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Le monopole bancaire français face au droit de l'union européenne

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par Romain Bony-Cisternes
Université Panthéon Sorbonne Paris 1 - Master 2 droit financier 2013
  

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    LE MONOPOLE BANCAIRE FRANÇAIS

    A L'EPREUVE DU

    DROIT DE L'UNION EUROPEENNE

    Mémoire pour le Master 2 recherche en droit financier
    UFR 05 Droit des affaires

    Présenté et soutenu par : Sous la direction de :

    M. Romain BONY-CISTERNES M. Alain PIETRANCOSTA

    Professeur des Universités Ecole de droit de la Sorbonne

    1

    Année universitaire 2013/2014

    REMERCIEMENTS :

    2

    Je tiens à adresser mes remerciements à Monsieur le professeur Alain Piétrancosta pour avoir
    accepté de diriger ce travail de recherche ainsi que pour ses conseils.

    Je remercie également Sophie Vermeille de l'Institut Droit & Croissance ainsi que Marc Perrone,
    associé au sein du cabinet Linklaters LLP (département Regulatory) pour leurs conseil et orientations.

    Enfin, je souhaiterais exprimer toute ma gratitude à Mme Aurore Collombier ainsi qu'à l'ensemble
    des membres de la direction des agréments, des autorisations et de la règlementation de l'Autorité de
    contrôle prudentiel et de résolution pour leurs éclairages juridiques.

    3

    INTRODUCTION GENERALE

    Selon Montesquieu1, « dans les Etats qui font le commerce d'économie, on a heureusement établi des banques qui, par leur crédit, ont formé des nouveaux signes des valeurs ». C'est pour essayer d'encourager ou de contenir la fonction du banquier créateur de monnaie et intermédiaire dans la distribution du crédit que la position des Etats a toujours vacillé entre la régulation et la libéralisation de l'intermédiation bancaire2.

    Ces propos s'inscrivent à la fois dans une vision traditionnelle et moderne du crédit. Montesquieu, en son temps, soulignait l'importance du crédit pour toute Nation désireuse de développer son économie. Des économistes tels que Fukuyama ont, depuis les années 80, montré que le développement économique d'un Etat reposait de façon générale sur la confiance, et en particulier sur la confiance des acteurs économiques dans les institutions lato sensu, à savoir l'institution contractuelle (dont est garant le juge), et l'institution bancaire (dont les banques sont dépositaires). Le crédit apparait donc comme l'un des piliers de l'économie. En effet, historiquement, c'est le développement des techniques juridiques liées au commerce de l'argent et à la création monétaire qui ont permis de développer les échanges : l'on pense, par exemple, au « prêt à la grosse aventure » sous l'Antiquité grecque qui permettait d'armer les navires de commerçant et de partager les risques entre armateur et équipage. C'est, surtout, à Rome que le crédit est né sous la forme la plus proche de celle observée dans nos sociétés modernes : le muutum était en effet un contrat réel qui consistait pour un prêteur à remettre une somme d'argent ou des denrées à un emprunteur qui s'engageait à lui restituer en temps convenu une quantité équivalente de même qualité. Très rapidement, les « argentarii foenatores » romains devinrent les précurseurs des établissements bancaires en matière de financement3. Bridé, au cours du Moyen-âge, par l'interdiction du prêt à intérêt de l'Eglise catholique, le crédit a pu se développer sous la forme actuelle à partir du début du XVIIIème siècle avec la création des grandes banques et la disparition de l'interdiction du prêt à intérêt le 12 octobre 1789 : la monnaie scripturale 4devient le support et le vecteur du crédit. La création monétaire s'opère, en effet, grâce à un jeu d'écriture qui

    1 « De l'esprit des lois », Livre XX, chap. X « Etablissement propre au commerce d'économie » in OEuvres Complètes, Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard, Paris, 1949-1951.

    2 LIKILLIMBA G-A., « Aspects juridiques de la régulation et la libéralisation de l'intermédiation bancaire », in Revue de droit bancaire et financier, n°5, septembre 2010, étude 21.

    3 IMBERT V-J., « Le droit antique », coll. Que sais-je ?, PUF.

    4 C'est-à-dire la monnaie matérialisée par une écriture en compte, et qui circule par un jeu d'écritures de compte à compte, à rebours de la monnaie fiduciaire, matérialisée par les pièces et billets, qui, elle, est palpable.

    4

    permet, ex-nihilo, de créer de la monnaie. Certains intellectuels de l'époque se félicitèrent d'ailleurs de l'essor du crédit ; si l'on en croit Saint-Simon pour qui « Sans crédit généralisé, comment écouler une production de masse [ndlr : production que l'on retrouve notamment lors des Trente Glorieuses] ? Sans moyens financiers adéquats, les canaux de distribution seraient vite engorgés. A la production en série industrielle correspond nécessairement un crédit en série et c'est justement le rôle nouveau des établissements spécialisés que de mettre en oeuvre une typologie des financements 5».

    A partir de cette époque, l'activité bancaire n'a fait que s'intensifier, de grandes banques ont été créées (le Crédit Lyonnais, le Crédit foncier de France) et les techniques de financement se sont multipliées (escompte, affacturage, lettre de change, crédit-bail). Le crédit est devenu, aujourd'hui, le moteur de l'activité économique. Les économistes soulignent les multiples attraits du crédit. Il permet d'une part la rapidité : il est désormais inutile d'attendre de thésauriser suffisamment d'épargne pour réaliser des projets sous l'égide de l'autofinancement. D'autre part, il se distingue par sa contribution à la croissance du produit intérieur brut en ce sens qu'il permet de créer des richesses pour les multiples acteurs en présence : en permettant la transformation des dépôts en crédits (transformation de maturités), le crédit permet d'une part de rémunérer les épargnants (et les intermédiaires financiers) via le taux d'intérêt, qui auront tout loisir de réinvestir cette rente dans l'économie ; et d'autre part, permet aux porteurs de projets de les mettre en oeuvre quelles que soient leurs ressources. Le tout reposant sur un pari : un retour sur investissement plus élevé que la mise initiale, qui, par un mécanisme d'effet de levier, permet à celui qui ne disposait d'aucune épargne de s'enrichir. Le système de marché permet ainsi de mettre en relation les acteurs en capacité et en besoin de financement.

    Ce modèle d'intermédiation financière, finalement peu contesté dans son principe, a pourtant été soumis à un certain nombre de critiques relatives à ses modalités. En effet, le développement des établissements financiers au cours des décennies s'est accompli sur un modèle concentrationnaire ; autrement dit, l'essor des établissements financiers s'est accompagné du regroupement de ceux-ci au sein de consortia bancaires, ces derniers formant, alors, des masses très importantes et très influentes sur le monde économique, en raison du pouvoir que ces groupements exercent à la fois sur leurs clients (ils sont en mesure d'exiger de leurs clients des actions ou abstentions particulières, ils peuvent sélectionner leurs clients

    5 SAINT-SIMON C-H., « Vues sur la propriété et la législation » in OEuvres de Claude Henri de Saint-Simon, éditions Anthropos, 1966.

    5

    selon une série de critères, ou leur imposer des conditions) mais également sur le marché : la tendance des banques à se regrouper et à se concentrer favorise l'apparition d'oligopoles, ce qui leur permet d'imposer au marché leurs standards de fonctionnement, laissant ainsi aux acteurs une faible marge de manoeuvre : accepter les règles ou être exclus du marché.

    L'ensemble de ces règles et de ces standards n'est ni codifié, ni assumé de façon décomplexée : c'est une réalité qu'il existe des critères, communs à toutes les banques, et qui ont, peu à peu, structuré le marché. Cette structuration peut, notamment, mais pas exclusivement, être examinée à travers le prisme de la prise de risque (le « leverage »). Les intermédiaires financiers ont toujours eu, vis-à-vis du risque, une attitude ambivalente : d'abord, en restreignant leur concours aux entités économiques présentant, d'une manière ou d'une autre les meilleures garanties financières. Puis, au fil du temps, l'acceptation du risque s'est faite plus extensive, les banques y trouvant l'opportunité de profits plus importants, et créant, alors, des véhicules spécialisés (special purpose vehicles) afin de purger leurs bilans desdits risques, en cas de problèmes de liquidité et lorsque point le risque de contrepartie (la défaisance ou « deleveraging »).

    En tout état de cause, il demeure que l'institution bancaire, prise au sens le plus strict, a et aura toujours, envers le risque (et notamment le risque de contrepartie6) une attitude timorée. En effet, les banques, comme nous le verrons, du fait de leur importance de marché (une importance « systémique ») et de leur rôle en matière de création monétaire (susceptible d'influer les grandes variables macroéconomiques comme l'inflation et le jeu de la politique monétaire des Etats) sont soumises à une règlementation étatique depuis leurs balbutiements. Le curseur de la norme coercitive, par définition exogène aux mécanismes économiques, oscille entre régulation et libéralisation au gré des enjeux économiques. Naguère, la régulation concernait, surtout, des impératifs liés à la politique monétaire et à la maitrise de l'inflation. Aujourd'hui, le curseur s'est déplacé sur des enjeux en termes de stabilité financière et de risque systémique : c'est pour cette raison que les banques ont été soumises à des exigences prudentielles constamment alourdies, sous l'influx des travaux du comité de Bâle. Il en résulte, depuis une décennie, un accroissement des charges pesant sur les banques ce qui limite, de facto, leur capacité à mener à bien la tâche que Montesquieu soulignait à raison : financer l'économie. Car il existe une multiplicité d'acteurs, présentant des profils de risque

    6 Risque associé à la probabilité de l'occurrence d'un défaut de la part de l'emprunteur.

    6

    plus ou moins solides, mais qui, tous, méritent leur chance d'accéder au crédit et de s'engager dans le jeu de l'économie capitaliste de marché.

    Pour autant, pour ces acteurs dont le profil de risque ne correspond pas au standard classique et implicite des consortia bancaires que nous évoquions précédemment, l'accès au financement est chose bien peu aisée. Ainsi sont révélées les failles de ce que nous appellerons le « système bancaire classique ».

    Comme de coutume, la pratique a toujours cherché à remédier aux problèmes posés par les dogmes bancaires. Il est intéressant, à cet égard, de montrer comment l'essor du microcrédit est un mouvement puissant qui est né malgré l'absence d'assentiment du système bancaire classique et qui, désormais, l'associe de plus en plus à ses développements, ce dernier étant obligé de collaborer au vu de l'ampleur prise par la microfinance, aussi bien dans les pays en développement que dans les pays industrialisés. Le constat initial a été établi par Muhammad Yunus, professeur d'économie à Dhaka au Bangladesh 7qui fustigeait le refus des banques locales de prêter aux plus pauvres des sommes excédant rarement quelques centaines de dollars afin de financer de petites activités d'exploitation commerciale qui leur auraient permis de sortir de la misère. Avec la création de la Grameen Bank, la « banque des pauvres », un formidable essor économique a été permis dans les pays en développement, à tel point que le microcrédit s'est généralisé et a essaimé dans les pays industrialisés (que l'on pense au récent colloque sur le microcrédit de l'Association pour le droit à l'initiative économique).

    La pratique est donc innovante pour développer des solutions de financement alternatives. De même, les marchés financiers ont permis, par leur essor, de constituer d'autres sources de financement pour les acteurs économiques, même si, il est vrai, ce canal financier reste réservé, encore, à des émetteurs de grande taille. Dès lors, la question qui peut se poser est la suivante : est-il envisageable d'avoir, aux côtés des banques, d'autres acteurs institutionnels Ð autres que les marchés financiers Ð pouvant proposer une offre de crédit aussi bien aux particuliers qu'aux professionnels, de taille et de profils de risques différents, l'essentiel étant qu'une concurrence entre ces pourvoyeurs de fonds facilite une diversification de l'offre de crédit afin que chaque segment des agents en besoin de financement puisse trouver la formule qui lui correspond ?

    7 YUNUS M., « Vers un monde sans pauvreté », 1997.

    7

    A la vérité, cette diversification, qui correspond à un réel besoin, connait un certain essor dans les pays anglo-saxons mais n'est, en France, qu'à l'état embryonnaire, en raison de l'existence d'une législation qui, de 1984 jusqu'à récemment (milieu des années 2000) a prohibé à toute autre entité qu'un établissement de crédit de fournir du crédit à titre de profession habituelle. Cette mesure, plus communément appelée « monopole bancaire français » (Section 1), qui se justifiait à l'époque par des impératifs d'ordre public économique (Section 2) a cependant, comme on le verra, eu du mal à résister à l'épreuve du temps : sous l'effet de la raréfaction du crédit et de l'approfondissement de l'édifice normatif de l'Union européenne, ce monopole se retrouve, aujourd'hui, menacé (Section 3).

    Section 1 : Les contours du monopole bancaire français de 1984 à la fin de la première décennie 2000.

    Le monopole bancaire est véritablement né en 1984 avec la grande loi bancaire8. Cette loi intervient en complément des mouvements de désintermédiation et de dérèglementation qui ont permis l'émergence de marchés financiers véritablement effectifs. Elle présente un caractère prudentiel affirmé, en ce sens qu'elle soumet les activités bancaires à la surveillance d'autorités communes et entend, également, encadrer l'activité de crédit des banques9. Le but était de moderniser le cadre législatif afférent à ces dernières. Elle permet tout à la fois de libéraliser leur activité (en étendant le champ des activités que les établissements de crédit peuvent mener), favorisant ainsi le modèle de banque universelle mais, dans le même temps, elle circonscrit ces activités au sein d'une énumération limitative. L'établissement de crédit, pivot de la règlementation bancaire, en raison des enjeux prudentiels et de la collecte des dépôts des épargnants, se doit d'être soumis à un encadrement législatif. Cet établissement de crédit est défini, en 1984, de la façon suivante : personne morale effectuant à titre de profession habituelle des opérations de banque. La liste de ces opérations de banque est fixée par le législateur. Ce faisant, ce dernier entend limiter les opérations pouvant être réalisées par les établissements de crédit. Cependant, la liste des opérations de banque constitue, par la

    8 Loi n° 84-46 du 24 janvier 1984 relative à l'activité et au contrôle des établissements de crédit

    9 Bulletin de la Commission bancaire n°31, novembre 2004 : http://acpr.banque-
    france.fr/fileadmin/user_upload/acp/publications/documents/200411-contribution-de-la-loi-bancaire-a-la-stabilite-du-systeme-bancaire.pdf

    8

    même occasion, le domaine réservé des banques, instituant ainsi, à leur bénéfice, un monopole légal 10(1) dont le coeur est l'opération de crédit (2).

    §1 : Définition du monopole bancaire :

    La loi de 1984 pose le principe du monopole bancaire français (A) mais l'assortit d'exceptions (B), et de sanctions (C).

    A) Le principe posé par la loi bancaire de 1984 :

    L'article 10 de la loi du 24 janvier 1984 disposait que « il est interdit à toute personne autre qu'un établissement de crédit d'effectuer des opérations de banque à titre habituel11. Il est en outre interdit à toute personne autre qu'un établissement de crédit de recevoir du public des fonds à moins de deux ans de terme ». Ce texte porte en germe le monopole que le législateur a entendu conférer aux établissements de crédit. Le monopole se confond, comme on le voit, avec la liste des opérations de banque ; ce qui signifie que modifier les contours du monopole revient à faire évoluer le contenu de la liste des opérations de banque. En cela, le législateur établit, en 1984, un lien entre monopole et liste des opérations de banques qu'il réserve uniquement aux établissements de crédit. Aujourd'hui, les contours du monopole bancaire ont évolué, de sorte qu'on s'en réfère ici à des versions anciennes des articles du code monétaire et financier. L'ancien article L511-1 du code monétaire et financier (actuel L311-1) disposait que « les opérations de banque comprennent la réception de fonds du public, les opérations de crédit, la mise à disposition de la clientèle et la gestion de moyens de paiement ». Il convient de définir succinctement ce que l'on entend par ces opérations de banque, sans pour autant s'appesantir sur l'opération de crédit que nous verrons par la suite. En ce qui concerne la réception de fonds du public, l'article L312-2 CMF considère comme tels les « fonds qu'une personne recueille d'un tiers, notamment sous forme de dépôts, avec le droit d'en disposer pour son propre compte mais à charge pour elle de les restituer » (les comptes courants d'associés en sont exclus). La gestion de moyens de paiement était à quant à elle définie comme la fourniture de tout service permettant à une personne de transférer des fonds. Nous verrons que, aujourd'hui, sous l'effet des modifications successives, l'article L311-1 CMF a été modifié.

    10 L'expression de « monopole bancaire » a été employée pour la première fois en 1986 dans le manuel de droit bancaire de Rives-Langes et Contamine-Raynaud ; bien que d'autres auteurs préfèrent parler de « domaine réservé » du fait qu'il existe des exceptions à ce monopole.

    11 Cet article se retrouvait, en 1984, à l'article L511-5 du code monétaire et financier.

    9

    Postérieurement à l'énoncé de ces principes par la loi, il est revenu à la jurisprudence de définir ce que la loi entendait par la réalisation de telles opérations « à titre de profession habituelle » cela étant d'une capitale importance pour certains acteurs économiques espérant échapper aux sanctions afférentes au monopole bancaire en réalisant, ponctuellement, des opérations figurant pourtant dans la liste de l'article L311-1 du code monétaire et financier. La notion d'habitude relève de l'interprétation souveraine des juges du fond12. La jurisprudence a mis en évidence deux éléments devant traditionnellement être réunis pour que la condition d'habitude soit réalisée : la répétition des actes et la pluralité d'emprunteurs. En effet, la jurisprudence considère classiquement que l'opération occasionnelle n'entre pas dans le champ du monopole, la condition d'habitude ne pouvant être vérifiée en présence d'une opération unique (ex : opération de financement ou de refinancement logée dans une entité ad-hoc dans la perspective d'une opération déterminée). La condition de pluralité, posée plus tard par la Cour de cassation, semble aller dans le sens d'un assouplissement du monopole 13: dans un arrêt du 3 décembre 200214, la chambre commerciale considère que la condition d'habitude ne peut être remplie que si l'opération est réalisée auprès d'une pluralité d'emprunteurs, et ce alors même que, dans les faits de l'espèce, une opération de prêt avait été réalisée neuf fois, mais au profit d'une seule et même personne, ce qui assouplit grandement le critère précédent, et rend presque inopérante la condition de répétition en l'absence d'une pluralité d'emprunteurs. Nous verrons par la suite que cela ouvre une brèche pour la pratique en ce sens que le juge semble encourager la répétition d'opérations de banque auprès d'une seule personne car cela ne tombe pas sous le coup de l'interdiction.

    Pour autant, la pratique voit ses possibilités de dérogation fortement encadrées ; surtout depuis qu'une jurisprudence est venue considérer que la cession de créances non-échues constituait une opération de crédit entrant dans le champ de l'article L311-1 CMF, de sorte que les entités autres que des établissements de crédit cessionnaires de créances bancaires non-échues se retrouvent, de facto, dans la même position qu'un établissement de crédit gérant, à titre habituel, des créances de prêt, et ce alors mêmes que ce ne sont pas elles qui ont, ab initio, consenti le prêt de nature bancaire. Nous y reviendrons par la suite.

    Enfin, il convient de préciser que ne tombent sous le coup du monopole bancaire que les opérations réalisées à titre de profession habituelle et à titre onéreux : c'est-à-dire lorsque les

    12 V. notamment Cass.crim 16 oct. 1989, n°87-84.232, Bull.crim n°359.

    13 ADELLE J-F, cabinet Jeantet, « Mémorandum relatif aux financements et refinancements de crédits en France », 6 déc. 2004.

    14 Cass.com 3 déc. 2002, n°00-16.957, Bull. civ. IV, n°182, JCP E 2003 n°853.

    10

    prêts stipulent des intérêts. C'est ainsi que certaines plateformes de financement sans stipulation d'intérêt ont été mises en place par les acteurs du crowdfunding pour échapper au monopole (voir infra).

    s?

    D'aucuns ont considéré que l'appellation de « monopole bancaire » était inexacte, en raison des exceptions existant en droit, ou dans les faits, au monopole des établissements de crédit.

    B) Les exceptions successives :

    Si certains auteurs préfèrent parler de « domaine réservé » des banques, c'est en raison des nombreuses exceptions existant au monopole de l'exercice des activités mentionnées à l'article L311-1 CMF. Si l'on en croit un auteur15, les exceptions au monopole bancaire peuvent être de deux ordres : certaines activités, bien que tombant dans le champ du monopole bancaire (c'est-à-dire faisant partie de la liste des opérations de banque), pourront être exemptées (1) sans que cette liste ne trouve à se modifier : on est dans une logique de cas particulier ; d'autres seront, à l'inverse, exclues du champ du monopole bancaire, ou y seront artificiellement rattachées, aussi paradoxal que cela puisse être (2), ce qui passe nécessairement par une évolution de la liste des opérations de banque.

    1. Les exceptions fondées sur l'exemption :

    Il ne s'agit pas, ici, de considérer telle ou telle opération comme échappant au monopole bancaire : en réalité, les opérations exemptées tombent bel et bien sous le coup de l'interdiction mais peuvent, pour diverses raisons de nature économique, être exécutées par d'autres entités des établissements de crédit. Il s'agit des exceptions classiquement admises (de 1984 jusqu'au début de la décennie 2000). Le législateur a, dans un premier temps, retenu cette méthode dont la symbolique est forte : si les exceptions se multipliaient, le principe demeurait le monopole, en ce sens que la liste des opérations de banques ne trouva pas à être modifiée. Ces exceptions sont mentionnées aux articles L511-6 et s. CMF 16mais également

    15 BOUTHINON-DUMAS H., « La directive sur les services de paiement et la concurrence entre les établissements de paiement et les banques », RTD Com 2009 p. 59.

    16 Sans préjudice des dispositions particulières qui leur sont applicables, les interdictions définies à l'article L. 511-5 ne concernent ni les institutions et services énumérés à l'article L. 518-1, ni les entreprises régies par le code des assurances, ni les sociétés de réassurance, ni les organismes agréés soumis aux dispositions du livre II du code de la mutualité pour les opérations visées au e du 1 de l'article L. 111-1 dudit code, ni les entreprises d'investissement, ni les établissements de monnaie électronique, ni les établissements de paiement, ni les organismes collecteurs de la participation des employeurs à l'effort de construction pour les opérations prévues

    11

    dans d'autres codes, comme le code des assurances. Nous ne reviendrons que sur certaines d'entre elles, qui présentent une importance capitale dans les besoins de la pratique économique. Nous choisirons ainsi de laisser de côté tout ce qui relève des prêts réalisés par des associations.

    a. Les organismes d'assurance :

    Assureurs et banquiers exercent une profession différente, dont l'une est régie par le monopole bancaire et l'autre par le principe de spécialité17. Cependant, le secteur de l'assurance, structurellement en capacité de financement du fait de sa capacité à drainer l'épargne du public, s'est vite retrouvé dans une position ambiguë sur les marchés financiers :

    par le code de la construction et de l'habitation, ni les OPCVM ni les FIA relevant des paragraphes 1, 2, 3 et 6 de la sous-section 2, et des sous-sections 3, 4 et 5 de la section 2 du chapitre IV du titre Ier du livre II. L'interdiction relative aux opérations de crédit ne s'applique pas :

    1. Aux organismes sans but lucratif qui, dans le cadre de leur mission et pour des motifs d'ordre social, accordent, sur leur ressources propres, des prêts à conditions préférentielles à certains de leurs ressortissants ;

    2. Aux organismes qui, pour des opérations définies à l'article L. 411-1 du code de la construction et de l'habitation, et exclusivement à titre accessoire à leur activité de constructeur ou de prestataire de services, consentent aux personnes physiques accédant à la propriété le paiement différé du prix des logements acquis ou souscrits par elles ;

    3. Aux entreprises qui consentent des avances sur salaires ou des prêts de caractère exceptionnel consentis pour des motifs d'ordre social à leurs salariés ;

    4. Abrogé ;

    5. Aux associations sans but lucratif et aux fondations reconnues d'utilité publique accordant sur ressources propres et sur ressources empruntées des prêts pour la création, le développement et la reprise d'entreprises dont l'effectif salarié ne dépasse pas un seuil fixé par décret ou pour la réalisation de projets d'insertion par des personnes physiques. Ces associations et fondations ne sont pas autorisées à procéder à l'offre au public d'instruments financiers. Elles peuvent financer leur activité par des ressources empruntées auprès des établissements de crédit, des sociétés de financement et des institutions ou services mentionnés à l'article L. 5181 ainsi qu'auprès de personnes physiques, dûment avisées des risques encourus. Les prêts consentis par les personnes physiques sont non rémunérés et ne peuvent être d'une durée inférieure à deux ans. Ces associations et fondations sont habilitées dans des conditions définies par décret en Conseil d'Etat. Elles indiquent dans leur rapport annuel le montant et les caractéristiques des prêts qu'elles financent ou qu'elles distribuent répondant à la définition visée au III de l'article 80 de la loi n° 2005-32 du 18 janvier 2005 de programmation pour la cohésion sociale et bénéficiant à ce titre de garanties publiques.

    6. Aux personnes morales pour les prêts participatifs qu'elles consentent en vertu des articles L. 313-13 à L. 31317 et aux personnes morales mentionnées à l'article L. 313-21-1 pour la délivrance des garanties prévues par cet article.

