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Du contentieux constitutionnel en République Démocratique du Congo. Contribution à  l'étude des fondements et des modalités d'exercice de la justice constitutionnelle

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par Dieudonné KALUBA DIBWA
Université de Kinshasa - Doctorat en droit 2010
  

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§2. L'exécution des décisions du juge constitutionnel

La question de l'exécution des décisions de la Cour constitutionnelle est résolue par l'article 168, alinéa 1er de la Constitution qui dispose que « les arrêts de la Cour constitutionnelle ne sont susceptibles d'aucun recours et sont immédiatement exécutoires. Ils sont obligatoires et s'imposent aux pouvoirs publics, à toutes les autorités administratives et juridictionnelles civiles et militaires ainsi qu'aux particuliers ».1088(*)

Cette disposition constitutionnelle appelle en écho les dispositions de l'article 62, alinéa 2 de la Constitution française du 4 octobre 1958 qui pose que « les décisions du Conseil constitutionnel ne sont susceptibles d'aucun recours. Elles s'imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités administratives et juridictionnelles ».1089(*)

La similitude est rompue entre les deux dispositions de deux ordres juridiques différents car le constituant congolais en faisant une longue énumération semble vouloir embrasser toutes les catégories d'individus revêches à l'exécution des décisions juridictionnelles. Il s'agit de l'apport de l'expérience congolaise de quarante dernières années.

La disposition congolaise pose en effet deux questions différentes.

En posant qu'il n'y a point de recours contre les arrêts de la Cour constitutionnelle, cette disposition tire les conséquences d'une déclaration d'inconstitutionnalité. La promulgation étant l'acte qui atteste que la loi a été régulièrement délibérée et votée et en ordonne l'exécution, ne peut être considérée comme une annulation. La compétence de promulgation étant cependant une compétence liée, l'usage du terme « annulation » s'est répandu en jurisprudence.

La déclaration d'inconstitutionnalité peut frapper tout ou partie des dispositions d'une loi. La première hypothèse se réalise lorsque toutes les dispositions de la loi sont déclarées inconstitutionnelles, soit quand il y inséparabilité entre les dispositions non-conformes avec l'ensemble de la loi.

La promulgation est alors interdite et il n'y a le choix qu'entre l'abandon du texte, la reprise de la procédure législative au stade de l'initiative ou la mise en oeuvre de la révision constitutionnelle, et ce, en cas de contrôle à priori. S'agissant du contrôle à posteriori, le texte qui a fait l'objet d'un contrôle positif de constitutionnalité, disparait de l'ordonnancement juridique sans autre forme de procès.1090(*)

Dans l'hypothèse d'une annulation portant sur certaines dispositions seulement de la Constitution ou sur celles dont le caractère séparable est décrété par le juge constitutionnel, il est admis que le président de la République peut promulguer la loi soit après amputation des dispositions déclarées contraires à la Constitution, soit après substitution à celles-ci de nouvelles dispositions réalisant une mise en conformité avec la Constitution.

Mais l'amputation des dispositions déclarées contraires à la constitution ne peut être que provisoire en attendant la révision de la Constitution ; ce qui permettra de les réintroduire dans un nouveau texte de loi. Il est donc utile que les conséquences d'une déclaration d'inconstitutionnalité partielle soient prévues dans la future loi organique relative à la Cour constitutionnelle.

Si en droit français, la promulgation de la loi la rend incontestable, chez-nous la loi reste attaquable pendant six mois de sa publication au Journal Officiel.1091(*) La conciliation des impératifs de sécurité juridique et de protection de droits de l'homme a amené cette formule que nous approuvons.

L'article 168, alinéa 1er de la Constitution définit, en second lieu, l'autorité de la chose jugée attachées aux décisions de la Cour constitutionnelle. Cette autorité a été définie par la doctrine comme étant une autorité absolue de chose jugée avec effet erga omnes. 1092(*)

L'autorité de la chose jugée ne joue qu'à l'égard du texte qui a été soumis au juge constitutionnel. Par rapport à l'autorité de la chose jugée telle que définie par l'article 227 du code civil livre III qui dispose que « l'autorité de la chose jugée n'a lieu qu'à l'égard de ce qui a fait l'objet du jugement. Il faut que la chose demandée soit la même; que la demande soit fondée sur la même cause; que la demande soit entre les mêmes parties, et formée par elles et contre elles en la même qualité » ; 1093(*)ne disparaît que l'exigence d'identité des parties, le contentieux de la constitutionnalité ayant, comme le contentieux de la légalité, un caractère objectif.

