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Sciences et Politiques institutionnelles au Burkina Faso: élaboration et réformes de la Constitution de la IVème République

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par G. Jean Luc ZONGO
Université Ouaga II Burkina Faso - DEA sciences politiques 2011
  

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Chapitre II : Dans les politiques de révision de la constitution.

Une fois la constitution adoptée, elle va connaitre un certain nombre de retouches conformément à ses propres principes. Ces révisions seront de nouveau l'occasion d'un recours multiforme aux savoirs dans le but de les fonder ou les contester rationnellement.

De façon générale, on peut dire que le constituant originaire lui-même n'a d'ailleurs pas été insensible au fait que les savoirs sont un appui indispensable à l'action publique. On constate en effet, à la lecture de la constitution, qu'il consacre l'appel à l'expertise et l'institutionnalise à travers la constitutionnalisation de structures dont la mission est de pourvoir à ce besoin nécessaire d'éclairage93(*). Ainsi, le constituant originaire attribuait à ces structures la mission non seulement de donner des « avis techniques » et des « recommandations » dans leur domaine de compétence, mais aussi de faire des « investigations » et de produire des « rapports94(*) » à la demande ou à l'intention des gouvernants. Les remaniements dont ces dispositions ont fait l'objet n'ont pas entamé cette reconnaissance constitutionnelle de l'importance des savoirs scientifiques dans le processus décisionnel et dans les rapports entre les institutions républicaines.

On observe également que le Burkina Faso reproduit le modèle français d'une expertise administrative rapprochée du décideur par la création de « dispositifs internes d'information et d'étude à même de favoriser l'appropriation de données et de préparer les décisions95(*). » Cependant, tout ceci n'a pas rendu indispensable le recours à l'expertise de structures ad hoc mises en place de gré ou sous la pression de la rue. En outre, les associations de la société civile ont de nouveau joué un rôle non négligeable, souvent de premier plan dans la production et la diffusion des savoirs sur les institutions politiques. Nous traiterons par conséquent, dans un premier temps, de l'État et des sciences dans les politiques de révision constitutionnelles (Section I) et dans un deuxième temps, de la production et de la socialisation militante des savoirs scientifiques sous la quatrième République (Section. II).

Section I : L'État et les sciences dans les politiques réformatrices.

Il convient ici de distinguer d'une part les structures ad hoc de production d'expertise (§ I) qui sont mises en place officiellement et d'autre part les structures permanentes intégrées (§II) qui font parties de l'armature institutionnelle de l'État.

§1 : Les structures ad hoc de production d'expertise

Elles sont au nombre de six, et il est difficile de dire exactement sur quel modèle elles sont construites, tant le mélange est inextricable et donne une mixture difficile à qualifier. I. Théry distinguait trois modèles : l'expertise de service, l'expertise de consensus et l'expertise d'engagement, à la suite de R. Castel qui ne mentionnait que les deux premiers96(*). Quant à B. Ancori, il reprenait la typologie diachronique de P.-B Joly, qui comprenait quatre modèles : un « modèle standard » (années 1950-1970), le « modèle de la consultation » (années 1970-début des années 1980), le « modèle standard révisé » (début des années 1990 aux États-Unis) et enfin le « modèle de la co-construction » (depuis la fin des années 1990 en Europe)97(*). Les formes concrètes expérimentées au Burkina Faso cumulent plusieurs éléments à la fois. Mais, il n'a jamais été question de confier la mission d'expertise à un seul individu dans le domaine des politiques institutionnelles ici étudiées.

Si ces mélanges gomment les frontières entre les différents modèles d'expertise, il est cependant possible de regrouper les six structures en deux grandes catégories en ce qui concerne le cas burkinabé : il s'agit d'une part des structures ad hoc intervenant hors crise (B), et d'autre part, des structures ad hoc intervenant en temps de crise (C). Mais avant d'aborder ces deux points, il convient de traiter d'abord de l'origine ou des fondements des structures ad hoc intervenant hors crise (A).

