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Les délais dans le contentieux de l'excès de pouvoir au Bénin

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par Théodor Enone Eboh
Université d'Abomey-Calavi/(ex-Université Nationale du Bénin - Maà®trise 2004
  

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INTRODUCTION GENERALE

S'il est une donnée qui échappe en très grande partie à l'emprise de l'homme, c'est le temps ; il constitue un allié peu sûr. Le temps, selon Henri MENDRAS, peut être conçu comme un cycle qui se renouvelle constamment, ou une ligne, sans début et sans fin, le long de laquelle se rangent les évènements.1(*) L'homme, par son intelligence, a fait des découvertes et inventions dans plusieurs domaines de la vie. Il a maîtrisé l'espace, la communication, la vitesse, etc. Mais du temps, il n'a mis au point que des méthodes et techniques de sa mesure, sans jamais le perturber, encore moins le modifier. Il passe, il court, toujours trop vite quand on en a besoin, souvent trop lentement quand on veut aller vite. La durée perçue par nous se déforme ainsi sous l'influence de nos émotions. Dans tous les cas, on ne peut faire certaines choses qu'à un moment donné ou au cours d'une période dont il faut connaître les termes. On parle alors des délais. Cet impondérable préside aux relations entre tout justiciable. Il travaille aussi les relations entre le citoyen, l'administration et la justice. Le justiciable qui a des prétentions contre l'administration ne peut faire valoir ses droits que dans des délais bien précis. Car si l'administration est désormais limitée dans sa puissance2(*), l'administré a des obligations à respecter, des procédures à suivre pour obtenir réparation en cas de comportements fautifs de l'administration.

Avant de donner une définition juridique du délai et du recours pour excès de pouvoir, essayons d'analyser le contour historique de cette dernière notion.

Au-delà de la séparation des pouvoirs, garantie fondamentale des libertés individuelles, l'institution du recours pour excès de pouvoir semble, pour le citoyen, le symbole même de cette limitation. C'est « la plus merveilleuse création des juristes, l'arme la plus efficace, la plus économique, la plus pratique qui existe au monde pour défendre les libertés »3(*), écrit Gaston GEZE.

Le recours pour excès de pouvoir qui protège les libertés, participe ainsi à la réalisation d'un Etat de droit. La notion de l'Etat de droit est définie par les professeurs Olivier DUHAMEL et Yves MENY comme « processus, (...) de soumission de l'Etat au droit, d'assujettissement du rapport de contrainte au rapport de contrat, d'échange du procès contre la violence, bref la dissolution de l'Etat-puissance. La dissolution de l'Etat-puissance qui suppose elle-même, deux conditions récurrentes : la séparation des pouvoirs et l'institutionnalisation des droits de l'homme »4(*).

L'Ordonnance N° 21/PR du 26 avril 19665(*), portant composition, organisation, fonctionnement et attributions de la Cour Suprême au Bénin, remise en vigueur par la loi N° 90-012 du 1er juin 1990, attribue la compétence à ladite Cour, pour statuer sur « les recours en annulation pour excès de pouvoir des décisions des autorités administratives » (Art 31-1).

L'histoire du recours pour excès de pouvoir est liée, en France, à la longue gestation du Conseil d'Etat créé par la loi du 21 mai 18726(*).

La révolution française a adopté deux textes fondamentaux, dont la loi des 16-24 Août 1790 et le décret du 16 fructidor an III, interdisant aux juridictions judiciaires de « troubler, de quelque manière que ce soit, les opérations des corps administratifs », et de « connaître des actes d'administration de quelque espèce qu'ils soient » 7(*). L'administré dont les intérêts étaient lésés par l'action administrative, avait le choix entre se résigner et se tourner devant les autorités auteurs de ces griefs pour solliciter réparation. Par la suite, la Révolution a adopté la loi des 6-7 et 11 septembre 1790, donnant compétence aux autorités administratives pour trancher la majeure partie du contentieux administratif8(*). Mais quelle pouvait être l'efficacité d'un tel recours, lorsque les autorités administratives, appelées à trancher, sont en même temps juges et parties, si ce n'était l'éventuelle intervention du Chef de l'Etat, supérieur hiérarchique de tout l'appareil administratif ? C'était la période de la justice retenue où les droits de l'administré n'étaient guère protégés.

