WOW !! MUCH LOVE ! SO WORLD PEACE !
Fond bitcoin pour l'amélioration du site: 1memzGeKS7CB3ECNkzSn2qHwxU6NZoJ8o
  Dogecoin (tips/pourboires): DCLoo9Dd4qECqpMLurdgGnaoqbftj16Nvp


Home | Publier un mémoire | Une page au hasard

 > 

La Cour de Justice de la CEDEAO à  l'épreuve de la protection des Droits de l'Homme

( Télécharger le fichier original )
par Thierno KANE
Université Gaston Berger de Saint- Louis Sénégal - Maitrises en sciences juridiques  2012
  

précédent sommaire suivant

Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy

B. Vers une déliquescence de l'autorité du juge communautaire ?

En acceptant l'élargissement de la compétence au domaine sensible de la violation des droits de l'homme, les Etats membres de la CEDEAO ont consenti à mettre en place un système pleinement judiciaire fonctionnant selon les règles de l'Etat de droit. Or, la principale caractéristique d'une Cour de justice dans un système régi par l'Etat de droit, c'est la confiance que les justiciables, qu'ils soient étatiques ou particuliers, accordent à cette juridiction. Ce qui signifie que « le droit, ce n'est pas le juge »132(*) mais son respect dépend essentiellement de la volonté et de la bonne foi des acteurs étatiques et des particuliers. Cependant, ce principe universel n'est pas tout à fait appliqué et les Etats ont transposé hélas, leurs mauvaises habitudes au niveau supranational d'où une crainte bien légitime d'un affaissement progressif de l'autorité du juge communautaire. En effet, avouons-le ouvertement, le fait d'interpeller la justice de la CEDEAO illustre jusqu'à quel point la justice nationale des pays membres perd la confiance du justiciable. Si le citoyen désabusé choisit de s'adresser à une instance extérieure, c'est qu'il la juge plus crédible que celle de son propre pays. Mais ne faut-il pas craindre de la voir un jour muselée par les politiques qui l'ont créée à cause de son succès ? Il semble à la lecture de certaines décisions rendues par la Cour de justice de la CEDEAO que les Etats commencent à fausser les règles du jeu initial en s'attaquant même à l'autorité du juge.

Le comportement de la République de Gambie est significatif à cet égard. Dans l'affaire Etim Moses Essien contre la République de Gambie et l'Université de Gambie du 29 octobre 2007, le juge relève que « les défenderesses ainsi que leurs avocats n'ont ni comparu ni été représentés ». Elles ont tenu à adresser à deux reprises des lettres au Président de la Commission pour exprimer leur mécontentement de la décision rendue par la Cour de justice de la Communauté et pour « demander au Président de la Commission d'intervenir pour leur permettre d'interjeter appel »133(*). Selon le professeur Alioune SALL, en adoptant cette attitude « déplacée », l'Etat Gambien a « superbement défié la Cour »134(*). En effet, suggérer que l'autorité politique intervienne dans la sphère judiciaire à un moment où la procédure suit son cours normal, c'est d'une part n'accorder aucun crédit à l'autorité judicaire (remise en cause même de ses attributs) et d'autre part suggérer que les juges soient placés sous l'autorité des institutions politiques. Cette suggestion implicite de la supériorité processuelle et substantielle de la décision politique sur la décision juridictionnelle est préjudiciable pour la Cour car elle nuit gravement à la protection des droits de l'homme.

Dans une autre affaire rendue 5 juin 2008 mettant en cause le même Etat ; Ebrimah contre République de Gambie, la défenderesse a adopté le même comportement vis à vis de la Cour. L'Etat gambien a refusé de comparaitre « malgré tous les efforts déployés par la Cour pour l'amener à prendre part au procès »135(*). Dans l'affaire relative aux vrais faux démissionnaires de l'Assemblée Nationale, saisie en omission de statuer, la juridiction communautaire a refusé d'aller plus loin que dans sa précédente décision136(*). La Cour de Justice de la CEDEAO affirme en effet que les députés n'ont jamais démissionné et que leurs droits de l'homme ont été violés par l'Assemblée Nationale et  la Cour Constitutionnelle, citant en appui le point 15 de l'Arrêt « A cet égard la Cour observe que son arrêt appelé en omission de statuer a admis la violation d'un droit de l'homme, précisément le droit des Requérants à être entendu par la plénière de l'Assemblée Nationale, et même ultérieurement par la Cour Constitutionnelle. »Se référant au point 14 de l'Arrêt le juge communautaire s'autolimite : « La Cour note que dans ce contexte, la réintégration des requérants à l'Assemblée Nationale Togolaise apparait simplement comme une conséquence éventuelle d'une violation d'un droit de l'homme pouvant être constatée au détriment des Requérants, et non comme un chef de demande sur lequel la Cour doit statuer en tant que tel. ». Elle s'est abstenue de se prononcer sur le mode de réparation du préjudice résultant des conséquences politiques du remplacement irrégulier des neuf députés. La Cour refuse systématiquement de prononcer le mot réintégration.

