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La garantie des droits fondamentaux au Cameroun

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par Zbigniew Paul DIME LI NLEP
Université Abomey-Calavi, Bénin - DEA en Droit international des Droits de l'Homme 2004
  

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SOMMAIRE

INTRODUCTION GENERALE 1

PREMIERE PARTIE : LA CONSTANCE DE LA CONSECRATION DES DROITS FONDAMENTAUX DANS L'ORDRE JURIDIQUE CAMEROUNAIS 14

CHAPITRE I : LA DYNAMIQUE CONSTITUTIONNELLE DE PROCLAMATION DES DROITS FONDAMENTAUX AU CAMEROUN 16

SECTION I : LA PROCLAMATION PREAMBULAIRE DES DROITS FONDAMENTAUX, CHOIX DU CONSTITUANT CAMEROUNAIS 16

SECTION II : L'EDIFICATION D'UN BLOC DE CONSTITUTIONNALITE FAVORABLE AUX DROITS FONDAMENTAUX 27

CHAPITRE II : LA DIVERSITE DES DROITS FONDAMENTAUX CONSACRES 35

SECTION I : L'AFFIRMATION DES DROITS CLASSIQUES 36

SECTION II : LA CONSECRATION DE DROITS ORIGINAUX 49

CONCLUSION DE LA PREMIERE PARTIE 63

DEUXIEME PARTIE : LA TIMIDE PROTECTION DES DROITS FONDAMENTAUX AU CAMEROUN 64

CHAPITRE I : LES MECANISMES JURIDICTIONNELS DE PROTECTION DES DROITS FONDAMENTAUX 66

SECTION I : L'ACTION VOLONTAIRE DES JUGES DES ORDRES JUDICIAIRE ET ADMINISTRATIF 66

SECTION II : L'INTERVENTION HYPOTHEQUEE DU JUGE CONSTITUTIONNEL EN MATIERE DE PROTECTION DES DROITS FONDAMENTAUX 83

CHAPITRE II: LES MECANISMES NON JURIDICTIONNELS DE PROTECTION DES DROITS FONDAMENTAUX 94

SECTION I : LES AUTORITES ADMINISTRATIVES INDEPENDANTES 94

SECTION II : L'EMERGENCE DE LA SOCIETE CIVILE DANS LA PROTECTION DES DROITS FONDAMENTAUX 111

CONCLUSION DE LA DEUXIEME PARTIE 123

CONCLUSION GENERALE 124

INTRODUCTION GENERALE

La notion de « droits fondamentaux » n'est pas aisée à définir, car elle semble être justiciable de plusieurs acceptions. De plus, elle cohabite avec des notions voisines ou synonymes telles que celles de « libertés fondamentales », « droits de l'homme », « libertés publiques », si bien que l'emploi de l'une ou l'autre de ces notions prête parfois à équivoque.

C'est ce qu'exprime le Pr SUDRE, lorsqu'il pose le constat que les termes « droits de l'homme » et « droits fondamentaux » apparaissent interchangeables et sont parfois indifféremment utilisés par la doctrine1(*). Pour le Pr LECLERCQ, la notion de « droits fondamentaux » s'apprécie plutôt par rapport au droit public interne de chaque Etat, étant admis que l'internationalisation des « droits de l'homme » limite la souveraineté étatique et l'arbitraire, toujours possible de chaque Etat. Il lui adjoint, du reste, comme synonyme la notion de « libertés publiques »2(*).

Le Pr René DEGNI SEGUI estime, quant à lui, qu'un lien est déductible de l'interpénétration entre ces différentes notions : l'homme. Ce dernier en est le centre névralgique, car c'est sa dignité qui est recherchée. A ce propos, le Pr. BEDJAOUI a pu dire que les ``droits fondamentaux'' sont des droits primaires, des droits premiers qui préexistent à toute formation sociale, à tout droit et leur confèrent le caractère universaliste3(*). Les ``droits fondamentaux'' renvoient donc à une certaine éthique, pour reprendre l'expression du Pr SUDRE, qui pense que l'usage du terme ``droits de l'homme'' renvoie plus au domaine de l'« imaginaire »4(*), et que c'est celui de "libertés publiques" qui sied au droit positif. Celles-ci désignent de manière générale « les droits et facultés assurant la liberté et la dignité de la personne humaine et bénéficiant de garanties institutionnelles »5(*), écrit-il.