A partir de l'an VIII (1799), le Chef de l'Etat fait préparer les solutions par un « conseil juridique » : le Conseil d'Etat est ainsi créé. Ses projets, préparés par la commission du contentieux créée en 18069(*), sont presque toujours suivis par le Chef de l'Etat. Cependant, le Conseil d'Etat est toujours lié à l'administration, puisque les litiges devaient être d'abord portés devant le ministre dont la décision pouvait être contestée en appel devant le Conseil d'Etat : on parle alors de la justice déléguée. Ce n'est qu'en 1892 que le Conseil d'Etat a acquis son indépendance totale par l'arrêt Cadot, dont le commissaire du gouvernement Jagerschmidt dégageait la doctrine : « partout où il existe une autorité administrative ayant un pouvoir de décision propre, pouvant prendre des décisions administratives exécutoires, un débat peut naître et le Conseil d'Etat peut être directement saisi »10(*).

Du fait de la colonisation française11(*), et par la technique de la spécialité législative, le recours pour excès de pouvoir est rendu applicable au Dahomey, devenu plus tard République du Bénin. En effet, ce sont les lois 61/41 et 61/42 du 18 octobre 1961 qui ont créé le tribunal administratif et la Cour Suprême du jeune Etat (Dahomey) indépendant12(*).

Comme dans toute procédure juridictionnelle dont l'action est, sous peine d'irrecevabilité, cantonnée dans un intervalle de temps bien déterminé13(*), le contentieux de l'excès de pouvoir est soumis à des délais très précis.

La procédure connaît ici deux grands "moments". Le recours devant l'administration elle-même. Il précède la saisine du juge. Ces deux "moments" sont soumis chacun à des délais.

L'étude portant sur les délais dans le contentieux de l'excès de pouvoir au Bénin nous conduira, dans cette introduction à définir les notions de recours pour excès de pouvoir et de délai. Ensuite nous délimiterons l'aire géographique de notre sujet, l'intérêt de la présente étude, la problématique suivie de l'hypothèse, et enfin le plan.

Conformément à l'article 31-1 de l'Ordonnance 21/PR, les « décisions des autorités administratives sont susceptibles de recours pour excès de pouvoir » devant la Chambre Administrative de la Cour Suprême.

Le professeur Georges DUPUIS définit le recours pour excès de pouvoir comme « un recours contentieux par lequel toute personne intéressée peut demander au juge administratif d'annuler, en raison de son irrégularité, une décision d'une autorité administrative »14(*).

Dans sa décision N°24/CA du 24 octobre 1997, le juge administratif béninois formule la définition suivante : le recours pour excès de pouvoir est « un recours juridictionnel ouvert même sans texte contre tout acte administratif, qu'il a pour effet d'assurer le respect du bloc de légalité sans lequel il ne saurait y avoir d'Etat de droit »15(*). Le «respect du bloc de légalité», comprend deux types de contentieux, qui dépendent de la nature de la question posée au juge : il y a d'une part le plein contentieux et d'autre part le contentieux de l'annulation.

Lorsque le juge est saisi afin de prononcer les sanctions pécuniaires contre une personne morale de droit public, ou lorsque le requérant demande la reconnaissance d'un droit subjectif, nous sommes en présence du plein contentieux. Ici, le procès est dirigé contre une personne, et il s'agit du droit subjectif. Dans ce contentieux, l'administré demande la réparation du préjudice à lui causé par ladite personne publique.

Par contre, si le juge est saisi d'une question qui porte sur la violation ou la méconnaissance du droit objectif par l'administration, c'est-à-dire la norme juridique, nous sommes en présence du recours pour excès de pouvoir. Dans ce contentieux, le juge confronte l'acte administratif dont il est saisi à la règle de droit positif. Il s'agit du recours objectif : Une «façon d'exprimer qu'il donne une réponse à une question de droit objectif »16(*). C'est le contentieux qui nous importe dans le cadre de cette étude.

