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Sciences et Politiques institutionnelles au Burkina Faso: élaboration et réformes de la Constitution de la IVème République

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par G. Jean Luc ZONGO
Université Ouaga II Burkina Faso - DEA sciences politiques 2011
  

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PREMIERE PARTIE

LES MODES DE SOCIALISATION DES SCIENCES DANS LES POLITIQUES INSTITUTIONNELLES

Les politiques institutionnelles qui retiennent ici notre attention ont entrainé au Burkina Faso, à l'occasion de leur conduite, une forte mobilisation qui n'a laissé indifférent l'ensemble du corps social que dans peu de cas. Leurs acteurs, aussi bien étatiques que de la société civile, se sont parfois affrontés, souvent de façon violente, sur le terrain à la fois de l'argumentation rationnelle que de la force physique. Mais tandis que la violence, qui s'exerce généralement avec éclat surtout lorsqu'elle est ouverte, passe de ce fait rarement inaperçue, le combat rationnel, qui mobilise37(*) d'ailleurs moins que son frangin, est très souvent peu connu du grand public ou du public tout court. Pourtant, ainsi que le remarque P. Bourdieu, de même qu'« il n'est pas de champ scientifique, si «pur» soit-il, qui ne comporte une dimension "politique" de la science », de même il n'est « pas de champ politique qui ne fasse de place à des enjeux de vérité 38(*)». Mais le "champ politique" et le "champ scientifique" étant des champs distincts et séparés, il importe d'étudier les mécanismes ou les voix par lesquels s'est fait le processus d'osmose qui a permis de mettre des ressources de connaissances à la disposition des politiques institutionnelles d'élaboration (Chap. I) et de réformes de la constitution de la IVe République (Chap. II).

CHAPITRE I: Dans la politique constitutionnelle de 1990

L'élaboration de la constitution de la IVe République est une politique institutionnelle officiellement inscrite sur l'agenda politique du Front Populaire lors de son congrès extraordinaire tenu du 1er au 04 mars 1990, et qui entre dans le cadre de « la réorientation stratégique39(*)» de la révolution burkinabè au lendemain du coup d'État sanglant du 15 octobre 1987. L'annonce de cette politique va sonner l'approche d'une bataille pour laquelle les armées appelées à croiser le fer vont dès le son du cor, s'atteler à affûter minutieusement leurs armes. Deux camps vont d'office se former : le camp du pouvoir et le camp de ceux qui s'opposent au pouvoir40(*). Si le premier ne se gêne pas d'intimider avant la bataille, de définir les limites à ne pas dépasser, et les armes à employer, le second attend patiemment l'ouverture des hostilités pour montrer de quoi il est capable. Mais au fond, dans cette guerre annoncée, il n'y a à proprement parler ni fer à croiser ni poudre à brûler, mais simplement des savoirs à produire et des logiques à dérouler. Pour ce faire, les deux camps vont mettre à profit plusieurs tactiques dans le but de s'assurer la victoire. Ce qui nous conduit à distinguer les modes étatiques (Section I) et les modes non-étatiques (Section. II) de mobilisation des ressources de connaissances dans la politique d'élaboration de la constitution de la IVe République burkinabé, cette mobilisation ayant, dans ce contexte, pour but stratégique ultime d'emporter la conviction des uns et des autres sur le contenu que doit comporter la constitution.

SECTION 1: les modes étatiques de mobilisation des savoirs scientifiques

Du côté de l'État, on va assister au déploiement d'un double jeu dont les enjeux peuvent être résumés en trois points essentiels: primo, lancer l'idée d'une constitution sans pour autant la laisser produire les conséquences qu'elle appelle logiquement ni avoir le sens qu'on lui donne généralement depuis le siècle des lumières ; secundo, constitutionnaliser vaille que vaille le Front populaire et l'idéologie marxiste léniniste qu'il feignait de professer foncièrement41(*) ; tertio, jouir tranquillement aussi bien à l'intérieur qu'à l'extérieur du Burkina, de la légitimité et de la respectabilité que confère le fait pour un État de recevoir le sacrement du referendum constitutionnel et d'arborer une constitution. Celle-ci aidant d'ailleurs à faire une différence notoire majeure avec le régime du défunt CNR. La question qui, visiblement, taraudait les tenants du pouvoir était donc celle-ci : comment doter le pouvoir d'une constitution qui permette à la fois de conserver toujours le pouvoir et de le garnir d'une légitimité qui le conforte dans ses assises tout aussi durablement? Pour ce faire, au niveau gouvernemental (Paragraphe I), les putschistes du 15 Octobre 1987 vont dans un premier temps non seulement créer une commission chargée des affaires politiques mais aussi donner mission à leurs intellectuels organiques de diffuser, à travers le journal étatique Sidwaya42(*), les idées du Front populaire sur la nature et le contenu de la constitution à élaborer. Dans un deuxième temps, ils vont mettre en place des structures autonomes pour la rédaction de la loi fondamentale (Paragraphe II) en espérant certainement que l'idéologie produite par les instances gouvernementales sera purement et simplement reprise au sein de ces structures.