    17 PARLEANI G., « Les assureurs peuvent-ils être banquiers ? », in Revue générale du droit des assurances, 1er juill. 2013 n°2013-03 p 551.

    12

    investisseur institutionnel en titres, acteur du rachat de crédit via la titrisation18 ou fournisseurs d'assurance de crédits comme les CDS. Depuis l'origine, des exceptions au monopole bancaire existent en faveur des organismes d'assurance : il s'agissait du pouvoir d'octroyer des prêts à des sociétés sous certaines conditions, tenant notamment à la nature du prêt (prêts immobiliers bénéficiant d'une hypothèque de premier rang et dont le ratio LTV n'excède pas 65%). Désormais, les prérogatives des assureurs ont été élargies par le décret n°2013-717 du 2 aout 2013, après la publication d'un rapport par le gouvernement intitulé : « Réformer le code des assurances : orienter l'épargne des français vers l'entreprise ».

    Deux voies sont ouvertes aux assureurs19, qui peuvent désormais prendre en charge un financement direct ou indirect : c'est-à-dire prêter directement sur leurs fonds (sous réserve d'une extension de leur agrément par l'ACPR), ce qui constitue une véritable exception au monopole bancaire, soit via la souscription de parts de fonds spéciaux appelés « fonds de prêt à l'économie » dans lesquels les compagnies d'assurance investiront et qui souscriront à des titres obligataires d'entreprises20. On notera que le législateur français apparait enclin à libéraliser les sources de crédit et à assouplir le monopole bancaire.

    b. Les organismes de titrisation et certains OPC ou fonds d'investissement alternatifs :

    Le législateur a tenu à exempter certaines entités telles que les organismes de titrisation21, les OPCVM et les OPCI, et certains fonds d'investissement alternatifs ouverts à des professionnels comme à des non professionnels. La caractéristique commune de toutes ces entités exemptées réside dans le fait qu'elles collectent de l'épargne publique pour en faire de la gestion collective. Cela s'est fait progressivement au cours du temps et avait pour but de permettre le rachat de dette, toutes ces entités pouvant être regroupées sous la dénomination innomée de « fonds de dette ». On retrouve, notamment, mais pas exclusivement, l'influence du droit de l'Union européenne dans ces évolutions22. En effet, la lecture de l'exposé des motifs de la directive 2001/108/CE 23 montre que l'UE entend favoriser l'élargissement du

    18 En 2012, Axa - à la recherche de placements rémunérateurs et peu risqués - décide de prendre à sa charge une partie des risques de crédit des banques Société générale et Crédit Agricole.

    19 DE VAUPLANE H., « Les premières brèches législatives au monopole bancaire » in Revue Banque n°765.

    20 Article R332-2-A-2 quater et 7 quinquies du code des assurances.

    21 Précédemment les fonds communs de créance, exemptés par la loi du 4 janvier 1993.

    22 En effet, les exemptions prévues au profit des organismes de titrisation datent de 1993.

    23 Directive 2001/108/CE du Parlement européen et du Conseil, du 21 janvier 2002, modifiant la directive 85/611/CEE du Conseil portant coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives concernant certains organismes de placement collectif en valeurs mobilières (OPCVM), en ce qui concerne les placements des OPCVM.

    13

    périmètre d'investissement des OPC, au-delà des valeurs mobilières : « eu égard à l'évolution du marché, il est souhaitable que les OPCVM puissent effectuer des placements dans des instruments financiers autres que des valeurs mobilières, dont la liquidité est suffisante ». Cette évolution du marché, nous le verrons, correspond à la nécessité pour les établissements de crédit de liquéfier certains placements ou de transférer certains risques liés aux crédits accordés que d'autres entités sont mieux à même de supporter et de gérer.

    Dès lors, les organismes de placement collectifs et FIA vont pouvoir investir dans plusieurs instruments financiers représentatifs d'une dette. Cependant, étant donné que les fonds allaient être amenés à acquérir des créances non-échues de façon habituelle, il fallait une disposition législative spécifique pour que cette activité échappe au monopole bancaire (art L511-6 CMF). En pratique, il s'agit des activités des fonds communs de titrisation qui rachètent de la dette bancaire ou des activités de certains OPCVM dits monétaires qui investissent prioritairement dans la dette à court-terme des entreprises (billets de trésorerie notamment), que l'on assimile généralement à de la dette monétaire, bien qu'ils ne soient pas des prêts au sens juridique mais s'en rapprochent au sens économique, et les dépôts. Les fonds d'investissement alternatifs peuvent, quant à eux, investir dans plusieurs types d'actifs tels que des créances ou des instruments financiers à court-terme sur le marché monétaire. Nous verrons plus tard que la mesure dans laquelle ces différentes entités peuvent racheter des créances bancaires diffère.

    c. le crowdfunding :

    La finance participative constitue une opportunité de financement des entreprises ou des particuliers qui s'est longtemps heurtée au monopole bancaire. Pourtant, le gouvernement, tout à son désir de libéraliser les sources de financement, a présenté, dans le projet de loi du 4 septembre 2013 (proposition de Fleur Pellerin), des mesures visant à assouplir le monopole bancaire. Ces mesures devraient intervenir d'ici la mi-2014 par voie d'ordonnance, après le vote de la loi d'habilitation en ce sens par la loi du 2 janvier 2014 habilitant le gouvernement à prendre des mesures relatives à la simplification et à la sécurisation de la vie des entreprises24. Il s'agit de créer une nouvelle exemption aux règles du monopole bancaire en

    24 LOI n° 2014-1 du 2 janvier 2014 habilitant le Gouvernement à simplifier et sécuriser la vie des entreprises, qui a notamment pour objectif:

    « 3° De favoriser le développement du financement participatif dans des conditions sécurisées, notamment en :

    a) Créant un statut de conseiller en investissement propre au financement participatif ainsi que les conditions et obligations qui s'y attachent ;

    b) Adaptant au financement participatif le régime et le périmètre des offres au public de titres financiers par les

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    autorisant les personnes physiques autres que des banques à octroyer des prêts via des plateformes en ligne (selon des conditions particulières et avec des montants maximaux), ainsi que les établissements de paiement à réaliser des prêts participatifs avec intérêts. On voit donc qu'il s'agit, pour le législateur, de libéraliser un secteur dans lequel les banques ne sont pas parties-prenantes mais qui représente, pour autant, un enjeu de financement.

    d. les relations interentreprises :

    L'article L511-7 du code monétaire et financier prévoit des exemptions au bénéfice de toutes les entreprises pour certaines opérations telles que les délais et avances de paiement, les contrats de crédit-bail immobilier, les opérations de trésorerie au sein d'un groupe (notamment les crédits intragroupes25), les avances en compte courant d'associés26, l'émission de valeurs mobilières, de titres de créances négociables, et de bons et cartes délivrés pour l'achat d'un bien ou service déterminé.

    2. Les exceptions fondées sur une sortie du champ ou sur une entrée dans le champ :

    Ces exceptions concernent des techniques ou mécanismes qui n'entrent pas (ou plus) dans le champ du monopole bancaire pris au sens strict : le monopole des établissements de crédit. Elles sont, là encore, de deux ordres : il s'agit d'abord des techniques qui, bien que n'étant pas juridiquement des opérations de banque au sens de l'article L311-1 CMF, présentent des similitudes économiques avec l'activité de crédit, de sorte qu'il nous faut montrer en quoi elles ne peuvent être menacées par le monopole bancaire (a). Il s'agit, ensuite, des formes les plus modernes d'exceptions qui résultent soit d'une modification de la liste des opérations de banques par laquelle certaines activités, traditionnellement réservées aux établissements de crédit, sortent de la liste, de sorte qu'elles sont hors-champ du monopole et peuvent être exécutées par d'autres entités que les banques, soit par l'entrée artificielle de certaines entités non-bancaires (ce qui est paradoxal) dans le champ du monopole bancaire, cela étant destiné à les mettre à l'abris de la violation de ce dernier (b).

    a. Les opérations sur le marché financier :

    sociétés qui en bénéficient et en modifiant le régime de ces sociétés en conséquence ; c) Etendant au financement participatif les exceptions à l'interdiction en matière d'opérations de crédit prévue à l'article L. 511-5 du code monétaire et financier ; »

    25 GAVALDA C., « Les crédits intragroupes » RDBF 1991 ; BOUTEILLER P., « Groupes de sociétés, centralisation des opérations de trésorerie », JCP E 2001 1658.

    26 HOVASSE H., « Comptes courants d'associés et monopoles des banques » in JCP E n°12, 25 mars 2010, 1284

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    Le marché financier s'oppose au marché monétaire. En effet, traditionnellement, on distingue ces deux marchés en considérant que le marché monétaire constitue le marché de l'argent à court-terme (prêts, titres à court terme comme les billets de trésorerie, TCN inférieurs à deux ans), qui est alors intimement lié aux banques et met en jeu la création monétaire (mais pas seulement car les acteurs non bancaires peuvent aussi intervenir sur ce segment), donc présente des enjeux macroéconomiques en termes d'inflation. Le marché financier est le marché des titres à moyen-long-terme. De ce fait, il draine en général de la monnaie déjà créée, et présente moins d'enjeux macroéconomiques, il est donc moins encadré que ne le sont les banques (l'ère de la désintermédiation et de la dérèglementation). Pour autant, les figures économiques réalisées sur le marché financier, si elles ne peuvent être considérées comme des prêts au sens bancaire du terme, s'apparentent à des techniques de crédit que les entreprises utilisent pour se financer, et échappant ainsi au monopole bancaire. Ainsi en est-il d'abord des obligations : ce sont des créances monétaires émises ou rachetées sur le marché financier primaire ou secondaire. Elles sont hors champ du monopole bancaire, en ce sens que le droit du prêteur se moule dans un instrument financier négociable sur le marché, contrairement au crédit par contrat de prêt bancaire. De même, les opérations réalisées par les contrats financiers (au sens de l'ordonnance du 8 janvier 2009) ne s'analysent pas comme des opérations de crédit même si l'on aurait pu le penser car l'article L313-1 CMF, qui définit l'opération de crédit, évoque l'aval, le cautionnement ou la garantie, ce que permettent les contrats financiers. En effet, le but des contrats financiers est la couverture d'un risque, évènement aléatoire, entre deux personnes ; là où la fourniture de cautionnement, aval, ou garantie de la part d'un établissement de crédit est une opération à trois personnes par laquelle la banque garantit son client contre la défaillance d'un tiers.

    b. Les opérations exclues ou inclues dans le champ du monopole bancaire:

    Sans rentrer dans le vif du sujet, qui nous occupera tout au long de notre seconde partie, il s'agit de montrer ici qu'à partir du début des années 2000, le législateur a semblé changer de paradigme. Si pendant longtemps, et symboliquement, il a préféré la méthode d'exemption sur la sortie du champ, il a, sous l'effet du législateur européen, franchi le rubicond et a porté atteinte directement au monopole bancaire en modifiant, au gré des réformes, la listes des opérations de banques en faisant sortir des activités de cette dernière ; ce qui revenait, de facto, à les exclure du monopole bancaire et à en confier la réalisation à d'autres entités que les établissements de crédit. Ainsi en est-il des activités de paiement avec l'ordonnance du 15

    16

    juillet 200927, de la fourniture de services de monnaie électronique avec la loi du 28 janvier 201328, et, enfin, de l'activité de crédit avec l'ordonnance du 27 juin 2013 29instituant les sociétés de financement, même si, pour ces dernières, c'est un rattachement artificiel au régime du monopole bancaire qui est réalisé par le législateur afin de protéger les sociétés de financement contre la violation de ce dernier ; pour autant, et paradoxalement, le monopole bancaire pris au sens strict (c'est-à-dire celui des établissements de crédit) s'amoindrit en ce sens que d'autres entités que les banques pourront réaliser des crédits sans pour autant violer le monopole bancaire : ce qui, de facto, et malgré l'artifice juridique consistant à rattacher les sociétés de financement (qui ne sont pas des banques) au monopole bancaire, revient à faire sortir le crédit de la liste des opérations de banque réservées aux établissements de crédit. Face à ces évolutions, nous serons alors conduits à nous interroger sur l'utilité du maintien de cette « liste des opérations de banque » qui ne fait plus grand sens tant les atteintes se multiplient et tant certaines incohérences l'entachent.

    s?

    Hors des hypothèses d'exception au monopole bancaire, toute violation est susceptible d'encourir des sanctions ; sanctions dont le caractère plus ou moins dissuasif influera directement sur la capacité des acteurs économiques à tenter des approches de contournement plus ou moins directes, plus ou moins maquillées, au monopole bancaire, afin de satisfaire leurs besoins.

    C) Les sanctions du monopole bancaire :

    La violation du monopole réservé aux établissements bancaires peut donner lieu à des sanctions pénales, disciplinaires, et civiles. Sur le plan pénal, aux termes de l'article L571-3 CMF, la méconnaissance du monopole bancaire selon les conditions examinées précédemment est passible de trois ans d'emprisonnement et de 375.000€ d'amende. L'ACPR peut se constituer partie civile à tous les stades de la procédure et peut rendre des avis si elle est sollicitée par le présumé coupable. Les sanctions disciplinaires peuvent émaner de l'ACPR qui peut infliger des sanctions de nature pécuniaire. Sur le plan civil, se pose la question du sort des opérations accomplies en violation du monopole : en l'absence de dispositions

    27 Ordonnance n°2009-866 du 15 juillet 2009 emportant transposition de la Directive sur les services de paiement 2007/64/CE du 13 juillet 2007.

    28 Loi n° 2013-100 du 28 janvier 2013 portant diverses dispositions d'adaptation de la législation au droit de l'Union européenne en matière économique et financière issue de la transposition de la deuxième directive monnaie électronique du 16 septembre 2009, dite DME 2.

    29 Ordonnance n° 2013-544 du 27 juin 2013 relative aux établissements de crédit et aux sociétés de financement

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    spéciales prévues par la loi bancaire, le droit commun est applicable. La jurisprudence en ce sens est fluctuante, et provient d'une divergence initiale entre chambre civile 30(pour qui il n'y a pas lieu de prononcer la nullité de l'opération) et chambre commerciale 31(pour qui l'annulation doit être prononcée). Un arrêt d'assemblée plénière de 2005 32a considéré, pour mettre fin à la controverse, que l'absence d'agrément n'était pas de nature à entrainer la nullité des contrats conclus. La jurisprudence postérieure, rendue à propos de faits un peu différents, semble confirmer cette position33.

    s?

    Ainsi défini dans sa complexité, le monopole bancaire apparait comme étant une nébuleuse. Les acteurs, désireux d'échapper aux règles y afférant, devront jouer sur les dispositions pour, éventuellement, imaginer des figures juridiques structurées leur permettant de répondre à leurs besoins économiques sans contrevenir au monopole bancaire. Il apparait évident que le premier de ces besoins étant celui de crédit - partie intégrante de la liste des opérations de banque -, c'est autour de l'opération de crédit que se cristallisent les enjeux les plus importants. Encore faut-il voir ce que recouvre cette notion, afin de délimiter, en négatif, ce que les acteurs pourront et ne pourront pas faire au regard du monopole bancaire.

    §2 : Le coeur du monopole bancaire : l'opération de crédit :

    Il s'agit de montrer brièvement ce que recouvre l'opération de crédit en droit français, et surtout dans la loi bancaire de 1984, afin de montrer dans quelle mesure cette définition, coeur du monopole bancaire, qui a figé l'état du droit, a pu, par la suite, restreindre la capacité de certains acteurs autres que les banques à agir en tant que pourvoyeurs de fonds. Selon la loi bancaire, « constitue une opération de crédit tout acte par lequel une personne agissant à titre onéreux met ou promet de mettre des fonds à disposition d'une autre personne ou prend, dans l'intérêt de celle-ci, un engagement par signature tel qu'un aval, un cautionnement ou une garantie et que sont assimilés à des opérations de crédit le crédit-bail, et de manière

    30 Cass.civ.1ère 13 oct 1982 n81-13.090

    31 Cass.com 20 oct 1998, n93-17.988

    32 Cass.AP. 4 mars 2005, n03-11.725, JCP E 2005, n690, p 766 note T. BONNEAU. Cependant, cette jurisprudence peut paraitre incertaine en ce sens qu'elle se fonde non pas sur les textes relatifs au monopole bancaire mais à ceux relatifs aux conditions de l'agrément bancaire.

    33 Dans un arrêt Cass.com 3 juillet 2007, la Cour estime que la méconnaissance, par un établissement de crédit étranger de l'exigence d'agrément ne lui fait pas encourir la nullité pour les conventions conclues en violation des règles de l'agrément : mais encore une fois on ne parle pas des règles du monopole bancaire, encore moins d'une entité autre qu'une banque, fusse-elle étrangère, qui aurait réalisé une opération de banque.

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    générale, toute opération de location assortie d'une option d'achat 34». L'opération de crédit est donc plus large que le simple contrat de prêt, même si elle l'englobe, et fait référence à de multiples techniques contractuelles, pourvu qu'elles soient réalisées à titre onéreux (c'est-à-dire avec stipulation d'un taux d'intérêt). Le crédit participe également de la création monétaire, en ce que lorsqu'une banque prête de l'argent à son client, elle inscrit le montant en son compte courant et créée ainsi de la monnaie scripturale. Cependant, si la loi semble considérer que la mise à disposition de fonds à titre onéreux est la caractéristique essentielle de l'opération de crédit, certains ont considéré que cela était inexact dans la mesure où certaines figures juridiques constituent des opérations de crédit sans qu'il y ait, pour autant, avance de fonds (ainsi en est-il en matière de cession de créances non-échues). C'est pour cette raison que d'aucuns ont considéré que le critère de l'opération de crédit était plutôt le risque de crédit attaché au prêt ou à l'exposition à des risques de contrepartie par le rachat de créances35. Cette définition va avoir une incidence sur la pratique, en ce sens que la mise à disposition de fonds directe, et à titre onéreux, par le biais d'un contrat (comme le contrat de prêt) assorti de modalités de remboursement, d'un certain nombre de clauses relatives aux conditions du prêt (covenants) ne pourra être réalisée que par des établissements de crédit, par principe, à l'exclusion des exceptions mentionnées précédemment : ainsi, les acteurs non-bancaires désireux de mettre des fonds à disposition de tiers et non exemptés devront procéder autrement : utiliser un titre financier négociable (comme l'obligation), avoir recours à des organismes de placement collectifs, ou à des techniques originales (comme le prêt / pension de titres) que nous verrons par la suite. A cet égard, l'article L313-1 CMF est obscur en ce sens que, tel qu'il est rédigé, le justiciable ne peut distinguer entre le crédit (qui est dans le champ du monopole bancaire) et le financement obligataire (qui en est exclu), ou d'autres types de mises à disposition de fonds, traditionnellement hors-champ du monopole, tant la définition manque de finesse.

    s?

    Après avoir cerné les contours du monopole bancaire et de ses composantes, ainsi que ce qui en est exclu, il nous faut désormais en apprécier les origines, c'est-à-dire les éléments qui, en son temps, ont justifié sa mise en place.

    34 Cela est repris à l'article L313-1 du code monétaire et financier dans sa version actuelle.

    35 ANSALONI G., « Le risque de crédit, critère de la notion d'opération de crédit en droit français » in Banque & Droit, n°148, mars-avril 2013.

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    Section 2 : La ratio legis du monopole bancaire français en 1984

    Il apparait que les origines de la mise en place du monopole bancaire soient à rechercher dans des considérations de nature économique. Si l'encadrement législatif du crédit date d'avant 1984 et a commencé à germer dès 1945, c'est véritablement la loi de 1984 qui l'a entériné pour des raisons tenant à la fois à des considérations microéconomiques (1) et macroéconomiques (2).

    §1 : Des impératifs microéconomiques : la protection des dépôts et la stabilité financière

    Selon les travaux préparatoires de la loi bancaire de 1984, le monopole bancaire se justifie notamment par la protection des déposants quant à la liquidité de leurs dépôts36. Au titre de la protection des déposants, il est mis en exergue le fait que les banques doivent être les seules à pouvoir collecter les dépôts dans la mesure où ce sont les seules entités à être soumises à des contrôles prudentiels exercés en son temps par la Commission bancaire. De même, seuls les établissements de crédits bénéficient des législations relatives aux fonds de garantie des dépôts et sont soumis à des exigences prudentielles en termes de fonds propres ; elles ont en outre accès aux facilités de la banque centrale qui peut agir en tant que « prêteur en dernier ressort » en cas de crise de liquidité. L'idée qui est sous tendue est que la protection des épargnants revêt un aspect d'ordre public justifiant que seules les banques soient autorisées à collecter leur dépôts, car ce sont les seules entités à même de les protéger. Comme le souligne un auteur, les déposants doivent pouvoir être assurés de la liquidité de leurs dépôts, ce qui justifie que cette activité soit réservée à des établissements soumis, au travers de leur agrément, à des règles de fonctionnement et une tutelle des autorités bancaires strictes. C'est aussi l'acception retenue par l'Union européenne dans la première directive bancaire de 1977 qui lie la collecte des dépôts au statut d'établissement de crédit. Il s'agit d'éviter les risques d'illiquidité consécutifs aux comportements de « runs » ou de panique dont les conséquences sont néfastes à la fois pour les déposants (qui, sans garantie, pourraient perdre leurs dépôts) et pour le système financier dans son ensemble (via le risque de faillite généralisée : risque systémique).

    36 ADELLE J-F., « Le monopole bancaire constitue-il une restriction excessive aux crédits syndiqués en France ? » in Revue de droit bancaire et financier n°2, mars 2005, étude 6.

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    §2 : Des impératifs macroéconomiques : juguler les tensions inflationnistes

    Les responsables politiques ont rapidement pris conscience de la contribution du crédit à la situation inflationniste37. En effet, le crédit bancaire, parce qu'il se caractérise par de la création monétaire, est susceptible d'alimenter l'inflation. Celle-ci était très élevée, et avoisinait, au début des années 80, les 15%. 38 Aussi, la loi bancaire de 1984 ne pouvait pas éluder la question : dans la décision du législateur de confier aux banques le monopole de l'octroi du crédit, il y avait, alors, une volonté de limiter les effets inflationnistes de cette création monétaire en restreignant et en encadrant les entités susceptibles de créer la monnaie. Selon un auteur39, « si l'octroi de crédit entre dans le champ du monopole, c'est principalement parce qu'il participe de la création monétaire et que les autorités doivent la contrôler par le biais du contrôle du crédit ». Ainsi, l'encadrement du crédit a été l'instrument principal d'une politique visant à ralentir le rythme de la progression de la masse monétaire pour lutter contre l'inflation40. L'encadrement s'est donc fait de façon administrative (exogène). Couplée à la politique des taux d'intérêt, le monopole bancaire permit à l'inflation de diminuer de façon significative après la loi bancaire, jusqu'à atteindre 2 à 3% la fin des années 80.

    s?

    Bien que justifié en 1984, le monopole bancaire français est apparu de plus en plus anachronique au fil des années, en raison de son caractère inadapté, voire dépassé, face aux conditions de financement des entreprises à l'aune du 21ème siècle et face au modèle libéral de l'Union européenne. L'adhésion de la France au traité de Maastricht en 1992 et la création de la zone euro a propulsé ce dernier sur le devant de la scène, le rendant quasiment incontournable en matière bancaire et financière.

    Section 3 : Le monopole bancaire français face aux enjeux financiers actuels et à l'Union européenne

    A la vérité, les enjeux financiers actuels se concentrent autour de la raréfaction du crédit (1) et de la nécessité de trouver des solutions alternatives. L'Union européenne y est, par ailleurs,

    37 L'inflation est la hausse annuelle du niveau général des prix.

    38 Statistiques INSEE

    39 ROUSSILLE M., « Que reste-il du monopole bancaire ? » in Mélange AEDBF, tome VI, 2013.

    40 STERDYNIAK H., VASSEUR C., « Encadrement du crédit et politique monétaire » in Revue de l'OFCE n°11, 1985, pp 105-136.

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    sensible, ce qui n'étonne pas dans la mesure où elle repose sur un modèle libéral peu amène aux monopoles (2).

    §1 : Le monopole bancaire français face à la raréfaction du crédit

    Il nous faut examiner les perspectives sur le marché du financement (A) avant de mettre en lumière leur origine prudentielle (B) et de montrer que des acteurs tentent de jouer un rôle de substituts (C).

    A) Les perspectives sur le marché du financement :

    Comme le souligne Mario Draghi, président de la BCE, 80% de l'intermédiation de crédit passe par les banques, au sein de l'Union européenne, et contrairement aux Etats Unis. Etant donné le rôle essentiel que jouent les banques dans le système, le durcissement prudentiel actuel est de nature à inquiéter sur la capacité des banques à répondre aux besoins de l'économie réelle étant donné les durcissements règlementaires. La crise a entrainé une baisse drastique du nombre de crédits en raison de la dégradation des bilans des banques. Certaines études soulignent que cela a par ailleurs affecté la croissance de la zone euro à hauteur de la moitié de son déclin 41(le « credit crunch »). Dès lors, en pareil cas, ce sont les entreprises qui n'ont accès qu'aux banques et non aux sources alternatives de capital (marché financier, autofinancement) qui vont se retrouver les plus durement affectées (il s'agit souvent des PME). La crise a donc mis en exergue une faille dans le marché européen du crédit. Michel Barnier, Commissaire européen en charge du Marché intérieur, souligne que face aux besoins de crédit, le modèle actuel uniquement tourné sur les banques n'est pas satisfaisant. En effet, les banques doivent répondre d'exigences prudentielles toujours plus accrues.