Le Pr TURPIN abonde dans le même sens lorsqu'il considère que « parfois considérées comme synonymes, les notions de ``droits de l'homme'' et de ``libertés publiques'' ne se recouvrent pas totalement »6(*). Il précise son idée en ajoutant que « la première [notion] est plus ancienne, plus large, plus ambitieuse, mais moins précise, car plus philosophique ou politique [...] La seconde est plus récente, plus modeste, mais aussi plus juridique, donc plus précise »7(*). Toutefois, ces deux notions diffèrent essentiellement par leur source et leur contenu.

En ce qui concerne l'origine, la notion de « libertés publiques » apparaît avec la Constitution française du 14 janvier 1852, dont l'article 25 en confiait la garde au Sénat8(*). Celle de « droits de l'homme » renvoie plutôt aux sources du jusnaturalisme, l'homme étant, par son essence, titulaire d'un ensemble de droits inhérents à sa nature et ne pouvant être méconnus sans qu'on ne porte atteinte à celle-ci. Il n'est donc pas besoin de reconnaissance formelle de ces droits pour qu'ils s'imposent, car la notion de « droits de l'homme » peut transcender sa reconnaissance par les textes9(*). Cependant, la reconnaissance textuelle est possible, puisque les droits de l'homme présentent des critères qui permettent de voir « un droit, au sens propre du terme, dans une possibilité reconnue à l'homme : un titulaire, un objet précis, un sujet auquel l'opposer ». Ce qui permettra au demeurant de leur affecter la sanction, susceptible de les faire entrer dans le droit positif10(*).

Les libertés publiques traduisent, d'une certaine manière, le passage du jusnaturalisme caractérisant les droits de l'homme au positivisme juridique, car elles sont fortement consacrées par les textes. Ce sont des droits de l'homme que l'Etat reconnaît formellement, aménage et insère dans le droit positif. Elles sont, à ce titre, « des droits de l'homme reconnus, définis et protégés juridiquement »11(*).

En ce qui concerne le contenu, les libertés publiques sont des droits de l'homme d'une nature bien définie : elles constituent des pouvoirs de choix. Le Pr VIGNON estime ainsi que, si originellement la liste des droits de l'homme n'était constituée que de pouvoirs de choix, par la suite les exigences d'un minimum de sécurité matérielle et de développement intellectuel se sont imposées à l'Etat et ont octroyé à l'homme une créance contre celui-ci, tenu alors de les satisfaire par des mesures positives facilitant leur réalisation. Ces nouveaux types de droits ne sont pas des droits-libertés, à l'instar des premiers, et posent des problèmes juridiques différents12(*).

Au total, si toutes les libertés publiques sont des droits de l'homme, tous les droits de l'homme ne sont pas des libertés publiques. Les deux notions se recoupant largement, mais ne se recouvrant pas13(*).

Il existe toutefois un déterminant commun à ces notions, l'Homme et sa dignité. C'est la prise en compte de cette qualité qui a conduit le juge Kéba MBAYE à présenter les droits de l'homme comme un ensemble cohérent de principes juridiques fondamentaux s'appliquant partout dans le monde tant aux individus qu'aux peuples et ayant pour but de protéger les prérogatives inhérentes à tout homme et à tous les hommes pris collectivement en raison de l'existence d'une dignité attachée à leur personne et justifiée par leur condition humaine14(*).

L'analyse conceptuelle de la notion de ``droits fondamentaux'' révèle cependant une difficulté quant à la catégorisation des droits que l'on peut ranger sous ce vocable.15(*) Comme le relève le Pr Yao VIGNON, « il n'est guère facile de faire la liste de ces droits, et l'incertitude de leur définition explique, au moins en partie, la difficulté à en dresser l'inventaire »16(*).

Une analyse du Pr NLEP17(*) propose qu'afin de déterminer la nature juridique de ces droits, deux tendances puissent être explorées :

Une, tributaire de l'évolution du constitutionnalisme français, qui vise à rattacher la notion de ``droits fondamentaux'' au degré de protection juridique dont bénéficient ces droits. Cette tendance, sous la houlette du Pr FAVOREU, considère comme tels, les droits « protégés contre le pouvoir législatif [...] en vertu de la constitution et de textes internationaux »18(*).

La seconde tendance, plus conceptualiste, propose comme point de départ la notion même de ``droits fondamentaux'' pour déterminer leur nature. C'est la voie initiée par le Pr TERRE, pour qui la notion est essentiellement ambivalente, car ces droits sont d'une part reliés à l'homme, mais d'autre part, « c'est l'homme qui les constate ou les déclare, de telle sorte qu'en définitive, ils sont les créations de son esprit, les fruits de sa culture »19(*), précise t-il.

