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Sciences et Politiques institutionnelles au Burkina Faso: élaboration et réformes de la Constitution de la IVème République

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par G. Jean Luc ZONGO
Université Ouaga II Burkina Faso - DEA sciences politiques 2011
  

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§2: La volonté d'instrumentaliser le recours aux savants et aux savoirs scientifiques à des fins de légitimation.

Selon M. Uhalde338(*), l'instrumentalisation, qui peut prendre plusieurs formes, peut être définie de plusieurs façons. Il peut être entendu comme « le détournement d'un processus ou d'un objet vers d'autres fins que celles initialement conçues ». Ce peut être aussi « un détournement illégitime au regard de valeurs ou de conceptions normatives inscrites dans le processus ». Dans ce sens, il peut s'agir d' « une démarche d'analyse sociologique initiée en réponse à un conflit social, mais qui relève plus d'une pratique de communication institutionnelle que d'une volonté de comprendre la réalité » ou encore « une utilisation partielle et orientée de résultats d'enquête, servant d'arguments complémentaires pour conforter des options de décision ou de revendication déjà arrêtées ». Enfin, l'instrumentalisation peut prendre le sens d'un « usage conformiste des résultats de recherche visant à protéger des positions acquises ou des pouvoirs institués plutôt qu'à transformer les rapports sociaux».

Dans les problématiques institutionnelles ici étudiées, l'instrumentalisation prend des formes qui ne sont pas loin de celles qui viennent d'être définies. Dans la politique constitutionnelle de 1990, il y a eu la tentative d'instrumentaliser la notion de démocratie, les mécanismes de la démocratie, les structures dites techniques et la commission constitutionnelle elle-même que nous avons considérée dans sa totalité comme une structure originale d'expertise. Il s'agissait pour le Front Populaire de faire comme si le processus était conduit démocratiquement, c'est-à-dire avec l'adhésion de tout le peuple burkinabé et d'imposer au contraire dans les faits une constitution qui assure la continuité de la révolution démocratique et populaire. Cette stratégie transparaît dans ces propos du ministre délégué à la coordination du Front Populaire qui était en même temps le président de la commission des affaires politiques de ce même Front : « on [pourrait] dire que nous avons des insuffisances dans la mesure où ce que nous faisons n'est pas transparent, ou encore que les normes que nous avons qualifiées de révolutionnaires ne sont pas des normes reconnues par l'ensemble du peuple. Il nous faut maintenant porter ces normes à la connaissance de l'ensemble du peuple339(*) ». Autrement dit, pour que ces normes déjà toutes faites340(*) ne soient pas critiquées par l'opposition burkinabé et le reste du monde, il faut une astuce qui permette de les passer devant le peuple avant de les ériger en loi fondamentale. Le seul problème qui se posait pour le Front Populaire était donc en réalité la question des formes démocratiques qui devaient permettre de saupoudrer le processus d'élaboration de la constitution et fournir les preuves qui permettent de pouvoir dire en fin de compte qu'elle est le produit de la volonté du peuple. La commission constitutionnelle s'est vue en outre imposée des limites quant aux sources qui devaient l'inspirer dans la rédaction de l'avant-projet de constitution341(*). L'invitation aux assises nationales d'intellectuels français342(*) peut également être regardée comme une volonté de jouer du tambour au tour du processus constitutionnel et de mettre en exergue son soi-disant caractère démocratique et ouvert.

Dans la phase de mise en oeuvre des institutions et de conduite des politiques institutionnelles réformatrices, cette volonté d'instrumentaliser à des fins de légitimation est restée à l'oeuvre. On la perçoit derrière les politiques de décrispation sociale produites à l'occasion de grandes crises socio-politiques comme le drame de Sapouy. L'appel à la "sophocratie" lancé à travers le collège de sages et la création des commissions comme celle chargée des réformes politiques s'accompagnaient d'une rhétorique qui révélait assez les intentions inavouées du pouvoir politique. En effet, les décisions gouvernementales de création des structures de résolution de la crise mettaient toujours l'accent sur le caractère facultatif des conclusions et résolutions qu'elles produiront à tel point que le GERDDES-Burkina s'en indignait dans une déclaration publiée au journal Sidwaya du 8 novembre 1999343(*). C'était afficher clairement l'intention de garder par-dessus tout le droit de réserver le sort qu'il souhaite aux recommandations ou avis qui pourraient en découler, et de donner l'impression de rechercher sérieusement la résolution des problèmes soulevés quand au fond il cherche simplement à les refroidir dans le temps.

