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Justice constitutionnelle en France et démocratie

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par Jean- Baptiste KLEBERSON
Université de Bretagne occidentale de France - Master 2 en droit public 2011
  

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Section II. La remise en cause des fondements de la démocratie parlementaire par la justice constitutionnelle

La constitution de 1791 dispose au premier alinéa, article 3, première section, chapitre 2 « qu'il n'y a point, en France d'autorité supérieure à celle de la loi ». Sous une forme tacite ou de manière expresse, l'esprit de cette disposition législative était réitéré au cours de deux siècles d'histoire constitutionnelle française. Non qu'il ait été donné au législateur le droit de tout faire, de trahir l'idéal et la pensée révolutionnaires en se versant dans l'arbitraire car la déclaration des droits de l'homme et du citoyen prévoyait en son article 5 que « la loi n'a le droit de défendre que les actions nuisibles à la société ». Il y eut même des tentatives d'établir un contrôle politique de la norme législative repoussées par le légicentrisme et le parlementarisme ambiants. Ce qui était, par compte, inenvisageable et impensable jusqu'en 1958 fut un contrôle juridictionnel de la loi autrement dit la justice constitutionnelle. La raison doit être recherchée dans les fonctions « apparemment antidémocratique » de l'institution ayant mis fin à cette pratique en l'occurrence le Conseil constitutionnel. Celui-ci, composé des membres dépourvus de légitimité élective, contrôle la loi qui émane des autorités élues par le peuple (§ 1). Prétendant être l'arbitre ou le régulateur des pouvoirs publics,37il oeuvre à maintenir le Parlement, considéré jadis comme l'égal du souverain, dans le cadre strict de ses attributions constitutionnelles (§ 2).

§ 1. Le contrôle de la loi par des non-élus

Si la révolution socio- politique de 1789 avait entraîné la primauté inconditionnelle de la loi, la « révolution juridique » de 1958 a renversé la tendance. Le professeur Monterrey a l'habitude de dire « le 18ème siècle fut le siècle de la loi, le 20ème est celui de la constitution ». Cette remarque valable à l'échelle planétaire est encore plus vraie concernant la France compte tenu de son histoire. La loi, expression de la volonté générale, exprimée par les représentants du souverain, est susceptible dorénavant de se heurter au jugement d'un collège de personnalités sans légitimité aucune appelé Conseil constitutionnel. La volonté du législateur élu au suffrage universel direct n'est plus libre et inconditionnée mais soumise au respect des principes constitutionnels sous le contrôle d'une instance non élue. Là se situe la portée révolutionnaire de l'article 61 de la constitution française de 1958. Ce dit contrôle est loin d'être une formalité. Il constitue un examen minutieux de la loi au regard du bloc de constitutionnalité qui est d'une immense portée sur la vie politique française (A). La mise en oeuvre du contrôle de la constitutionnalité des lois, soutient une partie de la doctrine, a impliqué la participation du Conseil constitutionnel au processus législatif (B).

37 G. DRAGO, op. cit., p.6

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L'apparente antinomie entre la justice constitutionnelle et la démocratie

A. La portée du contrôle de constitutionnalité des lois assuré par le Conseil constitutionnel

Le Conseil constitutionnel, fruit de la rusticité selon le doyen Vedel38, n'a pas pour unique fonction de juger la loi. En dénombrant ses compétences contentieuses et ses prérogatives en matière gracieuse, Pascal Jean arrive à la conclusion qu'en « l'état actuel du droit positif, le juge constitutionnel exerce vingt-trois attributions » juridictionnelles.39Cependant, le contrôle des normes législatives encore appelé contrôle de constitutionnalité des lois, soit de manière préventive conformément à l'article 61, soit par le biais de la question prioritaire de constitutionnalité (QPC) consacrée par la révision constitutionnelle de 2008 à l'article 61-1, demeure le plus visible et le plus important quantitativement. Ceci est dû au moins partiellement au type de décisions susceptibles d'être émises dans le cadre de cette attribution (1) et à leur implication autrement dit leur degré d'autorité (2).