    B) Les limites du financement bancaire à l'aune de la règlementation prudentielle :

    Les crises récentes (subprimes42, dettes souveraines) ont mis en exergue la fragilité du système financier soumis à une multitude de risques tels que le risque de liquidité, de solvabilité (ou de contrepartie), et le risque de marché, que la règlementation prudentielle a pour but de prévenir pour éviter les couts économiques et sociaux d'une faillite bancaire et

    41 Gambetti et Musso (2012)

    42 Cette crise a mis en exergue les excès d'opacité sur le marché de la titrisation des prêts hypothécaires américains, mettant ainsi en cause les banques et les agences de notation, et mettant en lumière les interconnections grandissantes existant entre les différentes institutions financières dites « à caractère systémique ».

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    promouvoir la résilience du système43. La règlementation prudentielle est essentiellement d'origine internationale : impulsée par les groupements de chefs d'Etats et élaborée par le Comité de Bâle placé près la Banque des règlements internationaux, puis transposée par les différents Etats car elle n'a pas de force juridique contraignante. C'est l'Union européenne qui se charge de cette transposition par l'adoption de directives ou règlements, ensuite relayés par les Etats44. La règlementation proposée par le Comité de Bâle est en constante évolution : elle commence dès 1988 avec un premier ratio de solvabilité dit ratio Cooke obligeant les banques à détenir au moins 8% de fonds propres pour 100 unités prêtées. Les fonds propres sont divisés en trois catégories : Tier 1, Tier 2 et Tier 3 en fonction de leur solidité. En 2004, les accords de Bâle II prévoient des mesures supplémentaires : le premier pilier, qui repose sur les fonds propres, prévoit des exigences accrues : le ratio MacDonough 45; le second prévoit des mesures de surveillance par les autorités nationales 46(le monitoring), et le troisième vise transparence et discipline des marchés. Suite à la crise des subprimes, les accords de Bâle III ont été pris en 2010. L'accord de Bâle III est inédit en ce qu'il double les mesures microprudentielles de mesures macroprudentielles (surveillance des établissements) afin de prévenir les risques systémiques. Cette approche macroprudentielle se traduit notamment par l'introduction d'un « matelas » de capitaux contracyclique (contracyclical capital buffers). Bâle III renforce les exigences en matière de fonds propres47, tant en augmentant les ratios de

    43 BOURDEAUX G., « Bâle III et la résilience du secteur bancaire » in Revue de droit bancaire et financier n°2, mars 2012, dossier 15.

    44 Directive 2006/48 concernant l'accès à l'activité d'établissement de crédit, directive 2006/49 dite directive « CRD » (capital requirements directive) relative à l'adéquation des fonds propres des établissements de crédit (pour Bâle II). Pour Bâle III, il s'agit du paquet « CRD IV » entré en vigueur le 17 juillet 2013 et composé d'une directive (Directive 2013/36/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 concernant l'accès à l'activité des établissements de crédit et la surveillance prudentielle des établissements de crédit et des entreprises d'investissement, modifiant la directive 2002/87/CE et abrogeant les directives 2006/48/CE et 2006/49/CE) et d'un règlement, le « CRR » pour « capital requirements regulation », le Règlement (UE) n ° 575/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 concernant les exigences prudentielles applicables aux établissements de crédit et aux entreprises d'investissement et modifiant le règlement (UE) n ° 648/2012.

    45 Il s'agit toujours d'un rapport d'au moins 8% entre les fonds propres et les risques pris par les banques. Néanmoins, le risque opérationnel comme le risque de marché sont désormais pris en compte, à hauteur respectivement de 10% et 5%.

    46 Bâle II introduit également la possibilité pour les banques de choisir d'évaluer leurs risques selon trois méthodes : standard, notation interne, approche interne avancée. L'idée est de contraindre les banques à évaluer elles-mêmes leur situation.

    47 On ne distingue désormais plus que le Tier 1 (fonds propres de base : actions ordinaires et bénéfices non distribués, composant le Core tier one, et d'autres titres secondaires) et Tier 2 (fonds propres complémentaires). Le Core tier one est augmenté de 2% à 4.5%. Par ailleurs, un matelas de sécurité supplémentaire, dit volant de conservation, se rajoute à ce ratio à hauteur de 2.5% pour atteindre les 7%. Le ratio de solvabilité incluant Tier 1 et Tier 2 porte désormais les fonds propres à 10.5%. Il est également rajouté au volant de conservation un matelas contracyclique permettant aux banques d'améliorer leurs fonds propres en période faste et de continuer à prêter, grâce à cette accumulation, en période difficile. L'instauration du matelas contracyclique permet en effet de gonfler les fonds propres en période faste alors que les banques ont tendance à les réduire car le risque est perçu comme moins élevé : désormais, la loi prévoit des mesures inverses.

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    base qu'en instituant des volants de conservation et en modifiant les composantes de chaque Tier. Il est, enfin, instauré des ratios de levier 48et de liquidité49.

    Ces normes prudentielles ont eu pour conséquence d'assécher le marché du crédit. En réponse, des acteurs tentent, de fournir, sur le marché, un service de nature équivalente.

    C) L'apparition de nouveaux acteurs de marché tentant de se substituer aux banques :

    Les acteurs financiers non-bancaires cherchent à fournir du crédit aux entreprises lorsque les banques sont défaillantes. Ils espèrent ainsi conquérir le marché du financement en investissant là où un établissement de crédit ne l'aurait pas fait compte tenu de ses contraintes prudentielles : dans des actifs risqués. L'exposition au risque (leverage) est la caractéristique principale de ce qu'on appelle souvent le « système bancaire parallèle » ou « shadow banking system ». Elle est possible car ces entités, non-bancaires, ne sont pas soumises à des normes prudentielles aussi fortes ; et, pour autant, économiquement, ils réalisent des opérations analogues 50pouvant consister en la réception de capitaux présentant la caractéristique des dépôts (tel est le cas des fonds monétaires ou « money market funds »), la réalisation d'opérations de transformation d'échéance ou de liquidité (comme le rachat de crédit et la cession de créances non-échues), le transfert de risque de crédit (ainsi en est-il des organismes de titrisation). Ces entités du système bancaire parallèle sont donc pressenties pour se substituer aux banques dans la fourniture de financements. Pour autant, il faut examiner dans quelle situation juridique se trouvent ces entités au regard du monopole bancaire de l'article L511-5 CMF. A la vérité, certaines entités du shadow banking system (ci-après « SBS ») ne sont pas menacées par les règles relatives au monopole bancaire, en ce sens qu'elles sont exemptées par la loi. Ces dernières peuvent donc fournir des activités s'apparentant à du crédit et entrant dans le champ de la liste des opérations de crédit sans « maquillage juridique » : ainsi en est-il pour les véhicules de titrisation (organismes de titrisation) exemptés en droit français et réalisant des opérations de rachat de dette (uniquement du rachat, pas d'origination) (cession de créances non échues) à titre habituel et des FIA dans la limite de ce que prévoit la loi. D'autres sont, en revanche, directement menacées par le

    48 Rapport entre le total des fonds propres et le total du bilan et hors bilan. Il est fixé à 3% du Tier 1. Les expositions sont donc prises en compte dans leur totalité (risquées ou non).

    49 La finalité de ces ratios de liquidité est de s'assurer que les banques pourrons résister à des crises de liquidité à court moyen et long terme.

    50 Livret Vert de la Commission européenne « Le système bancaire parallèle », DOX COM (2012) 102 final du 19 mars 2012.

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    monopole bancaire et, de ce fait, doivent, pour fournir des services de financement, utiliser des techniques juridiques détournées qui n'entrent pas dans la liste des opérations de banque (c'est-à-dire dans le champ du monopole). Ces entités ne pourront pas directement octroyer des crédits ou racheter de la dette. Ce sont certains fonds d'investissement qui ne sont ni les FIA, ni des OPC, certains hedge funds qui ne prennent pas la forme d'un organisme de titrisation (fonds de gestion alternative), et les fonds monétaires (OPCVM monétaires) qui interviennent indirectement pour financer les entreprises : achat de titres de trésorerie à court terme (titres monétaires), investissements en capital, achat d'obligations etc. Ces entités, pour pouvoir exercer une activité de crédit, auraient pu, jusqu'alors, solliciter le statut d'établissement de crédit mais ce dernier, de par ses contraintes prudentielles, n'était pas attractif pour elles. Le statuquo demeurait donc.

    Ces techniques, si elles présentent des analogies avec le crédit, ne suffisent plus aujourd'hui. Les acteurs du SBS non exemptés cherchent à prêter directement aux acteurs dans le besoin ou à racheter de la dette sans contrevenir au monopole bancaire. En témoigne un document de la Banque centrale irlandaise qui s'interroge sur une libéralisation de la fourniture de crédit par les fonds d'investissement51. Ce sont précisément ces entités qui seront pressenties à tirer profit des dernières évolutions législatives relatives à l'assouplissement du monopole bancaire pris dans sa composante « opérations de crédit ».

    La conséquence de la présence de ces acteurs et de la concurrence qu'ils exercent sur les banques est double : d'abord, un certain déclin de fait des banques 52; ensuite, une pression supplémentaire pour libéraliser le crédit, ce à quoi l'Union européenne n'est pas restée insensible.

    §2 : La réaction de l'Union européenne face au monopole bancaire français :

    L'Union européenne s'est construite sur un modèle libéral. Dès le Traité de Rome de 1957, des considérations concurrentielles apparaissent. Elles ont été renforcées avec l'Acte Unique

    51 Central Bank of Ireland, discussion paper, July 2013, « Loan origination by investment funds », disponible ici : http://www.centralbank.ie/regulation/marketsupdate/Documents/Discussion%20Paper%20Loan%20Origination %20by%20Investment%20Funds.pdf

    52 Ce déclin de fait s'observe surtout parce que d'autres entités sont économiquement capables de fournir le même service, ce qui porterait atteinte à la légitimité du monopole bancaire, car les conditions économiques telles que l'inflation ne sont plus prégnantes. En revanche, cela pose un certain nombre de risques en termes de stabilité financière qui seront examinée en partie 3. cf : « Disintermediation and the role of banks in Europe : an international comparison » by SCHMIDT, TYRELL, HACKETAL in Journal of financial intermediation, n°10, January 1998.

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    de 1986 qui signe véritablement la naissance du Marché unique et entend remédier aux obstacles qui empêchent son achèvement. L'idée économique sous-tendue par l'arsenal législatif européen est simple : l'achèvement du Marché unique passe nécessairement par la concurrence, en ce qu'elle s'oppose aux protectionnismes nationaux et permet d'éliminer les barrières à l'entrée qui empêcheraient le développement d'activités économiques transfrontalières. De la promotion de la concurrence découlent un certain nombre de principes traduits en règles et qui permettent d'en assurer l'effectivité : le démantèlement des monopoles nationaux, d'une part, et d'autre part l'édification des quatre grandes libertés de circulation (des marchandises, des personnes, des capitaux, et des services) avec leur pendant : la reconnaissance mutuelle ou l'harmonisation des standards. Ainsi, l'Union européenne a toujours été défavorable aux monopoles : en instaurant la notion de service d'intérêt économique général (SIEG), sorte d'équivalent européen de la notion de service public français, elle a obligé les Etats à démanteler les monopoles sur leurs segments rentables et à conserver les segments non-rentables sous leur tutelle. Le parallèle peut être réalisé avec la matière bancaire et financière. Dans ce domaine, particulier s'il en est, le monopole bancaire français se retrouve confronté aux objectifs de l'Union européenne en matière bancaire et financière (A), voire en contradiction avec eux. L'Union européenne, qui a longtemps toléré la situation, a désormais amorcé un virage marqué en faveur d'une harmonisation totale en la matière, mettant ainsi en cause le monopole bancaire français (B).

    A) Les objectifs de l'Union européenne en matière bancaire et financière :

    Le parachèvement du marché intérieur de l'Union européenne pris dans sa branche financière passe par l'aboutissement d'une véritable « Europe du crédit », c'est-à-dire d'une Europe où tout acteur économique, quelle que soit sa nationalité, ou son Etat d'implantation, peut obtenir du financement de la part d'acteurs bancaires ou non-bancaires situés de part et d'autre des frontières de l'Union. Cet objectif impliquait, de prime abord, d'harmoniser les corpus législatifs en matière bancaire et financière au sein du marché intérieur. Ainsi, historiquement, c'est une harmonisation a minima qui a prévalu. La première directive bancaire de 1977, reprise plus tard en 2006, élabore une définition de l'établissement de crédit mais beaucoup de libertés sont laissées aux Etats dans la transposition. Cependant, ces textes sont supposés permettre l'achèvement du marché intérieur en ce qu'ils promeuvent la reconnaissance mutuelle des agréments, qui prévaut en l'absence d'harmonisation totale, par les Etats membres, à partir du moment où un établissement de crédit est agréé dans un autre Etat.

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    Ainsi, la reconnaissance mutuelle permet aux EC établis et agréés de s'installer librement ou de prester des services dans l'ensemble de l'Union ; elle est donc la clef de voute des 4 grandes libertés et permet de les rendre effectives.

    Cependant, le monopole bancaire français entre en contradiction avec ces objectifs. En effet, l'Union européenne, si elle donne une définition des établissements de crédit, ne considère nullement que ces derniers doivent se voir conférer un monopole dans l'octroi du crédit. En effet, la lecture des directives en matière bancaire n'établit aucun monopole et ne lie pas l'activité de crédit au statut d'établissement de crédit : c'est la collecte des dépôts qui lui est indissolublement liée. Si toute entité prétendant à la qualification d'établissement de crédit doit collecter des dépôts pour faire des crédits, rien n'empêche d'autres entités n'en collectant pas (et donc n'étant pas des EC au sens du droit de l'Union européenne) de faire des crédits.

    B) Le durcissement de la législation européenne en matière bancaire :

    La France, tirant profit de la possibilité qui lui était laissée par la directive de 1977 (puis de 2006) pour imposer des normes plus strictes que l'Union aux établissements bancaires, instaura ainsi un monopole du crédit aux profit de ces derniers ; monopole qui, aux yeux de l'Union européenne, ne se justifiait pas. La conséquence de cette règlementation « monopolistique » a été une distorsion de concurrence au détriment des autres Etats et a empêché le marché intérieur de s'achever dans sa dimension bancaire et financière. Dans le même temps, cela a été néfaste pour les acteurs en besoin de crédit. En effet, d'une part, cela a empêché d'autres entités que les établissements de crédit à fournir du crédit en France53, c'est-à-dire des entités qui non seulement ne collectaient pas des dépôts (car seuls les établissements de crédit y sont habilités par l'article L311-1 CMF) mais qui n'étaient pas, non plus, agrées en tant qu'établissements de crédit. Au niveau européen, il en résultait une distorsion de concurrence créant, en France, une barrière à l'entrée pour les acteurs étrangers européens non-bancaires qui, dans leurs législations, étaient autorisés à faire du crédit sans être un établissement de crédit. Ceux-ci ne bénéficiaient pas du régime de la reconnaissance mutuelle en ce que la France, arc-boutée sur son monopole, n'avait pas, dans sa législation, d'équivalent : il n'existait pas d'agrément de crédit pour les acteurs non-bancaires, ce qui empêchait la reconnaissance mutuelle.

    53 Il existait un statut particulier, jusqu'en 2014, appelé « société financière » et qui permettait à des entités qui ne collectaient pas les dépôts de faire du crédit ; cependant, il s'agissait d'une sous-catégorie d'établissements de crédit, rattachée à eux en tant que tel, et soumise au même régime prudentiel que les banques. Ce statut n'autorisait pas, en effet, des acteurs purement non-bancaires, et ne collectant pas des dépôts, à faire du crédit.

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    L'Union européenne a toléré cette situation pendant longtemps ; n'obligeant pas les Etats récalcitrants à s'aligner sur sa définition de l'établissement de crédit. Cependant, la crise, la raréfaction du crédit, et la volonté marquée de parachever le système européen en matière bancaire et financière54, ont été à l'origine d'une volte-face normative : l'UE, en adoptant un Règlement plutôt qu'une directive, a amorcé le tournant vers l'harmonisation totale de la définition d'établissement de crédit ; forçant de facto la France à lier la qualification d'établissement de crédit à la collecte des dépôts et à reconnaitre, implicitement, que d'autres entités, ne collectant pas de dépôts, puissent réaliser des opérations de crédit à titre habituel.

    s?

    De l'ensemble des constations qui précèdent, une ligne directrice peut être trouvée. C'est à cette problématique que le travail de recherche ici présenté tentera de répondre. Cette dernière peut se résumer au travers de la question suivante : en quoi les nécessités attachées au besoin de financement des acteurs économiques combinées au désir d'achèvement du Marché intérieur ont-elles été à l'origine d'une libéralisation des sources de crédit appuyée par l'Union européenne et conduisant à une fragmentation (voire une disparition) progressive du monopole bancaire français ?

    Nous répondrons à cette question en trois temps. D'abord, il nous faudra, au travers d'une analyse économique du droit du monopole bancaire français, déceler les insuffisances de ce dernier au regard des besoins de la pratique et les contournements proposés par les acteurs (Partie 1). Puis, nous examinerons comment le droit de l'Union européenne s'est saisi de la question et a porté, par touches successives, atteinte au monopole bancaire français, au point d'en réduire fortement la portée (Partie 2). Enfin, nous terminerons notre analyse en ouvrant sur les enjeux présentés par cette libéralisation du crédit au regard des impératifs de stabilité économique, révélés de façon encore plus frappante par les récentes crises financières (Partie 3).

    54 D'ailleurs, l'établissement d'un système de supervision unique européen (le MSU) et de résolution unique (MRU) avec un mécanisme de sauvetage des banques n'est pas étranger à cette évolution dans la perception par l'UE du monopole bancaire : c'est en harmonisant totalement les conditions d'exercice des professions bancaires et financières, ainsi qu'en ayant une définition et un corpus juridique identique d'un Etat membre à l'autre que l'UE pourra surveiller efficacement l'ensemble du système. Mutualiser la surveillance implique d'harmoniser totalement les législations en amont, donc les divergences n'étaient plus tolérables.

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    PREMIERE PARTIE :

    ANALYSE ECONOMIQUE DU MONOPOLE BANCAIRE FRANÇAIS

    Pendant longtemps, le monopole bancaire a eu des effets positifs au regard des objectifs que le législateur lui avait assigné. L'inflation, à la fin des années 80, est résiduelle, et le crédit est maitrisé. Aujourd'hui, la lutte contre l'inflation est confiée à la Banque centrale européenne qui s'acquitte parfaitement de ce mandat. Dès lors, rien ne semble s'opposer à ce que les règles du monopole bancaire soient assouplies ; d'autant que, dans la pratique, les effets néfastes de cette constriction du crédit sont nombreux (Titre 1er). Face à ces limites, les acteurs ont donc imaginé des moyens juridiques pour contourner les règles du monopole bancaire (Titre 2).

    TITRE 1.

    LES BESOINS DE LA PRATIQUE FACE AU MONOPOLE BANCAIRE FRANCAIS

    Les évolutions dans la pratique financière depuis les années 1990 ont conduit à un changement de paradigme important en matière bancaire. En effet, l'on est passé d'un modèle dit « originate-to-hold » à « originate-to-distribute ». Cela signifie que, classiquement, les établissements de crédit octroyaient à leurs clients des crédits dans le but de gérer une relation client de long terme et de garder la créance résultant du contrat de prêt dans leur bilan jusqu'à son échéance. Aujourd'hui, et sous l'influx, notamment, des règlementations prudentielles mais aussi de l'accroissement des risques (de contrepartie, de liquidité), les établissements de crédit ont tendance à faire sortir de leur bilan des créances associées à un risque important de défaut (« counterparty risk »). Dès lors, ces procédés que l'on nomme couramment défaisance ou « derisking » - et utilisant la technique de la titrisation (synthétique ou non) - sont devenus monnaie courante, à tel point que les banques cèdent désormais souvent les créances qu'elles détiennent sur leurs clients à d'autres entités du système financier. Ce changement de paradigme est d'une importance réelle en matière de monopole bancaire, en France, en ce sens que, ces opérations de défaisance se heurtent à des obstacles juridiques provenant directement de l'interdiction pour d'autres entités que les établissements de crédit de gérer des créances bancaires à titre de profession habituelle. Ainsi, les établissements de crédit désireux de céder leurs créances ne pourront le faire que dans le respect de cette interdiction. En outre, obérées par leurs obligations prudentielles, les banques, comme il a été mis en exergue en

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    introduction, ne peuvent plus assurer correctement leur rôle de financement de l'économie. D'autres acteurs voudraient assumer ce rôle, mais la législation les en empêche partiellement, leur restreignant ainsi l'accès à la fois au marché primaire de la dette (Chapitre 1er) et au marché secondaire de la dette (Chapitre 2).

    Chapitre 1er : L'intervention des investisseurs sur le marché primaire de la dette

    L'analyse économique du droit nous enseigne que les banques ne sont qu'un élément du secteur financier qui inclue également les marchés financiers organisés et des intermédiaires financiers non bancaires. Les américains, en avance sur la question, considèrent depuis longtemps que l'intermédiation financière ne ressort d'aucun monopole bancaire, en ce sens que la fonction d'intermédiation peut passer par d'autres institutions financières non-bancaires qui s'acquittent de la même tâche. Un auteur 55parle, aux Etats Unis, du déclin du secteur bancaire car ce dernier est concurrencé directement soit par la finance désintermédiée (à savoir le marché), soit par l'intermédiation financière par d'autres que les banques. L'auteur montre que ce mouvement n'est pas, en Europe, totalement achevé en raison de législations protectrices des banques, comme c'est le cas en France. Il plaide pour un approfondissement du rôle des marchés financiers, de la titrisation, et de l'intervention de nouveaux acteurs sur le marché primaire de la dette.

    Le marché primaire de la dette correspond, selon le néologisme français, au marché de « l'origination » c'est-à-dire au marché des contrats de prêt conclus par les banques, ce qui se traduit par de la création monétaire. En vertu de la loi de 1984, seuls les établissements de crédit disposent, en France, du monopole de l'origination des crédits. Pour autant, la raréfaction du crédit appelle des réformes dans le sens où certains secteurs risqués de l'économie peinent, aujourd'hui, à se financer. C'est notamment le cas du marché des LBO, leverage buy-out. Ces opérations consistent en l'acquisition de sociétés cibles au moyen d'un effet de levier (financier, fiscal, et juridique) et dont la particularité réside en la création d'une société holding, acquéreur de la cible, qui supportera la charge de la dette. Les échéances de cette dette seront supportées, dans les faits, par la cible, puisque la dette est remboursée par la remontée des dividendes de la cible dans la holding. Généralement, les opérations de LBO consistent en des opérations financières structurées (crédits syndiqués) avec plusieurs tranches de dette et des investissements en capital. Les établissements de crédit sont pourvoyeurs de la

    55 SCHMIDT R., HACKETAL A., TYRELL M., «Disintermediation and the role of banks in Europe: an international comparison», in Journal of financial intermediation, October 1997.

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    tranche de dette dite « senior », remboursée en priorité, et des fonds d'investissement (fonds de capital-investissement ou encore de « private equity ») réalisent tout à la fois des investissements en dur non remboursables (en capital) et fournissent de la dette remboursable (dite dette mezzanine). Compte tenu des interdictions du monopole bancaire, cette dette est émise sous forme obligataire56. Cela pose, comme on le verra, un certain nombre de difficultés pratiques (en termes de droit des sociétés, de droit des entreprises en difficultés). Ce sont ces rigidités qui justifieraient la possibilité pour les fonds d'investissement de fournir de la dette directement sur le marché primaire monétaire en n'ayant pas recours aux obligations. C'est en ce sens que s'est interrogée la Banque centrale Irlandaise57. C'est d'autant plus vrai que, la part de la dette senior dans les opérations de LBO tendant à s'amenuiser du fait du credit crunch, la dette mezzanine pourvue par les fonds d'investissement est appelée à acquérir un rôle plus important (en volume), qui justifierait que soit assoupli le monopole bancaire pour éviter qu'elle prenne la forme d'une émission obligataire trop rigide, les montages LBO étant soumis à de fortes variations économiques qui rendent souvent nécessaire un rééchelonnement de la dette, ce qui n'est pas possible (ou très difficilement) avec des obligations alors que cela est plus simple avec un contrat de prêt classique.