Selon le Pr TERRE, les droits fondamentaux présentent des critères qui permettent de les identifier. Ces critères existent au sein même desdits droits et ont une nature organique manifestant une supériorité de la Constitution. Ce sont :

· la protection, en premier lieu, des droits fondamentaux contre le pouvoir exécutif, mais aussi contre le pouvoir législatif ;

· la garantie des droits en vertu de la loi, mais surtout en vertu de la Constitution ou des textes internationaux ou supranationaux ;

· la garantie des droits par les juges ordinaires, les juges constitutionnels et même les juges internationaux20(*).

L'idée de ``garantie'' semble donc affectée comme un lien consubstantiel à la notion de « droit fondamental ». L'article 16 de la Déclaration française des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ne considérait-il pas à ce propos que toute société dans laquelle les droits ne sont pas garantis n'a point de constitution ? D'autres approches doctrinales sont cependant envisageables pour la détermination de la fondamentalité des droits :

Une approche positiviste qui règle la question de la fondamentalité des droits par une simple lecture textuelle et jurisprudentielle. Ici, « est fondamental tout droit que les textes ou le juge disent fondamental »21(*).

Une approche de type systématique ou dogmatique qui a pour base un postulat selon lequel le constitutionnel étant fondamental au sein d'un ordre juridique interne, les droits fondamentaux sont donc les droits inscrits dans la Constitution.

Selon M. VIGNON, il convient d'unifier ces deux dernières approches afin de rendre la question de la fondamentalité des droits plus saisissable en droit positif. Une définition des droits fondamentaux peut ainsi être esquissée. Elle qualifie ces droits de « droits assez essentiels pour fonder et déterminer [...] les grandes structures de l'ordre juridique tout entier en ses catégories, dans lequel et par lesquelles ils cherchent à se donner ainsi les moyens multiples de leurs garanties et de leur réalité »22(*). Les droits fondamentaux s'imposent alors comme « refondateurs de l'Etat de droit »23(*) et recoupent dans leur intégralité les notions voisines de « droits de l'homme » et « libertés publiques ».

S'il est évident que la considération de la condition humaine est au centre de la question des droits fondamentaux, c'est elle qui conduit aujourd'hui à de multiples revendications au nom de la liberté. En conséquence, la notion de ``droits fondamentaux'' se retrouve aujourd'hui au confluent de batailles multiples et complexes. C'est ainsi que les acteurs politiques en font la base de leurs programmes, les bailleurs de fonds un élément de la conditionnalité de leur aide et les organisations de la société civile se font chaque jour plus exigeantes sur la question. Comme le constate à juste titre le Pr Jacques ROBERT à ce propos, « jamais on n'a autant parlé des libertés. Jamais on n'a voulu autant sensibiliser l'opinion aux dangers qui les menacent »24(*). C'est que les droits fondamentaux ont un côté fragile, vulnérable. En effet, la vie en société qui suppose l'ordre, se montre parfois incompatible avec les libertés ; elle a ainsi tendance à mettre entre parenthèses ces dernières au profit de l'ordre. Des régimes politiques d'horreur et de calamités humaines peuvent germer comme cela a été le cas avec les fascismes à la moitié du 20e siècle ou le régime Khmer au Cambodge.

L'effort de protection des droits fondamentaux se trouve donc légitimé par la nécessité de protéger la vie et la dignité humaines, cette qualité inhérente à tout être humain qui n'a pas toujours été aussi aisée à reconnaître tout au long de l'histoire de l'humanité. Cet effort a consisté dans des tentatives de normaturisation des droits de l'homme. Il connaît une concrétisation remarquable avec les Révolutionnaires français, à travers la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789. Mais, le terrain avait déjà été préparé par des précédents concordants, tels les pactes anglais25(*) et les déclarations américaines26(*), illustratifs des luttes pour la liberté.

Le texte français affirme l'existence de « droits de l'homme » et de « droits du citoyen » inhérents à la personne humaine qui s'entendent de droits reconnus à tous les individus composant la société sans « distinction » aucune. Il a alors un important écho de par le monde et traverse deux siècles sans perdre de sa pertinence. C'est ainsi que cette déclaration va inspirer la volonté de la communauté internationale au sortir de la Deuxième guerre mondiale pour l'élaboration d'actes de protection des droits de l'homme à l'échelle planétaire.

C'est le cas de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme (DUDH) adoptée et proclamée le 10 décembre 1948 par une résolution des Nations-Unies. Elle sera l'instrument déclamatoire d'une consubstantialité et d'un universalisme des droits de l'homme à l'ensemble de la planète.

