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Du contentieux constitutionnel en République Démocratique du Congo. Contribution à  l'étude des fondements et des modalités d'exercice de la justice constitutionnelle

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par Dieudonné KALUBA DIBWA
Université de Kinshasa - Doctorat en droit 2010
  

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§5. La déclaration de conformité des ordonnances de l'article 145 de la Constitution

L'étude de cette question spéciale de droit constitutionnel passe par l'affirmation que cette disposition constitutionnelle est une copie de l'article 16 de la Constitution française. Il faut cependant remarquer qu'il n'y a pas de mimétisme béat tant la disposition française fait appel «à des mesures (qui) doivent être inspirées par la volonté d'assurer aux pouvoirs publics constitutionnels, dans les moindres délais, les moyens d'accomplir leur mission »752(*), alors que la congolaise se borne à faire recours aux « mesures nécessaires pour faire face à la situation ».753(*)

Du point de vue de la question qui nous occupe, il importe de souligner que la Président de la République, lorsqu'il prend les mesures de l'article 145 de la Constitution, n'est pas lié par les dispositions de la Constitution à l'exception naturellement de celles contenues dans ce même article 145 et dans les dispositions des articles 85, 116 et 144 contenant des normes idoines à cette matière. Le rapprochement des termes des articles 69 et 145 de la Constitution est significatif du rôle majeur du chef de l'Etat. Arbitre et garant dans les temps normaux, il peut cumuler les pouvoirs législatif et exécutif quand sont réunies les conditions prévues par l'article 145 de la Constitution.

Outre que cette disposition subordonne sa mise en oeuvre à une interruption, et non à un fonctionnement seulement irrégulier, des pouvoirs publics constitutionnels, il faut donc noter que le dysfonctionnement d'un gouvernement ne saurait justifier le recours légitime à cette disposition. Il n'est pas plus légitime non plus de recourir à cette disposition en cas de grève de services publics. En irait-il de même d'une grève générale paralysant les services publics constitutionnels ? Il faut avouer que tel recours à cette disposition aurait les apparences d'un usage idoine de la Constitution.

Cependant, la concentration du pouvoir entre les mains du Président de la République fait de ce dernier le seul interprète de la Constitution, tant en ce qui concerne sa compétence, puisqu'il lui appartient de juger quelles sont les mesures exigées par les circonstances, sous réserve de ne pas modifier la Constitution, que celles du gouvernement et du parlement, pour autant, qu'il bénéficie du concours du Premier ministre et des présidents des assemblées, tout au moins de celui du président de l'Assemblée nationale.

Par ailleurs, une tentation devrait être évitée : le recours à l'article 145 de la Constitution en cas de cohabitation des majorités présidentielle et parlementaire. Ces oppositions de majorités, faut-il le rappeler, font partie du fonctionnement normal de la Constitution en étant de simples conséquences de la souveraineté du peuple.754(*)

La doctrine opine de manière majoritaire que la décision de recourir à ces dispositions constitutionnelles consacrant la dictature constitutionnelle présente le caractère d'un acte de gouvernement.755(*) Naturellement, le juge administratif manque de compétence à son égard. Il ne lui appartient nullement ni d'apprécier la légalité ni de contrôler la durée d'application de ces mesures.

Soulignons cependant que s'agissant d'un régime de confusion des pouvoirs, le juge administratif reste compétent lorsque le chef de l'Etat prend des actes réglementaires dans le sillage de l'article 145 de la Constitution. En effet, le juge doit distinguer les mesures qui ont une nature législative de celles qui ont une nature réglementaire. Ici joue le critère matériel établi par les articles 122, 123 et 128 de la Constitution.

Ainsi la requête qui critique une décision à contenu législatif est donc irrecevable devant le juge administratif suprême. L'on peut toutefois se poser la question de savoir si le Président de la République est dispensé de suivre les formes constitutionnelles des normes qu'il doit édicter pour faire face à la situation qui donne lieu au recours à l'article 145. La réponse doit être non.

En effet, il devra prendre des actes réglementaires, législatifs ou autres dans les formes qui permettent qu'ils soient reconnus et contrôlés par le juge constitutionnel qui reste compétent même devant des actes de gouvernement.

Dans la perspective de l'Etat de droit constitutionnel ou moderne que la République démocratique du Congo veut installer, il sied de noter que l'article 145 de la Constitution ne limite pas les décisions du chef de l'Etat pour ce qui est de leur objet ; elles peuvent donc porter atteinte aux droits et libertés ; mais il les limite quant à leur but et leurs motifs ; en effet ces mesures sont celles « nécessaires pour faire face à la situation ». Analysant le caractère nécessaire ou non des mesures prises par le chef de l'Etat, la Cour constitutionnelle exerce ainsi un contrôle d'opportunité au-delà du simple contrôle de légalité constitutionnelle.

L'on peut se poser une seconde question non moins pertinente : comment assurer la sanction de ces obligations constitutionnelles ? Certes, la Cour constitutionnelle est consultée à l'intervention de chacune de ces mesures alors que la décision générale de recourir à l'article 145 n'est pas subordonnée, comme en droit français, à la consultation officielle de la Cour constitutionnelle.