A) L'origine ou les fondements des structures ad hoc intervenues hors crise

La plupart de ces structures trouvent leur source dans les engagements internationaux de l'État et dans la politique de solidarité ou de générosité98(*) menée par les pays développés au profit des pays du sud conformément aux objectifs que visait la charte des Nations Unies. En effet, afin de « créer les conditions de stabilité et de bien-être nécessaires pour assurer entre les nations des relations pacifiques et amicales », « le Conseil Économique et Social devait être le sommet coordinateur d'une galaxie d'agences spécialisées des Nations Unies, dans l'effort pour aider les nations du monde à entreprendre une offensive coordonnée, à l'échelle mondiale, contre la misère, le chômage et les autres causes économiques et sociales de la tension internationale et de la guerre.99(*)» Pour prévenir une longue et stérile pratique d'aide au développement, les institutions des Nations Unies se sont donc interrogées sur les « conditions structurelles préalables du développement100(*) ». Un groupe d'experts mis sur pied en 1950 rapportait que « le progrès économique ne se produit que si l'atmosphère est favorable, [...] et si les institutions sociales, économiques, juridiques et politiques sont favorables au progrès101(*)». Éclipsé par la « guerre froide », les conclusions de ce rapport vont refaire surface après celle-ci, et orienter les actions d'aide au développement des institutions spécialisées des Nations Unies comme le PNUD de même que l'intervention des institutions de Bretton-Woods. Professant l'apolitisme jusque là, ils vont désormais sommer les pays en voie de développement « d'entreprendre des réformes institutionnelles aussi bien sur le plan économique que politique pour promouvoir l'économie de marché et la démocratie libérale102(*) ».

La chute du mur de Berlin et le discours de la Baule ont consacré symboliquement le triomphe de la démocratie et forger la notion de « la conditionnalité démocratique103(*) » de l'aide au développement. C'est dans cette logique que naîtra l'aide internationale à la démocratie qui vient s'ajouter à l'aide publique au développement. Les candidats à cette aide devaient s'engager à faire les réformes nécessaires à l'avènement d'une démocratie véritable. D'où il est apparu la nécessité de procéder par des diagnostics préalables afin de proposer les solutions idoines à même de les rendre plus efficaces. Une telle stratégie se nourrissait d'un principe cher à la science politique américaine du début du XXe siècle selon lequel pour mieux agir sur la réalité, il faut d'abord la connaître104(*). Le passage obligé par des diagnostics à l'échelle nationale était donc incontournable pour déceler les tares de la gouvernance économique et démocratique. Pour ce faire, aux plans mondial et régional, des organisations, aussi bien intergouvernementales que transnationales ont été créées, certaines pour apporter une aide au diagnostic indispensable à l'entreprise de consolidation démocratique, d'autres pour le conduire ou simplement y encourager.

B) Les différents types de structures ad hoc constituées hors crise

C'est dans ce contexte que sont nés, au plan international, l'Institut International pour la Démocratie et l'Assistance Électorale (International IDEA) (1) et, au plan régional le Mécanisme Africain d'Évaluation par les Pairs (MAEP) (2). Quoique permanents au plan international, leurs interventions au niveau des États est ponctuelle. L'importance accordée à la dimension démocratique du développement économique est telle que, dans les documents du planisme burkinabé (3), l'expertise sur les institutions politiques se mêle à l'expertise économique. L'institution d'un Conseil Consultatif sur les Réformes Politiques (CCRP) est en revanche une initiative délibérée du pouvoir politique (4).