De même, dans le cadre de la coopération institutionnelle qui, depuis les années 90 va désormais de pair avec la coopération économique344(*), nombreux sont les hommes de sciences, politologues, juristes et autres, qui ont été commis à la réalisation de travaux d'expertise sur les institutions politiques. Il en a résulté, dans ces documents fondamentalement économiques, une littérature savante sur les institutions républicaines développée sous les rubriques réservées à la bonne gouvernance. Celle-ci fera aussi l'objet de plans distincts345(*). Développée depuis le début des années qui ont suivi la chute du mur de Berlin, elle n'a contribué aucunement au perfectionnement des institutions politiques centrales burkinabé. Ainsi, si A. Loada voyait déjà dans l'appropriation du concept de "good governance", une stratégie de légitimation entreprise par les élites politiques, un regard rétrospectif permet aujourd'hui d'ajouter qu'il a aussi été victime d'instrumentalisation à certains égards. Instrumentalisation non seulement du concept, mais aussi des recommandations que les études normatives qu'elle implique produisent. Sans jamais déboucher sur des réformes sérieuses, les études de bonne gouvernance à titre principal ou simplement connexes à des documents économiques constituent en clair, une stratégie de séduction des bailleurs de fonds internationaux. Malgré le sommet France-Afrique tenu au Burkina Faso en décembre 1996 sous le signe de la bonne gouvernance, malgré les nombreux discours qui lui ont donné écho depuis lors, l'article 37 de la constitution burkinabé (qui porte sur la limitation du nombre de mandats présidentiels) a été par exemple révisé contre vents et marées le 27 janvier 1997. En 1998, le rapport sur la démocratie au Burkina Faso publié par International IDEA, dont la plupart des fondateurs sont des partenaires techniques et financiers du Burkina Faso est tombé aujourd'hui dans les oubliettes. Le même sort semble guetter la partie politique du rapport du MAEP au regard des tendances déjà à l'oeuvre dans les propositions de réformes faites par le parti majoritaire, et de la position du gouvernement exprimée sous la rubrique « commentaires et corrigenda du gouvernement burkinabé » qui récuse des conclusions importantes du rapport. Mais, tout en réfutant ces vérités critiques livrées par cette expertise sur le système politique burkinabé, on a vu le même gouvernement se magnifier aux yeux du monde par la reprise publique des aspects positifs qu'elle a notés, comme relevant des acquis à mettre au compte de son action gouvernementale346(*).

Cette instrumentalisation est belle et bien une stratégie qui n'est qu'un secret de polichinelle puisque dans sa préface au rapport du MAEP sur le Burkina, le président Meles Zenawi s'est senti obligé de préciser que cet instrument ne doit pas être perçu « comme une nouvelle grille de critères liées à l'aide des bailleurs ». On pourrait entendre par là qu'il ne faut pas s'en faire et qu'il faut laisser produire des documents fiables au lieu de chercher à biaiser les résultats car les bailleurs n'en tiendront pas compte pour débloquer les fonds347(*).Pour parler familièrement, toute cette course au devant des experts (en institutions politiques) nationaux ou internationaux dans la dynamique de la coopération économique internationale ressemble fort à de la poudre aux yeux. Une étude publiée en 2010 dévoile ce double jeu des États en développement soutenus par l'Union Européenne dont on sait l'attachement aux valeurs démocratiques et l'action dans ce domaine. Cette investigation révèle qu'en fait, les États assistés considèrent l'Union Européenne comme un simple partenaire commercial et négligent ses appels aux réformes susceptibles de démocratiser davantage les institutions étatiques348(*). Dans ces conditions, on ne peut que déboucher sur des paradigmes politico-scientifiques déviants comme modèles dominants.

* 338 M. Uhalde, L'instrumentalisation de la sociologie en situation d'intervention : analyse critique d'une notion ordinaire, Sociologies Pratiques 2008/1, N° 16, p. 95-113.

* 339 Cf. Sidwaya 16 février 1990, n°1462, conférence de presse du ministre délégué à la coordination du Front populaire.