1. Les typologies de décisions du Conseil constitutionnel

Les considérations formelles et rédactionnelles ne nous retiennent pas dans l'étude des décisions du Conseil. Pour reprendre la formule émise par le Conseil même, nous nous intéresserons aux dispositifs des décisions et aux motivations qui leur servent de support. « Les petites phrases », selon la formule d'un ancien président du Conseil, Georges Vedel, n'ayant aucune incidence sur la décision en soi seront passées sous silence.

La loi est désacralisée depuis l'avènement de la 5ème république. Dans son travail, apparemment contraire aux postulats démocratiques, le juge constitutionnel peut prononcer trois (3) types de sentences à l'égard de loi.

La première typologie de « verdicts constitutionnels » ne bouleverse point l'ordonnancement juridique. Il s'agit des décisions de non-lieu au cours desquelles, le juge de la loi prononce pour diverses raisons l'absence de motifs sérieux pour juger ou pour rejuger l'oeuvre législative. Les griefs d'inconstitutionnalité soulevés par les adversaires de la loi sont inopérants aux yeux du juge constitutionnel. Dans ce cas le Conseil constitutionnel peut prononcer aussi la conformité de la loi à la constitution. En effet, l'objectif du contrôle de constitutionnalité, a dit le conseil dans l'une de ses décisions, n'est pas d'empêcher la promulgation de la loi, mais de s'assurer que celle-ci est conforme à la constitution. Si elle se

38 Voir préface du doyen Vedel dans : D. ROUSSEAU, « Droit du contentieux constitutionnel »,9ème édition, Paris, Montchrestien, 2010, p.28

39P. JAN, « Le procès constitutionnel », 2ème édition, Paris, LGDJ, 2010, p.26

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L'apparente antinomie entre la justice constitutionnelle et la démocratie

révèle respectueuse des normes constitutionnelles lors d'un contrôle, la loi jouira d'un brevet de constitutionnalité « sauf en cas de changement de circonstances de droit et de fait »40

La décision de non-conformité est celle qui peut laisser croire beaucoup plus que la justice constitutionnelle est incompatible aux principes démocratiques explicités dans la première partie de notre travail. En effet, dans le cas d'une décision d'inconstitutionnalité, le Conseil constitutionnel s'oppose frontalement au législateur. Il estime que l'oeuvre législative n'a pas sa place dans l'ordonnancement juridique en état. Etant que garant de la cohérence de la pyramide normative française, le Conseil estime que le texte voté par le parlement ne pourra pas « tirer sa validité de la norme supérieure »41. En ce sens, le considérant de principe émis par le Conseil constitutionnel dans sa décision de 1985 scelle définitivement la rupture avec le modèle démocratique légué par la révolution basé sur la toute-puissance de la loi et du législateur. Il se lit comme suit :

« La loi n'exprime la volonté générale que dans le respect de la constitution »

La dernière typologie de décisions, et non la moindre, rendues par le Conseil constitutionnel en faisant office de juge de la loi constitue les décisions de conformité sous réserves. La doctrine, avide de modélisation, classifie celles-ci en trois (3) sous types. Les réserves d'interprétation neutralisante (1), constructive (2) et directive (3) constituent les 3 sous-catégories des déclarations de constitutionnalité sous réserves. Sans épiloguer sur les raisons pédagogiques de cette classification, il est loisible de souligner que certains interprètent cette forme de jugement comme une intrusion du juge dans le domaine législatif. En effet, celui-ci s'accorde ainsi le droit de compléter ou de modifier ou de préciser la modalité d'application de la loi pour qu'elle soit considérée comme constitutionnelle. Cette opération de réinterprétation ou de filtrage constitutionnel, pour ainsi dire, peut aboutir à dénaturer la loi votée par le parlement. Autrement dit, les membres du Conseil risquent de substituer leur philosophie et leur opinion idéologique à celles du Gouvernement et de sa majorité. Ce qui est préjudiciable à la démocratie, aux yeux de certains, est que les hommes politiques élus par le peuple sur la base d'un programme politique sont contrés par une institution irresponsable politiquement. D'où la merveilleuse réception en France du concept à connotation péjorative « de gouvernement des juges » relatif à la justice constitutionnelle américaine sous la plume d'Edouard Lambert. Les décisions de constitutionnalité sous réserve semblent nourrir la polémique sur « le caractère antidémocratique » de la justice constitutionnelle au même titre que les décisions d'inconstitutionnalité.

