que la Côte d'ivoire a trouvé la paix, au contraire certains s'accordent à dire, comme Mme Dlamini Zuma, présidente de la commission de l'UA (dans une lettre adressée aux juges de la CPI) que :

« (...) la réconciliation en Côte d'ivoire est étroitement liée à la libération du chef de l'ex régime », l'ex président Laurent Gbagbo82.

Nombreux sont ceux qui pensent que la menace que la justice fait peser sur la paix est largement exagérée, car elle dissimule d'autres motifs83. Exagérée est-elle, mais tout de même réelle pour un

79Ibid

80Arnaud POITEVIN, Cour Pénale Internationale: les enquêtes et la latitude du procureur, Droits fondamentaux n°4, janvier-décembre 2014, file:///C:/Users/Loah/Dropbox/Recherches%20pour%20m%C3%A9moire/cour_penale_internationale_les_enquetes_et_ la_latitude_du_procureur.pdf, (consulté le 21/10/2015)

81Ibid

82Félix TANO, La Gouvernance judiciaire mondiale à l'épreuve de la crise ivoirienne : la Cour Pénale Internationale et l'affaire le Procureur c. Laurent Gbagbo, http://www.lesamisdelaurentgbagbo.com/uploaded/PDF/la-gouvernance-judiciaire-mondiale-a-l-epreuve-de-la-crise-ivoirienne-felix-tano.pdf, (consulté le 15/10/2015)

83J-B.JEANGENE VILMER, L'Afrique face à la justice pénale internationale, Le Monde.fr, 12 Juillet 2011, http://www.lemonde.fr/idees/article/2011/07/12/l-afrique-face-a-la-justice-penale-internationale_1547244_3232.html (consulté le 1/12/2015)

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État pouvant à tout moment sombrer dans l'engrenage du conflit. Le cas de la Libye l'illustre parfaitement.

La deuxième raison évoquée par l'UA est le respect des fonctions constitutionnelles rattachées à la qualité de membre du gouvernement en exercice. En accédant à cette requête, l'Union semble vouloir obliger la Cour à violer le Statut à des fins plus politiques que juridiques. Ce qui reviendra pour les dirigeants africains en exercice qui clament le droit à l'immunité, à violer le pacta sunt servanda et à vider le traité de son essence puisque les États pourront librement décider de quelles dispositions du Statut s'appliquent ou non. L'UA semble toutefois oublier que la fonction présidentielle d'une personne et les obligations qui s'y attachent, ne l'exonèrent pas de sa responsabilité pénale lorsqu'il est accusé d'avoir commis des crimes internationaux tels que reprochés par le Statut. L'immunité ne peut s'appliquer qu'aux actes liés à la fonction et pas ceux à titre privé, or la commission de tels crimes ne fait pas partis des fonctions d'un chef d'État. Par conséquent, il (le Chef d'État) devrait s'attendra à rendre compte car en ne dissociant pas les obligations commandées par sa position et celles commandées par des intérêts privés, il abuse de cette immunité personnelle en pensant que celle-ci couvrira ses atrocités. C'est ainsi que la crédibilité de l'engagement de l'UA dans la lutte contre l'impunité est affectée. Que prévoit le droit international par rapport à l'immunité ?

2) Un principe de droit international coutumier

Dans la pratique, on fait un constat d'obstacles juridiques et politiques importants quant à la répression des crimes internationaux commis par un Chef d'État84. Le droit international coutumier prévoit deux types d'immunités à savoir l'immunité de fonction (dite rationae materiae) et l'immunité personnelle (dite rationae personae). Ces types d'immunités interdisent d'engager des poursuites contre des représentants d'un État devant les juridictions nationales étrangères et internationales. L'immunité de fonction est absolue et protège uniquement pour les actes liés à la fonction en permettant au Chef d'État d'exercer librement ses fonctions85 et l'immunité personnelle est limitée à une catégorie d'agents gouvernementaux étatiques (Chef d'État) et cesse de produire effet lorsque le mandat prend fin. En conclusion, la seule protection du droit international coutumier est l'immunité personnelle du Chef d'État lorsque son mandat est en cours. Comme l'a soutenu l'UA lors de la session