Pour qu'un Droit (surtout le droit international ou régional) s'impose, il est nécessaire que toutes les parties c'est à dire les destinataires des sentences judicaires soient disposées à respecter celles-ci. La Cour semble être prudente et timide voire contrariée quand un Etat vicie les règles élémentaires qui gouvernent son office. En effet, il est de constat général que « le juge ouest africain n'exerce pas son pouvoir d'interprétation dans des conditions tout à fait stabilisées »137(*). Mis devant une telle situation, le juge préfère se refuser dans l'autolimitation afin de ne pas être accusé de favoriser le spectre d'un « gouvernement des juges » au sein de l'ordre communautaire. C'est également le cas du juge de l'UEMOA qui a fait preuve de timidité et de manque de courage dans l'affaire Eugène YAI en se pliant aux ordres de la Conférence des Chefs d'Etat et de Gouvernement. Le professeur SY faisant le commentaire de cette décision à p écrire : « cette décision est révélatrice des difficultés du juge communautaire qui doit faire respecter la légalité communautaire, faire avancer l'intégration économique, et aussi tenir compte de la volonté des Chefs d'Etat et de Gouvernement »138(*).

Sans s'incliner toujours dans une forme de « self-restraint », les juges d'Abuja doivent s'affirmer tout en restant fidèles et adossés au « pré-carré » préétabli. Ils auraient pu rappeler à l'Etat Gambien les obligations liées à son engagement international ou l'importance de la fonction juridictionnelle dans une entreprise d'intégration. Ils auraient également pu afin de redorer le blason de la Cour rappelé l'indépendance de la Cour vis à vis des Etats mais également et surtout des institutions de la Communauté.

C'est dire que les réformes ne servent à rien et l'adoption d'un traité idéal a peu d'importance si les Etats membres ne se décident pas à considérer la protection des droits de l'homme comme une importante entreprise nationale. Les droits de l'homme, sont à  la fois un objectif de l'organisation et un moyen pour atteindre les objectifs de l'intégration. Au niveau opérationnel également des contraintes peuvent être relevées.

* 132 M.KAMTO, « les interactions des jurisprudences internationales et des jurisprudences nationales » in la juridictionnalisation du Droit International, colloque de la SFDI 2003, Edition Pedone p.393et s.

* 133 Dans la seconde lettre adressée au Président de la Commission, on peut lire ce qui suit ; « ... les défenderesses ne participeront à aucune autre session de la Cour de Justice de la Communauté jusqu'à ce que la question de compétence soit réglée de manière effective par l'institution d'une Cour d'Appel indépendante »

* 134A.SALL, Op.Cit. p. 338

* 135 L'affaire ChiefEbrimahManneh c/ la République de Gambie, portait sur l'arrestation le 11 juillet 2006 et la détention d'un journaliste gambien du Daily Observer par les services secrets. Les avocats du requérant fondaient leur saisine sur le caractère arbitraire de l'arrestation et de la détention de leur client (art. 6 et 7 de la Charte africaine). La Cour a jugé que la Gambie était responsable de l'arrestation et de la détention arbitraire du requérant, enfermé in communicadosans jugement.

* 136 CJ CEDEAO Isabelle ManaviAmeganvi et Autres contre Etat du Togo 13 mars 2012

* 137Ibid, p.64

* 138 D.SY, « L'activité de la Cour de justice de l'UEMOA », les droits communautaires africains, Nouvelles Annales Africaines, 2006, p.113-118

précédent sommaire suivant






Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy








"L'imagination est plus importante que le savoir"   Albert Einstein