40 Voir Décision n° 2009-595 DC du Conseil constitutionnel du 3 décembre 2009

41 Voir H. KELSEN, « Théorie du droit pur », 2ème édition, Paris, Dalloz, 1988. Kelsen y développe la théorie pyramidale des normes. Voir l'idée de l'ordre juridique de Kelsen dans lequel chaque norme tire sa validité d'une norme supérieure et est le fondement d'une norme inférieure.

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L'apparente antinomie entre la justice constitutionnelle et la démocratie

Les hommes politiques « gênés dans la réalisation des réformes » pour lesquelles42 ils ont le mandat populaire n'hésitent pas à remettre en cause l'existence du Conseil constitutionnel et même le professionnalisme de ses membres. Dans cet ordre d'idées, François Mitterrand, ancien président socialiste, affirmait que « Le Conseil constitutionnel est une institution dont il faudra se défaire. » dans une interview accordée au journal Le Monde publié le 21 juin 1986. Edouard Balladur, premier ministre, homme de droite, semble être convaincu de l'idée qui oppose la justice constitutionnelle à la démocratie en prononçant suite à l'inoubliable décision n°71-44 D.C. du 16 juillet 1971 du conseil43.

« Depuis que le Conseil a décidé d'étendre son contrôle au respect du Préambule de la Constitution, cette institution est conduite à contrôler la conformité de la loi au regard de principes généraux, parfois plus philosophiques et politiques que juridiques, quelquefois contradictoires et de surcroît, conçus à des époques différentes de la nôtre »

Il va sans dire que le développement de la justice constitutionnelle en France ne s'est pas fait sans controverses et sans critiques. Au-delà de ces incompréhensions et désaccords, le Conseil constitutionnel s'est imposé dans le paysage politique et juridictionnel français. Comment a-t-il pu inspirer ce respect alors que, contrairement aux décisions des autres juridictions, les siennes ne comportent jamais le mandement exécutoire ? Il n'est non plus pas prévu dans le droit positif hexagonal « une Commission qui serait chargée de veiller à la bonne exécution des décisions du Conseil » selon les observations du constitutionnaliste Dominique Rousseau44. Autrement dit, quel est le degré d'autorité des décisions du Conseil constitutionnel dans la vie politico-juridictionnelle française ?

2. L'autorité des décisions du Conseil constitutionnel

Faisant fi de la thèse traditionnelle et dépassée des « modèles kelsénien et américain » de justice constitutionnelle, le constituant dérivé français a confirmé l'autorité absolue de chose jugée de toutes les décisions du Conseil constitutionnel en juillet 2008. Qu'elles soient rendues dans le cadre du contrôle « a priori » ou du contrôle « a posteriori » (QPC), les décisions du Conseil constitutionnel s'imposent « erga omnes » dès le jour de leur publication selon la constitution de 1958 sauf recours laissé à la discrétion du conseil de moduler leurs effets dans le temps. L'alinéa 3 de l'article 62 de ladite constitution ne laisse pas de doute quant à l'autorité des décisions émises dans le cadre du contentieux constitutionnel en disposant :

42 G. Drago, op.cit., p.51

43 C.MAUGUE et J.H STAHL, « La question prioritaire de constitutionnalité », 1ère édition, Paris, Dalloz, 2011, p.15

44 D.ROUSSEAU, « Droit du contentieux constitutionnel », 9ème édition, Paris, Montchrestien, 2010, p. 169

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L'apparente antinomie entre la justice constitutionnelle et la démocratie

« Les décisions du Conseil constitutionnel ne sont susceptibles d'aucun recours. Elles s'imposent aux pouvoirs administratifs et juridictionnels »

La clarté ou précision de cette disposition constitutionnelle ne doit pas escamoter ses relatives difficultés d'application. En effet, le Conseil constitutionnel contrairement à la très prestigieuse Cour Suprême américaine ne chapeaute pas l'organisation juridictionnelle française. Les cours suprêmes des juridictions administratives et judiciaires sont respectivement le Conseil d'état et la Cour de cassation. Sans vouloir affirmer que ces dites cours suprêmes sont insensibles au dialogue des juges, nous pouvons quand même déceler dans leur jurisprudence des réticences face à l'article 62 précité. Ce paramètre appelé de manière générale « dialogue des juges » par la doctrine n'est ni un effet de mode ni un facteur anodin. La compatibilité des décisions juridictionnelles des cours suprêmes des deux ordres juridictionnels avec celles du Conseil constitutionnel évite la contrariété de jugement et constitue le gage de l'unité d'interprétation de la loi-mère.