    De même, c'est tout le marché des emprunteurs présentant des risques de contrepartie élevés qui pâtit du durcissement des conditions d'octroi du crédit. A ce titre, on pense d'abord aux PME-PMI et aux ETI qui n'ont pas une structure financière suffisamment solide et suffisamment d'actifs valorisables à affecter en garantie pour que les banques les estiment dignes d'intérêt. Ainsi, il est certainement des fonds d'investissement ou autres entités désireux de s'engager sur le segment des PME en difficulté ou des PME risquées afin de leur proposer des prêts à des taux plus élevés mais leur permettant, à tout le moins, d'accéder au crédit. D'autant que ces fonds ont souvent des experts en matière de croissance d'entreprise et des conseillers financiers à même de fournir des services de conseil aux entreprises en plus des prêts octroyés. Il est évident que, pour ces petites entreprises encore plus que pour les entreprises sous LBO, la libéralisation du crédit apparait nécessaire en ce sens qu'elles n'ont ni accès aux banques, ni au marché financier (les contraintes associées à l'émission obligataire semblent trop lourdes pour elles, sans parler des couts de courtage). Il est donc un

    56 Sauf à utiliser une banque luxembourgeoise qui échappe aux règles d'application territoriale du monopole

    57 Op.cit. Central Bank of Ireland, discussion paper, July 2013, « Loan origination by investment funds »,

    disponible ici :
    http://www.centralbank.ie/regulation/marketsupdate/Documents/Discussion%20Paper%20Loan%20Origination %20by%20Investment%20Funds.pdf

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    segment de l'économie (les entreprises en situation « risquée ») qui n'ont accès ni au marché bancaire ni au marché financier. Il est donc nécessaire que des entités autres que les établissements de crédit aient la possibilité de se substituer aux banques, du fait de leurs contraintes prudentielles allégées et de leur propre politique du risque, pour fournir du crédit à ceux qui n'ont pas accès au marché classique. Néanmoins, ce marché primaire reste aujourd'hui trusté par les banques et nous verrons que les contournements sur ce marché primaire sont les plus difficiles.

    Les besoins sont aussi prégnants sur le marché secondaire, même si, pour ce marché du refinancement, les exceptions et contournements sont plus aisés.

    Chapitre 2 : L'accès des investisseurs au marché secondaire de la dette

    Les règles du monopole bancaire français constituent un frein à la liquidité, voire même à la formation de certains marchés du financement, pourtant utiles compte tenu du retrait des établissements bancaires de certains segments de marché. Ainsi en est-il du marché du refinancement des prêts bancaires. Ce marché existe bel et bien dans la mesure où, sur inspiration américaine, la libre cessibilité des crédits bancaires est devenue une norme dans la plupart des pays européens. La clause qui, dans un contrat de prêt bancaire « classique », prévoit la libre cessibilité du crédit bancaire en question facilite l'accès des entreprises au marché du financement primaire, et ce indirectement. Pourtant, ces opérations sont interdites, en France, aux fonds d'investissement et autres hedge funds en vertu des règles relatives au monopole bancaire, la cession de créance non-échue étant assimilée à une opération de crédit. Cela réduit considérablement le champ des possibles, et obère la formation d'un véritable marché secondaire du financement, qui demeure partiel car rendu illiquide du fait des barrières à l'entrée existantes pour les acteurs. La mobilisation de créances sur l'économie réelle, sans subir les contraintes applicables à l'activité de crédit, présente pourtant des intérêts économiques majeurs (Section 1). Elle se réalise par la cession de créances non-échues (Section 2), et révèle, en exergue, les enjeux économiques des besoins de la pratique (Section 3).

    Section 1 : L'intérêt économique du rachat de dette par les investisseurs

    Les raisons pouvant encourager le législateur à étendre le champ du monopole bancaire pour développer le marché secondaire de la dette au profit de nouveaux cessionnaires potentiels

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    sont doubles : cela avantagerait, en effet, à la fois les établissements de crédit cédants (1) et les débiteurs cédés (2).

    §1 : L'intérêt pour les établissements de crédit cédants

    Les banques sont confrontées à un certain nombre de problèmes qui ont été particulièrement mis en exergue lors de la crise. En effet, elles sont notamment exposées au risque de contrepartie, c'est-à-dire au risque de faillite de leur client, ce qui les menace directement dans la mesure où elles risquent de ne plus pouvoir faire face à leurs propres créanciers, à savoir les déposants (risque de « run » des dépôts). Ce risque de contrepartie est d'autant plus insidieux qu'il n'est pas toujours connu, encore moins maitrisé : en premier lieu, la solvabilité des clients peut se dégrader brusquement sous l'effet de la conjoncture. En second lieu, lorsque la banque détient des créances titrisées qu'elle n'a pas émises elle-même, le voile d'opacité pesant sur ces dernières empêche les banques d'avoir une vision claire des risques qui leur sont attachés (sachant que cela a été renforcé par l'incapacité des agences de notation à proposer une évaluation objective). Enfin, aux yeux des tiers, et des créanciers de la banque (les déposants), la comptabilisation des actifs à leur valeur historique 58(avant la crise) ne renseignait pas sur les éventuelles dépréciations subies par ces derniers, ce qui donnait une image biaisée de la solvabilité des banques. Face à ces risques, disséminés dans leurs bilans, les banques ont intérêt à pouvoir, en cas de besoin, transférer certaines créances risquées (c'est-à-dire celles attachées à un risque de contrepartie élevé) à d'autres acteurs présents sur le marché secondaire de la dette. Elles y ont d'autant plus intérêt que le renforcement des exigences prudentielles les oblige à respecter des ratios de fonds propres et de leviers financiers (la prise de risque) de sorte que certaines créances trop risquées doivent, mécaniquement, sortir de leurs bilans afin de leur permettre une mise en conformité, d'une part, et d'autre part la possibilité de réaliser des prêts nouveaux et potentiellement moins risqués aux acteurs économiques. Ces procédés dits de « défaisance » ou de « derisking », consistent en une sortie de bilan des créances risquées, qui seront mieux assumées par des acteurs dont c'est la spécialité et qui répondent d'exigences prudentielles allégées, car ils ne collectent pas les dépôts du public. La cession de ses créances permet en effet aux banques de retrouver de la surface financière et de satisfaire les ratios ainsi que de nouveaux emprunteurs.

    58 Ce problème est en partie résolu par l'adoption et la généralisation des standards IFRS au niveau de l'Union européenne qui préconisent une approche de valorisation des actifs à leur « fair value » c'est-à-dire à leur valeur de marché, qui prend en compte leurs dépréciations, et non leur valeur historique. cf : Règlement (CE) no 1126/2008 de la Commission du 3 novembre 2008 portant adoption de certaines normes comptables internationales

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    Enfin, notons que plus le risque pris par les banques est élevé, plus les exigences prudentielles se renforcent : cet effet « pro-cyclique » aboutit à réduire les crédits en cas de crise, alors que l'économie en a cruellement besoin. L'avantage, dans pareille hypothèse, de céder les créances douteuses, est de se voir appliquer des standard prudentiels moins contraignants car les risques sont sortis du bilan afin de restaurer une activité bénéfique à l'économie réelle (l'effet est donc « contra-cyclique »).

    Cependant, pour que de telles opérations soient possibles, encore faut-il que le marché secondaire de la dette soit liquide, c'est-à-dire qu'il présente un nombre suffisant d'acheteurs. Aujourd'hui, seuls les organismes de titrisation et certaines compagnies d'assurance se partagent ce marché car ils sont exemptés des règles sur monopole bancaire. D'autres tels que les fonds d'investissement souhaiteraient y entrer mais se heurtent à des règlementations. Pourtant, peut-être plus que les organismes de titrisation, ces fonds sont à même de répondre aux attentes des débiteurs dont les dettes bancaires ont été cédées.

    §2 : L'intérêt pour les débiteurs cédés

    Les débiteurs qui voient leurs dettes bancaires cédées par les banques à des tiers sur le marché secondaire sont, souvent, des entreprises en difficulté, compte tenu du risque de défaut attaché à la dette. Ces entreprises, qui représentent, alors, une menace pour la stabilité financière des banques, vont possiblement se retrouver mises en contact avec les entités cessionnaires de leurs prêts auxquelles elles devront s'adresser pour la gestion et le remboursement de leur dette. Dans un modèle idéal, ces entités devraient pouvoir proposer à ces entreprises en difficulté des aménagements et des services que les banques n'étaient pas en mesure de leur offrir compte tenu de leurs contraintes prudentielles. En effet, ce que recherchent avant tout ces entreprises est un interlocuteur à même de leur consentir des avantages par rapport à la banque. Une entité cessionnaire qui serait davantage apte à gérer des créances risquées pourrait, alors, proposer aux entreprises en situation délicate des délais de paiement supplémentaires, des modifications de l'échéancier de remboursement, une restructuration des lignes de crédit, et la modification des covenants59, comme par exemple la fin de l'exigibilité anticipée du crédit. Cette renégociation du prêt est rendue primordiale pour l'entreprise en

    59 Les clauses de « covenants », caractéristiques des opérations de prêt, stipulent généralement un certain nombre d'engagements de la part de l'emprunteur, destinés à protéger les prêteurs, et qui portent en général sur la structure financière du débiteur en l'empêchant de conclure un certain nombre d'opérations qui auraient une influence sur la masse de leur actif (aliénation d'éléments d'actifs, octroi de sûretés et garanties). Il s'agit également du respect de certains ratios financiers. L'inobservation des covenants est très dangereuse en ce sens qu'elle peut engendrer l'exigibilité anticipée de la dette lorsqu'elle est associée à une clause en ce sens.

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    difficulté, et peut assurer sa survie, notamment si l'exigibilité anticipée est atténuée ou supprimée. Ce que recherchent donc les débiteurs cédés est une vraie relation client qu'ils ont tout intérêt à trouver sur le marché secondaire. A l'heure actuelle, comme nous le verrons, les entités autorisées à effectuer le rachat de créances bancaires ne sont pas spécialisées dans la gestion client, ce qui représente un manque à gagner pour les entreprises 60alors que certains fonds d'investissement, spécialisés dans la dette, se sont montrés désireux de s'engager sur ce segment de la renégociation de dette sensible 61 distressed debt »). Prohiber l'entrée de ces fonds sur le marché secondaire de la dette revient à promouvoir un mécanisme qui avantage uniquement les banques : celles-ci peuvent céder et transférer leurs risques, alors que les débiteurs cédés ne pourront obtenir renégociation de leur dette, ce qui les expose aux mêmes conséquences de défaut.

    Examinons à présent ce que l'on entend juridiquement par le rachat de dette : il s'agit du mécanisme de cession de créance non-échue.

    Section 2 : Les modalités juridiques du rachat de dette

    Le rachat de dette est réalisé au moyen du mécanisme juridique de la cession de créances non-échues (1), dont le régime juridique est caractérisé par l'assimilation pure et simple à une opération de crédit (2) ce qui emporte, évidemment, des conséquences au regard du monopole bancaire.

    §1 : La cession de créances non-échues, le mécanisme 62:

    Le mécanisme de cession de créance non-échue appliqué à la matière bancaire consiste en le transfert de cette créance bancaire des livres de l'établissement de crédit au bilan de l'entité d'accueil, cessionnaire, qui doit préalablement être créée (le véhicule) et doit être autorisé à recevoir de telles créances au regard du monopole bancaire. Concrètement, ce mécanisme est un mécanisme de titrisation de créance. La titrisation a été introduite dans notre droit pour des raisons tenant notamment à sa finalité : permettre le refinancement. La cession de créance non-échues correspond à la forme classique de titrisation : celle avec transfert de créance

    60 Les organismes de titrisation, provenant du monde de l'assurance ou non, ont procédé récemment à des rachats massifs de prêts bancaires sur les ETI mais cela représente un risque pour les entreprises cédées en ce sens que leur capacité à obtenir la renégociation de leur dette est douteuse car ce n'est pas le métier de ces organismes, ils ne proposent pas de relation client.

    61 Tel est le cas du fonds d'investissement Ardian, ancien Axa Private Equity.

    62 COURET A., et al, « Droit financier », Précis Dalloz, 2ème édition

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    effectif, contrairement à la titrisation dite synthétique63. Il s'agit ici d'un véritable transfert de propriété de la créance. Dès lors, un choix est ouvert au cédant : soit la banque cédante reste unique interlocuteur du débiteur cédé pour le recouvrement (« dans le cadre d'une convention définie par l'établissement cédant et la société de gestion », art L214-46 CMF), soit elle confie le recouvrement à l'entité cessionnaire, qui sera alors subrogée dans ses droits.

    §2 : La cession de créances non-échues, le régime juridique :

    Le régime juridique de cette titrisation est allégé, en ce sens que l'article L214-43 al 9 CMF dispose que seule la remise d'un bordereau permet de réaliser la titrisation. Le débiteur n'est informé que dans les cas où le recouvrement est confié au cessionnaire et ce par lettre simple.

    Mais les développements les plus intéressants se situent précisément autour des aspects du régime juridique qui intéressent le monopole bancaire. En effet, la question de la licéité de telles opérations vient à se poser en fonction des entités cessionnaires de créances bancaires. La Cour de cassation assimile, en effet, la cession de créance non-échue à une opération de crédit64, interdisant de facto aux entités non exemptées de réaliser de telles opérations. Cette extension n'allait pas de soi, en ce sens que l'opération de rachat de dette ne constitue pas directement « l'origination » de crédit. Pour autant, la solution de la Cour de cassation n'étonne guère dans la mesure où l'opération aboutit à placer le cessionnaire en position de fournisseur de crédit ayant consenti une avance de fonds au débiteur, surtout du fait que la créance est non-échue65. Ainsi, la cession de créance non-échue entre pleinement dans le champ des opérations de crédit de l'article L311-1 CMF et des interdictions de l'article L5115 al 1er CMF. Dès lors, et en l'état actuel du droit, le véhicule de dette destiné à recueillir les créances bancaires devra nécessairement être un organisme de titrisation au sens de l'article L511-6 CMF66. Cela constitue une restriction excessive dans la mesure où d'autres entités désireraient investir sur ce segment du rachat de dette.

    63 Seuls les risques sont transférés : la créance originale reste dans le bilan de la banque, le débiteur continue d'honorer ses échéances auprès de cette banque, alors qu'un tiers (une entité externe) prend, quant à elle, à sa charge, les risques de défaut du débiteur. Ainsi en est-il avec les CDS (credit default swap) qui sont une forme de titrisation synthétique.

    64 Cass.crim 20 février 1984, 83-90.738, Bull.crim n°62, RTD Com 1986, 316, obs. Cabrillac et Teyssié, D 1985 IR, 327, obs. Vasseur, mentionné aux tables du recueil Lebon.

    65 CHVIKA E., « L'acquisitions de créances bancaires à l'épreuve du monopole bancaire », in Revue de droit bancaire et financier, n°5, septembre 2013, étude 23.

    66 SCHMIDT D., MOULIN F., « Les fonds de dette : un environnement juridique et financier favorable à leur développement ? » in Revue de droit bancaire et financier, n°6, novembre 2012, prat. 6.

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    Ces deux premières sections ont mis en exergue les besoins de la pratique qui vont bien au-delà des contraintes que le monopole bancaire continue de leur imposer, à tel point qu'on en vient à s'interroger sur la pertinence économique du maintien de ce dernier.

    Section 3 : Les enjeux économiques des besoins de la pratique

    Conformément aux principes qui irradient le droit communautaire, les restrictions imposées par le monopole bancaire sur les opérations de crédit doivent respecter les exigences de proportionnalité : l'occasion pour nous de vérifier si les circonstances qui ont présidé à son élaboration sont toujours d'actualité. Or, il semble que ce soit le contraire67. En effet, les justifications tenant au contrôle de la masse monétaire et à la maitrise de l'inflation ne sont plus tangibles dans le sens où l'inflation est maitrisée et son mandat confié à la Banque centrale européenne, ce qui en fait un enjeu non plus national mais européen. Si la circonscription du monopole bancaire à la réception des dépôts reste légitime, il n'en va pas de même pour les crédits. L'activité des hedge funds, par exemple, ne contribue pas à l'augmentation de la masse monétaire (contrairement à un EC) en ce sens qu'ils ne reçoivent pas de dépôts du public et ne créent pas de la monnaie au sens strict : ces fonds ne peuvent prêter sans préalablement avoir acquis les fonds sur le marché financier 68(donc par définition de la monnaie déjà créée, qui sera ici réemployée, ce qui n'augmente pas la masse monétaire l'inflation). Dès lors, il est urgent de proposer des assouplissements pour répondre aux besoins des acteurs économiques. En l'absence de réponses pertinentes, en effet, ces derniers imaginent alors des stratégies de contournement.

    TITRE 2 :

    LES INSUFFISANCES DU CADRE LEGAL ET LA TENTATIVE DE
    CONTOURNEMENT DES ACTEURS

    Confrontés aux limites du cadre législatif, les acteurs, toujours amènes aux stratégies de contournement, ont proposé des solutions pour contrecarrer la législation applicable en matière de monopole bancaire. Concrètement, ces stratégies juridiques peuvent prendre deux formes, plus ou moins audacieuses et présentant plus ou moins de risques juridiques : en effet,

    67 ADELLE J-F., « Le monopole bancaire constitue-il une restriction excessive aux crédits syndiqués en France ? » in Revue de droit bancaire et financier, n°2, mars 2005, étude 6.

    68 VERMEILLE S., « Règle de droit et développement des modes de financements alternatifs au crédit bancaire, ou l'inadaptation du droit français à l'évolution de l'économie et de la finance » in Revue trimestrielle de droit financier, n°2, 2012.

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    elles consistent en des stratégies de contournement indirect du monopole bancaire (Chapitre 1er) ou d'atteintes directes (Chapitre 2).

    Chapitre 1er : L'approche indirecte, le contournement des règles du monopole bancaire

    Confrontés à la fois à des besoins de financement importants et aux limites juridiques imposées par la législation relative au monopole bancaire, les acteurs ont dû envisager des solutions alternatives au titre desquelles on trouve les contournements aux règles du monopole bancaire. Il s'agit alors de poursuivre la même finalité économique que permet l'opération de crédit par le contrat de prêt (l'obtention de crédit au sens large : c'est-à-dire l'obtention de financement) mais en utilisant des modalités juridiques différentes. Le point commun de ces approches est leur caractère sécurisé au regard de la législation sur le monopole bancaire : en effet, ces techniques reposent sur des régimes juridiques différents du contrat de prêt, de sorte qu'il n'existe pas, a priori, de risque de requalification en opération de crédit. Il s'agit ainsi du recours à l'émission obligataire (Section 1), à la titrisation (Section 2), à la pension de titres (Section 3), ou enfin du recours aux OPCVM monétaires, encore nommés fonds monétaires (Section 4). Néanmoins, nous verrons que ces techniques de contournement demeurent imparfaites car les véhicules ou techniques juridiques utilisés n'offrent pas, économiquement, toutes les potentialités qu'offrirait l'opération de crédit elle-même. Ces limites seront, ainsi, à rechercher dans les régimes mêmes de ces opérations, bien que la plupart d'entre elles présentent, à tout le moins, l'avantage d'être soit hors champ du monopole bancaire, soit dans le champ mais explicitement exemptées par l'article L511-6 du code monétaire et financier.

    Section 1 : Le recours à l'émission obligataire

    L'émission obligataire est traditionnellement déclarée hors du champ d'application du monopole bancaire. En effet, comme nous l'avons évoqué précédemment, ces créances monétaires émises ou rachetées sur le marché financier primaire ou secondaire sont hors champ du monopole bancaire, en ce sens que le droit du prêteur se moule dans un instrument financier négociable sur le marché, contrairement au crédit par contrat de prêt bancaire. Le législateur n'a pas estimé nécessaire d'inclure ces opérations le champ du monopole bancaire

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    car l'achat d'obligations et leur émission n'engendre pas de création monétaire. Les titres obligataires sont émis sur le marché financier (et non monétaire) et les fonds investis par les épargnants correspondent à de la monnaie déjà crée, ce qui n'augmente pas la masse monétaire et justifie que l'Etat abandonne son droit de regard au titre de la politique économique. L'émission obligataire sur le marché financier a longtemps été réservée à des sociétés d'une certaine importance. En effet, l'accès au marché financier (c'est-à-dire l'accès aux investisseurs en capacité de financement, par le biais du marché qui met en contact les acteurs en besoin et capacité de financement) requiert des formalités lourdes et est encadré par le droit. En effet, la société doit procéder, le plus souvent, à une offre au public de titres financiers, ce qui la rend éligible aux obligations ponctuelles d'information du marché (le prospectus69). Elle peut se dispenser de telles obligations par le recours à des investisseurs qualifiés ou si le montant des émissions dépasse 100.000 euros, ce qui est peu probable pour une ETI. De même, l'entreprise peut aussi avoir intérêt à solliciter l'admission de ses titres à négociation sur un marché règlementé, auquel cas elle devra non seulement se conformer aux obligations relatives au prospectus (allégé dans l'hypothèse d'admission d'obligations) mais devra également fournir des informations permanentes au marché70. Il convient de préciser qu'une telle admission suppose nécessairement l'adoption de la forme sociale de SA ou de SCA. De même, il existe des restrictions pour certaines formes sociales en matière d'offre au public (on pense aux SAS, art L227-2 C.Com, aux SARL...). Les ETI peuvent donc difficilement accéder au marché obligataire car, même en adoptant une forme sociale adéquate, elles risquent d'être incapables de fournir les investissements nécessaires pour se conformer aux obligations existant (prospectus, information). De plus, on a du mal à imaginer le recours à des investisseurs qualifiés ou l'émission de titres de fort montant pour ces entreprises. Or ce sont précisément elles qui souffrent le plus de la pénurie de crédit bancaire, présentant souvent des situations financières plus fragiles leurs restreignant l'accès au crédit.

    69 Directive n°2003/71/CE du Parlement et du Conseil du 4 novembre 2003 relative au prospectus à publier en cas d'offre au public de valeurs mobilières à la négociation, modifiée par la suite à plusieurs reprise, la dernière en date étant la Directive 2010/73/CE du Parlement Européen et du Conseil du 24 novembre 2010 modifiant la directive 2003/71/CE concernant le prospectus à publier en cas d'offre au public de valeurs mobilières ou en vue de l'admission de valeurs mobilières à la négociation et la directive 2004/109/CE sur l'harmonisation des obligations de transparence concernant l'information sur les émetteurs dont les valeurs mobilières sont admises à la négociation sur un marché réglementé.

    70 En effet, l'admission des titres à négociation sur un marché règlementé emporte un statut permanent caractérisé par l'obligation de fournir au marché des informations permanentes ou périodiques, voire ponctuelles, en vertu de la directive dite « Transparence » : directive 2004/109/CE du Parlement européen et du Conseil du 15 décembre 2004 sur l'harmonisation des obligations de transparence concernant l'information des émetteurs dont les valeurs mobilières sont admises à négociation sur un marché règlementé modifiée récemment par la Directive 2013/50/UE du Parlement européen et du Conseil du 22 octobre 2013.

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    Toutefois, face à la raréfaction du crédit, il semble que le législateur et les parties prenantes sur secteur financier aient eu à coeur de remédier aux difficultés d'accès de certains acteurs au marché obligataire, notamment les ETI. Ainsi, les initiatives se multiplient : placements privés sur le marché américain, émissions obligataires hypothécaires, dette « high yield » (à haut rendement, donc à haut risque) pour les opérations de financement d'acquisitions à effets de levier, fonds commun de placement obligataire Micado regroupant plusieurs PME-ETI cotées71É

    Si l'on se concentre plus particulièrement sur les initiatives relatives à la l'accès des ETI au marché obligataire, pour qui il existait, de fait, des barrières à l'entrée, on peut faire état de l'initiative d'Euro Private Placement, qui s'est développé en ouvrant le marché du financement aux ETI non-notées, disposant d'une structure financière plus fragile et des besoins de financement réduits. Cela permet une avancée mais, en raison des risques attachés à ces émissions, les financial covenants ou les negative pledges sont plus importants que dans les émissions classiques. Néanmoins, on peut se réjouir de l'accroissement de la liquidité de ce marché high-yield. Dans la même veine, des fonds de dettes (tels que Micado - initiative « Micado France 2018 ») se sont spécialisés dans l'accès des PME-ETI au marché obligataire. La technique repose sur l'idée suivante : les entreprises PME-ETI en besoin de financement sont réunies au sein de fonds de dettes. L'idée étant ainsi de mutualiser leurs besoins pour avoir des émissions plus conséquentes de nature à attirer l'investisseur72. Cela permet également aux émetteurs de mutualiser les couts et de réaliser des économies d'échelle. Concrètement, des investisseurs souscrivent les parts du fonds de dettes Micado émises sur le marché par lui et ce dernier investit, ensuite, auprès d'un consortium limité d'émetteurs dont les obligations sont cotées sur le marché Alternext73. Les avancées permises par la réforme du code des assurances à l'été 201374 vont dans le même sens avec la création des fonds de prêt à l'économie régis par les articles R332-2 et R332-14-2 du code des assurances75.

    71 FISZELSON E., « Le monopole bancaire a-t-il vécu? » in Les Echos, 15/10/2012.

    72 SEBIRE M-E., « Le placement de l'emprunt obligataire » in Revue de droit bancaire et financier n°1, janvier 2014, dossier 3.

    73 Au total, 14 émissions obligataires ont été réalisées dans le cadre de cette initiative pour un montant de 60 millions d'euros, permettant ainsi à des entreprises privées de l`accès au marché obligataire de s'y faire une place.

    74 cf : supra, introduction.

    75 Ainsi, suite à la réforme, des fonds dits Novo (acronyme pour « nouvelles obligations ») ont été créés Novo 1 et Novo 2 sous l'égide de la Caisse des dépôts et consignations et de la Fédération française des sociétés d'assurance. Ces fonds sont destinés à financer les PME ETI avec 1 milliard d'euros levés auprès de 21 investisseurs dont 18 assureurs et d'autres investisseurs institutionnels.