S'agissant de la matière d'interprétation de la constitution, il faut opiner que l'interprétation donnée par le juge constitutionnel fait corps avec la Constitution et les autres pouvoirs publics d'application violeraient la constitution s'ils ne la respectaient pas.

L'exigence d'identité de cause doit faire admettre que le juge constitutionnel ne puisse être saisi sur le fondement de l'article 128 de la Constitution, des dispositions législatives dont il avait eu déjà à connaître sur le fondement de l'article 160 de la Constitution. L'autorité de la chose jugée n'est pas opposable si le texte appliqué n'a pas été soumis au juge constitutionnel, ou bien si, l'ayant été, il n'a pas été promulgué à la suite d'une déclaration de non-conformité de la loi. Si le juge constitutionnel s'est déjà prononcé sur les dispositions qui lui sont soumises, l'autorité de la chose jugée s'impose avec force de vérité légale, mais ne s'applique qu'aux seules dispositions sur la constitutionnalité desquelles le juge constitutionnel aura expressément statué.

En droit comparé, l'on observe que l'identité d'objet est parfois remplacée par l'analogie d'objet : en effet, le conseil constitutionnel a décidé que « si l'autorité de chose jugée ne peut être en principe utilement invoquée à l'encontre d'une autre loi conçue en termes distincts, il n'en va pas ainsi lorsque les dispositions de cette loi, bien que rédigées sous une forme différente ont, en substance, un objet analogue à celui des dispositions législatives déclarées contraires à la Constitution ».1094(*)

La théorie de l'autorité de la chose jugée n'est pas indifférente en matière de contestation électorale du fait du caractère subjectif de ce contentieux.

En effet, ici, le juge constitutionnel devra dire la requête irrecevable en tant que les arrêts de la Cour constitutionnelle ne sont susceptibles d'aucun recours même si la tendance affichée est de recevoir les recours en rectification d'erreur matérielle et ceux en interprétation d'une décision de la Cour elle-même.

L'on peut légitimement discuter de la constitutionnalité de tels recours introduits dans une loi organique qui, elle-même, doit se conformer à la Constitution pour sa validité.

L'usage d' « aucun » à côté de recours rend manifestement tout autre recours, quelle que soit sa légitimité, inconstitutionnel. Et c'est pourtant l'option qu'a levée le futur législateur organique.1095(*)

Du reste, comment procéder au caractère « immédiatement exécutoire » si les recours en rectification d'erreur matérielle et en interprétation ont nécessairement pour but de retarder l'exécution du moins jusqu'au prononcé du nouvel arrêt ? On peut lire : « Tout acte déclaré non-conformes à la Constitution est abrogé de plein droit »1096(*) . Toutefois, l'inconstitutionnalité d'une ou de plusieurs dispositions d'un acte n'entraîne pas nécessairement l'abrogation de tout l'acte. L'étendue de l'abrogation est déterminée souverainement par la Cour suprême de justice.1097(*).

Dans ces conditions, l'abrogation, qui a des effets erga omnes et ex tunc (pour le présent et l'avenir), n'appelle pas, en droit congolais, une autre procédure quelconque au sein de l'Etat. La déclaration du juge constitutionnel suffit. C'est pourquoi le législateur prévoit, dans ce cas, que l'arrêt de la Cour suprême de justice, à titre transitoire, soit publié directement au Journal Officiel1098(*), afin justement d'assurer l'opposabilité à l'égard de tous alors que, notamment, les arrêts de la haute juridiction sont publiés dans un bulletin des arrêts1099(*).

Disons enfin que l'abrogation de l'acte ou de l'une ou plusieurs de ses dispositions a lieu également en cas d'interprétation de la Constitution par le juge constitutionnel. La loi prévoit, en effet, l'arrêt de déclaration d'inconstitutionnalité. Il suffit que l'acte soit déclaré inconstitutionnel pour qu'il soit abrogé de plein droit.