§1 : Les instances gouvernementales

En plus de la mise en place d'une commission chargée des affaires politiques du Front populaire (A), l'espace public connaîtra l'offensive des intellectuels organiques du pouvoir totalement dévoués à la défense des positions pseudo-scientifiques du Front populaire (B).

A) La création d'une commission chargée des affaires politiques au sein du Front Populaire.

Au moment où germait l'idée d'élaborer une constitution43(*), le Front populaire était encore un pouvoir au brouillon. Mal défini, peu stable, peu ordonné, il était toujours à la recherche d'un règlement intérieur, avec des concentrations de pouvoirs insolites aux mains d'une seule personne, le capitaine putschiste, qui était à la fois président du Front populaire, président du comité exécutif du Front populaire, chef de l'État, chef du gouvernement, ministre de la défense populaire et de la sécurité . C'est dans cet imbroglio institutionnel que se fera sentir le besoin de donner davantage à l'État un visage rationnel en introduisant dans son organisation le principe de spécialité44(*) qui, selon Weber, caractérise l'État moderne. Cette rationalisation se traduira concrètement par la création de onze (11) commissions spécialisées45(*) dont la commission chargée des affaires politiques. C'est par ce stratagème que le Front populaire tentera, à la manière des États modernes, d'internaliser un certain nombre de compétences et de les rendre utiles aux nécessités du moment. La direction de cette commission sera confiée à deux intellectuels organiques: Oumarou Clément OUÉDRAOGO, neuro-physicien en était le président, tandis que TALL Moctar, juriste publiciste en était le vice-président. La commission chargée des affaires politiques, dont les missions ont été définies lors de la deuxième session ordinaire du Front populaire, a reçu ainsi la responsabilité de « proposer les grandes orientations politiques sur la vie nationale46(*) ». C'est elle qui aura la paternité de la mise en forme définitive du projet d'élaboration d'une constitution. Elle indiquera à la commission constitutionnelle ce qu'elle devra faire et avec quelles ressources de connaissances les commissaires devront travailler. Elle sera soutenue en aval par l'offensive des intellectuels organiques du pouvoir ou de ceux qui lui sont simplement dévoués.

B)  Le quotidien Sidwaya comme créneau des intellectuels organiques ou proches du Front populaire 

Selon Carmella Littieri « les rubriques Débats, Opinions ou Rebonds [...] consacrées à des signataires externes aux rédactions, comptent parmi les voies privilégiées de participation [...] à la structuration des débats et à l'imposition des thèmes de discussion, mécanismes qui sont souvent le préalable à l'action publique47(*).» Cette voie a été largement exploitée par les intellectuels organiques du pouvoir putschiste à travers le quotidien étatique Sidwaya, dont les colonnes leur ont été largement ouvertes.

Répondant à l'appel du chef de l'État dans son message à la nation en date du 7 juin 198948(*) où il invitait les organisations membres du Front Populaire à « s'imprégner davantage des principes de la démocratie révolutionnaire » et à les diffuser, ces intellectuels vont s'ériger en apôtres de la nouvelle idéologie politique du tombeur de Thomas de Sankara. Dès cet instant, et avant même que le congrès du 1er mars 1990 n'officialise le projet d'élaboration d'une constitution, l'intervention discursive des intellectuels organiques du pouvoir dans l'espace public va consister à expliciter, commenter et étayer cette position officielle du chef de l'État. Durant la période qui va de juin 1989 à l'ouverture des travaux de la commission constitutionnelle, ils vont monopoliser le « marché linguistique49(*) » sur la question du régime politique à instaurer par la future constitution.

Mais ce qui distingue ces intellectuels de ceux50(*) dont parle Carmella Lettieri, c'est le fait qu'ils ne se préoccupent guère de donner les raisons pour lesquelles, ils seraient les mieux placés pour disserter sur les sujets qu'ils abordent. Ils ne font état ni d'un « capital culturel » propre, ni de l'appartenance à une « institution » (à caractère scientifique) dont la simple mention pourrait suffire à légitimer la prise de parole. Les écrits de certains sont d'ailleurs forts critiquables du point de vue scientifique. Un exemple intéressant à cet égard est l'article de Victor Sanou qui, avec un titre pompeux comme celui de « Aperçu sur les systèmes politiques que peut embrasser une constitution51(*) » n'a fait qu'un exposé sur les systèmes de partis avec pour but de légitimer la volonté affichée par les dirigeants du Front populaire de phagocyter les autres formations politiques en les appelant à s'intégrer dans leur structure partisane. Bref, l'autorité à disserter semble plutôt provenir de l'appartenance aux structures du Front populaire, appartenance qui à cette époque pouvait dispenser de justifier davantage de titres. Quant aux intellectuels eux-mêmes, nous en avons dénombré neuf (9) : Luc Adolphe TIAO, Jean-Marie SAWADOGO, Yirzoala MEDA, Alexis SOMÉ, Oumarou Clément OUEDRAOGO, Victor SANOU, BAMBA Mamadou, et l'éditorialiste de Sidwaya52(*), inconditionnel du Front populaire. De tous ceux-ci Luc Adolphe Tiao semble le plus fécond et le plus opiniâtre.

