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Sciences et Politiques institutionnelles au Burkina Faso: élaboration et réformes de la Constitution de la IVème République

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par G. Jean Luc ZONGO
Université Ouaga II Burkina Faso - DEA sciences politiques 2011
  

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Section II : Le paradigme politico-scientifique.

Dans l'ouvrage qu'il a écrit en hommage à H. Marcuse (La technique et la science comme « idéologie »), J. Habermas décrit, dans une perspective historique, les rapports qui ont liés la science et le « monde vécu social349(*) ». Il débouche sur une typologie restée célèbre qui distingue trois modèles de rapport entre sciences et « politique pratique350(*) » : le décisionnisme, la technocratie et le pragmatisme. Le but de cette section est de voir dans lequel de ces modèles le Burkina Faso peut être rangé en ce qui concerne la problématique spécifique des rapports entre les sciences et les politiques institutionnelles en question. Si la technocratie et le décisionnisme (§1) peuvent être considérés, du point de vue de Habermas, comme des paradigmes déviants, le pragmatisme qu'il considère comme l'idéal n'est pas toujours appliqué de façon satisfaisante dans la réalité et peut même parfois cacher une stratégie dilatoire (§2).

§1: La technocratie et le décisionnisme

Le décisionnisme et la technocratie sont les deux extrêmes de la taxinomie habermassienne. Si dans le premier cas la science est considérée comme se trouvant dans une situation ancillaire et d'impuissance par rapport aux hommes politiques et à la détermination des fins ultimes351(*), dans le deuxième cas elle tient presqu'exclusivement la suprématie dans la conduite des affaires de la cité. La technocratie relèguerait ainsi le politique à un statut appendiculaire. Le pouvoir qu'offre la science ravit à l'homme politique verbeux, intéressé et inefficace, le droit de gouverner désormais la cité. À ce propos, A. Huxley écrivait : « savoir, c'est pouvoir, et par un paradoxe apparent il se trouve maintenant que ce sont les scientifiques et les techniciens qui, grâce à leur savoir de ce qui se passe dans un monde non vécu d'abstractions et de déductions, ont acquis cette puissance immense et croissante qui est la leur, dirigent et modifient le monde dans lequel les hommes ont à la fois le privilège et l'obligation de vivre352(*) ». C'est en quelque sorte, le monde tel que le souhaitait Saint-Simon et A. Comte même si pour le premier il s'agissait plus d'une technocratie d'affaires que d'un pouvoir de savants353(*). Pour J. Meynaud, la technocratie résulte d'un « glissement de compétences » lorsque « le technicien, en tant que tel, acquiert la capacité de décider ou détermine, de manière prépondérante, les choix du responsable officiel354(*) ». Quoique selon une enquête réalisée par le CGD sous l'égide de World Values Survey Association (WVSA), « une majorité absolue [de Burkinabé] préfère avoir des experts, en lieu et place du gouvernement, qui prennent des décisions en fonction de ce qu'ils pensent être meilleur pour le pays355(*) », un tel modèle est inexistant à l'état pur au Burkina Faso où l'administration est fortement politisée et où les nominations se font très souvent sur la base de critères d'appartenance politique et non de compétence technique356(*). Il est davantage absent dans le domaine des politiques institutionnelles relatives à la constitution et à ses réformes, qui apparait comme la chasse gardée des tenants du système politique. Cette suprématie des politiques sur les techniciens est le terreau du décisionnisme.

Les résultats auxquels nous sommes parvenus grâce à l'analyse du degré de réceptivité des décideurs politiques et de la nature des rapports qu'ils entretiennent avec « les groupes de savoirs357(*) » nous permettent d'affirmer qu'au Burkina Faso, le modèle le plus marquant dans le domaine des politiques institutionnelles étudiées est en effet celui du décisionnisme. Dans ce domaine, et pour reprendre les termes de J. Copans, les fusils des intellectuels engagés et des structures d'expertise sont « chargés à blanc358(*) ». Ils prêchent dans le désert, tandis que l'État et le parti décident dans l'isolement, et ce, malgré le discours officiel sur le dialogue qu'on veut faire prévaloir dans l'édification des règles du jeu démocratique. Le démonisme que M. Weber voyait dans les hommes politiques de son temps tient donc également ceux qui ont entre leurs mains les destinées du Burkina. Les politiques ne se sentent aucunement tenus d'accorder une grande attention aux recommandations, qu'elles émanent des structures d'expertises ad hoc et intégrées ou qu'elles proviennent des acteurs du militantisme démocratique au premier rang desquels nous avons cité les think tanks de la démocratie et de la bonne gouvernance. Cette ignorance ou négligence des dirigeants à l'égard de la plupart des savoirs mobilisés au profit des politiques publiques est parfois considérée comme une faute imputable aux chercheurs qui, premièrement ne conduiraient pas des recherches utiles et utilisables par les politiques, et deuxièmement, s'enfermeraient dans leur tour d'ivoire comme pour ne pas avoir "les mains sales359(*)". Préjugés ou vérités ? Ce qui est certain, c'est que de telles analyses ne sont que trop inopérantes pour rendre compte du champ de recherche que nous investiguons. Au regard des analyses précédentes, l'intérêt des "groupes de savoirs" pour les problèmes institutionnels n'est plus à démontrer. La proximité de certains organes d'expertise avec les centres de décision, la stratégie de dissémination menée par d'autres pour diffuser les résultats de leurs recherches, les méthodes mêmes employées360(*) par certains think tanks dans la conduite de celles-ci, témoignent de la réalité d'un tel intérêt.