L'on peut affirmer que le juge constitutionnel siégeant en matière d'interprétation crée en effet une norme qui s'insère dans l'ordonnancement juridique de sorte que la loi qui n'est pas conforme à cette interprétation encourt l'abrogation de plein droit posée. Il ne s'agit pas à proprement parler d'une abrogation expresse ; il s'agit plutôt d'une abrogation implicite de plein droit. L'autorité de la chose interprétée par le juge constitutionnel s'attache ainsi à toute loi postérieure qui ne serait qu'inconstitutionnelle et donc abrogée avant même d'exister.

Cette description de l'autorité de la chose jugée attachée par le constituant lui-même aux décisions de la Cour constitutionnelle permet de voir à présent comment cette exécution se déroule à l'égard des parties au procès constitutionnel avant d'examiner les mêmes effets à l'égard des tiers et des pouvoirs publics.

A. A l'égard des parties

A l'égard des parties à l'instance de constitutionnalité, il est plus que patent que l'arrêt a effectivement autorité immédiate de chose jugée. En effet, dès le prononcé, le ministère public, et dès la signification de l'arrêt pour ce qui est du requérant, l'arrêt ainsi rendu est exécutoire sans autre formalité. L'on peut raisonnablement se poser la question de l'apposition de la formule exécutoire sur les arrêts de la Cour constitutionnelle.

En effet, faute d'une disposition légale interdisant telle apposition sur lesdits arrêts, la formule exécutoire serait à apposer sur ces décisions même si, il faut le dire, des termes mêmes de la loi fondamentale il ressort le caractère exécutoire qui a une source dans la Constitution et de ce fait, pourrait dispenser le greffier de cette formalité. Mais le Chef de l'Etat étant le chef de l'Administration, il serait bon que l'ordre d'exécuter émane de lui par le biais de la formule exécutoire apposée par un fonctionnaire de l'Etat régulièrement désigné.

La publication ultérieure au journal officiel de l'arrêt ne change rien à la force exécutoire de l'arrêt qui détient cette force de la Constitution de sorte que l'apposition de la formule exécutoire est manifestement sans objet. A l'égard des parties, surtout en matière électorale, l'autorité de la chose jugée agit de façon péremptoire. En est-il de même des tiers penitus extranei ?

B. Vis-à-vis des tiers penitus extranei

La notion de tiers peut paraître étrange dans un contentieux objectif. Cependant, comment ne pas voir qu'un étranger qui débarque en République démocratique du Congo est concerné par l'article 162 de la Constitution qui ouvre la saisine à toute personne ? Est-ce que le délai de six mois pour attaquer les actes législatifs publiés qui est consacré dans le droit public congolais futur s'oppose à lui ? Généralement, cet étranger pourrait légitimement faire état de l'ignorance des lois du pays sans que l'on lui excipe de manière légitime le « nul n'est censé ignorer la loi » qui fonctionne lorsque le journal officiel parait régulièrement et dans le pays d'origine de cet étranger.

Avouons que cette hypothèse est rarissime mais elle peut se produire.

Il faudra donc décider que vis-à-vis des tiers penitus extranei, l'arrêt sera non pas immédiatement exécutoire mais exécutoire dès la publication au journal officiel. Il s'agit, l'on s'en doute, d'une exigence de l'Etat de droit de n'appliquer des normes aux particuliers que dans la mesure où ceux-ci les connaissent. La situation n'est pas la même lorsqu'il s'agit des pouvoirs publics.