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    L'on ne peut que se féliciter de ces mécanismes qui permettent un accès des PME-ETI au marché obligataire à moindre cout (les couts du placement, les couts de prospectus, les frais d'avocats sont minimisés). Pour autant, des couts et autres rigidités demeurent, que ce soit pour les ETI ou les grandes entreprises. Le recours à l'instrument obligataire n'apparait pas toujours, malgré les avancées, comme une fin en soi. Outre la lourdeur des régimes du prospectus et d'information du marché, le recours à l'obligation risque de présenter des couts non négligeables pour les entreprises à risque : en effet, la prohibition de l'usure, applicable en matière de contrat de prêt, n'est pas applicable en termes d'obligations, ce qui laisse le champ libre aux investisseurs pour fixer un prix parfois dirimant, calqué sur le risque, notamment si les investisseurs ne sont pas investment grade 76(sans parler des covenants). Les récentes ouvertures ne répondent que partiellement à ces défauts.

    En outre, le recours au procédé obligataire présente des rigidités intrinsèques à l'utilisation de cet instrument financier, qui proviennent de son régime, à la fois dans le code monétaire et financier et dans le code de commerce, et qui rendent ce dernier moins attractif que l'utilisation du prêt bancaire classique. En effet, si l'on prend l'exemple de la dette mezzanine émise, dans les opérations de LBO, sous forme d'obligation et acquise par les fonds d'investissement (private-equity), on peut constater un certain nombre de contraintes liées à l'application des règles obligatoires du droit des sociétés en matière d'obligations, et notamment des règles protégeant les droits des obligataires. En effet, la modification des modalités relatives aux obligations (les termes, les conditions des titres) requiert la constitution d'une masse des obligataires et toute modification doit être votée à la majorité qualifiée. Ces contraintes peuvent aboutir à une rigidification des relations créanciers-débiteurs, car le représentant de la masse obligataire n'a pas le pouvoir d'accorder au débiteur en difficulté des mesures de clémence (des « waivers ») comme le ferait le banquier dans le cadre d'un contrat de prêt. Pour accorder de telles mesures de clémence, il faudrait en théorie convoquer et réunir une assemblée des obligataires d'une même classe conformément aux conditions strictes (délais, formalités, modalité de vote, quorums) fixées par la loi. Ainsi, sur un plan juridique, l'émission obligataire manque de flexibilité par rapport au contrat de prêt (possibilité de renégocier, d'obtenir des délais de paiements, une modification des covenants après une simple « négociation » avec le banquier et non à l'issue d'un processus complexe).

    76 SEBIRE M-E., FERRERE R., TESSLER V., « La documentation de l'emprunt obligataire » in Revue de droit bancaire et financier, n°1, janvier 2014, dossier 4.

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    L'émission d'obligations répond surtout aux besoins des acteurs sur le marché primaire (celui du financement direct - prêts non émis). La titrisation, quant à elle, répond des besoins du marché secondaire (le refinancement des prêts risqués déjà émis).

    Section 2 : Le recours à la titrisation

    Tout au long du titre 1er, nous avons démontré en quoi les acteurs économiques avaient un intérêt à ce qu'il existe un marché du refinancement liquide et performant, afin de permettre aux entreprises débitrices de crédits à risques d'obtenir des concessions sur la structure de leur dette et aux établissements de crédits originateurs d'améliorer la structure de leurs bilans. La titrisation est une réponse partielle à ses besoins. Elle présente l'avantage d'être un mécanisme juridique sécurisé au regard de la législation sur le monopole bancaire. Pour autant, elle ne représente une aubaine que pour les établissements de crédit cédants, et ne répond pas aux attentes des débiteurs. La titrisation est avant tout une technique financière, qui consiste en la transformation de créances en titres négociables qui prendront la forme d'actions ou de parts et seront émis, sur le marché, par des organismes de titrisations, tout en étant adossés aux créances cédées. D'origine américaine, la titrisation est apparue en France avec une loi de 198877. Le dispositif a été amendé à plusieurs reprises et notamment en 1993 78et 200879. La titrisation trouve à nous intéresser en ce sens que les établissements de crédit ont pu tirer profit des dispositions précédemment exposées pour faire sortir de leur bilan des créances risquées et ainsi améliorer leurs ratios de solvabilité et faire de nouveaux prêts. Concrètement, l'établissement de crédit peut utiliser plusieurs modalités80, mais l'objectif principal est, pour lui, le refinancement des crédits. Il est bien entendu que, pour se refinancer, l'établissement de crédit ne peut pas titriser seul et céder ensuite le titre négociable sur le marché. Il faut qu'intervienne une tierce partie, à savoir l'organisme de titrisation sur lequel

    77 Loi n°88_1201 du 23 décembre 1988.

    78 Loi n93_6 du 4 janvier 1993 relative aux sociétés civiles de placement immobilier, aux sociétés de crédits fonciers et aux fonds communs de créances.

    79 Ordonnance n°2008_558 du 13 juin 2008, intervenue en pleine crise financière, dont le but était d'encadrer la titrisation en en préservant les effets économiques positifs, transposant la directive 2005/68/CE du 16 novembre 2005 relative à la réassurance et réformant le cadre juridique des fonds communs de créances.

    80 L'établissement de crédit peut choisir un mécanisme de titrisation classique, caractérisé par une sortie de la créance bancaire de son bilan, ensuite transformée en titre et acquise par l'organisme de titrisation. Dans un pareil cas, qui est le plus utilisé si la banque poursuit un motif de refinancement, la banque se sépare de la créance et peut confier au cessionnaire (organisme de titrisation) la gestion de la dette associée (le débiteur, informé, payera désormais le cessionnaire pour les échéances) à moins ce que la banque reste l'interlocuteur du débiteur pour le remboursement, à charge de céder au cessionnaire ces produits. L'établissement de crédit peut aussi choisir un mécanisme de titrisation synthétique : on passe de la titrisation des créances à celle des « risques » : la créance reste dans le patrimoine de la banque mais elle n'en assume plus les risques économiques (le défaut de la contrepartie) qui seront intégralement pris en charge par une entité tierce au moyen d'un contrat tel que le Credit default swap (contrat dérivé).

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    repose tout le modèle. La loi de 1988 a créée ainsi les fonds communs de créance, devenus plus tard organismes de titrisation (en 199681). Sous cette dénomination, le législateur englobe à la fois des OPCVM (organismes de placement collectifs spécialisés dans la titrisation et distincts des autres OPCVM82, « fonds de titrisation ») non dotés de la personnalité morale et devant être chapeautés par une société de gestion de portefeuille agrée par l'AMF et les sociétés de titrisation, dotées de la personnalité morale.

    En matière de refinancement bancaire, sur le marché secondaire, puisque c'est ce qui nous occupe, le mécanisme, comme nous l'avons précédemment évoqué, consiste en une transformation des prêts bancaires en titres acquis par l'organisme de titrisation. Ces créances bancaires sortent ainsi du bilan de la banque qui se débarrasse des risques et retrouve de la surface financière du fait du rachat et de la perception de la valeur de la créance cédée. L'organisme de titrisation acquéreur va, lui, parallèlement, procéder à une émission de titres (si c'est une société de titrisation) ou de parts représentatives (si c'est un fonds commun de titrisation) de cet organisme. Le produit de la souscription de ces parts, émises sur le marché et acquises par les investisseurs permettra à l'organisme de titrisation de financer l'acquisition des créances bancaires titrisées. Au final, l'organisme sert d'intermédiaire entre le marché et les banques et permet de fluidifier le refinancement en drainant l'épargne publique au sein d'un véhicule de titrisation spécialement dédié à l'investissement dans de la distressed debt.

    De prime abord, ce mécanisme semble efficace à plusieurs égards. D'abord, il permet aux banques de se refinancer et permet aux entreprises titulaires de dette risquée de ne pas se voir imposer de conditions plus strictes (mise en oeuvre de covenants, exigibilité anticipée) par la banque qui confie à une entité spécialisée dans les placements risqués - et donc plus tolérante à la distressed debt et soumise à des exigences prudentielles moins strictes - ses clients. On peut raisonnablement penser qu'une banque désireuse d'alléger son bilan choisira l'option d'informer le débiteur de la titrisation de ses dettes afin que ce dernier traite désormais directement avec l'organisme de titrisation pour le paiement des échéances du prêt. Ensuite, ce mécanisme, comme on l'a dit, n'encoure pas de sanctions pour violation du monopole bancaire : bien que l'opération de cession de créance non-échues ait été reconnue comme une opération de crédit, les organismes de titrisation sont expressément exemptés par l'article L511-6 du code monétaire et financier des sanctions relatives à la violation du monopole. Ce mécanisme devrait donc suffire à créer un véritable marché du refinancement pérenne.

    81 Loi n°96-597 du 2 juillet 1996

    82 Article L214-1, I, 2° du code monétaire et financier

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    Pour autant, la titrisation n'est pas une solution optimale. L'analyse économique du droit en la matière permet de montrer qu'elle ne répond que partiellement aux besoins des acteurs mis en exergue dans le titre précédent. En effet, si elle permet de satisfaire les besoins des banques, elle ne créée qu'une marché du refinancement imparfait car les besoins des débiteurs (détenteurs de « distressed debt ») ne sont pas satisfaits. Economiquement, la finalité de l'opération de titrisation ne s'analyse qu'auprès de deux parties : l'établissement de crédit cédant et l'organisme cessionnaire / les investisseurs. En effet, pour le premier, il s'agit de se débarrasser de ses risques, pour l'autre, il s'agit de mener une opération à visée spéculative : les investisseurs (par le biais de l'organisme de titrisation) parient sur le meilleur rendement du débiteur à haut risque, alors que la banque, symétriquement, cherche à éliminer ce dernier. Il s'agit donc d'une opération de nature essentiellement spéculative où le refinancement répond d'abord aux besoins économiques de la banque et aux velléités de spéculation des investisseurs. Dans ce modèle, aucune place n'est a priori accordée aux intérêts du débiteur qui demeure totalement passif : sa propension à rembourser, le caractère risqué de sa dette sont des critères guidant la prise de position des investisseurs (le « pari spéculatif ») en quelque sorte, mais nul ne s'intéresse véritablement à la relation client avec le débiteur. Cela est à dire, en effet, que les organismes de titrisation n'ont aucune volonté de gestion effective de la relation client avec le débiteur des créances cédées : ce ne sont que des intermédiaires de marché. Dès lors, le détenteur de distressed debt, à la recherche, comme on l'a vu, d'un interlocuteur, d'un gestionnaire de relation client, de portefeuille, se heurte à une impasse car il ne bénéficie en aucun cas d'une possibilité de rencontrer un conseiller, ni même de réfléchir aux aménagements ou à la restructuration de sa dette (modification des échéances, des intérêts, des covenants, discussions sur l'exigibilité anticipée, obtention de lignes de crédit supplémentaires ou « argent frais » etc.). Cela aboutit à sérieusement faire douter de la pertinence économique de la titrisation auprès de fonds de titrisation. Il existe, comme nous l'avons mis en évidence, d'autres entités (fonds d'investissement spécialisés dans la dette, hedge funds, fonds de capital investissement) désireuses de se porter acquéreurs de distressed debt directement auprès des banques afin non plus de réaliser une opération de nature purement spéculative, mais de mettre leurs compétences corporate et restructuring à la disposition des entreprises en difficultés (ou non) et de leur offrir des aménagements de dette, un interlocuteur, une stratégie. Les fonds de private equity sont notamment dotés de telles expertises. Pour autant, ces fonds autres que les organismes de titrisation n'étant pas exemptés du monopole bancaire, ils ne peuvent utiliser la technique de la titrisation pour réaliser de

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    telles opérations au risque de tomber sous le coup de sanctions. Ainsi, le marché du refinancement est finalement peu liquide et peu efficient, économiquement parlant.

    Par conséquent, l'analyse économique de la titrisation débouche inéluctablement sur un appel à l'extension du mécanisme de titrisation bancaire à d'autres entités que les organismes de titrisation : nous verrons par la suite si la création des sociétés de financement, non menacées par le monopole bancaire, est de nature à apporter une réponse à ces limites ou si d'autres voies devront être envisagées comme l'entrée d'entités supplémentaires dans le champ de l'exemption de l'art L511-6 CMF.

    Section 3 : La pension de titres

    La technique de la pension de titres, définie par le code monétaire et financier à l'article L211-27 comme « l'opération par laquelle une personne morale, un fonds commun de placement, un fonds de placement immobilier ou un fonds commun de titrisation cède en pleine propriété à une autre personne morale, à un fonds commun de placement, à un fonds de placement immobilier ou à un fonds commun de titrisation, moyennant prix convenu, des titres financiers et par laquelle le cédant et le cessionnaire s'engagent respectivement et irrévocablement, le premier à reprendre les titres, le second à les rétrocéder à un prix et une date convenus » aurait pu constituer une technique juridique pertinente de contournement des règles du monopole bancaire. En effet, à la lecture de cet article, on comprend de ce mécanisme qu'il permet à celui qui détient des créances valorisables (des titres de société, des créances client) mais peu liquides de les mobiliser auprès d'un tiers afin d'obtenir un financement. D'un côté, le cédant peut mobiliser des créances pour obtenir de la trésorerie, de l'autre, le cessionnaire utilise son excédent de trésorerie et obtient le paiement d'un intérêt tout en étant garanti par la mise en pension des titres du cédant (transfert temporaire de propriété des titres) à charge pour lui de rétrocéder les titres lorsque l'avance est remboursée par le cédant, majorée des intérêts. L'ingéniosité de l'opération réside dans le fait qu'il s'agit d'une technique de prêt « masquée », qui présente l'avantage d'être exemptée du monopole bancaire, bien que la technique revienne, économiquement, à effectuer une opération de crédit. En effet, l'article L511-7 CMF dispose que « les interdictions définies à l'article L. 511-5 ne font pas obstacle à ce qu'une entreprise, quelle que soit sa nature, puisse prendre ou mettre en pension des instruments financiers et effets publics mentionnés aux articles L. 211-27 et L. 211-34 CMF ».

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    Cependant, cette exemption perd de son intérêt car une disposition vient en réduire la portée de façon considérable. En effet, l'article L211-34 CMF dispose que « toutefois, seuls les établissements de crédit et les sociétés de financement peuvent prendre ou mettre en pension les effets privés. ». Ainsi, la brèche ouverte par l'article L211-27 permettant théoriquement à « toute entreprise » de prendre des titres en pension contre l'octroi d'un financement avec intérêt ne s'applique pas aux effets privés qui ne peuvent être mis en pension qu'auprès des EC et des sociétés de financement. Cela est dommageable dans le sens où cette disposition réintroduit, en quelque sorte, le monopole bancaire, là où elle l'excluait. Economiquement, il aurait été plus judicieux de permettre à toute entité personne morale de prendre des titres en pension pour fournir aux agents dans le besoin du crédit à court-terme, en ce sens que les établissements de crédit, une fois de plus, seront réticents envers les entités risquées dont les titres potentiellement « pensionnables » ne présentent qu'une valeur faible, alors que d'autres entités, moins averses au risque, auraient pu se substituer aux banques.

    Section 4 : Le crédit via les fonds monétaires (OPCVM monétaires)

    Les fonds monétaires sont connus sous plusieurs dénominations. Ainsi, on les évoque sous le vocable d'OPCVM monétaires ou de « money market funds » (MMF) en anglais. Ce sont, finalement, des organismes de placements collectifs mais qui présentent une particularité face à leurs homologues OPCVM. En effet, s'ils fonctionnent selon le même modèle que tout OPC en ce sens qu'ils collectent de l'épargne publique, ils investissent dans des valeurs particulières qui ne sont ni des valeurs mobilières de capital (comme les OPCVM) ou dans les créances (comme les fonds communs de titrisation). En effet, les fonds monétaires investissent dans des créances à court-terme, sur le marché monétaire (et non le marché financier) de type créances de trésorerie. Economiquement, ils financent donc les besoins de trésorerie à court-terme des entreprises en souscrivant les titres négociables émis par elles à très court terme (tels les billets de trésorerie, les bons de caisse, les titres de créance négociables inférieurs à deux ans). Cela les rapproche donc, conceptuellement, d'un établissement de crédit : d'abord parce qu'ils interviennent sur le marché de la dette monétaire, ensuite parce qu'ils financent la trésorerie des entreprises et qu'ils agissent sur le court-terme. Il ne s'agit cependant pas d'une technique de prêt, comme le ferait un établissement de crédit, mais le modèle est très semblable économiquement : l'argent des épargnants leur permet d'acquérir des parts d'OPC monétaires qui va, lui, financer les besoins

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    à court termes des entreprises. On peut y voir une forme de dépôts et de transformation en crédit de ces dépôts. De même, les risques inhérents à la transformation d'échéance sont, ici, et comme pour les établissements de crédits, réels : les fonds déposés par les épargnants présentent des risques de « runs » ou de retraits massifs. Comme les fonds monétaires investissent dans de la dette à court-terme, souvent volatile, et plus risquée (c'est de la trésorerie) les « runs » peuvent potentiellement avoir des conséquences plus sérieuses, d'où les initiatives multiples de la Commission européenne pour établir un cadre juridique plus contraignant pour les fonds monétaires83.

    En tout état de cause, les fonds monétaires peuvent présenter des attraits pour les besoins de la pratique, en ce sens qu'économiquement, ils répondent à des besoins très proches de ceux du crédit bancaire. En intervenant sur le marché monétaire, et en investissant dans des instruments de trésorerie, ils permettent d'assurer le financement des entreprises tout en étant à la fois exemptés des règles relatives au monopole bancaire (art L511-7 CMF) et en utilisant une technique différente du contrat de prêt.

    s?

    Les approches qui viennent d'être évoquées présentent l'intérêt économique de fournir du financement aux acteurs sans contrevenir aux dispositions du monopole bancaire. Néanmoins, face à leurs limites, certains acteurs ont envisagé d'attaquer frontalement la règlementation en faisant fi des contraintes juridiques et en portant directement, de par leurs opérations, atteinte au monopole bancaire, avec les risques juridiques que cela comporte.

    Chapitre 2 : L'approche directe, la contravention aux règles du monopole bancaire

    Le trait commun de ces approches est l'exposition volontaire d'un acteur économique aux sanctions juridiques découlant de l'inobservation des règles relatives au monopole bancaire en raison d'un choix délibéré de passer outre la règlementation et de fournir du crédit à titre habituel. Plutôt que de choisir un moyen détourné, l'acteur se place contra legem. Ces pratiques ne sont pas uniquement une vue de l'esprit : si elles ne sont pas courantes, elles sont,

    83 Proposition de Règlement du 4 septembre 2013 faisant suite à la publication du livre blanc sur le shadow

    banking : http://ec.europa.eu/internal_market/investment/docs/money-market-funds/130904_impact-
    assessment_en.pdf0. Il est intéressant de noter, à cet égard, que l'Union européenne envisage donc une harmonisation maximale en utilisant l'instrument normatif du règlement.

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    en tout cas, réelles. Les acteurs ont, ainsi, pu décider de prendre ce risque en raison des degrés de liberté offerts par la jurisprudence en vigueur et d'une tolérance relative de certaines opérations par les juges qui, sans les autoriser, ne les sanctionnent pas systématiquement. Même s'il est très difficile de s'engager en la matière, c'est-à-dire d'affirmer des vérités, on peut néanmoins sans trop de risques distinguer ce qui relève du marché primaire (section 1) et du marché secondaire (section 2) où les tenants et les aboutissants diffèrent.

    Section 1 : Les atteintes directes sur le marché primaire (« origination »)

    Il s'agit ici d'examiner dans quelle mesure les acteurs peuvent utiliser les failles de la jurisprudence sur les sanctions de la violation du monopole bancaire pour proposer du crédit aux acteurs dans le besoin. D'emblée, il nous faut préciser que les atteintes directes sont quasiment inexistantes, pour la bonne et simple raison que le risque de requalification en violation du monopole bancaire est extrêmement élevé. C'est d'ailleurs ce qui décourage certains fonds d'investissement exemptés ou non exemptés d'ailleurs de proposer directement des crédits aux entreprises (l'origination par des fonds d'investissement n'est pas autorisée, car même les fonds d'investissement alternatifs exemptés au regard du monopole bancaire ne peuvent intervenir que sur le marché du refinancement et non sur celui de l'origination, d'où l'interrogation de la Banque nationale irlandaise84). Ces derniers préfèreront, lorsque cela est nécessaire, recourir à l'intervention d'un tiers, notamment d'un fonds luxembourgeois « originateur » ou localisé hors de France, afin de contourner le champ d'application territorial (notamment le champ d'application de la loi pénale) des interdictions du monopole bancaire en raison de la souplesse des législations de certains pays voisins de la France.

    Néanmoins, l'étude de la jurisprudence relative aux sanctions des atteintes du monopole bancaire semble mettre en lumière l'existence d'une brèche dans laquelle les acteurs pourraient s'engouffrer. Reste à voir si cela est juridiquement et économiquement pertinent, c'est-à-dire si le risque est définitivement écarté (existence d'un « safe harbor » jurisprudentiel) et si l'opération présente un réel intérêt économique. La jurisprudence traditionnelle de la Cour de cassation établit que l'activité de prêteur de deniers, pour violer le monopole bancaire, doit avoir été pratiquée à titre habituel, peu important que les fonds

    84 Op. cit. Central Bank of Ireland, discussion paper, July 2013, « Loan origination by investment funds », disponible ici : http://www.centralbank.ie/regulation/marketsupdate/Documents/Discussion%20Paper%20Loan%20Origination %20by%20Investment%20Funds.pdf

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    prêtés proviennent du patrimoine personnel privé du prêteur85. Ainsi, une activité de prêteur de fonds n'est-elle illicite que si elle est effectuée à titre habituel, pour des opérations de crédit consenties à titre onéreux et sous réserve qu'il n'y ait pas d'exceptions légalement prévues (C. monét. fin., art. L 511-7. - Cf. CA Bourges, /0 sept. 1991 : RD bancaire et bourse 1992, p. 208). Il en résulte qu'une personne physique ou morale peut librement consentir un crédit à titre onéreux, dès lors que l'opération est isolée, et même s'il s'agit d'un établissement de crédit non autorisé à effectuer des opérations de banque sur le territoire national. Une jurisprudence célèbre du 3 décembre 2002 vient préciser la jurisprudence antérieure et apporte des éclairages intéressants sur la notion d'habitude86. En l'espèce, il s'agissait d'une personne qui avait consenti, pendant une période de près de neuf ans, neufs prêts successifs à un même emprunteur. Les juges du fonds avaient alors estimé qu'il y avait habitude et avaient par voie de conséquence annulé lesdits contrats de prêt. Certes, comme l'observent des auteurs. l'habitude. qui suppose la répétition, devrait commencer dès le deuxième acte (cf. J.-L Rives-Lange et M. Comamine-Raynaud, Droit bancaire : Dalloz, 6e éd., p. 32, n° 35). Mais, en matière pénale, il avait été relevé, par ces mêmes auteurs, que la chambre criminelle se montrait plus exigeante, en retenant que le fait de consentir plusieurs prêts à une même personne ne suffisait pas à caractériser la violation du monopole bancaire (cf. Cass. crim., 5 févr. 1995 : RD bancaire et bourse 1995. p. 77, obs. Campana et Calendini). La solution retenue par la Cour de cassation va en ce sens : elle considère que le fait de réaliser plus d'une opération, de façon régulière, ne suffit pas à caractériser l'habitude en l'absence d'une pluralité d'emprunteurs. C'est, en filigrane, admettre implicitement la pluralité d'emprunteurs comme une condition praeter legem de la notion d'habitude. Dès lors, cette solution est d'une grande originalité à plusieurs titres. D'abord en ce qu'elle ajoute une condition que la loi ne prévoit pas à la caractérisation de la réalisation d'opérations de crédit à titre habituel (la pluralité d'emprunteurs) ; ensuite parce qu'elle semble admettre qu'une personne physique ou morale puisse, sans contrevenir au monopole bancaire, réaliser des opérations de crédit de

    85 Cass. com., 27 févr. 2001 [C.] ; Bouvier c/ Bressan. [Juris-Data n° 008369]. (pourvoi n° 95-18.569 P c/ CA Nîmes, 1re ch., 13 juin 1995) : pour rejeter la prétention des cautions, qui invoquaient la nullité du prêt dont il leur était réclamé paiement, pour avoir été consenti par une personne exerçant à titre habituel des opérations de crédit sans avoir la qualité d'établissement de crédit, l'arrêt retient qu'ils n'établissent pas comme il leur incombe que le prêteur a été condamné pénalement pour avoir effectué des opérations de banque à titre habituel et qu'il est établi, au contraire, que le prêteur ne prête que les fonds provenant de son patrimoine personnel privé, ce qui a priori ne constitue pas un exercice illégal de la profession de banquier. En se prononçant par de tels motifs, inopérants, sans rechercher si, comme il était prétendu, le prêteur ne se livrait pas habituellement à des opérations de crédit à titre onéreux, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard des articles 2, 3 et 10 de la loi n° 84-46 du 24 janvier 1984.

    86 Cass. com., 3 déc. 2002, Desideri c/ Cts Multedo, pourvoi n° H 00-16.957, arrêt n° 2045 FS-P : D. affaires 2003, act. jurispr. p. 202 ; Juris-Data n° 2002-016639

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    façon répétée si tant est que ces opérations se réalisent au profit de la même personne. La Cour voit, sans doute, dans la condition de pluralité d'emprunteurs, la marque du développement d'une réelle activité « bancaire » concurrente aux établissements de crédit, alors qu'en l'absence de cette pluralité, et malgré la répétition des actes, elle y voit plutôt une relation personnelle, étrangère à l'activité bancaire, dans laquelle des crédits sont octroyés par une personne à une autre.