Le recours administratif préalable à la requête contentieuse 17(*), nous permet de retenir que le recours pour excès de pouvoir est une contestation devant le juge administratif, à la suite de la persistance d'un désaccord entre le justiciable et l'Autorité Administrative, sur une décision qu'elle a prise ou qu'elle refuse de prendre. C'est donc le moyen ainsi mis à la disposition du requérant par le législateur, pour demander au juge administratif de sanctionner, c'est-à-dire d'annuler une décision (explicite ou implicite) d'une Autorité Administrative, si celle-ci est irrégulière.

Le recours pour excès de pouvoir a été longtemps considéré comme le recours de légalité, expression qui peut réduire le champ des règles que l'acte administratif doit respecter aux seules lois stricto sensu.

Or, en utilisant l'expression « bloc de légalité », le juge béninois englobe ainsi toutes les normes en vigueur au Bénin. Ce qui signifie que l'autorité administrative est obligée de se conformer aux différents éléments de l'ordre juridique lorsqu'il veut édicter sa décision. L'acte administratif doit être non seulement conforme, dans la hiérarchie des normes, à la constitution, aux accords internationaux, aux lois, aux principes généraux du droit mais également aux règlements édictés par l'administration elle-même. Dans la mesure où il consiste à épurer l'édifice juridique d'un acte administratif irrégulier, le recours pour excès de pouvoir est qualifié par le professeur René CHAPUS d'« un recours d'utilité publique »18(*).

Toutefois, le contrôle de constitutionnalité des lois au Bénin, relève de la compétence de la Cour Constitutionnelle, qui est également juge du contentieux des élections présidentielles et législatives, ainsi que juge de la violation des droits de l'homme.

Dans la procédure administrative contentieuse, ce recours est soumis à une procédure dont les délais constituent un élément fondamental. La question des délais pose problème du fait de son essence, de sa définition et surtout de la complexité parfois grande des méthodes de sa computation.

Le Dictionnaire Le Petit Robert définit le délai, soit comme le temps accordé pour faire quelque chose, soit comme le temps à l'expiration duquel on sera tenu de faire quelque chose. Gérard CORNU quant à lui le définit comme un laps de temps fixé par la loi, le juge ou la convention soit pour interdire, soit pour imposer d'agir avant l'expiration de ce temps.19(*) Le Lexique des termes juridiques ne fournit aucune définition des délais, mais en énumère les différents types et leurs effets juridiques. On a par exemple le délai de grâce, le délai préfix, le délai franc, le délai non franc, etc.

Ces deux définitions lient la notion de délai au facteur temps. Le temps, il coule, il passe, parfois plus vite que l'on voudrait, sans jamais s'arrêter. Mais, surtout, le principal inconvénient du temps est qu'il ne se rattrape pas. Face donc à ce temps irréversible et indifférent, qu'il nous faut pourtant maîtriser, nous devons changer notre attitude à son égard, selon la formule de Jean-Louis SERVAN-SCHREIBER: «Tout ce qui est en notre pouvoir c'est de changer notre attitude à son égard, d'en faire bon ou mauvais usage» 20(*)

Toutes les sciences, et plus particulièrement les sciences sociales, intègrent le facteur temps dans la plupart de leurs démarches. Les sciences juridiques en font un paramètre fondamental de toutes leurs formalités. Le professeur Guillaume PAMBOU TCHIVOUNDA résume bien l'état des relations qui lient le droit au temps lorsqu'il considère que « le droit et le temps entretiennent des rapports intimes faits de complexité ou de duplicité ».21(*)

Les actes et faits juridiques sont soumis aux délais, dont juristes, juges et autres professionnels du droit, donnent des sens, parfois différents. Autour des délais naissent souvent des débats juridiques passionnants, dont le juge suprême, gardien des clés et grand prêtre du droit, tranche, en principe définitivement. Mais il arrive souvent que la solution des juges déclenche les critiques de la doctrine qui amènent parfois à un revirement jurisprudentiel.

Dans le contentieux de l'excès de pouvoir, la délicatesse de la notion du temps est encore accrue par sa pluralité, car il n'y a pas qu'un seul délai. Il y en a plusieurs. Il y a d'une part les délais prévus par un texte, et, d'autre part ceux imposés par le juge, selon une typologie établie par le professeur Georges DUPUIS.

En ce qui concerne les délais prévus par un texte, ils peuvent être indicatifs ou impératifs. Selon le régime attaché à chacun d'eux, ils peuvent être soit des délais de forclusion, soit des délais de prescription.