84Chaire d'excellence « Gestion du conflit et de l'après-conflit», extrait texte de la Conférence tenue le 22/01/2015: Les Chefs d'État sont-ils intouchables?, http://fondation.unilim.fr/chaire-gcac/2015/01/22/conference-chefs-etat/#_ftn47 (consulté le 1/12/2015)

85BORGHI Alvaro, L'immunité des dirigeants politiques en droit international, Bruxelles/Paris, Série II Volume 2, Collection Latine, Helbing et Lichtenhahn - Bruylant. L.G.D.J, 2003

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extraordinaire tenue à Addis-Abeba, cette immunité est inviolable car les chefs d'État sont en cours d'exécution de leur mandat et ce dans le but de protéger les intérêts de l'État en protégeant son représentant principal.

Une partie de la doctrine estime que la Communauté internationale s'est accordée sur le fait que les crimes internationaux sont si immoraux et odieux pour justifier la remise en cause de l'immunité reconnue aux gouvernants car ce sont ces derniers qui grâce à la position d'autorité qu'ils occupent mettent à disposition les moyens techniques et financiers pour perpétrer ces crimes. Pour la doctrine, la CPI comme les tribunaux pénaux internationaux peut méconnaître l'immunité car elle agit au nom de la communauté internationale pour protéger des valeurs universelles mais cet argument ne tient pas compte de la raison d'être de l'immunité personnelle, le "prime représentative"86 en ce que le Chef d'État en tant que représentant privilégié d'un État, a besoin de cette immunité personnelle inviolable pour représenter au mieux les intérêts de son pays. Il ignore également les fonctions de maintien de la paix (internationale et interne) attachées au Chef d'État en exercice. Cet état des choses traduit le dilemme entre la souveraineté, la lutte contre l'impunité et la stabilité des relations internationales.

3) La CPI : l'exception de l'article 27 du Statut

L'article 27 paragraphe 2 du Statut précise que « les immunités ou règles de procédures spéciales qui peuvent s'attacher à la qualité officielle d'une personne en vertu du droit interne ou du droit international (...) ». L'immunité est perçue comme un obstacle procédural empêchant la poursuite au pénal de certaines en raison de leur qualité officielle87. Le Statut précise également que ces immunités n'empêcheront pas à la Cour d'exercer sa compétence à l'égard des personnes qui en bénéficient. Cette affirmation puisse sa force du caractère conventionnel du Statut, les États parties procèdent à une renonciation aux immunités qui auraient pu entraver l'action de la Cour88.

Cette disposition bien qu'indiscutable dès lors qu'elle s'applique à des États parties (Kenya) est du moins statutairement contestable en ce qui concerne les États non parties au Statut (Soudan) n'étant

86 ICC Forum, Personal Immunity and President Omar Al Bashir: An Analysis Under Customary International Law and Security Council Resolution 1593, DANTERZIAN, 25 janvier 2011, http://iccforum.com/forum/permalink/61/875, (consulté le 27/04/2016)

87Chaire d'excellence « Gestion du conflit et de l'après-conflit», extrait texte de la Conférence tenue le 22/01 http://fondation.unilim.fr/chaire-gcac/2015/01/22/conference-chefs-etat/#_ftn47/2015: Les Chefs d'État sont-ils intouchables?, (consulté le 1/12/2015)

88Moussa BIENVENU HABA, L'offensive de l'Union Africaine contre la Cour pénale internationale: la remise en cause de la lutte contre l'impunité, 9 décembre 2013, Clinique de Droit International Pénal et Humanitaire, http://www.cdiph.ulaval.ca/blogue/loffensive-de-lunion-africaine-contre-la-cour-penale-internationale-la-remise-en-cause-de-la, (consulté le 20/12/2015)