    Cette jurisprudence n'est pas sans conséquence sur la pratique. Sans en magnifier les effets, qui restent naturellement contingents et circonscrits, il n'en demeure pas moins qu'il est envisageable pour toute personne morale en excédent de trésorerie (c'est-à-dire en capacité de financement) de fournir à une autre personne, même en dehors de son groupement (car les groupements sont exemptés par l'article L511-7 CMF) du financement à une entité désignée, et ce de façon répétée dans le temps, sans contrevenir à l'article L511-5 CMF et pourvu que ce « service » ne soit rendu qu'à une personne nommément désignée. Il n'est pas inenvisageable de voir se développer des partenariats bilatéraux entre entreprises structurellement en capacité ou besoin de financement, même si elles n'ont entre elles aucun lien capitalistique, afin pour l'une d'obtenir du financement, et pour l'autre d'obtenir un intérêt régulier.

    Au final, les possibilités d'atteintes directes sont limitées en matière de marché primaire. Les choses sont un peu moins figées sur le marché secondaire.

    Section 2 : Les atteintes directes sur le marché secondaire (refinancement)

    Le marché secondaire présente des particularités et enjeux que ne présente pas le marché primaire. En effet, les nécessités attachées à l'existence d'un marché du refinancement liquide sont d'intérêt général : face à la dépréciation des créances, aux risques de contrepartie, les banques ont tout intérêt à céder leurs créances pour se débarrasser des risques et améliorer leurs ratios. C'est cette forte présence de l'intérêt général qui a justifié que le juge et les autorités en général soient plus conciliants envers les atteintes indirectes aux règles du monopole bancaire sur le marché secondaire. Ainsi, l'activité de rachat de créances sur le marché de la part de certains fonds non exemptés des règles du monopole bancaire est tolérée. Cela n'est pas à dire, néanmoins, que ces opérations soient légales : elles sont tolérées en vertu d'un statuquo mais présentent tout de même des risques juridiques de qualification. Ce

    50

    sont ces risques qui justifient qu'une extension des exemptions intervienne, ou à tout le moins une refonte globale du monopole bancaire.

    s?

    Cette première partie a été l'occasion de mettre en lumière les besoins de la pratique en matière de financement et les limites patentes de notre droit actuel en la matière. Dès lors, les acteurs ont imaginé des stratégies de contournement, directes ou indirectes. Mais le bât blesse en ce qu'elles sont soit des techniques imparfaites, soit des techniques risquées. Dès lors, ce sont des évolutions législatives qui sont nécessaires. Le droit comparé nous enseigne que la conception française des activités de crédit n'est pas partagée par tous ses homologues européens et ce en vertu d'une définition large des activités de crédit posée par les premières directives bancaires européennes (notamment celle de 1977). C'est justement de l'Union européenne que pourrait, éventuellement, provenir le salut. L'Union, libérale par nature, s'est très tôt élevée contre les monopoles en tout genre en ce qu'ils représentaient une menace pour l'achèvement du marché intérieur dans toutes ses dimensions (flux physiques et financiers, flux humains). En matière de monopole bancaire, l'Union, consciente des limites françaises, a porté des atteintes successives à ce dernier, jusqu'en 2013, où elle a achevé, du moins théoriquement, de le démanteler. Reste à voir si, en pratique, cette libéralisation a bien eu lieu.

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    DEUXIEME PARTIE :

    LEGISLATION EUROPENNE ET TENTATIVE D'EMIETTEMENT PROGRESSIF
    DU MONOPOLE BANCAIRE FRANÇAIS

    L'Union européenne est par définition plus libérale que l'Etat français ; que l'on en juge par son attitude traditionnelle à l'égard des monopoles. Ainsi, cette répulsion du monopole en général peut se retrouver dans son attitude vis-à-vis du monopole bancaire français. En la matière, les velléités de l'Union sont implicites mais manifestes (Titre 1er). Cela l'a conduit à multiplier les atteintes au monopole bancaire français par voie de réformes successives (Titre 2), ce qui n'est pas sans conséquences sur les contours du monopole bancaire français mais aussi sur l'effectivité du marché intérieur de l'UE (Titre 3).

    TITRE 1:
    LA RATIO LEGIS DU DROIT DE L'UNION EUROPENNE VIS-A-VIS DU
    MONOPOLE BANCAIRE FRANÇAIS : DES VELLEITES IMPLICITES MAIS
    MANIFESTES

    A la vérité, la recherche, par l'Union, d'une libéralisation du crédit par le démantèlement des monopoles bancaires nationaux (lorsqu'ils existent) poursuit une double finalité. D'un point de vue microéconomique (Chapitre 1er) il s'agit de favoriser le financement des entreprises et des particuliers ; d'un point de vue, cette fois, macroéconomique (Chapitre 2), il s'agit plutôt de compléter, d'achever, le marché intérieur en matière financière.

    Chapitre 1er : Les objectifs microéconomiques, la libéralisation du crédit

    Comme il a été mis en exergue précédemment, les acteurs souffrent aujourd'hui d'un durcissement du crédit et de l'éloignement des banques de leur coeur de métier : le crédit, sous l'influx de contraintes prudentielles. Dès lors, l'UE va chercher à remédier à ce problème en élargissant le cercle des personnes pouvant octroyer du crédit. En réalité, l'UE est depuis longtemps défavorable aux monopoles bancaires, mais elle laissait aux Etats une marge de manoeuvre qui constituait en quelque sorte un « opt-out ». Aujourd'hui, ce n'est plus possible et l'UE entend obliger les Etats à démanteler leurs monopoles via l'harmonisation du statut d'EC (Section 1). Notons, tout de même, un certain paradoxe dans l'attitude de l'Union : elle

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    entend libéraliser les sources de crédit tout en étant fermement décidée à encadrer le « shadow

    banking » (Section 2).

    Section 1 : Remédier aux disparités de définition des EC dans le marché intérieur

    La définition de la notion d'établissement de crédit est le point nodal du monopole bancaire. C'est en adoptant une définition plus large des EC que les Etats membres comme la France ont pu instaurer un véritable monopole.

    §1 : Directives bancaires et pouvoir laissé aux Etats membres :

    L'Union européenne s'est toujours prononcée en faveur d'une définition restrictive de la notion d'établissement de crédit. La directive bancaire du 12 décembre 197787, reprise par la directive 2000/12/CE du 20 mars 2000 et surtout par la grande directive bancaire de refonte 2006/48/CE du 14 juin 2006 88définit l'établissement de crédit comme : « une entreprise dont l'activité consiste à recevoir du public des dépôts ou d'autres fonds remboursables et à octroyer des crédits pour son compte propre ». Ainsi, la définition communautaire entend lier la réception de fonds du public et l'octroi de crédit pour bénéficier de la qualification d'établissement de crédit. A contrario, nous en concluons que toute entité ne collectant pas de dépôts du public mais effectuant des opérations de crédit n'est pas un établissement de crédit. L'Union européenne, d'ailleurs, n'interdit à aucun moment à de telles entités d'effectuer des opérations de crédit, pourvu qu'elles ne collectent pas de dépôts du public, alors même que des législations plus restrictives, comme la législation française, imposent le statut d'établissement de crédit à toute personne effectuant des opérations de crédit à titre habituel, nonobstant l'absence de collecte des dépôts, instituant ainsi à leur profit un monopole et le soumettant à des contraintes prudentielles. A l'époque, la législation française prévoyait un statut particulier, celui de « société financière » pour les établissements de crédit ne collectant pas des dépôts. Néanmoins, ces sociétés financières étaient une sous-catégorie des établissements de crédit et non une catégorie à part. Un auteur comme Michel Vasseur

    87 Directive 77/780/CEE du Conseil, du 12 décembre 1977, visant à la coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives concernant l'accès à l'activité des établissements de crédit et son exercice

    88 Directive 2006/48/CE du Parlement européen et du Conseil du 14 juin 2006 concernant l'accès à l'activité des établissements de crédit et son exercice

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    soulignait ainsi que ce statut « n'a guère son équivalent à l'étranger et n'est pas visé par la directive communautaire ».

    L'utilisation de l'instrument juridique de la directive laissait, aux Etats membres, une certaine marge de liberté dans leur transposition. Ainsi, si ceux-ci devaient reprendre a minima les dispositions de cette dernière, rien ne les empêchait de prévoir des règles nationales plus contraignantes, pour des raisons tenant aux caractéristiques du pays considéré. En matière de définition des établissements de crédit, cette possibilité a été usée par certains Etats et notamment la France. Pour autant, ce chemin n'a pas été suivi par tous : en Grande Bretagne, le Banking Act de 1987 ne règlemente l'activité bancaire que pour autant qu'elle porte à la fois sur la réception des dépôts et l'octroi de crédit. D'autres Etats ont opté littéralement pour la définition communautaire d'établissement de crédit. Ainsi, ils ne considèrent pas l'activité de crédit comme étant une opération de banque en l'absence de réception de fonds du public : tel est le cas de l'Espagne, de l'Italie, de la Belgique, du Luxembourg et des Pays-Bas. Mais la législation française n'est pas la seule à s'écarter de la définition communautaire. Ainsi, l'Allemagne, dans sa loi bancaire89, se réfère comme la France aux « opérations de banque » pour définir l'établissement de crédit. Ces disparités n'ont aujourd'hui plus lieu d'être en raison de l'intervention, en 2013, d'un règlement.

    §2 : Le rapport De Larosière et le tournant du règlement CRR :

    Le rapport du groupe de travail présidé par Jacques de Larosière90 pointe du doigt les divergences nationales exposées ci-dessus. Le rapport fait état « d'inconsistances en matière de règlementation » (« examples of regulatory inconsistencies ») et notamment le fait que « certains Etats membre de l'Union proposent une définition extensive de la notion d'établissement de crédit alors même que d'autres Etats ont retenu une définition bien plus restrictive ». Selon le rapport, cela est source « de divergences problématiques entre les Etats membres, en ce qu'elles peuvent amener à des arbitrages règlementaires ». A la lecture de ce rapport, on comprend que la divergence règlementaire pose des problèmes à plusieurs niveaux : d'abord au niveau de l'achèvement du marché intérieur (ce que nous verrons plus tard) mais surtout au niveau de l'accès au crédit. Le rapport sous-entend, en effet, que dans

    89 Loi du 11 juillet 1985 modifiée relative à l'organisation de la profession bancaire « Gezets über das Kreditwesen » KWG. Cette loi définit l'établissement bancaire d'une façon analogue à la France : « entreprises qui effectuent des opérations bancaires lorsque le volume de ces opérations requiert la gestion d'une entreprise sous forme commerciale ».

    90 « The high-level group on financial supervision in the EU, chaired by Jacques de Larosière : Report, Brussels, 25 february 2009, p28 ». http://ec.europa.eu/internal_market/finances/docs/de_larosiere_report_fr.pdf

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    certains pays, l'accès au crédit est facilité compte tenu de la possibilité pour des entités non bancaires de faire du crédit, le tout avec des contraintes prudentielles allégées, alors que, pour d'autres, cet accès est plus restreint du fait de l'existence d'un monopole bancaire. Non seulement cet état du droit porte atteinte à la concurrence et crée des distorsions de concurrence pouvant mener à des arbitrages règlementaires, mais, également, en ces temps de durcissement prudentiels pesant sur les établissements de crédit, il est nécessaire de libéraliser l'accès des entreprises à d'autres formes de crédit ; ce qui rend injustifiées les législations cantonnant l'octroi de crédit aux établissements de crédit uniquement.

    En réponse, l'arsenal législatif CRD/CRR prévoit désormais que la définition d'établissement de crédit sera renfermée dans un règlement afin d'en imposer la teneur à l'ensemble des Etats membres et ce, in extenso. Reprenant les dispositions des premières directives bancaires, le règlement CRR pose désormais la définition de référence des établissements de crédit, ayant vocation à être appliquée par tous : « entreprise dont l'activité consiste à recevoir du public des dépôts ou d'autres fonds remboursables et à octroyer des crédits pour son propre compte 91». L'adoption de ce règlement n'est pas sans conséquences sur le cadre juridique bancaire français qui va s'en retrouver profondément modifié puisqu'il faut aligner la définition française d'établissement de crédit sur la définition européenne tout en permettant aux entités actuellement agrées en tant qu'établissement de crédit en France et qui ne reçoivent pas de fonds remboursables du public de continuer à exercer leurs activités dans le respect de règles prudentielles92. En effet, il n'est pas envisageable de laisser des entités précédemment règlementées car elles étaient liées aux EC échapper désormais à la régulation, de telle sorte que les nouveaux statuts des sociétés habilitées à délivrées du crédit sans pour autant collecter des dépôts devront être soumis à des exigences prudentielles, alors même qu'ils ne sont désormais plus des EC. En effet, la conséquence première de cette nouvelle définition est que désormais, il existe un lien indissoluble entre les dépôts et les crédits. Toute entité exerçant cumulativement ces deux activités est un EC. A contrario, toute entité qui n'en réaliserait qu'une des deux (ici, la fourniture de crédit) ne peut plus être qualifiée comme un établissement de crédit.

    91 Art 4. 1) du règlement CRR : le Règlement (HE) n ° 575/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 concernant les exigences prudentielles applicables aux établissements de crédit et aux entreprises d'investissement et modifiant le règlement (HE) n ° 648/2012.

    92 SAMIN T., « La réforme du statut d'établissement de crédit en vue de l'entrée en vigueur du règlement européen CRR I : des sociétés financières aux sociétés de financement » in Revue de droit bancaire et financier, n°5, septembre 2013, dossier 44.

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    Cette évolution dans la définition va, comme on le verra, forcer les Etats membres qui, jusqu'ici, retenaient une définition large de l'EC à s'aligner. Pour ces Etats, l'enjeu sera alors de gérer les conséquences d'un tel changement. Il ne fait aucun doute que les motivations de l'UE, qui tend désormais vers l'harmonisation totale en la matière, sont claires : libéraliser les sources de crédit. Sinon, à quoi bon uniformiser ? C'est également ce qu'il ressort du rapport de Larosière. Ainsi, la réforme devrait avoir pour conséquence de faciliter l'accès au crédit en révolutionnant le paysage bancaire français. Néanmoins, il faudra voir si la France aura une attitude proactive ou simplement réactive face à cette évolution : réactive, elle se contenterait simplement d'une application du règlement en créant une catégorie ad-hoc de société de crédit peu compétitive et relativement restreinte : elle ne ferait, alors, que se mettre en conformité avec la définition européenne ; proactive, elle ferait en sorte, en plus, de permettre une réelle libéralisation du crédit avec ce nouveau statut et d'exploiter toutes les possibilités issues de la réforme.

    En tout état de cause, ce changement de paradigme est révélateur de la conception qu'à l'Union européenne de l'établissement de crédit. De même, en exergue, est révélée l'attitude de l'Union vis-à-vis du monopole bancaire en général : elle ne semble tolérer ce dernier qu'en ce qu'il concerne la réception des dépôts, et, partant, leur sécurité.

    §3 : La conception européenne du monopole bancaire : l'ancrage autour des dépôts

    L'observation du corpus législatif européen en matière bancaire depuis ses débuts 93suggère que l'Union entend surtout soumettre les établissements de crédit à des obligations prudentielles accrues du fait qu'ils collectent les dépôts du public. En effet, en liant la qualité d'EC à la collecte des dépôts et à l'octroi de crédit, et en soumettant les EC aux obligations prudentielles les plus prononcées, le droit bancaire européen a clairement pour ratio legis la protection des déposants. L'UE, ainsi que les Etats ayant dès le départ adopté la définition communautaire d'EC, considèrent que l'objectif principal de la surveillance bancaire est la protection de l'épargne du public, d'où une qualification d'EC liée à la collecte des dépôts. Pour les pays ayant adopté une large définition (comme la France), il s'agissait non seulement de protéger les dépôts mais également d'assurer la stabilité financière en général.

    93 Comme par exemple la directive 89/299 CEE en matière de fonds propres des établissements de crédit ou la directive 89/647/CEE du 18 décembre 1989 en matière de ratio de solvabilité des établissements de crédit, complétées ensuite par Directive 94/19/CE relative aux systèmes de garantie des dépôts bientôt révisée.

    56

    L'approche retenue par l'Union européenne suggère alors, a contrario, qu'en dehors de la sécurité des déposants, qui seule justifie la soumission au statut d'EC et à ses contraintes prudentielles, c'est la concurrence qui doit prévaloir94. En effet, les entités qui réalisent des opérations de crédit sans collecter des dépôts du public se financement soit sur fonds propres, soit par endettement, de sorte que l'épargne publique n'intervient pas et que le risque de contrepartie est moins susceptible de léser les déposants. De même, en l'absence de déposants (créanciers), le risque de « run » et d'illiquidité est moindre, ce qui justifie des contraintes prudentielles allégées et justifie également qu'une entité non-bancaire puisse prendre en charge de telles activités à titre régulier, ce qui, en France, était impossible, car les sociétés financières, bien que ne collectant pas de dépôts, répondaient d'une catégorie d'établissements de crédit et se voyaient imposer des contraintes prudentielles analogues, ce qui décourageait les acteurs non-bancaires de solliciter un tel agrément. L'analyse économique nous enseigne donc qu'en dehors de la protection des dépôts, nul n'est besoin d'instaurer un monopole ; et c'est la vision à laquelle l'UE s'est ralliée. Hubert de Vauplane 95illustre parfaitement la vision qui précède : « En vérité, et comme le droit européen le prévoit, ce n'est pas tant l'activité de crédit que l'activité de collecte des dépôts qui doit être régulée. Seules les institutions présentant un degré de contrôle et de supervision doivent être habilitées à recevoir des dépôts. L'octroi de crédit est autre chose. Et c'est d'ailleurs là l'une des différences essentielles entre le système bancaire et la finance parallèle (ndlr : qui justifie une réglementation certes réelle mais plus souple pour ces entités) ».

    Pour autant, si ces évolutions traduisent une approche libérale de l'Union européenne vis-à-vis du crédit, en ce que d'autres entités que les banques devraient normalement pouvoir effectuer des opérations de crédit à titre habituel, on remarque que l'Union européenne n'est pas, pour autant, prête à laisser fleurir ces activités sans encadrement prudentiel. En effet, si l'Union semble s'être ralliée à l'idée raisonnable que les banques ne peuvent, aujourd'hui,

    94 On retrouve ici la même problématique, au niveau de l'UE, qu'en matière de services publics. En effet, la législation française, très interventionniste en matière de service public, ne correspondait pas avec l'acceptation européenne du service public symbolisée par la notion de service d'intérêt économique général (SIEG). En effet, l'UE obligeait les Etats à démanteler leurs services publics monopolistiques lorsque ceux-ci étaient rentables (ils pouvaient donc être soumis à la concurrence) alors que les segments non rentables, constituant des SIEG au sens du droit de l'UE, pouvaient faire l'objet d'une prise en charge spéciale par l'Etat, et si besoin d'aides d'Etat. Par analogie, on constate que l'UE considère que seuls les dépôts justifient un monopole bancaire (seules les banques sont autorisées à collecter les dépôts, car leur statut prudentiel est plus protecteur) alors que les secteurs hors des dépôts ne nécessitent pas d'être protégés et doivent être ouverts à la concurrence.

    95 DE VAUPLANE H., « Au delà du système bancaire, réguler le shadow banking : les propositions européennes et les autres » in Revue Banque http://www.kramerlevin.com/files/Publication/7aebaffd-73f5-4182-8871-4aad8d03c5df/Presentation/PublicationAttachment/18fbd835-c301-4ca0-997f-

    5253651ca39d/1209 Revue%20Banque Vauplane%20Hubert%20de Shadow%20banking%20%23751.pdf

    57

    plus être les uniques pourvoyeurs de crédit au sein du marché unique, il n'en demeure pas moins qu'une libéralisation totale et anarchique ferait courir le risque de tomber dans l'écueil des turbulences en termes de stabilité financière. C'est la raison pour laquelle, tout à son désir de libéralisation et de démantèlement des monopoles, l'Union entend également encadrer les entités non bancaires mais se comportant comme tel en régulant les entités dites de « shadow banking ».

    Section 2 : Le paradoxe européen, libéraliser le crédit mais encadrer le shadow banking system

    Le Conseil de stabilité financière (« Financial stability board ») définit le shadow banking system, dit encore « système bancaire de l'ombre, ou parallèle », comme « le système d'intermédiation du crédit qui implique des entités extérieures au système ordinaire 96». Ce ne sont donc pas des banques, et donc, par voie de conséquence, ce ne sont pas des entreprises recevant des dépôts du public ou soumises à la règlementation prudentielle. Ces entités correspondent, ainsi, à toute structure fournissant du crédit sans collecter les dépôts, c'est-à-dire aux entités que le droit de l'UE semble a priori encourager en adoptant une définition restreinte de l'établissement de crédit. Pour autant, ces entités présentent des risques car si « elles ne sont pas soumises à la même règlementation que les banques, elles exercent à tout le moins les mêmes activités 97» : elles mènent des activités de crédit et de financement, rapprochent investisseurs et emprunteurs, réalisent des opérations de pension... ces acteurs bénéficient d'atouts concurrentiels du fait de l'absence de règlementation. Ces acteurs sont les hedge funds, les OPCVM monétaires, véhicules d'investissement structurés et autres institutions financières non bancaires.

    L'Union européenne est consciente de la nécessité de libéraliser les activités les moins risquées, autrement dit, les activités d'intermédiation de crédit sans collecte d'épargne du public. Un certain nombre de rapports 98font état de la nécessité de libéraliser le crédit pour redonner de la vitalité à l'économie européenne et tentent de chercher des solutions pérennes

    96 FSB « Shadow banking : strengthening oversight and regulation », 27 oct 2011

    97 BONNEAU T., « Régulation bancaire et financière européenne et internationale », p148, Bruylant, 2012.

    98 Par exemple, livre vert de la Commission européenne sur le financement à long-terme des entreprises, rapport conjoint de la Commission et de la Banque européenne d'investissement sur le financement des PME, rapports du Forum économique mondial de Davos et de l'OCDEÉ

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    de financement (à long-terme) pour les entreprises. C'est dans le cadre de ce débat que la banque nationale d'Irlande 99s'est interrogée sur la possibilité pour les fonds d'investissement qui ne sont pas constitués sous forme d'OPCVM (non-UCITS) de pouvoir « originer » du crédit c'est-à-dire fournir du crédit sur le marché primaire. Cette réflexion n'est pas isolée, tant les lobbys de praticiens envers les instances dirigeantes de l'UE sont forts pour pousser cette dernière à libéraliser encore plus les sources de crédit : non seulement en autorisant d'autres entités que les banques à faire du crédit, mais en libéralisant largement le marché de l'origination auprès d'entités aussi différentes qu'un hedge fund, un fond d'investissement, un fonds monétaire. Evidemment, permettre à des fonds d'investissement de faire des crédits sur le marché primaire (« origination by investmend funds ») présente des risques, et des enjeux, que nous traiterons dans la partie 3.

    L'Union européenne n'est pas insensible à ces demandes ; et, de manière plus générale, est favorable à la prise en charge d'activités de crédit par d'autres que des banques. Nous en voulons pour preuve les propos de Michel Barnier, Commissaire en charge du marché intérieur et des services financiers : « Je ne crois pas que l'intermédiation financière doit être confiée dans son intégralité aux banques (ndlr : il ne devrait pas exister de monopole bancaire). Et je suis conscient du rôle que doivent jouer les sources alternatives de financement en ces temps difficiles pour l'économie européenne, où les banques doivent se conformer à des ratios prudentiels toujours plus restrictifs. La finance alternative est par conséquent nécessaire, mais il est important qu'elle puisse s'exercer dans un environnement réglementaire solide 100». Ce discours de Michel Barnier a été réalisé à l'occasion d'une conférence sur le travail de l'Union en matière de régulation du shadow banking. Cela est donc à dire que l'Union se place dans une position au premier abord paradoxale : d'une part, elle admet la nécessité de libéraliser le crédit, et par la même entend encourager la fourniture de crédit par les entités non-bancaires (en témoigne le règlement CRR) et réfléchit à la possibilité pour des fonds d'investissement non-OPCVM de faire de tels prêts ; d'autre part, fortement ancrée dans une tradition de régulation et de promotion de la stabilité financière101, elle entend ne pas laisser ces entités sans régulation car elles présentent des risques que nous étudierons en partie 3. Dès lors, l'Union recherche un compromis : libéraliser le crédit en

    99 Op. cit. Central Bank of Ireland, discussion paper, July 2013, « Loan origination by investment funds », disponible ici : http://www.centralbank.ie/regulation/marketsupdate/Documents/Discussion%20Paper%20Loan%20Origination %20by%20Investment%20Funds.pdf

    100 http://europa.eu/rapid/press-release_SPEECH-12-310_en.htm

    101 En témoigne la prolifique règlementation adoptée suite à la crise, avec, récemment, l'adoption du mécanisme de résolution et de surveillance uniques (Single Supervision Mechanism and Single Resolution Mechanism).