Les délais indicatifs sont les délais minimums fixés à l'administration pour l'accomplissement de certains actes. Le but ici est d'assurer l'application rapide de la loi. L'accomplissement de la formalité au-delà de ce délai n'annule pas l'acte en question. Mais il arrive que le législateur impose des délais qui revêtent alors un caractère impératif.

Pour les délais impératifs, il peut s'agir d'une substitution de compétence ou l'institution d'une garantie pour les administrés. La première hypothèse est illustrée d'une part par l'article 110 al.322(*) de la constitution béninoise relatif au budget de l'Etat, et par l'article 57 al.6 de la même constitution relatif au refus de promulgation d'une loi votée par l'Assemblée Nationale23(*) d'autre part.

En ce qui concerne l'institution d'une garantie pour les administrés, l'exemple est fourni par l'article 18 al. 4 de la constitution béninoise qui dispose que : « Nul ne peut être détenu pendant une durée supérieure à quarante huit heures que par décision d'un magistrat auquel il doit être présenté. Ce délai ne peut être prolongé que dans des cas exceptionnellement prévus par la loi et qui ne peut excéder une période supérieure à huit jours ». Selon les conséquences attachées à ces délais, on peut opposer la forclusion à la prescription.

La forclusion est un moyen d'ordre public éteignant la faculté d'agir en justice, ne pouvant donc être ni suspendu, ni interrompu par quelque cause que ce soit et auquel on ne peut renoncer. Il peut être opposé par l'une des parties au litige et à toute hauteur de la procédure, si le juge ne l'a pas d'office soulevé. La forclusion se distingue néanmoins de la prescription.

La définition du délai de prescription est fournie par l'article 2219 du code civil (français) qui dispose qu'il s'agit d'un « moyen d'acquérir ou de se libérer par un certain laps de temps et sous les conditions déterminées par la loi». Contrairement à la forclusion qui est un moyen d'ordre public et, de ce fait doit être soulevé d'office par le juge, il ne peut suppléer d'office le moyen résultant de la prescription (article 2223 du code civil français). Le pouvoir « normateur » reconnu au juge s'illustre aussi bien à ce niveau.

Dans une instance contentieuse, le juge (même sans texte) impose souvent des délais à l'administration. Ils peuvent être des délais utiles ou des délais raisonnables.

Selon le professeur DUPUIS, le délai utile est la période minimale permettant à l'intéressé, non seulement de recevoir communication des griefs retenus à son encontre ( et, éventuellement, de son dossier en cas de procédure disciplinaire) mais encore de préparer et de faire parvenir à l'autorité tous les éléments de sa défense sans oublier le temps nécessaire à l'autorité administrative pour tenir compte de la réplique développée par son interlocuteur.24(*) Il est donc traduit par trois obligations que doit respecter l'administration: c'est d'abord la période minimale que l'autorité administrative doit laisser à un administré pour prendre connaissance des griefs qui lui sont reprochés avant de prendre sa décision; puis le temps nécessaire pour que celui-ci présente sa défense à l'autorité compétente et, enfin, le temps que doive observer l'autorité administrative pour réagir aux développements de l'administré. La non-observation de l'une quelconque de ces phases par l'administration entraîne l'irrégularité de l'acte administratif.

Le juge a élaboré ces délais afin que soit respectés les droits de la défense dans une instance contentieuse. Ces délais relèvent plutôt d'éléments de la défense au fond et non une condition de recevabilité.

Mais, il peut aussi s'agir d'un temps maximal au-delà duquel une action ne peut être valablement menée. On parle alors des délais raisonnables. Ce sont des délais maximaux d'édiction d'un acte : l'Administration est tenue de ne pas les dépasser.25(*) Il s'agit d'un temps maximal au-delà duquel l'autorité ne peut plus prendre une décision ou, a contrario que la décision prise après ce temps est inopérante.

L'étude portant sur le contentieux de l'excès de pouvoir nous renseigne en premier lieu sur la nature du régime politique. Mais, la seule existence du recours pour excès de pouvoir n'est pas suffisante pour qualifier la nature du régime. Ainsi, lorsque le juge n'est ni indépendant ni impartial26(*), ou que la procédure est d'une complexité confuse, le recours ressemble plutôt à une fiction juridique. L'exercice du recours pour excès de pouvoir est ainsi un « baromètre » pour apprécier l'effectivité de l'Etat de droit.