1) La Mission d'Analyse d'International IDEA sur la démocratie au Burkina Faso

International IDEA est une organisation internationale créée en 1995 par quatorze États qui seront rejoints plus tard par cinq autres105(*). Il s'est donné pour « mandat général de promouvoir et faire avancer la démocratie viable dans le monde entier et, dans ce contexte, d'améliorer et consolider les processus électoraux106(*) ». Dans son rapport annuel de 1999, il se définit comme « la seule organisation internationale ayant pour unique mandat la promotion de la Démocratie107(*) ». À cette fin, « l'institut s'efforce d'esquisser des options et de présenter des perspectives; de créer des forums de débat et des lieux d'échange pour le bénéfice mutuel; et de fournir des informations qui permettront à d'autres acteurs d'acquérir le savoir et la compréhension nécessaires pour la consolidation de la démocratie 108(*)». C'est ainsi que dans le cadre de son programme pour un développement démocratique durable, l'institut international pour la démocratie et l'assistance électorale a conduit au Burkina Faso une mission d'analyse de l'état de la démocratie. Au cours de cette mission, les institutions politiques burkinabés ont été passées au crible de la raison par des spécialistes issus de diverses disciplines scientifiques : droit, science politique, économie, histoire, linguistique109(*). À l'issue de cette mission, un rapport de plus de cent quatre-vingt (180) pages a été produit sous la direction notamment de M. René Otayek, professeur de science politique et actuel directeur du centre d'études d'Afrique noire à Bordeaux avec soixante-et-dix (70) suggestions et recommandations dont onze (11) concernent directement la constitution. Ce rapport a été un moment important parce qu'il a catalysé et cristallisé la doctrine juridique et politique des universitaires Burkinabé sur le régime de la IVe République burkinabé. International IDEA affirme lui-même ne pas être « un institut de recherche mais sert plutôt de passerelle entre les institutions académiques et les organisations internationales et nationales qui participent au développement démocratique. Il s'efforce d'intégrer l'expérience, les leçons et les perspectives des universitaires avec celles des politiques, et de transmettre celles-ci aux responsables politiques et aux acteurs sur le terrain ». L'intervention d'International IDEA Burkina Faso s'est effectuée avec l'appui d'un groupe de contact composé de personnalités du monde universitaire et de la société civile. Ce groupe sera plus tard, le groupe fondateur du CGD.

Cette première expérience en matière de diagnostic des institutions va connaître un renouvellement à travers le Mécanisme Africain d'Évaluation par les Pairs que l'on peut considérer comme un instrument régional d'expertise des systèmes politiques.

2) Le Mécanisme africain d'évaluation par les pairs (MAEP)

L'adoption du NEPAD au tout début du XXIe siècle comme une nouvelle stratégie de développement économique pour l'Afrique du IIIe millénaire a été très vite suivie par une prise de conscience officielle panafricaine de l'indivisibilité entre développement durable et « avancée des valeurs élémentaires de démocratisation et de bonne gouvernance110(*) ». La nécessité d'instituer un Mécanisme Africain d'Évaluation par les Pairs (dont le « but ultime » serait d' « encourager l'adoption de politiques, normes et pratiques en vue de promouvoir la stabilité politique, une croissance économique élevée, un développement durable et une intégration économique sous-régionale et continentale accélérée grâce au partage des expériences et au renforcement des meilleures pratiques et des acquis, y compris l'identification des lacunes et l'évaluation des besoins dans le domaine du renforcement des capacités111(*) »), est apparue comme une nécessité impérieuse. La mise en oeuvre effective de cet instrument va exiger la mobilisation d'un certain nombre de scientifiques africains dans le but « de mettre sur pied des équipes pluridisciplinaires pour une approche holistique des problèmes112(*) ». Ainsi l'on voit bien que la réussite du MAEP impose un détour par les sciences, et les principes exprimés dans les points 4, 6, et 7 du document de base du MAEP ne se sont pas privés d'insister sur l'obligation de requérir des personnes compétentes et indépendantes pour la conduite de l'évaluation. Le respect de cette obligation est considéré par les responsables du MAEP comme un gage de légitimité et de crédibilité du mécanisme.

