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La conception d'un projet d'établissement: Entre politique, ingénierie et pragmatisme

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par Simon MAMORY
Université de Nantes - Master Pro Direction d'Etablissement ou Organisme de Formation (DEOF) 2002
  

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B. Cheminement d'un ouvrier-élève

Enchaînant maints emplois précaires, j'ai toujours gardé, autant que faire se peut, des activités bénévoles, des engagements sociaux et associatifs tels que représentant des élèves au conseil d'administration du lycée ou animation de mouvements des jeunes ou encore comme co-fondateur et rédacteur en chef adjoint d'un petit journal d'éducation à la santé. Mes rares temps libres étaient souvent consacrés à des retraites champêtres pour profiter des faunes et flores luxuriantes, en majorité endémiques de cette Île sanctuaire, en me laissant aller à des méditations sur les conditions humaines. Pendant ce temps, l'école continue à imposer ses exigences prises pour l'unique priorité qui vaille. Ce à quoi j'ai encore du mal à m'accommoder maintenant. L'on voit encore, en effet, des éducateurs21 qui ont tendance - consciemment ou pas

- à faire valoir leur unique ambition pour leurs élèves au détriment du projet de ces apprenants et celui de leur famille. L'on s'étonne ensuite des cacophonies à l'origine des dissonances cognitives, dans la communauté éducative ; phénomène très perturbant pour des jeunes étiquetés,

à tort, "en difficulté scolaire". Est-ce vraiment ces jeunes qui sont en difficulté scolaire ou c'est plutôt l'école, le système éducatif, voire même la société qui se trouve en difficulté face à elle- même à force de ne pas savoir ce qu'elle veut en terme de valeur ? Le problème pourrait peut- être s'appréhender en trois pôles solidaires : le jeune, la famille et le système éducatif. L'interaction, entre les trois, participe à la production de ce que le jeune peut et pourra être, à un moment donné, dans ses différents cercles d'appartenance. Or puisque ces trois pôles forment chacun un sous-système vivant, l'intervention au milieu d'un super système regroupant les trois exige des professionnels de l'éducation une prise de conscience de la complexité à laquelle ils ont

à faire face. Ainsi, la qualification "en difficulté" s'appliquera là où elle devra être plutôt que comme un lourd verdict posé sur la tête des jeunes.

À l'école, dans un système paradoxalement élitiste pour l'un des pays classés parmi les plus en retard économiquement, tout allait normalement sur le plan purement intellectuel. Toutefois, malgré cette petite réussite cognitive, je me suis retrouvé quelque fois en position de défouloir de frustrations de certains enseignants qui ne parvenaient pas à me modeler

tel qu'ils auraient aimé que leurs élèves soient. En effet, bien qu'aimant réellement l'école, mon

projet, qu'elle ignorait allègrement, ne concordait que rarement avec ce qu'elle persistait à

21 Ici l'éducateur est pris au sens large englobant tout professionnel de l'éducation, de l'enseignement et de formation.

imposer de façon uniforme. Un fait anecdotique certes mais potentiellement révélateur de l'ambiance d'ennui dans laquelle peut être noyé un élève : on peut affirmer sans exagération que jusqu'en classe de Terminale (7e année du secondaire ou l'Humanité), près de vingt pour cent de mon temps scolaire a été passé à compter des moutons dans les bras de Morphée. Pour autant, cela ne m'a pas empêché d'atteindre les performances attendues et d'apprendre, en autodidacte,

sur la nature tropicale qui est restée longtemps ma grande passion parallèlement à la vie de la cité, au sens hellénique du terme. Pour assouvir de telles passions, il valait mieux avoir une curiosité bien aiguisée. Heureusement, il semblerait, selon Aristote, que "l'Homme a naturellement la passion de connaître". Cette dernière explique probablement cela, si tant est qu'il faille toujours tout expliquer ou tout justifier. Une importante activité, bien que discrète, illustre mon lien actif au système éducatif de ma jeunesse. Il s'agit d'un engagement pour la promotion de la francophonie là où la malgachisation22 était la règle en vigueur. L'unique résultat palpable de cet engagement, à l'époque, se résume au fait qu'en classe de première (sixième année du secondaire) un professeur d'histoire et géographie ait accepté d'enseigner sa matière en français. Ce ne fut pourtant qu'une victoire éphémère dans la mesure où le professeur lui-même n'avait pas le niveau suffisant pour assurer un enseignement entièrement francophone. Qu'est ce qu'une poignée de lycéens peut, après tout, espérer apporter comme changement dans une institution où leur voix équivaut à un ultrason pour les oreilles des décideurs ? En tout cas, pas rien. D'abord nous éviter un formatage indélébile et garder ainsi une souplesse intellectuelle minimale indispensable. Ensuite, ce groupe d'anciens lycéens français ou francophiles (où qu'ils soient) est maintenant devenu une force de résistance active pour favoriser la diversité culturelle dans un bout de territoire du village-monde qui risque d'être broyé par le rouleau compresseur de l'uniformisation linguistique de la puissance économico-militaire du moment23. De tels engagements apportent, enfin, une réelle ouverture d'esprit sur les problématiques générales de l'éducation à une échelle plus large que celle d'un pays.