Suite à cette déclaration onusienne, nombre d'Etats ont adhéré aux principes qu'elle prônait, et les Etats africains n'ont pas dérogé à ce mouvement. Après les indépendances, ceux-ci vont affirmer leur attachement à toutes les valeurs contenues dans la DUDH. Ils vont aussi faire leurs ces valeurs, malgré le caractère non contraignant de la déclaration onusienne27(*). Les Etats africains marquaient ainsi un engagement, au moins moral, de respecter les droits ainsi proclamés.

Cet engagement se traduit par une incorporation de la DUDH dans les premières constitutions des Etats africains. Nombre de constitutions élaborées ensuite vont intégrer, au fur et à mesure, les autres actes et décisions des Nations-Unies avec le même enthousiasme28(*).

Toutefois, on ne peut ignorer le fait que les droits de l'homme étant de source fondamentalement occidentale, l'empreinte de leur culture originelle allait se retrouver dans maintes constitutions africaines. Le Pr Maurice KAMTO a pu écrire que c'est cette influence notoire du constitutionnalisme occidental sur les constituants africains qui explique l'attachement formel des Etats africains aux déclarations de droits dans les premières constitutions29(*). Cette inspiration occidentale des droits de l'homme ne signifie toutefois pas que ceux-ci sont une vertu de l'Européen. A cet effet, M. Kéba MBAYE a pu dire, en donnant les arguments des différentes cultures quant à une appropriation des droits, que leur histoire n'appartient à aucun peuple et qu'ainsi, ils ne sont l'exclusivité « d'aucune époque, d'aucun lieu, d'aucune culture »30(*).

Au sein des ordres juridiques international et interne, il y'a une constante : il faut que la jouissance des droits fondamentaux proclamés soit assurée et que ceux-ci soient convenablement protégés. C'est dans cette perspective que s'inscrit notre étude relative à « la garantie des droits fondamentaux au Cameroun ». Pour la mener à bien, il convient au préalable de déterminer son objet et ses limites, ainsi que l'intérêt qu'elle recèle. Nous allons ensuite déterminer la méthode à partir de laquelle nous entendons la traiter, ce qui permettra de dégager les questions essentielles qu'elle soulève, afin de pouvoir proposer un plan de notre analyse.

Après la première vague des constitutions de l'après indépendance, les Etats africains, en plus de leur adhésion aux textes universels de droits de l'homme, vont pousser plus loin leur engagement en faveur des droits de l'homme à travers le Continent. C'est ainsi que seront élaborés des instruments régionaux de proclamation des droits de l'homme31(*).

Les Etats africains ont montré par cette attitude positive, leur acceptation du caractère universel des droits fondamentaux qui à ce titre, sont reconnus par les Etats de tous les continents. Pour autant, les droits ne sont pas que l'apanage de documents écrits, de reconnaissance et de proclamation formelles, même animées des meilleures intentions. Ils sont d'abord un élément du quotidien de chaque être humain. Ce qui est essentiel, c'est sa capacité à se mouvoir sans autres entraves que celles nécessaires à la vie en société et qui, dès lors, se doit d'être garantie et protégée par les textes et au-delà des textes. Telle est la valeur ajoutée attendue de l'adhésion aux textes en matière de droits fondamentaux. A t-on cependant assisté à une réelle garantie des droits de l'homme à travers le continent africain ?

Force est d'admettre que la reconnaissance d'un droit est une chose, mais le bénéfice qu'en tire le citoyen en est une autre. On peut constater que dans les constitutions africaines des premières années de l'après indépendance, les dispositions favorables aux droits fondamentaux, dans le meilleur des cas, cohabitent avec d'autres dispositions qui leur sont contraires. On a pu parler d'un constitutionnalisme rédhibitoire en Afrique32(*). Des exemples peuvent être pris des constitutions instituant le parti unique ou un pluralisme interprété comme étant interdit33(*). On comprend ainsi que de l'héritage multipartite reçu des luttes d'indépendance, l'Afrique se soit tournée vers un système de parti unique peu favorable aux libertés et droits fondamentaux.

Dans la majorité des Etats, une politique dite de construction nationale se solde par la mise entre parenthèses des droits humains, réputés secondaires au regard de l'importance présumée de créer une nation préalable. C'est ainsi que dans les années 1970, la perspective de leur jouissance a été renvoyée à un avenir sans cesse repoussé. Ces droits étaient pourtant, partout, bel et bien consacrés dans les constitutions. Cela n'a pas empêché que des violations massives des droits de l'homme soient constatées et dénoncées sur le continent, tant et si bien que les Etats africains ont été considérés comme des fiefs de l'arbitraire, de l'absolutisme et de la dictature.