Le Burkina Faso, qui a adhéré au MAEP en mars 2003, va donc faire de nouveau l'expérience d'une expertise de haute qualité de son système politique. Commencée en 2007, son évaluation prendra fin en 2008. La procédure, qui comporte cinq phases, a bénéficié de l'intervention des institutions techniques de recherche burkinabé113(*) dans la phase d'auto-évaluation avant de connaître dans les dernières phases celle d'experts africains étrangers au Burkina. La procédure s'achève par un rapport de 555 pages remis aux autorités politiques avec des recommandations dont plusieurs suggèrent des réformes constitutionnelles à la IV e République.

3) Le planisme burkinabé

Selon J. Meynaud, « la planification conduit les dirigeants responsables du plan à effectuer deux séries de démarches : des estimations et des décisions globales d'une part, des examens et des choix sélectifs de l'autre114(*) ». De telles opérations nécessitent donc une importante contribution de la part de techniciens aux compétences intellectuelles variées. Les plans, dont il sera question ici, sont en grande partie l'oeuvre de spécialistes engagés par les organismes de coopération internationale et par l'État burkinabé. Le planisme burkinabé, comme d'ailleurs tout planisme, comporte donc une dimension scientifique incontestable. Il peut être définit comme un mode d'action, surtout économique, qui consiste à élaborer, en guise de tableau de bord, des plans d'activités échelonnées sur plusieurs années. Pour le Burkina Faso, il s'agit notamment :

- du Plan national de bonne gouvernance adopté en 1998 et remplacé en 2003 par la politique nationale de bonne gouvernance115(*) ;

- de l'étude nationale prospective « Burkina 2025 », dont la rétrospective politique a été réalisée par le Pr. Augustin Loada et le docteur Louis Armand Oualy.

- des documents de stratégie pays 2001-2007 et 2008-2013 (Burkina Faso - communauté européenne);

- du plan stratégique de développement du parlement du Burkina Faso 2004-2014

- du plan cadre des nations unies pour l'aide au développement UNDAF116(*) 2011- 2015 ;

- du Cadre Stratégique de Lutte contre la Pauvreté (CSLP) relayé par la Stratégie de Croissance Accélérée et de Développement Durable (SCADD) 2011-2015

Sur la question de la gouvernance politique et démocratique, ces différents plans livrent des diagnostics convergents. Ils constituent ainsi des cadres de production d'expertise sur les institutions politiques burkinabé avec l'objectif affiché de les améliorer afin que leurs défaillances ne portent pas préjudice aux politiques économiques définies avec l'appui des partenaires techniques et financiers ou bailleurs de fonds internationaux. Si de tels cadres sont, dans une certaine mesure, imposés par ces bailleurs de fonds, il arrive aussi que, en dehors de toute crise, une structure ad hoc soit mise en place pour répondre à un besoin sincère ou non de consolidation démocratique des institutions. C'est le cas du Conseil Consultatif sur les Réformes Politiques.

4) Le Conseil Consultatif sur les Réformes Politiques (CCRP).