* 340 En effet, selon toujours le ministre, « il s'agira pour nous de recenser les connexions qui existent au sein de l'appareil politique, au sein de l'appareil administratif, qui existent entre l'appareil politique et l'appareil administratif. Il nous faut connecter tout ceci en tenant compte de la partie juridique de notre Révolution, je veux parler de tout ce qui est TPC, TPR, etc. Il nous faut tenir compte de tout cela pour qu'enfin notre peuple à travers un document unique puisse se prononcer ... Voilà ce que nous appelons renforcement de la révolution par l'écriture de la constitution ». Selon lui c'est claire, « la constitution doit approfondir la RDP ». Ibid.

* 341 L'article 4 du Kiti n°an VII 0279/FP du 20 avril 1990 disposait que « la commission constitutionnelle est chargée de la rédaction d'un avant-projet de constitution sur la base des directives et des matériaux mis à sa disposition par le Comité exécutif du Front populaire. L'avant-projet de constitution devra être soumis à l'examen d'un congrès du Front populaire ».

* 342 Edmond Jouve, Yves Dousset avocat, docteur en droit, maître de conférence des facultés de droit

* 343 Cf. Sidwaya n° 3885, « ... il nous a paru superfétatoire que les décrets insistent sur le caractère consultatif des commissions, sauf à vouloir heurter la susceptibilité des partenaires, à éveiller leurs légitimes suspicions et à leur donner le sentiment que leurs travaux n'engageront qu'eux seuls. [...] Le GERDDES-Burkina estime que la notion qui devrait être mis en exergue dans les deux décrets, c'est le caractère consensuel des décisions à pendre par les deux commissions. [...] Le GERDES-Burkina reste disponible pour apporter sa contribution dans la recherche de solutions de sortie de crise, à condition que le consensus prévale dans la formulation de toute structure créée à cet effet ».

* 344 A. Loada, Les fortunes d'un concept anglo-saxon en Afrique francophone: la réception du concept de "good governance" www.grandslacs.net/doc/1175.pdf

* 345 Cf. Supra, Le planisme burkinabé.

* 346 Déclaration de politique générale de son excellence monsieur Tertius Zongo, premier ministre burkinabé, chef du gouvernement prononcée devant l'assemblée nationale le 17 mars 2011 In http://www.gouvernement.gov.bf/spip.php?article645. Il affirme que « Le rapport du Mécanisme africain d'évaluation par les pairs (MAEP) reconnaît d'ailleurs que " La révision du cadre institutionnel et juridique, y compris la charte des partis politiques et le fichier électoral, mais aussi les questions des droits humains, de la transhumance politique et de l'accessibilité de la justice pour les masses, font partie de cet effort d'enracinement de la démocratie et de la gouvernance politique" ».

* 347 Une volonté de paraître démocratique à tout prix. Le témoignage de Norbert Zongo (réalisé en juillet 1997), que Article 19 a republié dans Issue n°54 Décembre 1999, « Burkina Faso: Un an après et toujours pas de justice. A la mémoire de Norbert Zongo » peut éclairer davantage ces mises en scène d'hypocrisie démocratique. Dans ce témoignage, l'écrivain et journaliste d'investigation raconte les difficultés qu'il a rencontrées pour créer son journal et la stratégie qu'il a employé pour enfin le faire paraître sans être inquiété. Selon les dispositions légales en vigueur à cette époque, celui qui veut créer son journal en reçoit le récépissé au plus tard un mois à compter de la date de dépôt de la demande. Mais six mois après, il n'avait pas toujours son récépissé. Profitant d'une invitation du gouvernement danois qui lui demande de représenter les écrivains d'Afrique de l'Ouest à une rencontre au Danemark, il publie les premiers numéros de son journal peu de temps avant le départ. « S'ils m'arrêtent, dit le journaliste, la conférence n'aura pas lieu. Les Danois sauront qu'il n'y a pas la liberté de presse. S'ils me laissent, le journal sort. Voila! Donc, j'ai sorti le journal juste avant de partir. C'était un bon moment. On avait besoin d'argent également, il fallait dire que la liberté de presse va très bien ».

* 348 IDEA, Démocratie en Développement. Consultations globales sur le rôle de l'Union européenne dans la construction de la démocratie In http://www.idea.int/publications/democracy_in_development/fr.cfm

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"Il existe une chose plus puissante que toutes les armées du monde, c'est une idée dont l'heure est venue"   Victor Hugo