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pas sous sa juridiction et n'ayant pas accepté sa compétence. Ce serait donner une interprétation erronée du Statut que d'imposer cette disposition à un Chef d'État ne voulant pas être jugé par elle, c'est le cas d'Omar EL BECHIR. L'adhésion du Kenya au Statut écarte d'emblée la prise en considération de son immunité comme le clame l'UA. À contrario, rejeter l'immunité dont bénéficie EL BECHIR conduirait à détourner le sens de l'article 27, mais pour la CPI ce rejet des immunités personnelles s'applique même aux États non parties au Statut lorsque les situations les concernant sont déférées par le CS. On passerait ainsi « d'une justice concertée à une justice imposée en ce sens que l'immixtion du CS insuffle à la Cour une logique d'adhocisme à l'instar du modèle de fonctionnement des TPI »89. La CPI soutient que le renvoi par le CS implique une acceptation par celui-ci que l'enquête et toutes les poursuites relatives à la situation seront soumises au cadre conjointement défini par le Statut90. Cela signifie que le CS peut passer outre le droit international coutumier et écarter l'immunité dont bénéficie le président EL BECHIR bien qu'il s'agisse d'un État non partie au Statut de Rome par le biais du Chapitre VII de la Charte des NU qui a pour objet de contraindre les États. Le CS a un pouvoir substantiel lorsqu'il agit en vertu du chapitre VII et peut grâce à cela, retirer implicitement des immunités personnelles au moment du renvoi de la situation à la CPI91

Pour le professeur William SCHABAS, la CPI ne peut être considérée comme juridiction internationale mais un tribunal conventionnel92. Il explique que même si la CPI peut prétendre à un certain degré d'universalité, elle ne lie que les seuls États parties au Statut. Seuls les tribunaux ad hoc, créés par le CS peuvent être considérés comme des juridictions internationales car ils ont été créés par la communauté internationale agissant collectivement et pas par un État. Il conclut en précisant:

«The immunity of heads of states results from customary international law. They cannot be deprived of it because other States so decide, whether they do this by their domestic law or by treaty.93».

89Alpha SIDY NDIAYE, CPI/UA : Une réaction politisée, des fondements juridiques incertains, Sentinelle la page hebdomadaire d'informations internationales, Bulletin n°290 du 22/10/2012, http://www.sentinelle-droit-international.fr ( consulté le 20/10/2015)

90Ibid

91ICC Forum, Personal Immunity and President Omar Al Bashir: An Analysis Under Customary International Law and Security Council Resolution 1593, DANTERZIAN, 25 janvier 2011, http://iccforum.com/forum/permalink/61/875, (consulté le 27/04/2016)

92William A. SCHABAS, Obama, Medvedev and Hu Jintao may be Prosecuted by International Criminal Court, Pre-Trial Chamber Concludes, 15 décembre 2011, http://humanrightsdoctorate.blogspot.fr/2011/12/obama-medvedev-and-hu-jintao-may-be.html, (consulté le 15/04/2016)

93Ibid

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De plus, l'arrêt Yérodia de la CIJ en son paragraphe 61-4 précise que l'irrecevabilité de la qualité officielle ne peut être opposée que devant certaines juridictions pénales internationales en s'appuyant sur le TPIY et le TPIR. Ce qui conduit le professeur William SCHABAS à soutenir qu'il s'agit de celles mises en place par la communauté internationale et non celle établies par traité, à fortiori lorsque ces dernières sont l'oeuvre d'un nombre réduit d'États qui prévoiraient de juger les dirigeants d'États non parties bénéficiant de l'immunité94, comme c'est le cas du président BECHIR. C'est donc le caractère international de la juridiction qui pose problème.

B- Les incidences de la volonté d'application de l'immunité

En demandant à la CPI de suspendre les poursuites contre KENYATTA et EL BECHIR en raison du droit à l'immunité des Chefs d'État en exercice, l'UA se veut protectrice des dirigeants africains en envoyant à ces derniers un double signal négatif. Cette demande fait également état de l'ignorance par l'UA de la souffrance des victimes africaines.

1) A l'égard des dirigeants africains

L'incidence politique de la démarche de l'UA se doublonne en la recherche d'une garantie d'impunité et en une échappatoire aux poursuites. D'une part, de par cette attitude qui ne l'honore point, l'UA semble vouloir faire obtenir aux dirigeants d'États africains, un permis de tuer (« licence to kill » par Desmond Tutu), d'opprimer, mutiler leur propre peuple et un droit de massacrer dans la quiétude95. A tel point qu'ils pourront impunément commettre les pires atrocités contre leur peuple sans qu'ils ne soient réprimés pour leur acte. D'autre part si cette demande de l'UA finissait par aboutir, cela reviendrait à dire :

- aux dirigeants au pouvoir que lorsqu'ils ont commis les crimes les plus graves, qu'ils ont intérêt à rester au pouvoir à vie sinon ils risquent après leur mandat de se retrouver devant la CPI.