Crée le 13 avril 2011, il rappelle dans sa forme, aussi bien la commission constitutionnelle de 1990 que la commission de concertation sur les réformes politiques mise en place le 23 novembre 1999 sur recommandation du collège de sages. Ils ont tous en effet été crée par décret du Président de la République. Petit-fils de ces instances autonomes, sa composition l'apparente également à ces deux prédécesseurs (Partis politiques, société civile et autres organisations, avec trois ONG oeuvrant dans la gouvernance politique). Mais sa mission diffère beaucoup de celle que ceux-ci avaient à remplir. En effet, alors que la commission constitutionnelle avait la mission de produire l'avant-projet de constitution, et la commission de concertation sur les réformes politiques, celle « de connaître du fonctionnement de la démocratie au Burkina Faso » dans le but de formuler des solutions pour son perfectionnement, le conseil consultatif sur les réformes politiques a plutôt pour « mission d'arbitrer les axes de réformes proposés par les acteurs et partenaires de la vie nationale et de dégager un document de synthèse globale des idées, ressortant les points de consensus ainsi que les points non consensuels à soumettre au gouvernement117(*) ». Un travail beaucoup plus simple qu'une méthode comparative pourrait permettre de mener à bien. En effet, c'est la même chose que si le gouvernement demandait aux « acteurs et partenaires de la vie nationale » de lui poster une synthèse de leurs « idées » relatives aux réformes politiques. Il suffirait de les relier tous ensemble pour avoir le document demandé. Il n'est donc, pour l'instant, consultatif que de nom ; la structure consultative classique étant celle qui produit des avis techniques sur un problème donné en s'autosaisissant ou en répondant à une demande expresse118(*) faite de façon ad hoc ou dans le cadre de ses missions. Sa vraie tâche réside ailleurs. Il ne s'agit pas pour lui comme pour ses ancêtres de déterminer le contenu des politiques institutionnelles envisagées, mais de servir d'arbitre ou de médiateur dans le combat des « acteurs de la vie politique nationale » pour la détermination du contenu des réformes. Mais est-il bien conçu pour jouer le rôle d'arbitre ? On peut en douter, car il n'est qu'une reproduction en miniature des « acteurs et partenaires de la vie nationale » dont il doit cependant départager les éventuelles dissensions. Comment pourrait-il jouer le rôle d'arbitre alors qu'on l'a constitué au fond comme une tribune où chaque composante de la société est plutôt appelée à défendre ses positions contre celles des autres ? Il y a donc un conflit entre sa composition et sa mission. C'est certainement pour cette raison qu'il a subi plusieurs critiques et réserves dès sa naissance si bien qu'il se pourrait que dans les jours à venir, il fasse l'objet d'un remaniement, surtout pour tenir compte de la situation de crise que traverse le Burkina. Dans cette hypothèse, il pourra être compté parmi les structures ad hoc des temps de crise qui jalonnent les différents soubresauts de l'histoire politique burkinabé.

C) Les structures ad hoc constituées en temps de crise

Vers la fin de l'année 1998, le Burkina Faso est happée par une crise nationale sans précédent dans son histoire politique, aussi bien par sa durée que par sa profondeur. En effet, les secousses que le pays subit depuis l'assassinat un 13 décembre de cette année-là de Norbert ZONGO, écrivain et journaliste d'investigation de renom, sont d'une telle magnitude que les fissures traversent même le seuil du troisième millénaire. Malgré les gesticulations et les gestes d'apaisement que le pouvoir entreprend, le mouvement social réuni au sein du CODMPPO119(*) ne faiblit pas. C'est dans ce contexte que sont mis en place le collège des sages (1) et la commission des réformes politiques (2) dont les missions étaient de faire des propositions à même de tirer le pays de l'ornière.

1) Le collège des sages

Annoncé par le discours du chef de l'État en date du 21 mai 1999, il est effectivement installé le 1er juin suivant par le décret n°99-158/PRES portant création, composition et missions du collège des sages. Sa composition s'articule autour de trois catégories de personnalités : les anciens chefs d'État, les notabilités religieuses et coutumières, et les personnes ressources. Il s'agit d'individus dont la légitimité à montrer la voie vraie et juste tient plus à autre chose qu'à une compétence spécifique comparable à celle de l'expert dans laquelle ils excelleraient tous plus que quiconque. L'objectif formellement affiché par le pouvoir était en effet de créer un collège de sages comprenant des « personnalités créditées pour chacune d'entre elles de vertus d'intégrité et de droiture morale120(*) ». Ce choix et le critère qui le guide sont déterminés par le contexte de crise sociale et la paranoïa qui imprègne les rapports des protagonistes.