Toutefois, à la faveur de la chute du mur de Berlin et du discours de la Baule à la fin des années 1980, l'on a pu assister à un nouvel attachement aux valeurs des déclarations des droits de l'homme. La plupart des Etats africains ont procédé à la rédaction de nouvelles constitutions ou à une révision des constitutions en vigueur, afin de réintégrer le pluralisme politique et les autres valeurs de la démocratie. Par ce mouvement, il s'agissait, soit de supprimer dans les constitutions les dispositions contraires ou ambiguës, en tout cas défavorables aux droits fondamentaux, soit d'établir sur de nouvelles bases une constitution résolument tournée vers les valeurs de la démocratie. Cette deuxième hypothèse a surtout été explorée dans les pays ayant organisé une conférence nationale34(*).

L'objet de cette étude s'attache à l'analyse des conséquences imputables à ces processus de révision ou de réécriture de nouvelles constitutions en Afrique en général et au Cameroun en particulier, afin d'analyser leur apport quant à la sécurité des droits fondamentaux dans l'ensemble de l'espace juridique africain et dans l'ordre juridique camerounais spécifiquement. Toutefois, afin de circonscrire le cadre de notre étude, il convient de préciser au préalable ce qu'il faut entendre par l'expression « garantie des droits fondamentaux ».

La garantie est définie par le dictionnaire le Petit Robert, comme l'obligation d'assurer à quelqu'un la jouissance d'une chose, d'un droit, ou de le protéger contre un dommage éventuel. Elle suppose la reconnaissance d'une chose ou d'un droit, que l'on a, par voie de conséquence, l'obligation de protéger35(*). Cette reconnaissance s'entend de la proclamation et de la consécration dudit droit dans un ordre juridique. Le droit fondamental ainsi proclamé et consacré appelle cependant une autre exigence corrélative à la proclamation, c'est l'obligation de protéger le droit.

De cette protection, Kéba MBAYE écrit : « est protection des droits de l'homme, tout système comportant, à l'occasion d'une allégation d'une ou plusieurs violations d'un principe ou d'une règle relatifs aux droits de l'homme et édictés en faveur d'une personne ou d'un groupe de personnes, la possibilité pour tout intéressé de soumettre une réclamation et éventuellement de provoquer une mesure tendant à faire cesser la ou les violations ou à assurer aux victimes une réparation jugée équitable »36(*). Sous l'angle de la ``protection'', il est possible d'envisager les mesures de sauvegarde des droits orchestrées par l'ensemble des mécanismes institués au sein de la constitution et des textes reconnus dans l'ordre juridique, la compétence de l'aménagement de tels mécanismes étant dévolue à titre principal à la Loi fondamentale.

La réglementation de l'exercice des droits fondamentaux peut aussi être confiée à la loi. Les principes constitutionnels se doivent donc d'être mis en oeuvre par le législateur qui les conciliera avec les exigences de l'ordre public, sans remettre en cause lesdits principes37(*). Au Cameroun, cette hypothèse est retenue, le pouvoir législatif disposant alors d'une compétence dérivée en la matière, conformément à l'article 26 de la loi n° 96/06 du 18 janvier 1996 portant révision de la Constitution du 2 juin 1972. Mais, une intervention du pouvoir exécutif est permise dans ce domaine par la voie des ordonnances (article 28 de la loi) et par la possibilité offerte au Président de la République de soumettre au référendum un projet de loi portant sur le statut des personnes et le régime des biens (article 36). Ceci élargit la perspective de l'analyse de la ``protection'' des droits fondamentaux à l'égard de ces textes.

Le néo-constitutionnalisme camerounais est ainsi caractérisé par l'édiction de textes législatifs et réglementaires du début des années 1990 en réponse aux demandes sociales nées des aspirations à un système plus libéral, et conduisant à la réforme constitutionnelle de 1996. Mais il comprend aussi des textes législatifs ultérieurs en relation avec les droits fondamentaux des citoyens.

Si au cours de notre étude nous nous attachons principalement à cette période dite des « mouvances démocratiques », qui débute dans les années 1990, un rappel des différentes situations ayant prévalu dans l'Etat camerounais avant cette période n'est pas exclu. Nous pensons aux régimes de proclamation et de protection des droits fondamentaux institués par le constituant camerounais dans les textes constitutionnels de la période post-indépendance, ceux du 4 mars 1960, du 1er septembre 1961 et du 2 juin 1972.