C. A l'endroit des pouvoirs publics

L'expression « pouvoirs publics » que le constituant congolais a utilisée est de plus globalisante. En effet, le terme recouvre une multitude d'autorités publiques allant du Chef de l'Etat au chef du quartier d'une commune rurale. C'est dire que le constituant a voulu que toutes les autorités publiques au Congo soient assujetties aux décisions du juge constitutionnel et malgré ce terme qui est générique, il a éprouvé la nécessité de citer les autorités administratives et juridictionnelles, civiles et militaires. Nous pensons que le constituant a voulu briser à l'avance les inerties fonctionnelles qui émanent des catégories qu'il cite. Comme on le sait depuis la seconde guerre mondiale, en démocratie, la majorité peut s'abuser ou être abusée1100(*) si elle n'est pas contrôlée ou encadrée.1101(*)

Il est connu que, de tous les pouvoirs dans l'Etat, ce sont le législateur et le gouvernement qui sont portés à violer la Constitution pour la simple raison que ce sont les instances qui sont au fait de l'action. En effet, il est presque naturel que ceux qui agissent soient enclins à se donner des libertés avec les normes suprêmes en ce qui est de l'action quotidienne.

C'est le fondement même du contrôle de constitutionnalité en République démocratique du Congo qui a connu une longue période d'autocratisme dont Paul-Gaspard Ngondankoy dit que « l'un des travers de cette conception du Pouvoir (...) réside précisément non seulement dans cette considération exagérée de la figure du chef, mais surtout dans la mise au pas de toutes les structures chargées, à un titre quelconque, du contrôle du Pouvoir ».1102(*)

Une socialisation est donc nécessaire tant à l'égard des autorités publiques que vis-à-vis des élites de la Nation pour une culture du droit constitutionnel. Le tassement du contentieux public provient, aux dires de la doctrine congolaise, de cet aspect socio-psychologique. Le peuple a appris depuis des lustres à craindre le chef au point que les actes juridiques sont perçus comme un prolongement de la personnalité de ce dernier. Attaquer l'acte du supérieur revient, dans cet environnement, à s'attaquer à la personne du chef.1103(*)

Par effet d'accoutumance, le chef lui-même subit de la sorte un feedback amplificateur négatif qui ne lui permet guère de pousser la population au respect du droit qui commande paradoxalement une vigilance des actes juridiques posés par les autorités politiques. Dès lors, la culture du droit passe par une socialisation des élites dans le cadre d'une culture qui encense les valeurs de l'Etat de droit. La valeur essentielle dans cette conception et son implication théorique première sont le culte du droit et la transfiguration du visage du juge qui apparaît ainsi comme le rouage essentiel de l'Etat.1104(*)

Et dans ce travail de socialisation, les instances gouvernementales ont une tâche primordiale.

1. Les autorités gouvernementales

Il arrive souvent qu'en raison de la nature complexe des activités du gouvernement, ce dernier soit en effet porté à violer les droits et libertés garantis par la Constitution au nom de l'efficacité de son action. Deux approches sont possibles : un encadrement juridictionnel de ce pouvoir dont cette étude est la trame essentielle ainsi que l'encadrement politique.

Dans cette perspective, la réclamation de la démocratie renvoie à la formule développée par Georges Vedel et reprise par El Hadj M'bodj. D'après cette formule «l'exercice du pouvoir d'Etat par la majorité est soumis au contrôle de l'opposition et à l'arbitrage du peuple»1105(*). On peut dire qu'à la séparation classique des pouvoirs qu'exige tout régime démocratique, se substitue, une séparation politique entre la majorité et l'opposition sous l'arbitrage cumulé du peuple (par la voie des élections) et du juge chargé de veiller à la régularité des lois.

La réflexion permet de soutenir que la consolidation de la démocratie passe par le renforcement de la capacité d'action des acteurs politiques. Elle conduit à la définition d'un cadre juridique et politique qui détermine les droits et devoirs de la majorité et de l'opposition ainsi que leurs rapports respectifs.

La recherche d'un statut de l'opposition est devenue une préoccupation partagée par les acteurs et partenaires au développement de l'Afrique. Au cours de la conférence sur « le bilan de la démocratisation en Afrique », organisée à Libreville par l'Assemblée Internationale des Parlementaires de Langue Française, un plaidoyer a été fait en faveur de la généralisation d'un statut de l'opposition en Afrique1106(*). La réclamation a fini par dépasser le cadre du discours politique pour s'intégrer dans le domaine des réformes institutionnelles. L'adoption d'un statut particulier pour l'opposition dont les droits et devoirs se distillent dans ceux des partis et regroupements politiques légalement constitués1107(*) devient délicate.