Mais au regard de leurs missions, c'est proprement un travail d'expertise qui leur est confié. Celui-ci se rapproche beaucoup du modèle de l'expertise d'engagement121(*) quoique le critère déterminant de leur désignation ait été plutôt les vertus et la droiture morale que l'excellence dans un domaine donné du savoir. Ceci ne veut pas dire qu'ils n'étaient pas assez doctes pour traiter des questions qui leur étaient soumises. Il s'agit même d'une sorte de recours à la sophocratie platonicienne à laquelle J. Meynaud fait allusion lorsqu'il tente une définition de la technocratie au Chapitre IV de son ouvrage sur la technocratie122(*).

Il leur est demandé concrètement, dans un délai de quarante-et-cinq (45) jours123(*) de :

- « Passer en revue tous les problèmes pendants qui sous-tendent la crise actuelle »

- « proposer le traitement à réserver à tous les crimes impunis ainsi qu'à toutes les affaires d'homicide résultant ou présumées résulter de la violence en politique, pour la période allant de 1960 à nos jours ».

- « faire des recommandations susceptibles de promouvoir la réconciliation nationale et la paix sociale 124(*)»

Le rapport que le collège des sages remet le 30 juillet 1999 contient 110 recommandations dont 14 propositions de réformes constitutionnelles. En outre, la recommandation 2.3.8.1. propose la mise en place d'une commission ad hoc consensuelle composée de représentants de la société civile et de partis politiques aussi bien du pouvoir que de l'opposition dont la mission sera de préparer les textes pour la conduite des modifications préconisées.

2) La commission de concertation sur les réformes politiques

D'abord dénommée commission de concertation des partis politiques125(*), les réserves et les suspicions dont elle a fait l'objet ont obligé à la rénover de fond en comble aussi bien sur le plan de ses compétences que de sa composition. Elle prendra désormais le nom de commission de concertation sur les réformes politiques126(*). Son caractère consultatif souligné dans le premier décret est supprimé. Ses membres doivent militer pour la mise en oeuvre des recommandations qu'elle aura suggérées. En plus des vingt membres paritairement répartis entre les partis de la majorité présidentielle et les partis d'opposition, elle intègre dix représentants de la société civile127(*) et quatre facilitateurs. Cette composition paritaire et l'adjonction de facilitateurs dénotent du caractère politique de l'instance et de la volonté de rechercher un compromis politique sur les solutions scientifiques à la situation de crise que traverse le pays. D'un côté, l'objectif visé officiellement à travers sa création était en effet d'« établir le dialogue sur les règles du jeu démocratique128(*) ». Mais de l'autre, cette commission devait avant tout, « connaître du fonctionnement de la démocratie au Burkina Faso129(*) » dans un délai de 30 jours. L'article 4 du deuxième décret énumère exhaustivement les questions dont elle devra traiter. Son règlement intérieur à l'article 12 prévoit en cas de besoin, de faire « appel à toute personne ressource à l'effet de se pencher sur des points précis des débats130(*) ». De plus, pour son rapport, elle dit s'inspirer de rapports antérieurs131(*) traitant déjà des problèmes qu'elle est appelée à résoudre. Elle évoque et rejette apparemment des suggestions faites par International IDEA et esquive certaines questions en les estimant complexe ou difficile à résoudre en peu de temps ou encore devant échoir à d'autres instances étatiques. Fait-elle vraiment de l'expertise ? Elle en fait un peu mais elle semble surtout avoir procédé à des choix entre les différentes options déjà proposées par plusieurs expertises antérieures et recommandé comme solution celles sur lesquelles elle a pu obtenir un consensus au sein de ses membres. Ainsi, à propos de la constitution, elle adopte les recommandations faites par le collège des sages à propos de l'article 37 et évoque des problèmes constitutionnels relatifs au statut de l'opposition sans proposer de solutions132(*). Dans les politiques institutionnelles réformatrices, elle semble avoir servi de promontoire à certaines des solutions scientifiques proposées jusque là pour la résolution des problèmes institutionnels que connaissait l'État burkinabé de la IVe République.