Le contrôle de la Cour constitutionnelle n'intervenant qu'après la signature des ordonnances, l'on peut être amené à constater que ce contrôle-là concerne des actes juridiques en vigueur et non en chantier comme c'est le cas d'un contrôle préalable ordinaire. En effet, la signature des ordonnances prévues à l'article 145 de la Constitution correspond à deux moments d'élaboration des normes : l'édiction et la promulgation.756(*)

La signature cristallise en effet la promulgation c'est-à-dire l'authentification de l'acte édicté et l'ordre donné à l'administration de procéder à son exécution. S'agissant d'un contrôle a priori et à la seule initiative du Président de la République, il n'est pas envisageable prima facie de prévoir un contrôle de constitutionnalité des ordonnances prévues à cette disposition constitutionnelle.757(*)

Nous pensons qu'il est en effet possible que les ordonnances prises dans ces circonstances soient susceptibles de contrôle a posteriori lorsqu'elles portent atteinte aux droits et libertés fondamentaux. En outre, la déclaration de conformité à la Constitution faite par la Cour constitutionnelle n'empêche nullement cette dernière à statuer ultérieurement sur la constitutionnalité desdites ordonnances.758(*)

Après l'écoulement de délais constitutionnels de circonstances ayant donné lieu au recours à l'article 145, il faut admettre que la Cour constitutionnelle reste compétente pour observer l'arrivée du terme.759(*)

Il faut constater que cette déclaration de conformité est donnée sans qu'au départ il n'y ait un contentieux à trancher. Il s'agit donc d'une matière gracieuse qui peut appeler par ailleurs un contentieux contre les ordonnances qui violeraient les droits et libertés fondamentaux. De ce point de vue, le droit constitutionnel congolais semble avoir cristallisé les acquis de la transition issue tant des accords du Palais du peuple que de Pretoria.760(*)

La dictature constitutionnelle semble revenir sur les plages du contrôle de constitutionnalité et conforter ainsi la prétention de la République démocratique du Congo à installer un Etat de droit constitutionnel.

Il faut cependant remarquer que le constituant congolais s'est limité à établir une saisine, toutes affaires cessantes, de la Cour constitutionnelle sans dire si cette dernière devrait aussi statuer, toutes affaires cessantes et sans désemparer. Il nous semble que telle serait la logique sous-jacente au système de l'urgence.

Il importe de noter enfin que ce régime de confusion des pouvoirs est heureusement temporaire car l'objectif ultime est le rétablissement de la situation normale dans les plus brefs délais. Le dictateur constitutionnel, à la Cincinnatus, devant rétablir l'état des choses tel qu'il était auparavant et non le modifier. Entre d'autres termes, il doit rendre au juge constitutionnel son droit de trancher dans le contentieux soumis à sa connaissance.

* 752 Voy article 16, alinéa 3 de la Constitution française du 4 octobre 1958 ; lire SOMONIAN-GINESTE (H.), Le droit constitutionnel en schémas, 2ème édition, paris, Ellipses, 2008, p. 380.

* 753 Voy article 145, alinéa 1er de la Constitution du 18 février 2006.

* 754 Voy DUVERGER (M.), Bréviaire de la cohabitation, Paris, Dalloz, 1986, p.65.

* 755 C.E.fr, 2 mars 1962, Rubin de Servens : Recueil des décisions du Conseil d'Etat, p.143 ; S.1962, 147, note BOURDONCLE ; D.1962, 109, Chronique MORANGE ; JCP 62, I, 1711, chronique LAMARQUE ; JCP 62, II, 12613, conclusions HENRY ; AJDA 1962, p.214, chroniques GALABERT et GENTOT ; GAJA, p.598 cités par T.S.RENOUX et M.de VILLIERS, Code constitutionnel, Paris, Litec, 1994, p.275.

* 756 Voy SIMONIAN-GINESTE (H.), op.cit, pp.254-256.

* 757 Il s'agit, pensons-nous, de l'apport des juristes français ou francophones, en l'occurrence les professeurs Jean Claude MASCLET de l'université Paris 1 et El Hadj MBODJ de l'Université Cheik Anta DIOP de Dakar ; lire pour les détails historiques, ESAMBO KANGASHE (J.-L.), La Constitution du 18 février 2006 à l'épreuve du constitutionnalisme. Perspectives et contraintes pratiques, Thèse de doctorat en droit public, Université Paris 1 Panthéon Sorbonne, Faculté de droit, 2009, inédit.

* 758 Aucune disposition n'interdit en effet de critiquer telles ordonnances devant la Cour constitutionnelle. C'est même ce que semble impliquer la finale de l'alinéa 2ème de l'article 162 de la Constitution du 18 février 2006 lorsqu'elle cite expressis verbis acte législatif ou réglementaire.

* 759 La violation de délais prévus par la Constitution donnerait lieu à un véritable contentieux de constitutionnalité tant elle emporte logiquement celle de la Constitution par des ordonnances qui doivent s'y conformer quelle que soit leur nature juridique.

* 760 BOSHAB (E.), « L'état d'urgence et le contrôle de la constitutionnalité des mesures d'urgence dans l'Acte constitutionnel de la transition au Zaïre », Revue de droit africain, n°2, avril 1997, 1ère année, Bruxelles, RDJA, 1997, pp.7-24.

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