En République Démocratique du Congo, la reconnaissance des droits et devoirs de l'opposition politique ne semblent pas avoir préoccupé le constituant. La question n'a pas été abordée avant l'élaboration de la Constitution du 18 février 2006. Il n'a pas existé de corps de règles spécifiques garantissant les droits et les obligations de l'opposition.

Cette situation a fait dire à Jacques Djoli Eseng'Ekeli que la problématique de l'opposition au Congo se pose en termes de transfert du droit et de la démocratie1108(*). Le transfert du droit dépasse, «celui du texte juridique pour atteindre le transfert des représentations associées et donc de la démocratie. Or, ces représentations ne s'exportent pas. Pour tout dire, le droit n'est pas seulement les textes mais surtout ce qu'en font les acteurs»1109(*).

Pour matérialiser ce transfert, le constituant a décidé de consacrer le caractère sacré des droits et activités de l'opposition politique ainsi que sa lutte pour la conquête démocratique du pouvoir1110(*).

La loi n°07/008 du 04 décembre 2007 portant statut de l'opposition politique1111(*)constitue de ce fait « l'aboutissement d'un consensus politique émergeant de plusieurs luttes pour la conquête des droits autour des valeurs et principes républicains qui doivent désormais caractériser le système politique congolais. Il s'agit notamment du pluralisme politique, de l'alternance démocratique au pouvoir et la reconnaissance de la différence»1112(*).

Gage de stabilité politique, l'opposition politique a le droit de critiquer ouvertement l'action du gouvernement et de contribuer à l'amélioration de la conduite des affaires de l'Etat1113(*). Elle a particulièrement droit d'être informée de l'action de l'Exécutif. L'opposition a également le droit de critiquer ladite action et, le cas échéant, formuler des contre propositions, sous réserve du respect de la loi, de l'ordre public et des bonnes moeurs.

Il est reconnu à l'opposition le droit de présider alternativement avec les députés et sénateurs de la majorité, les travaux des commissions de contrôle ou d'enquête de l'action de l'Exécutif ou d'en être rapporteur. L'opposition peut faire inscrire des points à l'ordre du jour des Assemblées délibérantes1114(*). Le droit à l'information reconnu à l'opposition politique est garanti sur toutes les questions importantes de la vie de la Nation1115(*). Les représentants de l'opposition à différents niveaux ont droit d'être reçus par les autorités ou leurs représentants, soit à leur demande, soit à l'initiative de ces autorités1116(*).

Au-delà de ces affirmations théoriques, il reste le pouvoir réel de la sanction du non respect par les autorités gouvernementales des prescrits constitutionnels. La seule garantie est donc culturelle car la culture du droit opère le transfert dont parle Jacques DJOLI et constitue ainsi un rempart contre les violations massives de la loi constitutionnelle.

Les mécanismes du recours constitutionnel comme ceux de recours en annulation pour excès de pouvoir devant le juge administratif ne peuvent atteindre leur objectif que lorsqu'ils sont intégrés dans l'habitus du peuple congolais. Autrement, ils seront de l'ordre du décorum institutionnel.

Et pourtant, il n'est pas inutile de constater ici que la violation intentionnelle de la Constitution est une infraction constitutionnelle susceptible d'entrainer la déchéance du gouvernement même si le mécanisme procédural de la mise en accusation des autorités gouvernementales procède d'une volonté - n'en déplaise à certains- de ne pas poursuivre.

L'hypothèse risque de ne pas être réalisable tant la composition de la majorité parlementaire fera que ces autorités ne soient guère dérangées par le procureur général près la Cour constitutionnelle. Par ailleurs, la bonne moralité dont doit jouir l'élite politique reste finalement le seul rempart contre les abus de pouvoir qui peuvent se rencontrer aussi au sein du pouvoir législatif.

2. Le parlement

Cette instance est depuis le mouvement constitutionnaliste européen la clef de voute du système politique. Le transfert du pouvoir d'Etat du monarque vers une assemblée élue a été l'innovation de ce courant d'idées de la fin du 18ème siècle cependant les affres de deux dernières grandes guerres en Europe ont indiqué que les majorités peuvent opprimer.