La présente étude nous permettra d'analyser l'une des causes probables de la lenteur de la juridiction administrative. Cette «pathologie» de l'administration juridictionnelle pourrait rendre vain l'espoir mis dans le recours pour excès de pouvoir, et empêcher les citoyens d'intenter des actions contre l'administration.

Du côté du justiciable, la maîtrise des délais lui permet d'éviter le rejet pour irrecevabilité. En fait, à quoi sert-il d'avoir raison lorsque le juge rejette pour irrecevabilité la requête sans l'examiner au fond?

L'aire géographique choisie pour le cadre de notre étude est le Bénin. Deux raisons ont motivé notre choix.

Depuis la Conférence des forces vives de la nation tenue à Cotonou du 19 au 28 février 1990, le Bénin est considéré comme «vitrine de la démocratie» en Afrique27(*) par la communauté internationale. Avec à l'affiche, trois élections présidentielles, quatre élections législatives et l'élection municipale de 2003, le Bénin offre un cadre idéal pour apprécier le principe de légalité. Nous avons voulu donc nous intéresser au juge administratif, dont la mission est de sanctionner la violation de la règle de droit et de parvenir à la réalisation d'un Etat de droit dans l'un des domaines qui est le sien : le contentieux de l'excès de pouvoir.

La deuxième raison est liée à l'antinomie de la loi qui organise la procédure devant la Cour Suprême, la plus haute juridiction à compétence exclusive en matière de recours pour excès de pouvoir, et dont les décisions ne sont susceptibles d'aucun recours. Cette absence du principe du double degré de juridiction n'est-elle pas une violation du principe général de procédure, garantie de liberté individuelle? Cette loi date de 1966, et n'a subi depuis lors, aucune modification en ce qui concerne les délais de recours pour excès de pouvoir. Dès lors, le juge a probablement joué un rôle capital pour adapter les règles relatives aux délais à l'évolution de la société. Dans notre analyse, nous recourons à des solutions étrangères pour mieux apprécier les originalités des positions du juge béninois.

Toute juridiction saisie d'un litige doit, avant de statuer au fond, examiner au préalable si l'action portée devant elle est recevable. En d'autres termes, il ne suffit pas qu'un litige soit porté devant le juge pour que celui-ci statue au fond, c'est-à-dire sur l'objet de la demande. Il faut aussi, et surtout que les règles de procédure soient remplies pour que le juge tranche la question qui lui est posée.

En droit administratif, notamment dans le contentieux de l'excès de pouvoir, ces règles se rapportent à la requête, au requérant, à l'acte contesté et à la juridiction saisie par le demandeur28(*). Le contentieux administratif est une opération essentiellement inquisitoire, c'est-à-dire ne nécessitant pas la présence physique des parties au litige. Celles-ci communiquent par le biais du juge, pierre angulaire de toute la procédure. Cette dernière notion est centrale dans le contentieux administratif : c'est un contentieux essentiellement procédurier. D'où l'importance attachée à la démarche, à toute une panoplie de règles à observer par le justiciable, et dont certaines conditionnent même la recevabilité de sa demande. La question des délais est dès lors fondamentale.

Les délais varient selon plusieurs paramètres qui ne sont pas toujours maîtrisables pour le justiciable. Mais devant défendre ses droits face à l'administration, il importe qu'il maîtrise au moins le régime des délais. Les régimes sont multiples, complexes et leur application n'est pas toujours exempte d'ambiguïtés, ou d'incohérences. Pourtant, leurs inobservations ou leurs observations approximatives peuvent entraîner pour le justiciable des conséquences fâcheuses.

A la lecture des dispositions relatives aux délais de recours pour excès de pouvoir au Bénin, un certain nombre d'interrogations méritent d'être posées : une décision d'une autorité administrative incompétente fait-elle courir les délais de recours ? les deux formalités pour la publicité sont-elles interchangeables ? Autrement dit, peut-on utiliser la notification en lieu et place de la publication et vice versa ? ou les deux ensemble ? Si non, quelles en sont les conséquences sur les délais ? Quelle est l'incidence de la non-publication d'une décision sur les délais ? Les recours prématurés ou tardifs sont-ils recevables ? C'est autour de ces interrogations que nous formulons la problématique à savoir le régime des délais dans le contentieux de l'excès de pouvoir au Bénin.