Prenant au rebond le discours du président du Front populaire à l'occasion du nouvel an 1990, Luc Adolphe Tiao53(*), apparemment le « grand prêtre » du régime, mettait déjà en garde : « d'aucuns, écrit-il, ont perçu dans un passage du discours du chef de l'État un appel à un `'retour à une vie constitutionnelle normale.'' Un concept qui nous rappelle le système politique réactionnaire qui a prévalu dans notre pays dans les années 70. » Pour lui, ce serait un recul. L'objectif de la politique constitutionnelle est plutôt ailleurs : « préserver l'idéal révolutionnaire qui dans la situation du Burkina Faso est le seul à même de lutter contre toute forme d'exploitation nationale54(*).» Face à la surdité des commissaires, il va revenir à la charge dans un article intitulé « Front populaire et démocratie » : « D'aucuns voient une incompatibilité entre le Front populaire et l'instauration de la démocratie. [...] Si certains par insuffisance d'informations ne se retrouvent pas dans notre système, d'autres par contre n'admettent autre conception de la démocratie que celle qu'ils ont. L'avenir de l'Afrique dépendra beaucoup de la capacité et de l'originalité dont ses fils feront preuve dans l'innovation politique. Tel est le souci des autorités politiques du Burkina 55(*)». C'est cette vision des choses que le camp du Front populaire tentera d'imposer aux instances autonomes auxquelles il a confié la mission de l'élaboration de la constitution.

* 37 C'est-à-dire auquel s'adonne peu de gens.

* 38 Bourdieu P., Science, politique et sciences sociales, Actes de la recherche en sciences sociales 2002/2, 141, p. 9-12

* 39 LOADA A, Blaise Compaoré ou l'architecte d'un nouvel ordre politique. Op. cit, p. 287

* 40 Entretien avec Ph Ouedraogo, délégué du PAI, Juillet 2010

* 41 Loada A, Blaise Compaoré ou l'architecte d'un nouvel ordre politique, op cit. p. 290

* 42 Qui était l'unique journal paraissant à cette époque.

* 43 Cf. le récit de BONGNESSA A. YE qui la fait remonter à l'année 1988, Les fondements politiques de la IVe République, PUO, 1995, p. 15

* 44 Voir Ph. Braud Sociologie politique, 2ème édition, L.G.D.J, 1994, p. 70.

* 45 Sidwaya n°1312 du 10 juillet 1989, p 3

* 46 Cf. sidwaya n°1391 du 03 novembre 1989

* 47 Cf. Carmella Lettieri « Formes et acteurs des débats publics contemporains. Les tribunes publiées par la presse écrite en Italie et en France », entre 1998 et 2001. Il s'agit d'une thèse soutenue en Janvier 2002 et reprise partiellement par l'auteure sous forme d'article dans Droit et société 2005/1, N° 60, p. 374. Les journaux retenus par l'auteur sont : Le Monde, Le Figaro et Libération pour la France ; la Repubblica, Corriere della Sera et La Stampa pour l'Italie.

* 48 SIDWAYA n°1330 du 07 juin 1989

* 49 Pierre Bourdieu Ce que parler veut dire, Paris, Fayard, 1982

* 50 L'auteur parle des acteurs académiques

* 51 Sidwaya n°1530 du 30 mai 1990

* 52 Luc Adolphe Tiao Président de la commission à la jeunesse du Front populaire (Sidwaya du 04/01/1990; Sidwaya 23 avril 90 n°1507 ; Sidwaya 26 avril 1990 n°1510 ; Sidwaya du 04/01/1990; Sidwaya 3août 1990 n°1576;). Jean-Marie Sawadogo Sidwaya (n°1473 mars 90 p7). Yirzoala Meda, perspective constitutionnelle (Sidwaya n°1473 mars 90 p2). Alexis Somé, (n°1468 jeudi 22 février 90). Oumarou Clément Ouedraogo, président de la commission aux affaires politiques, ministre délégué à la coordination du Front populaire (16 février 90 n°1462). Victor Sanou Aperçu sur les systèmes politiques que peut embrasser une constitution (Sidwaya n°1530 du 30 mai 1990). Bamba Mamadou (Sidwaya n°1580 du jeudi 9 août 1990). L'éditorialiste de sidwaya (1er mars 90 n°1471)

* 53 Diplômé du centre d'études diplomatiques et stratégiques de Paris, président d'une des commissions spécialisée du Front populaire (la commission à la jeunesse)

* 54 Sidwaya du 04/01/1990

* 55 Sidwaya 3 août 1990 n°1576

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