La théorie rousseauiste de la représentation a marqué ses limites à l'épreuve de la réalité de la société. En effet, les expressions législatives de la majorité politique peuvent aller à l'encontre des valeurs sociales qui sont véhiculées dans la constitution. En outre, c'est le lieu de dire que le contrôle de constitutionnalité doit se concevoir comme un social control car la Constitution, comme le contrôle qui assure sa protection, est avant tout un des éléments de la culture d'un peuple.

Il n'est pas possible en réalité que la constitution soit protégée si d'une part, elle ne contient pas des valeurs essentielles d'un peuple et d'autre part, elle n'est pas perçue comme un fait culturel. Le mimétisme qui a caractérisé le constitutionnalisme africain et congolais est la preuve de l'inefficacité des mécanismes.1117(*)

Le plaidoyer sera à ce niveau d'ordre sociologique : non seulement que le peuple doit être réellement représenté au sein du parlement mais surtout ses aspirations doivent être prises en charge par le texte fondamental. La logique poussée au bout conduit inexorablement à la reconnaissance des tribus comme des sujets de droit capables de s'exprimer et d'être entendues. A défaut d'un mécanisme d'expression officiellement installé, elles se comporteront clandestinement mais dans le sens des intérêts qui ne sont pas toujours ceux de l'Etat.1118(*)

Voilà pourquoi nous revenons à l'idée centrale que chaque peuple a non seulement sa Constitution, mais aussi un corpus des valeurs supérieures auxquelles il croit et qui sont consignées dans la constitution et pour lesquelles un contrôle juridictionnel doit être organisé. Les suites de l'hitlérisme ont produit la valeur « liberté » au sein de l'Europe de sorte qu'aucune constitution européenne ne peut être tenue pour telle si elle ne renferme pas cette valeur. Dès lors, le contrôle constitutionnel qui en est fait est orienté vers cette valeur suprême de l'Occident.1119(*)

Ce background idéologique est essentiel pour comprendre l'utilité opératoire du contrôle juridictionnel des gouvernants surtout ceux qui possèdent le pouvoir exécutif dans l'Etat. Il faut cependant dire que les craintes du peuple vis-à-vis des juridictions sont minces par rapport à celles exprimées à l'endroit d'autres pouvoirs dans l'Etat.

Toutefois, les violations du droit par les juges touchent, l'on s'en doute, plus directement les citoyens que les violations, disons, abstraites de la Constitution par les autres pouvoirs publics.

3. Les juridictions

Lorsqu'un arrêt est rendu sur la non-conformité d'une loi, il s'impose à toutes les juridictions de la République de sorte qu'il n'est pas pensable le conflit que l'on a observé ailleurs entre le Conseil d'Etat et la Cour de cassation. L'autorité des décisions de la Cour constitutionnelle est donc supérieure à celle attachée aux arrêts du Conseil d'Etat et de la Cour de cassation. Cette autorité est donc spéciale dans la mesure où elle s'impose même sur les juridictions suprêmes de deux ordres de juridiction prévus par la constitution.

Le droit congolais ne dispose nullement d'une possibilité offerte aux juridictions de contester les décisions même illégales de la Cour constitutionnelle. Une telle autorité ne peut être renversée que par la volonté constituante qui change ainsi le cours jurisprudentiel et lui imprime les atténuations nécessaires pour assurer le contrôle du contrôleur.

La question du contrôle du contrôleur est loin d'être une hypothèse d'école. Aussi est-il bon que le juge constitutionnel soit à la fois attaché au texte et à la prudence pour assurer efficacement son rôle de régulateur de la vie politique. Ce rôle aussi pose le problème en fin des comptes de la nature de la Cour constitutionnelle dans le paysage institutionnel et politique d'un pays.

En effet, la Cour est certainement un pouvoir constitué d'une nature particulière dans la mesure où il faut les décisions de l'autorité souveraine pour renverser l'autorité de ses dires pour droit. Une telle place avoisine- on l'a certes vu plus loin- celle du pouvoir constituant.