Ainsi, je ne cesse de m'interroger si, outre la nécessité d'une adéquation entre

la formation (post enseignement général de base) et le marché de l'emploi, l'école a pour rôle de livrer au système économique, suivant la conjoncture, uniquement des adultes bien formatés à l'identique, bons exécutants dociles dénués de tout ingéniosité et de sens critique, soit par "amputation", soit par inhibition. Et que fait-elle de ceux qui ne rentrent pas avec précision dans

22 La malgachisation n'avait strictement rien à voir avec une réaction symptomatique d'un nationalisme post-colonial tel que l'interprètent beaucoup de théoriciens. Il s'agit d'un système extrêmement efficace pour promouvoir une oligarchie dont la perpétuation est facilitée par la transmission du pouvoir à l'intérieur du cercle restreint. Pour ce faire, il existait des écoles francophones d'excellent niveau réservées aux élites.

23 Sachant que si le français reste la langue qui occupe une place particulièrement importante, l'idéal est de promouvoir toutes les langues permettant une ouverture culturelle, diplomatique et économique sans exclusivité.

le moule : les "mutiler", punir, écarter, ou stigmatiser ? Dans ce domaine, l'uniformité peut-elle seulement servir aux intérêts économiques d'un pays ? Quelle qu'en soit la réponse, je ne me suis jamais accommodé à cette habitude de l'école de reléguer systématiquement les élèves qui n'arrivent pas à suivre ou, tout simplement, qui ont d'autres centres d'intérêt que ce "menu" standard servi au nom de l'unique égalité. Les expressions "bonnet d'âne", "cancre", "dernier de

la classe", "bon à rien", etc., ne sont-elles pas des inventions des maîtres ? Pourtant, même dans

ma prime jeunesse, je ne me suis jamais senti à l'aise en recevant les prix d'excellence de fin d'année (manuels et fourniture pour l'année suivante) qui concourent à favoriser une minorité d'élèves qui prennent ainsi d'autant plus d'avance sur les autres, alors que ceux qui mettent en difficulté l'école sont abandonnés en route. Dès la classe de 5e (2ème année du secondaire), bénéficier de ce genre de prix me faisait déjà éprouver le sentiment de participer à une profonde iniquité. Mais pour compléter le tableau, il m'est arrivé aussi de me trouver dans la posture du cancre.

En effet, après un voyage intercontinental, mes trois premières années universitaires ont été marquées par de très difficiles soucis d'acculturation. Une grande insuffisance de niveau en français et un décalage entre le premier système éducatif qui m'a formé

et le système éducatif français constituaient les éléments explicatifs à la base d'un tel "échec universitaire". Pourtant, dès ma naissance, la France comme deuxième pays a pris place profondément dans mon coeur d'autant plus que mon meilleur souvenir d'un grand-père, qui m'a servi mes biberons, restera cet amour pour la métropole qui constitue l'unique pays dont il était le citoyen. C'est dire que l'intention et, le sentiment ne suffisent pas. Il faut aussi déployer toute son énergie, son intelligence et beaucoup d'audace dans l'action. S'il ne devait pourtant me rester qu'une seule idéologie motrice pour redresser ma barque vacillante de jeune étudiant, cela aurait

été ce proverbe tiré de deux vers des Géorgiques de Virgile (I, 145-146) : "Un travail opiniâtre vient à bout de tout" (Labor omnia vincit improbus). Il faut avouer aussi que "la langue de chez nous", si bien chantée par Yves Duteil en dépeignant les multiples facettes de la langue de Molière, a vraiment su me séduire au point de me donner l'énergie suffisante pour continuer à l'apprivoiser, jour après jour, voir seconde après seconde pour plusieurs décennies encore.

En somme, il ne serait pas exagéré d'affirmer que mon intérêt pour l'éducation

et l'enseignement a pris racine dans la conviction qu'il est possible de former une société qui relie ses membres avec toutes leurs différences complémentaires grâce à la formation diversifiée

de toutes les générations, tout au long de la vie. Cela suppose, comme condition sine qua non, un fonctionnement scolaire et pédagogique qui ose parier sur un effort d'équité et d'inventivité permanente ; une école qui n'a pas trop de certitudes. Une telle école se doit de donner sa juste

place à l'enseignant, à l'élève et aussi à sa famille dans une institution structurée par des règles du

jeu démocratique et de la laïcité intégratrice. Il s'agit d'une école à la fois ouverte sur le monde tout en demeurant protégée des fluctuations d'humeurs environnantes. Cette école, principale actrice d'une meilleure instruction et formation se doit aussi de co-éduquer main dans la main avec la famille sans se substituer à cette dernière. Enfin, l'école constitue le deuxième cercle éducatif strictement après la famille, mandatée par la société pour des missions précises et donc limitées. Et, bien qu'au service de la société, le système éducatif n'a ni à se substituer à celle-ci,

ni à usurper ses responsabilités. De même, une société démocratique et éclairée se garderait bien

de désigner l'école comme étant à l'origine d'éternels symptômes - décrits tout au long de notre histoire depuis la Grèce Antique - des dysfonctionnements et non-conformités de sa jeunesse.

Venons-en maintenant à l'une des phases les plus significatives de ce parcours, matérialisée par la découverte de la fonction de direction dans une léproserie. Soulignons d'emblée que, quelles que soient les idées qui vont être développées et la manière dont elles seront exposées, l'idée maîtresse de cette expérience se trouve dans la notion de service. Servir une organisation ou un public. Ici, le public sort de l'ordinaire car l'univers des lépreux n'est certainement pas un monde comme les autres. Pénétrer cet univers unique exige l'engagement de

la totalité de son être. D'où la délicatesse de la restitution d'une telle expérience, fut-ce avec des multiples jalons théoriques. En tout cas, il s'agit d'un engagement éminemment formateur et, par conséquent, fondateur de quelques solides valeurs universellement partageables.

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"L'ignorant affirme, le savant doute, le sage réfléchit"   Aristote