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    soumettant les entités non-bancaires à une règlementation a minima 102: moins contraignante que celle des banques, mais tout de même présente (cf : partie 3). Reste à savoir si ces règlementations, même minimes, rendront attractive la fourniture de crédit pour les entités non bancaires. Cela devrait être le cas, sous réserve de l'adoption de règlementations nationales plus contraignantes qui priveraient de portée la libéralisation entamée par l'Union : ce que nous verrons, en France, avec le cas de la « société de financement » dont le régime prudentiel et d'agrément est fortement restrictif par rapport aux ambitions affichées de l'Union européenne.

    Outre ces aspects microéconomiques, l'Union européenne entend également imposer aux Etats membres une définition harmonisée des établissements de crédit en ce que les divergences règlementaires qui avaient cours jusqu'alors constituaient un frein au parachèvement du marché intérieur en instaurant une fragmentation du marché nourrie par les divergences de définition, ce qui constitue des manifestations distorsives de concurrence, néfastes à l'aboutissement des 4 grandes libertés du traité de Rome, déclinées en matière financière.

    Chapitre 2 : Les objectifs macroéconomiques, le parachèvement du marché intérieur en matière financière :

    Comprendre pourquoi la libéralisation du crédit est aussi une affaire de concurrence et d'aboutissement du marché unique implique de connaitre les objectifs que l'Union assigne au marché intérieur pris dans sa composante financière (Section 1). Partant, il sera possible de mesurer l'effectivité de la réalisation de ces objectifs en mettant en exergue les limites posées par les disparités de définition d'établissement de crédit au sein de l'UE (Section 2).

    Section 1 : Les objectifs du marché intérieur en matière financière

    L'Acte Unique de 1986 a posé la première pierre d'un marché unique européen en tentant de rendre plus effectives les grandes libertés que le Traité de Rome appelait de ses voeux en 1957. Ainsi, la première des grandes libertés à avoir été effective est la libre circulation des marchandises (c'est-à-dire des biens). A l'époque, cependant, la dimension financière était plus occultée, la libre circulation des capitaux n'étant qu'une chimère dont l'effectivité était

    102 Livre vert de la Commission européenne, 2012 « Le shadow banking system »

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    entravée par les nombreux obstacles transnationaux. Avec le Traité de Maastricht en 1992 et l'adoption de la monnaie unique, le législateur européen a entendu accélérer le processus qui visait à doubler le marché unique des biens et services de son pendant, le marché unique des capitaux. Ainsi a prospéré l'idée que l'Union européenne devait associer à un marché des biens uniques un marché bancaire unique. A cet égard, l'établissement d'un marché bancaire unique impliquait de définir ce que l'Europe entendait par établissement de crédit. Or comme on l'a vu, la définition d'harmonisation minimale posée dès 1977 (et rappelée par la suite) n'a pas été reprise par tous les Etats, ce qui a nécessité l'adoption de mécanismes de reconnaissance mutuelle. Pour autant, la reconnaissance mutuelle s'est rapidement avérée insuffisante, dans la mesure où des raisons impérieuses d'intérêt général tenant aux Etats membres pouvaient faire obstacle à cette reconnaissance. In fine, la reconnaissance mutuelle ne suffisait plus à dépasser les obstacles règlementaires dressés par les Etats qui avaient retenu une conception plus extensive de l'établissement de crédit. Les distorsions de concurrence ainsi introduites par les divergences règlementaires faisaient alors obstacle à l'achèvement du marché bancaire unique, et plus largement du marché unique dans sa dimension financière. L'adoption de la monnaie unique et le véritable succès d'un marché des biens et services unifié rendaient dès lors impératif une harmonisation totale en la matière. C'est chose faite depuis le règlement CRR. Ainsi, l'Europe du crédit se voit donner plus de souffle en ce sens que le démantèlement des monopoles bancaires nationaux sur l'activité de crédit devrait permettre aux acteurs de tous les Etats membres de prester leurs services de crédit sans aucune restriction, les barrières structurelles et concurrentielles étant Ð du moins théoriquement Ð éliminées. Avant cette date, en 2009, le législateur européen avait déjà avancé vers l'unification du marché européen en libéralisant les services de paiement ; les paiements étant nécessaires à un marché des biens et services unifié. Il s'agissait, alors, de surmonter le cloisonnement qui existait sur le marché des paiements car il existait autant de systèmes de paiements que d'Etats membres. On le verra, la directive sur les services de paiement avait alors pour objectif d'introduire davantage de concurrence au niveau du marché de l'Union en harmonisant le droit applicable aux services de paiement 103(directive aussi appelée « SEPA »).

    Section 2 : L'effectivité du marché intérieur en matière financière

    103 BOUTHINON-DUMAS H., « La directive sur les services de paiement et la concurrence entre les établissements de paiement et les banques » in RTD Com 2009 p59.

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    L'adoption de la deuxième directive bancaire de coordination du 15 décembre 1989104, transposée en droit français par la loi n°92-665 du 16 juillet 1992 a été l'étape essentielle, dans le domaine bancaire, de la réalisation d'un véritable marché bancaire européen unique. Il s'agissait d'abord de rendre effectives, en matière d'établissements bancaires, les libertés d'établissement et de libre prestation de service contenues dans le traité de Rome de 1957 car subsistaient des obstacles tenant notamment à l'absence de définition commune. Si la directive de 1977 a harmonisé, a minima, les définitions, la directive de 1989, quant à elle, vient parachever les avancées en instaurant le principe de reconnaissance mutuelle des agréments105. Ce principe est repris, plus tard, dans la directive n°2000/12 106qui indique en son article 18 que, en matière d'établissements de crédit, les Etats membres doivent prévoir « que les activités mentionnées à l'annexe 1 puissent être exercées sur leur territoire tant au moyen de l'établissement d'une succursale que par voie de prestation de service par tout établissement de crédit agréé et contrôlé par les autorités compétentes d'un autre Etat membre, sous réserve que ces activités soient couvertes par l'agrément ». Cette disposition témoigne de la percée du principe de reconnaissance mutuelle en matière bancaire. L'arsenal législatif adopte un régime qui va plus loin que les simples libertés d'établissement et de prestation de service du traité de Rome (en quelque sorte, le droit commun du marché intérieur). En effet, il instaure un régime de droit spécial appelé « passeport européen » et qui prévoit un régime encore plus favorable dans le but de remédier rapidement et efficacement aux obstacles à l'édification d'un marché bancaire unique au niveau européen. Le législateur européen considère que la clef de l'achèvement d'un tel marché est d'une part l'adoption de principes de base relatifs à l'agrément (fonds propres, actionnariat etc.) communs à tous les pays et d'autre part la reconnaissance mutuelle. Ainsi, un établissement de crédit n'a, en théorie, plus besoin d'obtenir un agrément pour exercer ses activités s'il décide d'installer une succursale dans un autre Etat membre.

    Cependant, tout séduisant qu'il soit, ce modèle souffre des lacunes inhérentes à l'harmonisation minimale et à la reconnaissance mutuelle. En effet, il existe, encore, des divergences entre les Etats membres qui ne peuvent être efficacement palliées par la reconnaissance mutuelle. D'abord, la directive fixe une liste des opérations de banque

    104 Deuxième directive 89/646/CEE du Conseil, du 15 décembre 1989, visant à la coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives concernant l'accès à l'activité des établissements de crédit et son exercice, et modifiant la directive 77/780/CEE

    105 PELTIER F., FERNANDEZ-BOLLO E., « Structures, réglementation, et contrôle public des professions bancaires ; structures et conditions d'accès » in JCl Banque, crédit, bourse, Cote 08,1997.

    106 Directive 2000/12/CE du Parlement européen et du Conseil du 20 mars 2000 concernant l'accès à l'activité des établissements de crédit et son exercice

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    pouvant entrer dans le champ de l'agrément et de la reconnaissance mutuelle. Pour autant, certains Etats retiennent une conception différente de la liste des opérations de banque, de sorte que certaines activités comprises dans le champ de la reconnaissance mutuelle au niveau européen ne peuvent, dans certains Etats, être exercées, ce qui diminue d'autant l'efficacité du mécanisme. De même, et c'est ce qui nous occupe, l'existence d'un monopole national en faveur des établissements de crédits est de nature à engendrer le même type de conséquences. En effet, il demeurait, avant 2013, des divergences entre les Etats membres au sujet de leur définition de l'établissement de crédit. Cette divergence est de nature à faire obstacle, indirectement, à l'effectivité du passeport européen car elle est distorsive de concurrence.

    En retenant une définition de l'établissement de crédit plus large que la directive de 2006, la France (mais aussi l'Allemagne) maximisent les chances pour leurs établissements de pouvoir se tailler une part de marché importante à l'étranger en établissant des succursales, en ce sens que les établissements français et allemands qui, sans collecter l'épargne du public, réalisent tout de même des opérations de crédit (crédit-bail, affacturage, garanties, organismes de crédit spécialisés dans les prêts immobiliers ou hypothécaires), peuvent bénéficier du régime du passeport européen dans la mesure où la seule activité de crédit Ð mentionnée dans la liste des opérations de banque entrant dans le champ de la reconnaissance mutuelle, selon la directive Ð suffit à caractériser, en droit national, l'existence d'un établissement de crédit, seul à pouvoir bénéficier du régime du passeport européen. En revanche, les Etats ayant retenu l'exacte définition européenne souffrent d'un manque à gagner en ce sens que, en liant la qualité d'établissement de crédit à la collecte des dépôts et à la fourniture de crédit, ils excluent d'une telle qualification tous les organismes fournissant des opérations de crédit sans collecter les dépôts ; de sorte que de tels établissements, comme ils ne constituent pas des établissements de crédit au sens de leur droit national, ne peuvent, alors, bénéficier des largesses du régime du passeport européen de la directive de 1989. Ces organismes, en l'absence de texte, ne pourront donc pas installer une succursale dans un autre Etat membre grâce au régime du passeport, ce qui représente, pour eux, un manque à gagner certain par rapport à leurs homologues étrangers qui, eux, bénéficient de la qualification d'EC. Pour prester leurs services dans un autre Etat, ces derniers ont alors le choix entre d'une part solliciter, auprès d'un Etat comme la France, l'agrément d'établissement de crédit (ce qui les contraindrait à de lourds aménagements) ou à utiliser le droit commun du marché intérieur et la libre prestation de service ou liberté d'établissement du traité de Rome, dont le régime est moins avantageux

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    (voir infra) que le passeport. Certes, la seconde directive de coordination bancaire107 transposée dans la loi bancaire de 1984 par une loi de 1992 108 prévoyait, avec la création du statut d'établissement financier, la possibilité pour des établissements d'un autre Etat membre, non agréés en tant qu'EC mais fournissant des services de crédit, de bénéficier du régime du passeport européen pour s'installer en France, mais l'article 71-8 de la loi bancaire (tout comme la directive) précisait que cette possibilité n'était réservée qu'aux établissements filiales à au moins 90% d'un EC, ce qui était restrictif pour les entités non bancaires non filiales d'EC qui prestaient du crédit et ne pouvaient obtenir le bénéfice du passeport européen pour les établissements financiers.

    Ces exemples sont symptomatiques des limites de l'harmonisation minimale ; d'autant qu'ils aboutissent, dans les faits, à avantager les Etats ayant décider de s'écarter de la définition communautaire au détriment des Etats qui ont fait le choix de suivre cette même définition, ce qui est à tout le moins paradoxal. Au résultat, c'est une réelle concurrence déloyale qui s'exerce et qui empêche l'achèvement, l'unification, d'un marché bancaire européen. Dès lors, l'harmonisation maximale a été l'approche encouragée par le rapport de Larosière et finalement choisie par le législateur européen de 2013 dans le règlement CRR I. Reste à voir si cette harmonisation a véritablement mis fin à la fragmentation du marché bancaire européen.

    Les objectifs de l'Union européenne en matière financière exposés précédemment ont été les fils conducteurs d'une série de réformes successives entamées depuis le début des années 2000 et visant à unifier, à intégrer le marché intérieur en matière bancaire et à rendre effectives les libertés du Traité. L'Union européenne a ainsi peu à peu démantelé certains segments contenus dans la liste française des opérations de banque, modifiant ainsi les contours du monopole bancaire français.

    TITRE 2 :

    LES ATTEINTES DIRECTES AU MONOPOLE BANCAIRE FRANÇAIS PAR LE
    DROIT DE L'UNION EUROPEENNE

    107 Deuxième directive 89/646/CEE du Conseil, du 15 décembre 1989, visant à la coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives concernant l'accès à l'activité des établissements de crédit et son exercice, et modifiant la directive 77/780/CEE

    108 Loi n°92-665 du 16 juillet 1992 - art. 38 JORF 17 juillet 1992 en vigueur le 1er janvier 1993

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    Le monopole bancaire français, comme nous avons pu le voir, ressort de la liste des opérations de banque prévue à l'article L311-1 du code monétaire et financier. Le contenu de cet article, et donc les contours du monopole bancaire, a évolué au fil du temps au gré des réformes d'impulsion européenne. En effet, comme nous l'avons montré en introduction, l'Union européenne a été en quelque sorte l'instigatrice d'un changement de paradigme chez le législateur français. Avant 2009, en effet, le monopole bancaire français était conçu comme un absolu que la directive de 2006 tolérait de façon implicite. Dès lors, à l'époque, toutes les exemptions reposaient sur la logique de l'exception textuelle. En témoignait la rédaction de l'article L311-1 du code monétaire et financier qui disposait que « Les opérations de banque comprennent la réception de fonds du public, les opérations de crédit, ainsi que la mise à la disposition de la clientèle ou la gestion de moyens de paiement. » Cette rédaction envisageait largement la liste des opérations de banque et concédait, en conséquence, aux établissements de crédit français un monopole étendu allant de la fourniture de crédit à la collecte des dépôts et à la fourniture de services de paiement. A partir de 2009, cependant, sous l'impulsion du législateur européen, nombre de segments ont été libéralisés ; de sorte que la liste des opérations de banque s'en trouva modifiée et, partant, le monopole bancaire altéré : ainsi en fut il - chronologiquement - à propos de la libéralisation des services de paiement (Chapitre 1er), de l'émission de monnaie électronique (Chapitre 2) et de fourniture de crédit (Chapitre 3).

    Chapitre 1er : L'atteinte au monopole des paiements

    Le développement des moyens électroniques de paiement et la volonté d'assurer le bon fonctionnement du marché unique des services de paiement (cf : « L'Europe des paiements », supra) ont été à l'origine de l'adoption de la directive du 13 novembre 2007 109concernant les services de paiement dans le marché intérieur dite « directive SEPA » pour Single European Payment Area. Cette directive a été transposée par l'ordonnance du 15 juillet 2009110. Une de ses principales innovations est la création, aux cotés des établissements de crédit, des établissements de paiement dont l'activité spécifique essentielle est constituée par les services

    109 Directive 2007/64/CE du parlement européen et du conseil du 13 novembre 2007 concernant les services de paiement dans le marché intérieur, modifiant les directives 97/7/CE, 2002/65/CE, 2005/60/CE ainsi que 2006/48/CE et abrogeant la directive 97/5/CE

    110 Ordonnance n° 2009-866 du 15 juillet 2009 relative aux conditions régissant la fourniture de services de paiement et portant création des établissements de paiement, complétée par un décret n°2009-934 du 29 juillet 2009 et deux arrêtés du 29 juillet 2009 et du 29 octobre 2009.

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    de paiement111. La directive est d'harmonisation totale obligeant ainsi les Etats membres à s'aligner à la manière du règlement. Selon l'article L522-6 CMF, un établissement de paiement est une personne morale fournissant à titre de profession habituelle des services de paiement. L'article L314-1 CMF énumère ce que la loi entend par services de paiement : virements, prélèvements, retraits et dépôts de fonds, émission d'instruments de paiement, acquisition d'ordres de paiement. L'opération de paiement doit donner lieu à un ordre de paiement électronique, être effectuée par le truchement d'un compte de paiement112. La loi prévoit également des exclusions dont font partie les effets papier.

    La principale conséquence de cette ordonnance est la modification, sous impulsion européenne, de la liste des opérations de banque (et donc de l'article L311-1 CMF et par conséquent du monopole bancaire). En effet, désormais, les services de paiement entrant dans le champ de la directive ne sont plus couverts par le monopole bancaire mais sont ouverts à la concurrence : celle ci joue désormais entre des établissements de crédit et des établissements de paiement pour les mêmes services. D'où la modification de l'article L311-1 CMF. Celui ci qui disposait que « Les opérations de banque comprennent la réception de fonds du public, les opérations de crédit, ainsi que la mise à la disposition de la clientèle ou la gestion de moyens de paiement. » dispose désormais que : « Les opérations de banque comprennent la réception de fonds du public, les opérations de crédit, ainsi que les services bancaires de paiement ». Les services bancaires de paiement désormais visés par la loi doivent être distingués des services de paiement en règle générale, car ils en constituent une sous catégorie. Les banques se voient cantonner les services bancaires de paiement, tolérés au sein du monopole, alors que les services de paiements non exclusivement bancaires peuvent désormais être assurés par des EP. Ainsi, le monopole bancaire voit lui échapper les services de paiement, car ceux ci peuvent être exécutés par plusieurs entités. Comme le résume un rapport au président de la République113, « Les services bancaires de paiement, tels que la délivrance de chèques ou l'émission et la gestion de monnaie électronique, font partie des opérations de banque qui constituent la profession habituelle des établissements de crédit ».

    111 MATHEY N., « La réforme des services de paiement », in Revue de droit bancaire et financier n°1, Janvier 2010

    112 BOUTEILLER P., « La transposition en droit français des dispositions européennes régissant la fourniture de services de paiement et portant création des établissements de paiement » in JCP E n°39, 24 sept. 2009, 1987.

    113 Rapport au Président de la République relatif à l'ordonnance n° 2010-11 du 7 janvier 2010 portant extension et adaptation de l'ordonnance n° 2009-866 du 15 juillet 2009 relative aux conditions régissant la fourniture de services de paiement et portant création des établissements de paiement à la Nouvelle-Calédonie, à la Polynésie française et aux îles Wallis et Futuna in JORF n°0006 du 8 janvier 2010 page 442

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    La seconde atteinte temporelle au monopole bancaire en provenance du droit de l'UE est celle relative à l'émission de monnaie électronique.

    Chapitre 2 : L'émission de monnaie électronique

    La monnaie électronique est définie par la directive 114l'ayant instaurée au sein de l'UE de cette façon : « une valeur monétaire qui est stockée sous une forme électronique, y compris magnétique, représentant une créance sur l'émetteur, qui est remise contre la remise de fonds aux fins d'opérations de paiement et qui est acceptée par une personne physique ou morale autre que l'émetteur de monnaie électronique » (ex Monéo). La directive a pour ambition de promouvoir la mise en place d'un véritable marché unique des services de monnaie électronique en Europe en promouvant l'accès de nouveaux acteurs sur ce marché, caractérisé par une concurrence effective entre tous les acteurs (donc, par définition entre les banques et d'autres établissements). Ce texte a été transposé en droit français par une loi du 28 janvier 2013115 notamment aux articles L315-1 et suivants du code monétaire et financier. L'innovation de cette loi est d'introduire en droit français, sous impulsion européenne, l'établissement de monnaie électronique qui vient compléter un peu plus la « mosaïque 116» des établissements à « vocation bancaire 117» se développant à coté des établissements de crédit. L'article L525-1 CMF dispose que les émetteurs de monnaie électronique sont les établissements de crédit et les établissements de monnaie électronique (c'est donc que les EME constituent une catégorie autonome à part entière aux cotés des EC). L'article L526-1 CMF définit quant à lui les établissements de monnaie électronique comme « des personnes morales qui émettent et gèrent à titre de profession habituelle de la monnaie électronique » ; la loi leur réserve même la possibilité de fournir des services de paiement aux cotés des établissements de paiement. C'est bien, en filigrane, considérer que l'exclusivité de l'émission de monnaie électronique échappe aux banques et est partagée entre trois entités : EC, EP, EME, d'où l'idée de « mosaïque » avancée par Thierry BONNEAU. Le monopole bancaire

    114 Directive 2009/110/CE du Parlement et du Conseil du 16 septembre 2009 concernant l'accès à l'activité des établissements de monnaie électronique et son exercice ainsi que la surveillance prudentielle de ces établissements.

    115 LOI n° 2013-100 du 28 janvier 2013 portant diverses dispositions d'adaptation de la législation au droit de l'Union européenne en matière économique et financière

    116 BONNEAU T., « La mosaïque bancaire est-elle de retour ? » in Revue de droit bancaire et financier, 2012, repère 6.

    117 LASSERRE-CAPDEVILLE J., « La réforme de la monnaie électronique en droit français- un nouveau droit pour un réel essor ? » in JCP G n°10, 4 mars 2013, doctr. 278

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    voit ainsi lui échapper la monnaie électronique qui ne saurait, dès lors, être listée parmi les opérations de banque de l'article L311-1 CMF.

    Chapitre 3 : L'atteinte au monopole du crédit

    C'est véritablement le tournant du règlement CRR et l'adaptation du droit français, en réaction, qui signe la plus forte atteinte européenne au monopole bancaire français puisque ce qui demeurait le « bastion » de la liste des opérations de banques, le crédit, laissé intact dans l'article L311-1 CMF, vient désormais de basculer dans le champ concurrentiel avec la création des « sociétés de financement » par l'ordonnance du 27 juin 2013118 (Section 1). Nous verrons que son régime, cependant, tente de se rapprocher du régime bancaire (Section 2).

    Section 1 : La création des sociétés de financement par l'ordonnance du 27 juin 2013

    En réponse au Règlement CRR I, la législateur a habilité par une loi de 2012 119le gouvernement à légiférer par voie d'ordonnance afin de prendre « les mesures relevant du domaine de la loi nécessaires à la réforme du régime des établissement de crédit eu égard à la législation bancaire de l'Union européenne et à la définition d'un nouveau régime applicable aux entités qui exercent une activité de crédit sans collecte de fonds remboursables du public, ainsi que les mesures nécessaires d'adaptation de la législation applicable aux établissements de crédit et notamment leurs conditions d'agrément qui sont liées à la définition de ce nouveau régime ».

    L'adoption d'un règlement d'harmonisation totale force en effet le législateur français d'une part à calquer sa définition de l'établissement de crédit sur celle de l'Union (voir infra), et d'autre part à prévoir un statut ad-hoc pour les entités qui, naguère rattachées aux établissements de crédit, exercent des activités de crédit sans collecter des fonds du public et qui, désormais, ne pourront plus être rattachées aux EC. Ainsi naissent les sociétés de financement. Les sociétés de financement ne sont pas des établissements de crédit, alors même qu'elles sont autorisées à distribuer des crédits. Selon l'article L511-1 II du code monétaire et financier issu de l'ordonnance du 27 juin 2013, les sociétés de financement

    118 Ordonnance n° 2013-544 du 27 juin 2013 relative aux établissements de crédit et aux sociétés de financement

    119 Loi n°2012-1559 du 31 décembre 2012 relative à la création de la Banque publique d'investissement et autorisant le gouvernement à légiférer par voie d'ordonnance

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    « sont des personnes morales - autres que des établissements de crédit - qui effectuent à titre de profession habituelle et pour leur propre compte des opérations de crédit dans les conditions et limites définies par leur agrément ». A lire les travaux préparatoires à l'adoption de ce nouveau statut, on comprend que le but premier de l'instauration d'une telle structure répond avant tout à un objectif de mise en conformité avec le droit de l'UE : en effet, cette nouvelle catégorie de prestataires est destinée à regrouper les entreprises qui étaient agréées en qualité de société financière à une époque où la définition des EC ne lisait pas la réception de fonds du public à la distribution de crédit et qui ne peuvent être maintenues dans la catégorie des EC en raison du lien établi entre ces activités par la nouvelle définition telle qu'elle résulte de l'ordonnance du 27 juin 2013. Pour autant, par delà cette vision de simple « mise en conformité », il nous semble que l'instauration du statut de société de financement est conceptuellement susceptible d'offrir de nouvelles potentialités économiques qui vont au delà d'une simple mise en conformité, et ce, en raison de leur statut vis à vis du monopole bancaire. En effet, l'article L511-5 du code monétaire et financier, bastion du monopole bancaire, dispose désormais que : « Il est interdit à toute personne autre qu'un établissement de crédit ou une société de financement d'effectuer des opérations de crédit à titre habituel ». Ainsi, on déduit des termes de la loi que les sociétés de financement sont protégées au regard du monopole bancaire, en ce sens que, bien que n'étant pas formellement des banques, elles bénéficient de la possibilité de réaliser, à titre habituel, des opérations de crédit, et ce alors même qu'elles ne reçoivent pas de dépôts du public. Dès lors, et comme on le verra par la suite, l'introduction d'un tel statut Ð qui plus est protégé au regard du monopole bancaire Ð permet à des entités jusque ici privées de la possibilité de réaliser des opérations de crédit car elles ne désiraient pas devenir des EC d'adopter ce nouveau statut afin de pouvoir mener une activité de prêt, sans recevoir de dépôts, et sans contrevenir au monopole bancaire ; pourvu que le statut et les conditions d'agrément soient toujours moins contraignante que celles d'EC afin de rendre ce statut attractif, notamment pour les entités du shadow banking qui, comme on l'a vu en partie 1, désirent faire des prêts pour répondre à des besoins en risquant de se mettre en contravention avec la loi. Ce statut offre désormais une porte de sortie, du moins en théorie, dont la véracité devra être examinée.