La logique nouvelle d'élaboration des constitutions sur le continent africain dans les années 1990 est fidèle à sa devancière, du point de vue de la proclamation des droits fondamentaux de l'individu. Les nouvelles constitutions procèdent toutefois à une certaine innovation par rapport aux premières. Au-delà de la proclamation, elles inscrivent de nouveaux mécanismes constitutionnels pratiques de protection des droits fondamentaux38(*). Au Cameroun, cette inscription dans le corpus constitutionnel de mécanismes protecteurs a un double impact pour notre étude sur la garantie des droits fondamentaux au Cameroun :

· un impact intellectuel, à savoir la prévision par la Constitution de tels mécanismes, leur conférant le statut constitutionnel ;

· un impact politique, à savoir la possibilité offerte aux citoyens selon des procédures diverses, de disposer d'instances de recours contre les violations de leurs droits. C'est cet intérêt qui renvoie à l'épanouissement juridique du citoyen et permet l'examen de la portée des instances chargées de garantir ces droits.

Ce double impact permet d'ouvrir certaines perspectives pour notre étude. Bien que quotidiennement exploré, le thème des droits fondamentaux et de leur garantie dans un système juridique donné est toujours d'une actualité brûlante, la liberté étant une quête perpétuelle et les violations revêtant un caractère quasi permanent et tout aussi perpétuel. C'est ainsi que notre étude permet, de prime abord, de déterminer le régime juridique des droits constitutionnellement garantis au Cameroun, qui s'analyse pour l'essentiel dans leur contenu et leur portée.

Elle permet ensuite une connaissance des organes et institutions prévus dans l'ordre juridique camerounais pour la sécurité juridique des citoyens. Elle offre la possibilité de faire passer un test d'efficacité aux différentes mesures de sauvegarde des droits, afin de voir de quelle manière elles participent à la garantie des droits et en cas d'insuffisance, de proposer des palliatifs. Notre étude vient contribuer à une meilleure connaissance des rapports entre le citoyen, le politique et les droits fondamentaux dans le Cameroun actuel. Il s'agit en fait d'explorer les conditions de la construction de l'Etat de droit au Cameroun en particulier et en Afrique en général.

Diverses études ont été menées relativement à la promotion et à la protection des droits fondamentaux, mais elles sont pour la plupart exclusives d'une analyse conjointe de l'ensemble de la protection mise en oeuvre par l'intégralité des mécanismes institués par la loi constitutionnelle n° 96/06 du 18 janvier 1996 et les textes d'application qui se rattachent à cette Loi fondamentale. Il nous semble donc légitime, eu égard au fait que les différends relatifs à la jouissance des droits fondamentaux sont tranchés par les juridictions et que d'autres instances peuvent intervenir sur ce terrain sensible de leur garantie, qu'une étude juridique intégrale soit menée relativement à la « garantie des droits fondamentaux au Cameroun ».

Cette étude sur « la garantie des droits fondamentaux au Cameroun » sera menée à l'aide de la méthode juridique. Celle-ci sera utilisée au sens où elle est entendue par le Pr Charles EISENMANN, qui lui donne un double contenu. Il s'agit d'une double démarche d'analyse des textes et d'exploration des conditions de leur édiction, des interprétations et de l'application qui en sont effectuées par les différents acteurs sociaux destinataires de la règle de droit39(*). Il s'agit alors, selon les termes du Pr EISENMANN, de la « dogmatique » pour désigner la première étape de la démarche, et de la « casuistique » pour rendre compte de la seconde.

La dogmatique s'en tient au droit, à la règle juridique telle qu'elle ressort de l'armature législative au sens large. Elle se limite par conséquent au droit écrit, et vise systématiquement l'étude de ce droit à partir des règles juridiques existantes. C'est l'étude du droit positif au sens strict.

La casuistique elle, vient compléter la première démarche, afin d'éviter de se retrouver trop enfermé dans un positivisme juridique ne tenant pas compte de la réalité du milieu ambiant dans lequel la règle de droit produit ses effets. Elle tient alors à cette conviction du juriste que les faits de la réalité juridique sont étroitement liés aux faits de la réalité sociale40(*). Le sujet de droit est aussi un acteur social et la règle de droit n'est qu'une technique de gestion des hommes. La dogmatique permet alors de comprendre le caractère formel de la règle de droit, tandis que la casuistique permet de confronter cette dernière à la réalité sociale.

La casuistique obéit alors à un processus. Après une vérification de l'identité des faits à ceux prévus par la règle de droit, on peut décider s'il faut leur appliquer les conséquences énoncées dans le dispositif juridique. C'est le syllogisme juridique.

Cette méthode se retrouvera donc dans l'ensemble de notre analyse, afin que nous puissions déterminer de façon effective si d'une proclamation des droits fondamentaux par les textes, les destinataires, entendu les citoyens camerounais, bénéficient effectivement desdits droits et voient sanctionner les violations qui peuvent survenir dans l'Etat camerounais.