Autrefois (1957), un auteur (J. Meynaud) attribuait le décisionnisme des politiques aux insuffisances des sciences sociales et notamment de la science politique361(*). Ce qui confinerait les hommes politiques à l'intuitionnisme. Mais on ne peut pas dire que les sciences sociales et notamment la science politique des années 2000 sont restées au même niveau de développement après un demi-siècle de dynamisme. Aujourd'hui, certains sociologues estiment plutôt que l'inefficacité de ces sciences pour l'action est due au fait qu'elles ne cessent de polémiquer sur les résultats de leur recherche, ce qui susciterait l'incertitude et découragerait le décideur qui a besoin de savoir les tenants et les aboutissants de ce qu'il fait362(*). Sans discuter la portée d'un tel argument, il convient cependant de relever que les analyses scientifiques menées sur le système politique burkinabé sont presque unanimement partagées par les groupes de savoirs et autres acteurs de la société civile et même par les dirigeants politiques dans les documents de coopération économique signés avec les partenaires techniques et financiers.

Par conséquent, le problème se situe au niveau des politiques. Quand ceux-ci n'ignorent pas absolument les savoirs mobilisés, c'est d'un revers de la main qu'ils les rejettent en invoquant les discours du président du Faso363(*), des arguments fallacieux364(*) ou les thèses pseudo-scientifiques et culturalistes sur l'inadéquation de la démocratie occidentale aux réalités africaines365(*). Le problème de la négligence des intellectuels et des savoirs qu'ils peuvent produire et mobiliser au profit des décideurs politiques avait d'ailleurs été soulevé par le collège de sages. Pour y remédier, il recommandait de « mettre à contribution les intellectuels qui, dans le respect des exigences intellectuelles et avec un sens aigu de la responsabilité, peuvent éclairer et enrichir les débats en vue de décisions responsables et participatives dans la conduite des affaires de la Nation366(*) ». Les études récentes du CGD, ont préconisé également le même paradigme politico-intellectuel. Elles ont non seulement suggéré que, dans le travail parlementaire, « l'appui technique des assistants parlementaires et des organisations de la société civile367(*) » soit régulièrement sollicité, mais aussi, que dans la dynamique pré-législative des révisions constitutionnelles, « les animateurs des milieux de recherche et/ou académiques368(*) » soient étroitement associés à travers des demandes d'informations ou des consultations. Mais « les groupes au pouvoir », pour reprendre encore les termes de J. Copans, ne paraissent pas prêts, en raison de leur condescendance, à vivre une telle expérience369(*). La possession du pouvoir semble impliquer pour eux la possession infuse ou magique d'un savoir encyclopédique ou d'une puissance devant laquelle le vrai et le faux ne sont que des filatures d'araignée. C'est donc une vue juste que celle de J. Copans selon laquelle l'absence de « dialogue entre publics, utilisateurs et producteurs de savoirs, donne à la scène africaine une tonalité schizophrénique370(*) ». Certes, il arrive que le régime reconnaisse ses imperfections (dans les documents de coopération économique internationale ou dans d'autres documents officiels371(*)), mais les solutions qu'elles impliquent ne sont jamais adoptées. Tout porte à croire que les tenants du régime font l'impasse sur toutes les solutions qui sont de nature à provoquer le glissement du pouvoir vers d'autres mains conformément aux principes fondamentaux de la démocratie. À ce jour, la grande majorité des propositions n'ont fait l'objet ni d'une mise en application, ni d'une attention particulière. Dans un tel contexte, les expériences de modèles dialectiques ne peuvent être qu'intermittentes.

* 349 Habermas: La technique et la science comme « idéologie », op. cit.

* 350 Ibid.

* 351 C'est la conception wébérienne du rôle du savant et de la science par rapport à la politique. Cf. M. Weber, Le savant et le politique ainsi que ses Essais sur la théorie de la science. Traduit de l'Allemand et introduit par Julien Freund. Paris : Librairie Plon, 1965, 539 pages. Collection : Recherches en sciences humaines, no 19. Édition électronique, http://classiques.uqac.ca/

* 352 Cité par Habermas, la technique et la science comme idéologie, op. cit.

* 353 J. Meynaud, La technocratie. Mythe ou réalité ? Op. cit. p. 161

* 354 Ibd. p.34

* 355 CGD, Les burkinabé et les valeurs, 2007. Les résultats de cette enquête par sondage ont fait l'objet d'un débat le 13 novembre 2008 à Ouagadougou.