* 93 Cf. Constitution du 02 juin 1991 : article 109, 141 et 142

* 94 Cf. articles 141 et 142 de la Constitution non révisée du 02 juin 1991.

* 95 CADIOU S., Savoirs et action publique : un mariage de raison ? L'expertise en chantier, op cit p. 116

* 96 Théry I., Expertises de service, de consensus, d'engagement : essai de typologie de la mission d'expertise en sciences sociales, Op Cit.

* 97 Bernard Ancori, Expertise et citoyenneté : les grecs anciens et nous de l'agora antique aux forums hybrides modernes, op. Cit.

* 98 Tibor Mende De l'aide à la recolonisation. Les leçons d'un échec, éditions du seuil, 1972, p.55

* 99 Ibid. p.56

* 100 Ibid. p.57

* 101 Measures for the Economic Development of Under-Developed Country, Report by a Group of Experts appointed by the Secretary-General of United nations, New York, 1951, E/1968 ST/ECA/10, cité par Tibor Mende, De l'aide à la recolonisation, Op cit. p.58

* 102 Cf. A. Loada, Les fortunes d'un concept anglo-saxon en Afrique francophone: la réception du concept de 'good govemance. http://www.google.com/search?q=Loada%2C+les+fortunes+d'un+concept+anglo-saxon&ie=utf-8&oe=utf-8&aq=t.

* 103 Cf. Bolle S., La conditionnalité démocratique dans la politique africaine de la France, http://www.afrilex.u-bordeaux4.fr/sites/afrilex/IMG/pdf/2dos3bolle.pdf

* 104 « Soucieux d'améliorer les institutions existantes, tous [les différents présidents de l'American Political Science Association : il s'agit de Goodnow, Price, Lowel et Wilson] croient fermement que les études politiques doivent avoir une utilité directe pour l'action politique pratique. Mais pour pouvoir réformer, il faut d'abord observer et connaître les faits. C'est-à-dire rompre avec la tendance précédente à la philosophie ou à la théorie politique, prêchant ce qui devrait être au lieu de décrire ce qui est.» Schwartzenberg, R.-G., Sociologie politique. Éléments de sciences politiques, 2ème édition, Éditions Monteschieu, Paris, 1974. p. 9

* 105Membres fondateurs : Australie, Barbade, Belgique, Chili, Costa Rica, Danemark, Finlande, Inde, Pays-Bas, Norvège, Portugal, Afrique du Sud, Espagne, Suède. Adhérents : Botswana, Canada, Ile Maurice, Namibie, Uruguay.

* 106 Cf. Conférence de fondation de l'Institut pour la Démocratie et L'assistance Électorale : Déclaration. http://www.idea.int/upload/Declaration.pdf

* 107 Rapport annuel International IDEA La démocratie en devenir, p.7 cf. http://www.idea.int/

* 108 Ibid. p.4

* 109 Des vingt-et-six personnes impliquées, on comptait dix Juristes (professeurs, magistrats et avocats confondus), sept politologues (professeurs et docteurs), deux économistes (docteur et consultant) un historien (docteur), un ethnolinguiste (doctorant), un journaliste, quatre professionnels, provenant de différents pays dont la Belgique, le Benin, le Canada, l'Espagne, la France, le Mali, les Pays-Bas, le Sénégal et bien évidemment le Burkina Faso.

* 110 MAEP, Huitième réunion du Forum pour le partenariat avec l'Afrique, Berlin, Allemagne 22 au 23 mai 2007, cf. site web www.ouestaf.com

* 111 Marie Angélique SAVANE Sociologue Membre du Panel du MAEP « Mettre en oeuvre la gouvernance par la recherche en Afrique : le mécanisme africain d'évaluation par les pairs (MAEP) du NEPAD » symposium chercheurs-décideurs : impact de la recherche sur la prise de décision politique pour la bonne gouvernance Yaoundé 21-22 juin 2006, Cameroun, cf. www.idrc.ca/uploads/user-s

* 112 Ibid. p.6

* 113 Dont le CGD, qui s'occupait du volet « démocratie et gouvernance politique» Cf. Julien K. Natielsé Le processus du MAEP au BURKINA FASO Janvier 2009 In www.compressdsl.com. Les autres institutions techniques sont : l'INSD, l'ISSP, et le CAPES.