Saisi d'une requête en annulation pour excès de pouvoir, le juge doit, non seulement interpréter la loi pour l'appliquer au cas dont il est saisi, mais également poser de véritables principes dans le silence de celle-ci. Cette obligation faite au juge découle de l'article 4 du code civil (français) qui dispose que : « Le juge qui refusera de juger sous prétexte du silence, de l'obscurité ou de l'insuffisance de la loi, pourra être poursuivi comme coupable de déni de justice »29(*). L'interprétation et la création de la loi par le juge peuvent-elles être arbitraires ? En d'autres termes, l'obligation faite au juge de juger, même dans le silence de la loi est-elle synonyme d'une liberté sans limites?

Le législateur béninois, tout comme son homologue français, n'a pas édicté une démarche que doit suivre le juge. C'est le législateur suisse qui s'est essayé en formulant une règle, aujourd'hui suivie partout : « A défaut d'une disposition légale applicable, le juge prononce selon le droit coutumier et, à défaut d'une coutume, selon les règles qu'il élaborerait s'il avait à faire oeuvre de législateur(...) il s'inspire des solutions consacrées par la doctrine et la jurisprudence »30(*).

Mais la coutume n'est pas une source de droit de la procédure contentieuse administrative ; le juge béninois n'est donc soumis, dans l'application des règles relatives aux délais qu'à l'autorité de l'Ordonnance N° 21/ PR du 26 avril 1966 sus-citée. Dans le silence de celle-ci, il peut faire oeuvre de législateur ou de jurislateur, pour emprunter l'expression du professeur René CHAPUS31(*).

Les règles posées par le législateur ne sont pas toujours suffisamment claires pour régir toutes les situations portées devant le juge d'une part et, d'autre part, elles sont muettes sur bien d'autres cas ; la loi ne peut, en effet, tout prévoir. Néanmoins, le juge doit juger, et de manière libre. L'hypothèse que nous retenons dans le cadre de ce travail est que, dans la procédure contentieuse du recours pour excès de pouvoir, le juge administratif béninois applique souvent la loi et la complète au besoin, mais souvent il crée de véritables règles.

Il lui arrive donc de troquer sa toge de magistrat pour celle de législateur ou, plus proprement de jurislateur. Ce dédoublement du juge administratif béninois se vérifie dans son oeuvre jurisprudentielle tant en ce qui concerne les délais prescrits pour la procédure pré-contentieuse (première partie) que pour ceux qui rythment la procédure contentieuse proprement dite (deuxième partie).

* 1 H. MENDRAS, Eléments de sociologie, Armand Colin, Paris, 2002, p. 34.

* 2 La limitation de la puissance de l'Etat était nécessaire pour garantir les droits et libertés des citoyens. Car la confusion de tous les pouvoirs au sein d'un seul et même organe de l'Etat était particulièrement dangereux.

* 3 G. JEZE, cité par A.- M. FLAMME, Droit administratif, Bruylant, Bruxelles, 1989, p. 613.

* 4 O. DUHAMEL, et Y. MENY, Dictionnaire constitutionnel, PUF, Paris, 1992, p. 418.

* 5 Journal officiel de la République du Dahomey, 1er juin 1966

* 6 G. DUPUIS, M.-J. GUEDON, P. CHRETIEN, Droit administratif, 8e éd. Armand Colin, Paris, 2002, p. 32.

* 7 TC, 8 Févr. 1873, Blanco, GAJA, 12e éd. Dalloz, Paris, 1999, p. 2.

* 8 J.-L. MESTRE cité par G. DUPUIS, M.-J. GUEDON, P. CHRETIEN, Droit administratif, op. cit. P. 52.

* 9 E. LAFERRIERE, cité par G. DUPUIS, M.-J. GUEDON, P. CHRETIEN, Droit administratif, Idem

* 10 CE, 13 déc. 1889, Cadot, GAJA, op. cit. P. 36.

* 11 Voir D. SOSSA, Cours d'introduction à l'étude du droit, FASJEP/ UNB, Cotonou, Inédit, 2000-2001, p. 27.