Le premier tempérament subi par le dit alinéa 3 de l'article 62 de la constitution en vigueur vient du Conseil constitutionnel lui-même. Dans le considérant 18 de sa décision portant sur la loi d'amnistie, 45les Sages de le rue Montpensier ont décidé que :

« L'autorité de chose jugée attachée à la décision du Conseil constitutionnel (...) est limitée à la déclaration d'inconstitutionnalité visant certaines dispositions de la loi qui lui était soumise ; qu'elle ne peut être utilement invoquée à l'encontre d'une autre loi conçue d'ailleurs, en termes différents »

Cela signifie que la force absolue de chose jugée prévue à l'article 62, alinéa 3, n'est valable que pour les décisions du Conseil constitutionnel relatives à chaque loi de manière particulière et non à la totalité de sa jurisprudence.

Cette conception restrictive de la chose jugée par le Conseil s'ajoute à des divergences de vue plutôt rares entre les cours suprêmes et le Conseil constitutionnel. L'exemple le plus connu est la confrontation à distance de la cour de cassation et du Conseil constitutionnel relative à la compatibilité de la procédure de question prioritaire de constitutionnalité avec le principe de primauté du droit de l'union européenne. Il faut également noter les différences de position de la Cour suprême de l'ordre judiciaire et du Conseil constitutionnel sur l'étendue de la protection pénale du chef de l'état à deux ans d'intervalle46.

45 Conseil constitutionnel, 20 juillet 1998, n°88, 244-DC

46 Voir Conseil constitutionnel, 22 janvier 1999, n°98-408 DC et COUR de cassation 10 octobre 2001 arrêt Breisacher dans lequel la Cour de Cassation rejette l'interprétation de l'article 68 de la Constitution du Conseil constitutionnel relatif au statut pénal du chef de l'état

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L'apparente antinomie entre la justice constitutionnelle et la démocratie

Une voix autorisée et avisée remarque que le Conseil d'état et le Conseil constitutionnel n'est pas tout à fait sur la même longueur d'onde concernant « les actes de gouvernement. »47. La plus haute juridiction de l'ordre administratif refuse sans concession de vérifier la légalité des actes de gouvernement. Quant au Conseil constitutionnel, il s'estime compétent moyennant quelques conditions préalables, pour contrôler la légalité de ces actes.

Ces marginaux cas d'espèces n'autorisent nullement à affirmer que les deux (2) Cours suprêmes méconnaissent délibérément l'autorité de la chose jugée par le Conseil constitutionnel. Au contraire, il s'est installé un harmonieux « dialogue » entre ces trois (3) instances juridictionnelles françaises où les décisions de l'une influent la jurisprudence de l'autre. La résultante est une interprétation totalement uniforme ou presque de la Constitution de la République de France.

Les autorités politiques finissent toujours par s'incliner devant la jurisprudence du Conseil en dépit des critiques acerbes qu'elles émettent en des moments. Les différents ministères et l'administration française conjuguent toujours leur effort dans le sens de l'exécution des décisions du Conseil. Les gouvernements successifs et leur majorité parlementaire prennent toujours le soin de corriger les nouveaux projets ou propositions de loi en fonction des censures du juge constitutionnel français. Le gouvernement, note le Pr. Dominique Rousseau, favorise l'exécution des décisions du Conseil en édictant de plus en plus souvent des circulaires exposant la jurisprudence constitutionnelle et invitant les responsables administratifs à appliquer la loi dans le respect des interprétations contenues dans les décisions du Conseil.

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"Les esprits médiocres condamnent d'ordinaire tout ce qui passe leur portée"   François de la Rochefoucauld