- et autres personnalités africaines qui entreprendraient de devenir Chef d'État, d'accéder rapidement au pouvoir lorsqu'ils ont commis des crimes graves. D'une façon ou d'une autre cela induit que le dirigeant s'éternise au pouvoir, au moyen par la force ou par des subterfuges électoraux. Alors que le fait pour les victimes de savoir que ces chefs d'États n'étaient pas à l'abri de la justice même

94Chaire d'excellence « Gestion du conflit et de l'après-conflit», extrait texte de la Conférence tenue le 22/01/2015: Les Chefs d'État sont-ils intouchables?, http://fondation.unilim.fr/chaire-gcac/2015/01/22/conference-chefs-etat/#_ftn47 (consulté le 1/12/2015)

95IVOIRE PRESSE, Opinion/ L'Union Africaine contre la Cour Pénale International : à la recherche du droit de massacrer dans la quiétude, 18 octobre 2013, http://news.abidjan.net/h/477917.html(consulté le 5/12/2015)

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en restant au pouvoir constituait un espoir, certes mince, contre l'impunité. Ainsi, la demande de l'Union appliquée dans une situation comme celle du Rwanda « signifierait qu'il aurait suffi aux responsables du pouvoir génocidaire de conserver le pouvoir pour ne pas être inquiétés.96»

2) A l'égard des victimes africaines

Cette protection que l'UA cherche à obtenir pour les dirigeants africains est faite au détriment des victimes. Si parfois il est dans l'intérêt de la victime que la CPI mette fin à des procédures judiciaires, accorder une immunité aux individus orchestrant les crimes les plus ignobles s'analyserait comme le fait de considérer implicitement que les intérêts et les ambitions politiques (puissance) et économiques (richesse) des Chefs d'États priment sur les intérêts des victimes, d'une communauté, d'un peuple.

La société civile désapprouve cette démarche de l'UA car elle considère que l'Union ne peut décider à la place des africains, souvent victimes de leurs dirigeants bourreaux 97 . Plusieurs organisations africaines, dans un document rendu public le 18 novembre 2013, ont soutenu que : « les gouvernements africains doivent rejeter l'idée selon laquelle, ils doivent bénéficier d'une immunité spéciale vis-à-vis de la CPI98».

L'on peut même se demander lequel de ces présidents actuellement en exercice et poursuivis par la Cour, accepterait d'être jugé par elle quand bien même ce dernier ne sera plus en fonction ? En Afrique, en excluant le cas du Rwanda et de la Sierra Leone, lorsque des milliers de personnes sont tuées, il est rare que l'État décide volontairement de rendre justice aux victimes ou de réparer les torts causés à la communauté affectée.

Cette démarche qu'entreprend l'UA avec ardeur pour rendre aux Chefs d'État leur immunité à également un effet sur la paix et la sécurité, donc sur les victimes. En effet, si le seul moyen de faire juger un Chef d'État qui voudrait se maintenir au pouvoir est d'obtenir son départ, la seule solution sera d'user de tous les moyens au besoin par la force et la violence, dans un contexte où l'élection libre et transparente n'est pas possible99. Il y aurait donc un risque cyclique de violences préjudiciable aux victimes qui vont trouver exile dans les pays voisins.

96Ibid

97Makiala NGUEBLA, La Cour Pénale Internationale: Pourquoi l'Afrique se rebelle?, 2 décembre 2013, http://www.maisondesjournalistes.org/la-cour-penale-internationale-pourquoi-lafrique-se-rebelle/ (consulté le 25/12/2015)

98Ibid

99IVOIRE PRESSE, Opinion/ L'Union Africaine contre la Cour Pénale International : à la recherche du droit de massacrer dans la quiétude, 18 octobre 2013, http://news.abidjan.net/h/477917.html(consulté le 5/12/2015)

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