* 356 C'est une réalité incontestable révélée depuis 1998 par le rapport d'international IDEA qui observait déjà que, « dans l'administration publique et parapublique, la répartition des responsabilités obéit à des considérations davantage politiques que méritocratiques ou techniques, ce qui nuit à la mise en oeuvre d'une véritable bonne gouvernance ». Depuis lors, c'est devenu presqu'un lieu commun. Le Collège de sages (Domaine politique et administratif, point 2-1-6), le rapport du MAEP (qui en parle itérativement : pp. 10, 16, 75, 106, 123, 145, 202, 222, 392, 408, etc.) et les études du CGD (dialogue démocratique du mercredi 27 mai 2009) rappellent que c'est une réalité toujours prégnante.

* 357 J. Copans, La longue marche de la modernité africaine. Savoirs, intellectuels, démocratie, éditions Karthala, 1990, p.231

* 358 Ibid. p.371

* 359 Sartre J.-P,  Les Mains sales. Gallimard, 1948.

* 360 Par exemple, le CGD utilise la méthode de la recherche-action.

* 361 J. Meynaud, Les techniciens et le pouvoir Meynaud Jean. Les techniciens et le pouvoir. In: Revue française de science politique, 7e année, n°1, 1957. pp. 5-37. http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rfsp_0035-2950_1957_num_7_1_392403

* 362 Cf. Carol H. Weiss, Préface au livre de Fred Carden, Des connaissances aux politiques, op. cit. Voir aussi Entretien avec le CEDRES 10 mai 2011.

* 363 Cf. annexe du rapport d'avis de la Chambre des représentants, 9-22 mars 2000 : « questions au quatrième vice-président de l'assemblée nationale ». Concernant la présidence du parlement par le président de l'assemblée nationale (idée que la Chambre des représentants n'a jamais admise), le Vice-président déclare qu'il s'agit pour eux de « consacrer une pratique du reste reprise à son compte par le président du Faso aux cours d'allocution et qui n'a jamais connu d'objections », p. 38. Voir aussi rapport du MAEP, p. 519.

* 364 Cf. Rapport du MAEP, Annexe II, commentaires et corrigenda du gouvernement burkinabé, p. 503 et ss

* 365Qualifiées de racistes par J. F. Bayart, La démocratie à l'épreuve de la tradition en Afrique subsaharienne, Pouvoirs 2009/2, N° 129, p. 27-44. C'est dans ce sens que certains hommes politiques appellent souvent à faire des réformes conformes à nos réalités africaines. C'est un discours qui, au Burkina Faso, remonte au temps du Front populaire qui ne voulait pas du tout de la démocratie libérale.

* 366 Rapport du collège de sages, Recommandation 1.2.7.

* 367 CGD, Travail parlementaire, 2009, p. 30. Les questions de compréhension que certains députés posent en séance plénière montre à quel point une telle ressource est inexploitée. Lors de la révision constitutionnelle de 1997, un député a pris solennellement la parole en séance plénière pour demander à ses collègues de corriger une erreur de date : d'après lui, la déclaration des droits de l'homme et du citoyen aurait été adoptée en 1848 et non en 1789. Il s'agit vraisemblablement d'une confusion entre la déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 et la déclaration universelle des droits de l'homme de 1948.

* 368 Constitutionnalisme et révisions constitutionnelles en Afrique de l'ouest : le cas du bénin, du Burkina Faso et du Sénégal, 2009, p. 43

* 369 Par exemple, dans le rapport d'avis de la Chambre des représentants, sur la proposition de mettre en place une commission technique pour en finir une fois pour toute avec les insuffisances de la constitution, le vice-président répondait que « le gouvernement peut [...], l'assemblée nationale peut [...]. Mais pour l'instant, nous avons jugé opportun d'user d'une autre prérogative consistant à initier une révision de la constitution ».

* 370 J. Copans, La longue marche de la modernité africaine. Savoirs, intellectuels, démocratie, op. cit., p. 308.

* 371 « Comme en France, le premier ministre reste, au plan politique et constitutionnel, subordonné au président, notamment lorsque la majorité présidentielle est identique à la majorité parlementaire. Faut-il en déduire que son autorité politique pourrait davantage s'affirmer s'il disposait d'une majorité parlementaire distincte, indépendante de celle du président dans le cadre d'une « cohabitation » ? On peut en douter, car, quelle que soit la majorité parlementaire, le président du Faso dispose du pouvoir de fixer « les grandes orientations de la politique de l'État » (article 36 de la constitution). Il faut craindre un jour, comme l'ont déjà exprimé plusieurs auteurs, que cela n'ouvre la porte à d'éventuels conflits en cas de discordance de majorités présidentielles et parlementaires», Cf. Les annales du premier ministère. Édition 2009 p. 29

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"Un démenti, si pauvre qu'il soit, rassure les sots et déroute les incrédules"   Talleyrand