* 114 Jean Meynaud, La technocratie. Mythe ou réalité? Paris, Les Éditions Payot, 1964. Nous utilisons l'édition électronique publiée par le Site web: http://classiques.uqac.ca/, p 264.

* 115 Le plan national de bonne gouvernance a couvert la période 1998-2003. La politique nationale de bonne gouvernance qui l'a relayé va de 2003 à 2015.

* 116 United Nations Development Assistance Framework

* 117 Cf. Conseil des ministres du 13 Avril 2011, in L'Observateur Paalga du Jeudi 14 avril 2011, n°7861

* 118 Cf. J. Meynaud, Les techniciens et le pouvoir. In: Revue française de science politique, 7e année, n°1, 1957, pp. 5-37, http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rfsp_0035-2950_1957_num_7_1_392403

* 119 Collectif des Organisations Démocratiques de Masses et de Partis Politiques.

* 120 Discours à la nation du chef de l'État, 21 mai 1999.

* 121 « Dans laquelle un spécialiste est mandaté à la fois pour proposer une analyse scientifique, établir un diagnostic et s'engager sur des propositions pour l'action (réformes juridiques, réformes des politiques publiques) [...] En effet, la caractéristique de l'expertise d'engagement est qu'il n'est nullement demandé au spécialiste mandaté d'établir quelle est la démarche qui peut faire consensus, mais à l'inverse d'argumenter clairement une option possible parmi d'autres. »Théry I, Expertises de service, de consensus, d'engagement : essai de typologie de la mission d'expertise en sciences sociales, op cit.

* 122 J. Meynaud, La technocratie. Mythe ou réalité? Paris : Les Éditions Payot, 1964, 297 pp.

* 123 Article 6 du décret N°99-158/PRES portant création composition et missions du collège des sages

* 124 Ibid., article 3

* 125 Décret n°99-389/PRES/PM du 29 octobre 1999 portant création d'une commission de concertation des partis politiques.

* 126 Décret n°99-417/PRES/PM portant création d'une commission de concertation sur les réformes politiques.

* 127 Les mouvements syndicaux, les mouvements féministes, les associations de licenciés (ALDRO), le Barreau, les mouvements des droits de l'homme en raison de 2 par association.

* 128 Article 1 du décret n°99-417/PRES/PM portant création d'une commission de concertation sur les réformes politiques.

* 129 Ibd.

* 130 Cf. Le règlement intérieur de la commission In Sidwaya n°3920 du 27 décembre 1999, supplément p.X

* 131 Le rapport du collège de sages du 10 juillet 1999, le rapport public 1998 du conseil supérieur de l'information, le mémorandum du 09 novembre 1997 des avocats du Burkina Faso, Sidwaya n°3920 du 27 décembre 1999, supplément p.II

* 132 « Soulignons qu'au plan parlementaire, les articles :

- 114 qui permet à un tiers (1/3) de députés de signer la motion de censure ;

- 157 qui autorise un cinquième (1/5) au moins des membres de l'Assemblée nationale à saisir la cour suprême ;

- 154 qui impose la majorité qualifiée de ¾ pour l'adoption d'un projet de révision de la constitution étant ainsi un moyen de blocage pour l'opposition, toutes ces dispositions participent du statut de l'opposition pour peu que celle-ci ait une certaine importance numérique à l'Assemblée Nationale ». Il s'agit en fait des articles 115, 157, 164 de la constitution du 11 juin 1991.

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