Le souci d'une plus grande sécurité des droits fondamentaux au Cameroun a abouti principalement à la loi n° 96-06 du 18 janvier 1996 portant révision de la Constitution du 2 juin 1972. Elle apporte deux innovations majeures pour la garantie des droits fondamentaux. Ce texte procède visiblement à une reconnaissance plus claire et plus directe des droits fondamentaux proclamés par les textes internationaux, et institue des instances et des procédures visant à contrôler, et éventuellement à censurer toute violation desdits droits.

Il veut répondre ainsi aux attentes développées par le mouvement de démocratisation en Afrique et au Cameroun, à travers cette proclamation et cette institution de mécanismes de sauvegarde des droits. Toutefois dans la pratique, ces mécanismes semblent peu ou pas du tout utilisés, si bien qu'une gêne est dès lors perceptible. En effet, près d'une décennie déjà après l'institution de certains mécanismes, ceux-ci n'opèrent pas encore totalement dans le sens escompté par le texte constitutionnel ainsi que par les autres textes juridiques et les droits proclamés par le texte peinent à être effectivement exercés par les citoyens.

Dès lors, on est en droit de se poser une question fondamentale : quelle est la garantie des droits fondamentaux dans le nouveau système constitutionnel camerounais ? Cette question en appelle d'autres, incidentes, mais non moins importantes. En ce qui concerne les droits fondamentaux consacrés, quels sont-ils et quel est leur statut juridique ? L'ensemble des droits reconnus a-t-il la même portée juridique ? Ces droits bénéficient-ils de mécanismes de sauvegarde fiables et véritablement efficaces ?

On peut déjà constater que près d'une décennie après son entrée en vigueur, le texte constitutionnel de 1996 n'est pas totalement mis en oeuvre en ce qui concerne les instances de sauvegarde des droits fondamentaux. Ceci n'est pas sans effet sur l'effectivité de ces droits, ce qui nous amène, sans pessimisme aucun, à poser le constat d'une grande faiblesse dans la garantie des droits fondamentaux au Cameroun. Telle est l'hypothèse générale de la présente étude.

Il convient donc, pour aboutir à l'analyse de « la garantie des droits fondamentaux au Cameroun », d'examiner, la constance de la consécration des droits fondamentaux dans l'ordre juridique camerounais (1e partie). Toutefois, pour bénéfique qu'est cette consécration formelle des droits fondamentaux, elle cède la place à une protection timide de ceux-ci (2e partie), qui, en conséquence, fragilise la sécurité juridique des citoyens camerounais

* 1 F. SUDRE, Droit international et européen des droits de l'homme, Paris, P.U.F., 1989, p. 118.

* 2 Au sens du Pr LECLERCQ, « une liberté publique se présente comme un aspect circonscrit de la liberté, traduit en droit par des textes constitutionnels et/ou internationaux et soumis à un régime de protection juridique précisé par ces textes et d'autres textes subséquents qui visent, par des procédures appropriées, à faire valoir la liberté ainsi définie », in Libertés publiques, 3e éd., Paris, Litec, 1996, p. 5.

* 3 M. BEDJAOUI, ``La difficile avancée des droits de l'homme vers l'universalité'', in R.U.D.H., V. 1, 1989, p. 9.

* 4 Ibid., p. 10.

* 5 Ibid., p. 10.

* 6 D. TURPIN, Libertés publiques et droits fondamentaux, Paris, Ed. du Seuil, Févr. 2004, p. 7.

* 7 Ibid., p. 7.

* 8 Ibid., p. 7.

* 9 Y. B. VIGNON, ``La protection des droits fondamentaux dans les nouvelles constitutions africaines'', Revue nigérienne de droit, n° 3, déc. 2000, p. 80.

* 10 Ibid., p. 80.

* 11 Ibid., p. 80.

* 12 Ibid., p. 81.

* 13 Ibid., p. 81.

* 14 K. MBAYE, Les droits de l'homme en Afrique, Paris, Ed. A. Pedone, 1992, p. 25.

* 15 Y. B. VIGNON, ibid., p. 81.

* 16 Ibid., p. 81.

* 17 R. G. NLEP, ``Le juge de l'administration et les normes internes, constitutionnelles ou infra constitutionnelles en matière de droits fondamentaux'', SOLON, Vol. I, n° 1, 1999, pp. 135-149.

* 18 L. FAVOREU cité par R. G. NLEP, ibid., p. 136.

* 19 F. TERRE cité par R. G. NLEP, ibid., p. 136.

* 20 F. TERRE, ``Sur la notion de liberté et droits fondamentaux'' in R. CABRILLAC et alii (dir.), Libertés et droits fondamentaux, 7e éd., Paris, Dalloz, 2001, p. 9.