Par ailleurs, il n'est aucun doute dans la théorie que les normes jurisprudentielles d'annulation d'une loi ont au moins la même nature que celles qu'elles annulent. C'est le principe de l'équivalence des normes qui s'induit de la théorie de la pyramide normative kelsenienne.1120(*)

Pour conclure, il est bon de noter que les juridictions par le biais du recours constitutionnel sont placées sous l'autorité de la Cour constitutionnelle dont les arrêts s'imposent à elles quel que soit leur degré dans la pyramide juridictionnelle. Par accoutumance, disons aussi qu'il est plutôt rare de voir la rébellion s'installer entre une haute Cour et les juridictions inférieures. La raison se trouve dans l'esprit somme toute caporaliste qui caractérise la magistrature de notre pays.

Il s'agit d'étudier, selon une approche de droit comparé, comment s'opère la réception de la jurisprudence du juge constitutionnel dans les jurisprudences des juges ordinaires. L'étude de la réception de la jurisprudence constitutionnelle par les juridictions ordinaires met, en effet, en lumière la coexistence inter-systémique du juge constitutionnel et des juridictions de droit commun en matière de protection des droits fondamentaux.

Si, jusqu'à l'avènement du juge constitutionnel, le juge ordinaire a été le juge naturel des droits fondamentaux, aujourd'hui, au sein d'un même ordre juridique, diverses juridictions suprêmes se partagent ce contentieux avec, pour point commun, la même difficulté à établir une répartition claire des compétences.

Dans ce contexte de fractionnement, il est important que le juge constitutionnel unifie ce contentieux. Toutefois, tant que les juridictions, avec lesquelles il doit collaborer, restent des juridictions souveraines, force est de constater qu'aucun mécanisme ne peut réellement les contraindre à s'aligner sur la jurisprudence constitutionnelle.

Aussi bien et pour cela, faudra-t-il rechercher si le dialogue des juges, nécessairement né de cette pluralité de pôles dialogiques, a pour conséquence, d'une part, d'unifier ou, au contraire, de disperser le contentieux des droits fondamentaux et, d'autre part, de renforcer ou d'amoindrir la protection de ces droits.

La question mérite, en effet, d'être posée, car, à la vérité, si cette multiplication des juges susceptibles d'intervenir en la matière a été créée avec la volonté sincère de renforcer la protection des droits fondamentaux des citoyens, il se peut fort bien qu'elle produise le résultat inverse, conduisant, à terme, à affaiblir ce contrôle juridictionnel.

Bien plus, à partir de l'analyse des expériences française, belge et allemande que nous avons privilégiée, il sera possible de s'interroger, plus généralement, sur ce que doit être la fonction même d'une juridiction constitutionnelle.

Que conclure ?

* 1088 Voir article 168 de la Constitution du 18 février 2006.

* 1089 Voir article 62 de la constitution française du 4 octobre 1958 telle que révisée à nos jours.

* 1090 C'est l'implication logique, sémantique et juridique des mots nullité de plein droit utilisés par le constituant congolais.

* 1091 Lire article 49 de la proposition de loi organique relative à l'organisation et au fonctionnement de la Cour constitutionnelle, inédit, p.14.

* 1092 FAVOREU (L.) et RENOUX (Th. S.), « Le contrôle de la constitutionnalité des actes administratifs », Répertoire Dalloz du contentieux administratif, Paris, Dalloz, 1991.

* 1093 Lire article 227 du code civil congolais livre III, Codes Larcier, Kinshasa, Bruxelles, Afrique éditions, Larcier, 2001, tome 1, p.161.

* 1094 CC, décision n°89-258 DC, 8 juillet 1989, Recueil des décisions du Conseil constitutionnel, p.48. ; JCP 90, II, 21409, note Claude FRANCK ; AIJC 1989, chronique de Bruno GENEVOIS.

* 1095 Lire l'article 97, alinéa 3 de la proposition de la loi organique déjà citée.

* 1096 Voir l'article 134, alinéa 1er, Ordonnance-loi portant procédure devant la Cour suprême de justice.

* 1097 Voir l'article 134, alinéa 2 et 3 du même texte.

* 1098 Voir l'article 135, du même texte.

* 1099 Voir l'article 28, in fine, du texte cité ci-dessus.