* 12 T. HOLO, Contribution à l'étude de la chambre administrative : cas de la chambre administrative de la cour populaire centrale du Bénin,, in G. CONAC, et J. B. GAUDUSSON de (sous la direction de), Les Cours Suprêmes en Afrique III « La jurisprudence administrative », Economica, Paris, 1988, p. 14.

* 13 Il faut cependant noter que les crimes du droit international les plus graves énumérés par la Convention de New York du 26/11/1968, entrée en vigueur le 11 novembre 1970, sont imprescriptibles, et ne sont donc pas soumis aux délais. Il s'agit des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité.

* 14 G. DUPUIS, M.-J. GUEDON, P. CHRETIEN, Droit administratif, op. cit. P. 572.

* 15 Arrêt N° 24/CA, SOCOBE-ICB-CCB c/ Ministre des Finances, Cour Suprême, Recueil des arrêts de la Cour Suprême du Bénin, Cotonou, Cour suprême, 1997, p. 173.

* 16 R. CHAPUS, Droit administratif général, 15e éd. T. 1, Montchrestien, Paris, 2001, P. 787.

* 17 Comme nous le verrons dans la première partie de notre travail, la requête introductive d'instance devant le juge administratif (au Bénin, comme au Cameroun) est en principe subordonnée à l'exercice du recours administratif préalable, qui est un moyen d'ordre public, et dont l'inobservation par le requérant entraîne ipso facto le rejet pour irrecevabilité.

* 18 R. CHAPUS, Droit administratif général, 9e éd. T. 1, Montchrestien, Paris, 1995, p. 6.

* 19 G. CORNU, Vocabulaire juridique, 1e éd. PUF, Paris, 1987.

* 20 J.-L. SERVAN-SCHREIBER, L'art du temps, Fayard, Paris, 1984, p. 19.

* 21 G. PAMBOU TCHIVOUNDA, Les grandes décisions de la jurisprudence administrative du Gabon, A. Pedone, Paris, 1994, p. 244.

* 22 La constitution béninoise fait obligation à l'Assemblée Nationale de voter la loi de finances au plus tard le 31 décembre. Le constituant a prévu deux hypothèses : Soit que l'Assemblée Nationale n'a pas pu voter la loi à temps, parce qu'elle a été saisie du projet de budget en retard ; dans cette hypothèse, le Président de la République demande à l' Assemblée Nationale l'autorisation d'exécuter les recettes et les dépenses de l'Etat par douzièmes provisoires. Soit c'est parce que l' Assemblée Nationale n'a pas pu se prononcer au 31 décembre alors même qu'elle a été saisie dans les délais. C'est dans cette hypothèse donc que le Président de la République est habilité par la constitution pour mettre le budget en exécution par voie d'ordonnance. C'est cette seconde hypothèse que nous illustrons par les délais impératifs.

* 23 En ce qui concerne l'alinéa 6 de l'article57, il s'agit d'une habilitation exceptionnelle à la Cour Constitutionnelle de déclarer une loi exécutoire lorsque à la suite de la seconde délibération, le Président de la République refuse la promulgation d'une loi déclarée conforme à la constitution.

* 24 G. DUPUIS, M.-J. GUEDON, P. CHRETIEN, op. cit. P. 440.

* 25 Idem

* 26 On peut penser que l'inamovibilité conférée aux juges pendant la durée de leur mandat peut être un gage d'impartialité. Mais le renouvellement du mandat des juges, peut souvent amener ceux-ci à rendre des décisions, sans toutefois heurter les intérêts de ceux qui peuvent influencer le renouvellement de leur mandat.

* 27 JAE, n° 171 de septembre 1993, p. 118.

* 28 G. DUPUIS, op. cit. P. 32.

* 29 F. JACOB, A.TISSERAND, G. VENANDET, G. WIEDERKEHR, X. HENRI, Code civil, 101e éd. Dalloz, Paris, 2002

* 30 Art. 1er du Code Civil Suisse cité par S. CHATILLON, Droit des affaires internationales, 2e éd. Vuibert, Paris, 2000, p. 59.

* 31 R. CHAPUS, Droit administratif général, T. 1, 15e éd. Montchrestien, Paris, 2001, p. 93.

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