* 21 Y. VIGNON, ibid., p. 82.

* 22 Ibid., p. 82.

* 23 Ibid., p. 83.

* 24 J. ROBERT et J. DUFFAR, Droits de l'homme et libertés fondamentales, 5e éd., Paris, Montchrestien, 1993, p. 1.

* 25 Les pactes anglais sont des conventions passées par des barons ou par les Chambres avec le Roi pour se garantir contre l'arbitraire de la Couronne. Ce sont : la Grande Charte du 21 juin 1215, la Pétition des droits du 7 juin 1628, l'Acte d'Habeas Corpus de 1679, le Bill of Rights du 13 févr. 1689, l'Acte d'établissement.

* 26 Les déclarations américaines s'entendent de la Déclaration d'indépendance du 4 juil. 1776, des Bill of Rights des 13 Etats indépendants, des 10 premiers amendements de la Constitution fédérale de 1787 et le 14e amendement adopté en 1868 à la suite de la Guerre de Sécession, et ceux ultérieurs.

* 27 En effet, sur le plan juridique, la DUDH n'est qu'une résolution dont le contenu ne peut devenir obligatoire pour les Etats que s'il est repris sous la forme d'une convention ou d'un pacte conclu entre eux. C'est dans ce sens que les pactes jumeaux relatifs aux Droits économiques, sociaux et culturels et aux Droits civils et politiques seront adoptés par l'Assemblée générale en 1966 pour donner une certaine force obligatoire aux droits proclamés par la DUDH. Toutefois, cette dernière a acquis au fil du temps une certaine force contraignante, comme le souligne à juste titre une décision de la CIJ.

* 28 Ce sont notamment les Pactes de 1966, la Convention relative au statut des réfugiés (28 juil. 1951), la Convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale (21 déc. 1965), la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes (18 déc. 1979), la Convention contre la torture...(10 déc. 1984), la Convention relative aux droits de l'enfant (20 nov. 1989).

* 29 M. KAMTO, ``L'énoncé des droits dans les constitutions des Etats africains francophones'', R.J.A., n° 2-3, Yaoundé, Presses Universitaires du Cameroun, 1991, p. 23.

* 30 K. MBAYE, op. cit., pp. 12- 13.

* 31 Exemples peuvent être pris de la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples adoptée le 27 juin 1981 et entrée en vigueur le 21 octobre 1986, de la Charte africaine des droits et du bien-être de l'enfant adoptée le 11 juillet 1990 et entrée en vigueur le 29 novembre 1999.

* 32 J. OWONA, ``L'essor du constitutionnalisme rédhibitoire en Afrique Noire : Etude de quelques « constitutions Janus »'', In Mélanges P. F. GONIDEC, L'Etat moderne en Afrique, Horizon 2000 : Aspects internes et externes, pp. 235-243, p. 235.

* 33 V. à ce propos l'article 3 de la Constitution camerounaise de 1972 qui, alors qu'il institue le cadre d'un multipartisme au sein de l'Etat, verra plutôt la consécration d'un système de parti unifié, en l'occurrence l'Union Nationale Camerounaise (U.N.C.).

* 34 V. dans ce sens M. KAMTO, ``Les conférences nationales africaines ou la création révolutionnaire des constitutions'', in D. DARBON et J. d. B. de GAUDUSSON, (dir.), La création du droit en Afrique, Paris, Karthala, 1997, 496 p., pp. 177-195. Les conférences nationales se sont déroulées dans les Etats d'Afrique francophone suivants : le Bénin, le Congo, le Gabon, le Mali, le Niger, le Tchad, le Togo et l'ex Zaïre.

* 35 J. REY-DEBOVE, A. REY (dir.), Le Petit Robert, Dictionnaire de la Langue Française, Paris, Dictionnaire Le Robert, 2003, p. 1159.

* 36 K. MBAYE, op. cit., p. 70.

* 37 A. D. OLINGA, ``L'aménagement de droits et libertés dans la Constitution camerounaise révisée'', Revue Universelle des Droits de l'Homme, 1996, vol. 8, n° 4-7, p. 123.

* 38 Au besoin, elles renforcent les anciens mécanismes, en leur accordant de nouvelles compétences, ce qui les rend plus aptes à protéger les droits constitutionnels.

* 39 C. EISENMANN, Cours de droit administratif, Paris, Les cours de droit, L.G.D.J., 1969, cité par C. NACH MBACK, Démocratisation et décentralisation, Paris, Karthala, PDM, 2003, p. 45.

* 40 C. NACH MBACK, op. cit., p. 47.

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