* 1100 MATHIEU (B.) et VERPEAUX (M.) (sous la direction de), L'intérêt général, norme constitutionnelle, Paris, Dalloz, Cahiers constitutionnels de Paris I, 2007, p.2.

* 1101 Lire BOSHAB (E.), «République démocratique du Congo: le spectre de la Constitution virtuelle devant la Commission constitutionnelle», Revue de droit africain, n° 6, 1998, pp. 139-141; BOSHAB (E.) « République démocratique du Congo : Etat unitaire à régionalisation constitutionnelle ou fédéralisme assourdi », même Revue, n° 7, 1998, pp. 292 et s.

* 1102 NGONDANKOY NKOY ea LOONGHYA (P.G.), op.cit, thèse précitée, p.15.

* 1103 DJELO EMPENGE OSAKO, L'impact de la coutume dans l'exercice du pouvoir en Afrique noire, Louvain-la- Neuve, Le Bel élan, coll. « Esprit libre », 1990, p. 115. Effectivement, aux termes de l'article 44, alinéa 5, de la Constitution révisée le 15 août 1974 : « Les Décisions d'Etat (émanant du Bureau Politique) obligeaient, selon le cas, le Conseil Législatif ou le Conseil Exécutif à préparer les textes législatifs ou à élaborer les règlements conformes ». Or l'interdiction du port des cravates était, une décision du Bureau politique du MPR.-Parti-Etat ! La décision ne fut cependant pas traduite dans un texte législatif de caractère pénal. La condamnation du Tribunal de la sous-région de Ndjili, à cause du « tollé » qu'il suscita dans les milieux nationaux et internationaux, fut d'ailleurs, dans la droite logique des sociétés autocratiques, « désavouée » par le Guide de la Révolution lui-même lors d'un meeting, mettant du coup le juge d'appel en situation d'acquitter tous les prévenus !

* 1104 CHEVALLIER (J.), L'Etat de droit, 2ème édition, coll. Clefs/Politique, Paris, Montchrestien, 1994.

* 1105 EL HADJ M'BODJ, Les garanties éventuelles du Statut de l'opposition, ....op.cit, p. 41.

* 1106 Idem, p.30.

* 1107 Ibidem.

* 1108 DJOLI ESENG'EKELI (J.), Problématique de l'opposition,...op.cit, p. 101.

* 1109 Idem, p.102.

* 1110 Article 8.

* 1111 Journal Officiel de la République Démocratique du Congo, numéro spécial du 10 décembre 2007, pp. 1- 10.

* 1112 Exposé des motifs, p. 2.

* 1113 Journal Officiel de la République Démocratique du Congo, numéro spécial du 10 décembre 2007, pp. 2 et 4.

* 1114 Article 8 de la loi du 4 décembre 2007.

* 1115 Article 9 de la loi du 4 décembre 2007.

* 1116 Article 10 de la loi du 4 décembre 2007.

* 1117 Voy KAYEMBA NTAMBA MBILANJI, « Modernité sous l'identité culturelle d'emprunt en Afrique noire postcoloniale », Annales de la Faculté de Droit, Vol.IV-VII, Kinshasa, PUZ, 1984, pp.63-76.

* 1118 Dans ce sens, et avec une belle démonstration, lire E.BOSHAB, Pouvoir et droit coutumiers à l'épreuve du temps, Louvain-la-Neuve, Academia-Bruylant, 2007 ; DJOLI ESENG'EKELI (J.), Le constitutionnalisme africain. Entre la gestion des héritages et l'invention du futur, Paris, éditions Connaissances et Savoirs, 2006.

* 1119 Lire la convention européenne de sauvegarde de droits de l'homme et des peuples de 6 janvier 1950.

* 1120 Lire TROPER (M.),« Le bon usage des spectres du gouvernement des juges au gouvernement par les juges », Le nouveau constitutionnalisme, Mélanges en l'honneur de Gérard CONAC, Paris, Economica, 2001, pp. 49-65 ; HEGEL (G.W.F.), Leçons sur la philosophie de l'histoire, Paris, Librairie philosophique J.Vrin, 1987.

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"Ceux qui vivent sont ceux qui luttent"   Victor Hugo