    En tout état de cause, la nouvelle mouture de l'article L511-5 CMF a de quoi étonner le juriste. Il est, en effet, pour le moins curieux de faire entrer dans le champ du monopole bancaire une entité comme la société de financement dont la principale caractéristique est de n'être pas une banque. On est ici dans l'hypothèse d'un rattachement artificiel, par pure commodité, des sociétés de financement au monopole bancaire. Il aurait été plus cohérent et

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    plus lisible d'exclure les sociétés de financement du champ du monopole bancaire en disposant, dans le code monétaire et financier, que « les sociétés de financement peuvent exercer des activités de crédit sans préjudice des dispositions de l'article L511-5 ». Cependant, cela revenait à admettre implicitement que le monopole bancaire devenait une notion « fantôme », vidée de sa substance, de telle sorte que le législateur a préféré maintenir une notion désormais artificielle et d'inclure dans son champ une catégorie de prestataire non bancaire. On ne peut que regretter ce choix dans la mesure où il introduit une confusion dans l'esprit du justiciable : le législateur assortit à un même régime (celui du monopole bancaire) deux catégories de nature différentes (l'une bancaire, l'une non-bancaire) en rompant le principe selon lequel « une notion = un régime ». On créée un lien artificiel entre une notion et un régime (le monopole bancaire et les sociétés de financement).

    Section 2 : Le régime juridique de la société de financement

    Si les sociétés de financement font l'objet de quelques dispositions propres (L515-1 et suivants CMF), elles sont soumises au statut bancaire de droit commun par renvoi aux dispositions applicables en matière d'EC, ce qui rend poreuse la distinction entre des entités qui, pourtant, sont d'une nature différente (bancaire et non-bancaire). La réforme peut paraître décevante en ce qu'un véritable régime complet des sociétés de financement n'a pas été érigé, preuve du désintérêt du législateur pour cette catégorie de prestataire, qui augure une portée pratique limitée alors même qu'elle aurait pu être porteuse de potentialités. Pour autant, certaines dispositions leurs sont propres et diffèrent de façon assez nette de celles applicables aux EC. Les activités permises aux sociétés de financement sont ainsi moins étendues que les EC : les sociétés de financement ne peuvent recevoir des fonds du public (au sens de l'article L312-2 nouveau CMF). Pour autant, les activités qui leur sont autorisées se rapprochent de celles des banques ; ainsi elles peuvent mener les opérations de banque de l'article L511-1 et d'autres activités telles que la fourniture de services de paiement, l'émission de monnaie électronique, ou la fourniture de service d'investissement 120(après obtention de l'agrément). Ainsi, la seule différence notable concerne les dépôts.

    En outre, l'article L511-10 précise de manière importante que les sociétés de financement sont agrées par l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution et sont soumises à des règles

    120 Article L515-1 du code monétaire et financier

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    comptables et prudentielles. Nous examinerons ces conditions plus tard, mais il faut bien garder en tête qu'il y ici un enjeu pour la portée même de la société de financement. Non seulement la loi va imposer des conditions à la fois prudentielles et de toute autre nature, mais, également, l'ACPR aura un droit de regard pour délivrer l'agrément ; de telle sorte que pour constituer une véritable avancée du droit et permettre une réelle libéralisation du crédit, il est nécessaire que, d'une part, l'ACPR ne soit pas défavorable à l'octroi d'agrément à des entités dites de « shadow banking » et que d'autre part le statut prudentiel et les conditions d'agrément de la société de financement soient au moins plus attractives que celles d'établissement de crédit, de sorte que les entités qui, jadis, étaient rétives à solliciter un tel agrément car trop lourd puissent désormais profiter des potentialités de ce nouveau statut. Néanmoins, comme nous le verrons, ce pari est loin d'être gagné, tant la liberté interprétative de l'ACPR sera amenée à jouer un rôle, combinée aux conditions de l'octroi d'agrément.

    Il demeure que, à ce stade, l'introduction de la société de financement pose plus de questions qu'elle n'en résout. Nous avons peu de recul. Toutefois, il est certain que la réforme impulsée par l'UE était propice à une véritable redéfinition du monopole bancaire. La réforme française laisse les contours de ce dernier inchangé alors que les entorses se multiplient (non sans sacrifier une certaine cohérence du droit et maintenir une vieille notion de notre droit bancaire en état de « survie » artificielle), que le crowfunding commence à inquiéter, et que l'AMF est obligée de rappeler les règles applicables121. De même, l'opération de crédit, pourtant un concept central, n'a pas été (re)définie, ce qui laisse planer la confusion sur ce qu'il est possible d'entendre par « opération de crédit » et qui, dès lors, rend non sécurisées les opérations juridiques pouvant être effectuées par les nouvelles sociétés de financement. Définir précisément ce que l'on entend par opération de crédit aurait permis de créer un « safe harbour » à l'américaine pour les sociétés de financement, permettant de leur conférer une réelle portée économique, au delà de la simple mise en conformité juridique.

    Reste, maintenant, à voir, en pratique (tant en droit que dans la pratique des affaires) les conséquences de l'introduction de ce nouveau statut en droit français.

    121 LEGEAIS D., « Etablissements de crédits », Chronique in RTD Com 2013 p559, Dalloz.

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    TITRE 3:

    LES CONSEQUENCES DES ATTEINTES EUROPEENNES AU MONOPOLE
    BANCAIRE FRANÇAIS

    Reprenant les objectifs précédemment décrits du règlement CRR I, il nous faudra examiner ses conséquences tant au niveau national (Chapitre 1er) qu'européen (Chapitre 2).

    Chapitre 1er : Les conséquences au niveau national

    La nouvelle définition de l'établissement de crédit (Section introductive) consécutive à la réforme et à l'introduction de la société de financement est de nature à interroger sur ce qu'il reste désormais du monopole bancaire français (Section 1) et sur les potentialités économiques offertes par l'introduction de cette nouvelle forme de prestataire (Section 2). Nous verrons cependant que, loin de constituer une réforme de portée, la société de financement est décevante (Section 3) car elle constitue une simple mise en conformité avec le droit de l'Union sans que le droit français n'ait pris en compte les besoins de la pratique. Nous verrons alors s'il est possible de répondre aux besoins autrement que par la société de financement, ce qui nous amènera à réfléchir de lege feranda.

    Section introductive : La nouvelle définition de l'établissement de crédit en

    droit français

    Depuis 1984, l'article L511-1 I du code monétaire et financier disposait, comme on l'a vu, que « Les établissements de crédit sont des personnes morales qui effectuent à titre de profession habituelle des opérations de banque au sens de l'article L. 311-1 ». Désormais, ce même article dispose que : « Les établissements de crédit sont les personnes morales dont l'activité consiste, pour leur propre compte et à titre de profession habituelle, à recevoir des fonds remboursables du public mentionnés à l'article L. 312-2 et à octroyer des crédits mentionnés à l'article L. 313-1 ». Ce changement illustre la mise en conformité de la définition française de l'établissement de crédit avec celle retenue depuis 1977 par le droit de l'Union européenne. Il existe donc désormais un lien indissociable entre la réception des dépôts et l'octroi de crédit afin de pouvoir prétendre au statut d'établissement de crédit. Auparavant, il suffisait, pour être considéré comme un EC, d'effectuer l'une des opérations de

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    banque prévue à l'article L311-1122. Désormais, ce n'est plus possible et le simple fait de réaliser une opération de banque, comme le crédit, ne permet pas d'obtenir la qualification d'EC en l'absence de la collecte des dépôts.

    Ces évolutions conduisent, alors, à s'interroger sur ce qu'il demeure, aujourd'hui, du monopole bancaire français.

    Section 1 : Que reste-il du monopole bancaire français ?

    Par « monopole bancaire », nous entendons le monopole des établissements de crédits établi par la loi bancaire de 1984. Dès lors, même si les sociétés de financement ont été rattachées aux dispositions relatives au monopole bancaire afin de bénéficier de son régime protecteur pour les activités de crédit, ce qui revient à les faire entrer « dans le champ » du monopole bancaire, il n'en demeure pas moins que, au sens strict, le monopole des EC est réduit par l'entrée même de la société de financement dans le paysage juridique français. En réalité, si le législateur n'avait pas procédé par rattachement de la société de financement (qui n'est pas un EC) au régime du monopole bancaire, cette notion aurait eu du mal à trouver encore sa place au sein du code monétaire et financier. Pour autant, même si elle est artificiellement maintenue dans la loi, nous verrons que, dans la pratique, le monopole bancaire est fortement réduit, à tel point qu'on se demande si on peut encore employer cette expression. Comme le souligne un auteur123, la définition des établissements de crédit à partir des crédits et des dépôts traduit un recul du concept d'opérations de banque, puisque celui ci disparaît de l'article L511-1 CMF. Il en va de même pour le monopole bancaire (ce qui n'est pas anodin, car il existe un lien entre la liste des opérations de banque et le monopole bancaire) l'article L511-5 CMF dispose désormais qu'il est interdit à toute personne autre qu'un établissement de crédit ou une société de financement d'effectuer des opérations de crédit à titre habituel. Ainsi, le monopole bancaire n'existe plus en matière de crédits puisque les EC partagent ce « monopole » avec d'autres entités non-bancaires (les sociétés de financement).

    Pour les services de paiement, nous avons montré dans les développements précédents que suite à la directive SEPA et à la création des établissements de paiement, les banques ont perdu le monopole des services de paiement ; activité qu'elles partagent avec les EP. Elles ne conservent que les services bancaires de paiement, seuls mentionnés à l'art L311-1 CMF.

    122 GAVALDA C., STOUFFLET J., « La loi bancaire du 24 janvier 1984 » in JCP G 1985, 3176

    123 BONNEAU T., « La réforme des établissements de crédit - commentaire de l'ordonnance du 27 juin 2013 », in JCP E n°29, 18 juillet 2013, 1429

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    Ainsi, il semble que le seul domaine qui demeure uniquement du ressort des établissements de crédit est l'activité de collecte des dépôts et les services bancaires de paiement. Cela se déduit des termes de l'article L511-5 du code monétaire et financier qui précise que « Il est, en outre, interdit à toute personne autre qu'un établissement de crédit de recevoir à titre habituel des fonds remboursables du public ou de fournir des services bancaires de paiement ». D'ailleurs, comme pour faire porter l'emphase sur la collecte des dépôts, le législateur a modifié, avec l'ordonnance du 27 juin 2013, la définition des dépôts figurant à l'article L312-2 CMF : « Sont considérés comme fonds remboursables du public les fonds qu'une personne recueille d'un tiers, notamment sous la forme de dépôts, avec le droit d'en disposer pour son propre compte mais à charge pour elle de les restituer. Un décret en Conseil d'Etat précise les conditions et limites dans lesquelles les émissions de titres de créance sont assimilables au recueil de fonds remboursables du public, au regard notamment des caractéristiques de l'offre ou du montant nominal des titres ». Cette formulation, en se référant plus aux « fonds remboursables » qu'aux dépôts, se rapproche de la définition européenne.

    De ces constatations, que conclure quant à l'existence du monopole bancaire français ?

    A priori, il semble d'ores et déjà que l'expression « monopole bancaire français » soit désormais obsolète voire galvaudée, au point même qu'il serait fortement ambigu de continuer à l'employer, en ce sens qu'elle est de nature à introduire une confusion dans l'esprit du justiciable (c'est à dire des praticiens). En effet, il découle de notre analyse qu'il n'existe plus à proprement parler de « monopole bancaire », terme générique qui se justifiait en 1984 lorsque les établissements de crédit se voyaient réserver l'exécution des opérations de banque ; mais il existe un monopole des établissements de crédit pour certaines activités : à savoir la collecte de fonds remboursables du public et les services bancaires de paiement. C'est pourquoi un changement de terminologie s'impose de prime abord : il vaudrait, désormais, mieux parler de « monopole de la collecte de fonds remboursables du publics » et de « monopole des services bancaires de paiement » (ce qui serait un pléonasme). Sur le fond, il aurait été opportun de préciser clairement (et dans un même article) quels sont les domaines réservés des établissements de crédit, et les opérations pouvant éventuellement (mais pas exclusivement) être exercées par un établissement de crédit (les opérations de crédit et de paiement).

    Au lieu de cela, demeure une réglementation peu lisible où, en liant la société de financement au monopole bancaire, le législateur introduit une confusion en laissant croire qu'il existe encore un monopole des EC pour le crédit, alors même que les sociétés de financement, bien

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    qu'artificiellement rattachées au monopole, ne sont pas des EC. Le justiciable, ainsi, peut, par erreur, considérer que la société de financement est en fait un avatar des anciennes sociétés financières (la terminologie est d'ailleurs très proche) qui, elles, étaient des établissements de crédit, alors même que les sociétés de financement n'en sont pas. Nul doute que ce rattachement a permis à la notion de monopole bancaire de « subsister » au sein de la loi, alors même qu'elle est vidée de sa substance et qu'elle ne trouve plus aucune justification.

    Ces ambiguïtés sont, en réalité, révélatrices de l'esprit du législateur : donner à la société de financement nouvelle la portée la plus restreinte possible, alors qu'elle semblait porteuse de potentialités économiques.

    Section 2 : Le potentiel de la société de financement

    L'introduction de la société de financement en droit français aurait pu être source de nouvelles exploitations par la pratique. En effet, cette forme juridique présente l'avantage de permettre la réalisation d'opérations de crédit à titre régulier sans collecter des fonds du public et sans obtenir l'agrément d'établissement de crédit. La société de financement peut, en théorie, octroyer des prêts sur fonds propres ou sur des fonds empruntés par elle sur les marchés financiers. Jusqu'à présent, certaines entités non-bancaires qui désiraient pourtant effectuer des opérations de crédit se heurtaient à un dilemme. Elles avaient le choix entre d'une part se mettre en contravention avec la loi en exerçant des opérations de prêt à titre habituel, et d'autre part la sollicitation d'un agrément auprès de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution pour devenir un établissement de crédit. Comme on a pu le voir, le régime prudentiel de l'établissement de crédit correspond au niveau le plus élevé de contraintes (observation de ratios de fonds propres, application des règlementations issues de Bâle, règles concernant le capital et la gouvernance, l'actionnariat) ce qui se justifie par des impératifs de stabilité financière et de protection des déposants. Ce statut était donc, par nature, répulsif pour des entités qui, sans collecter les dépôts, et sans avoir une structure financière aussi solide, désiraient de temps à autre se livrer à des opérations de crédit. Même si rien n'empêchait un fonds d'investissement ou hedge fund non OPCVM de solliciter un tel agrément, aucune entité n'aurait songé se soumettre à des contraintes telles que celles pesant sur les EC, a fortiori en ces temps de durcissement prudentiel.

    L'introduction du véhicule de la société de financement en droit français paraît rompre ce statuquo en ce qu'elle permet, conceptuellement, à des entités en capacité de financement d'effectuer des opérations de crédit à titre régulier.

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    Le premier avantage de la société de financement est qu'elle permet, là encore conceptuellement, de restaurer la sécurité juridique d'un certain nombre d'opérations, notamment des opérations de crédit déjà existantes dans la pratique par certaines entités du shadow banking (cf partie I). En outre, elle permet à d'autres entités de se lancer dans des opérations de crédit en étant protégées au regard de l'interdiction de l'article L511-5 CMF puisqu'il vise expressément les sociétés de financement. Ces sociétés pourront alors exercer des activités de crédit à titre habituel sans risquer les sanctions afférentes aux violations du monopole bancaire et exposées en introduction.

    En pratique, quelles hypothèses cela pourrait recouvrir ?

    Certains fonds monétaires (OPCVM monétaires), spécialisés dans de la dette à court-terme, pourraient vouloir se lancer dans des activités de crédit. Aussi, comme le statut de la société de financement est incompatible avec la gestion collective, il est envisageable pour la société de gestion de portefeuille qui héberge le fonds monétaire de créer une filiale qui prétendrait au statut de société de financement et serait capitalisée comme tel, afin de fournir des service de prêt à titre régulier aux clients habituels du fonds monétaire, sans recourir à l'émission de titres à court-terme.

    De même, les nombreux fonds de private equity auraient un intérêt encore plus prononcé à créer des filiales sociétés de financement ou à solliciter directement ce statut, afin de pouvoir fournir, en plus de leurs investissements en capital, de la dette mezzanine non plus constituée sous forme obligataire mais sous forme de contrat de prêt. Il en va de même pour des fonds d'investissement alternatifs non constituée sous forme de gestion collective.

    Ainsi, toute entité qui n'est pas une banque et qui désire fournir des prestations de crédit peut prétendre (directement ou au moyen de la création d'une filiale dédiée) au statut de société de financement, ce statut étant plus léger que celui d'une banque (donc théoriquement plus attractif) (FIA, fonds de gestion alternative, hedge funds, OPCVM dont certains peuvent intervenir sur le marché du refinancement mais pas sur le marché primaire).

    Est-ce à dire que la société de financement constitue le nouvel eldorado juridique, la nouvelle « structure de droit commun » pour les entités du shadow banking qui espèrent pouvoir se livrer à des activités bancaires en étant protégées et adjuvées par un nouveau statut créé spécialement pour elles ?

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    Il semble que les espoirs qu'autorise l'introduction de la société de financement en droit français se heurtent, pour autant, à l'agrément de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution qui, en vertu de l'article L511-10 du code monétaire et financier.

    Section 3 : Les déceptions de la société de financement

    §1 : L'obstacle de l'agrément par l'ACPR

    Les déceptions entrainées, au sein de la pratique, par la société de financement, sont multiples. Il existe des déceptions de nature prudentielle, car le statut de société de financement semble peu attractif en raison de la volonté du législateur de l'encadrer presque autant qu'un établissement de crédit, au motif que la libéralisation de l'activité de crédit présente des risques en termes de stabilité financière qu'il convient de prévenir (cf partie III). Mais avant même de songer à l'attractivité économique du statut de société de financement, un premier obstacle s'est d'ores et déjà dressé ; et sa vigueur risque d'être difficile à contourner. Il s'agit de la méfiance exprimée par l'Autorité de contrôle prudentiel à l'égard du statut de société de financement.

    S'il est vrai que, conceptuellement, la société de financement permet de libéraliser l'activité de crédit et de l'ouvrir à des entités du shadow banking, il n'en demeure pas moins que l'ACPR apparaît très réticente à ce sujet. La lecture des travaux préparatoires à la loi d'habilitation permettant au gouvernement de légiférer par voie d'ordonnance, l'esprit de l'ordonnance du 27 juin 2013 et des décrets relatifs au régime prudentiel des sociétés de financement ainsi que les propos tenus par Danièle NOUY, ancienne secrétaire générale de l'ACPR laissent à penser que l'introduction de la société de financement en droit français ne sert pas l'objectif de libéralisation du monopole bancaire. En effet, alors même que le but à demi avoué de l'Union européenne, en faisant pression pour que les définitions de l'établissement de crédit soient harmonisées avec le règlement CRR I, était de permettre à des entités autres que les établissements de crédit de faire des opérations de crédit à titre régulier en ces temps de durcissement prudentiel (cf : le discours de Michel BARNIER), la France ne semble pas avoir entendu les choses de la même façon. De l'aveu même de l'ACPR, que nous avons personnellement contacté dans le courant de l'année, l'introduction de la société de financement en droit français répond uniquement à un objectif de mise en conformité avec le droit de l'Union européenne (et notamment le package CRD IV / CRR I): comme les sociétés financières devenaient obsolètes, elles ont été remplacées par la société de financement. Ainsi,

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    pour l'ACPR, les sociétés de financement ne constituent qu'un changement de statut qui bénéficiera uniquement aux anciennes sociétés financières qui ne pouvaient désormais plus être rattachées aux banques car elles ne sont pas de dépôts.

    Les services juridiques de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution, service des agréments et des exemptions, nous ont confirmé que l'autorité avait conscience des potentialités permises par la société de financement au regard des entités de shadow banking ; mais qu'elle s'en tiendrait à la ligne fixée par la secrétaire générale à savoir le maintien de la stabilité financière. Cette ligne de conduite semble contraire, sinon dans la lettre, du moins dans l'esprit, au droit de l'Union européenne car si la France s'est mise en conformité, elle ne compte pas exploiter toutes les potentialités juridiques de ce nouveau statut. Il est dès lors possible de s'interroger sur l'opportunité de l'introduction d'un recours en manquement de la part de la Commission européenne, à l'encontre de la France. Cette possibilité semble difficile en ce sens que le Règlement est appliqué dans sa lettre. Le recours en manquement devrait, le cas échéant, être introduit pour mépris de l'esprit du texte du règlement CRR, ce qui apparait peu praticable.

    On retrouve dans le discours 124de Danièle NOUY une politique de prudence, voire de défiance envers les entités du shadow banking system. Outre un régime prudentiel peu attractif, c'est au niveau de l'octroi de l'agrément que le bât blesse.

    En effet, aux termes de l'article L511-10 CMF, « L'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution vérifie si l'entreprise satisfait aux obligations prévues aux articles L. 511-11, L. 511-13, L. 515-1-1 ou 93 du règlement (UE) n° 575/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 et l'adéquation de la forme juridique de l'entreprise à l'activité d'établissement de crédit ou de société de financement, selon les cas. Elle prend en compte le programme d'activités de cette entreprise, son organisation, les moyens techniques et financiers qu'elle prévoit de mettre en oeuvre ainsi que, dans les conditions définies par arrêté du ministre chargé de l'économie, l'identité des apporteurs de capitaux et le montant de leur participation ». L'article précise en outre, plus loin, que : « L'Autorité refuse l'agrément lorsque l'exercice de la mission de surveillance de l'entreprise requérante est susceptible d'être entravé soit par l'existence de liens de capital ou de contrôle directs ou indirects entre l'entreprise et d'autres personnes physiques ou morales, soit par l'existence de dispositions législatives ou réglementaires d'un Etat qui n'est pas partie à l'accord sur l'Espace économique européen et dont relèvent une ou plusieurs de ces personnes » mais encore et

    124 Discours de Danièle NOUY, secrétaire générale de l'ACPR, à l'ASF le 26 juin 2013 relatif à la présentation de la réforme du statut d'EC et à la société de financement (et notamment à ses aspects prudentiels).

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    surtout que : « L'Autorité refuse l'agrément s'il existe, au regard des critères d'appréciation prévus au I de l'article L. 511-12-1, des motifs raisonnables de penser que la qualité des apporteurs de capitaux ne permet pas de garantir une gestion saine et prudente ou si les informations communiquées sont incomplètes. »

    La lecture des articles L511-10 et suivants CMF pris conjointement avec les articles auxquels ils font référence suggère que lorsqu'une entité, sollicitant l'agrément en tant que société de financement respecte toutes les conditions (solvabilité, capital, etc.), l'ACPR est tenue de lui délivrer son agrément. Néanmoins, les passages soulignés dans l'article L511-10 du code monétaire et financier suggèrent, quant à eux, qu'il existe des ilots discrétionnaires en vertu desquels l'ACPR peut refuser un agrément si : elle a un doute sur la qualité des apporteurs de capitaux (actionnaires) de la société de financement et leur capacité à garantir une gestion « saine et prudente » et si il existe des liens capitalistiques avec des entités susceptibles de gêner la surveillance prudentielle.

    Il semble que ces dispositions revêtent une particulière importance dans l'affaire qui nous occupe. En effet, les services de l'ACPR nous ont confirmé qu'ils entendraient s'appuyer sur de telles dispositions pour refuser l'agrément à des entités de shadow banking au motif qu'elles ne présentent pas les garanties suffisantes en termes de « gestion saine et prudente ». Ainsi, l'autorité de régulation trouve une porte de sortie dans cette législation en ce qu'elle lui permet d'apprécier de façon discrétionnaire la qualité de l'actionnariat afin de délivrer l'agrément. Dès lors, nul doute qu'une entité de shadow banking qui prétendrait au statut de société de financement et qui serait contrôlée (en tant que filiale) par un fonds monétaire, un hedge fund (fonds d'investissement alternatif) ou un fonds de private equity a de forte chances de se voir opposer une fin de non recevoir au motif qu'elle présente des risques en termes de stabilité financière.

    En pratique, seules des anciennes sociétés financières ont obtenu l'agrément de société de financement selon les données de l'ACPR 125: il s'agit notamment de la société Européenne de cautionnement SA (société de cautionnement), Jonh Deere Financial (société de crédit-bail) et de MACSF Financement (crédit-bail et assurance). Il y a tout lieu de penser pour que la liste des futures sociétés obtenant l'agrément de société de financement contienne quasi uniquement des anciennes sociétés financières en raison de la ligne de conduite choisie par l'autorité de régulation.

    125 http://acpr.banque-france.fr/fileadmin/user_upload/acp/publications/registre-officiel/20140101 liste societe financement.pdf

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    Cet obstacle apparaît difficile à surmonter. D'où le scepticisme des praticiens qui ont accueilli la société de financement avec circonspection. Face à cette réforme en demi-teinte, la pratique, dont les besoins subsistent, a alors cherché des contournements qui ne passeront pas par la société de financement mais bien par d'autres moyens.

    §2 : Les solutions envisageables :

    Il existe à cet égard des solutions tournées vers l'international et d'autres, plus nationales.

    Au niveau international, on peut imaginer la mise en place de délocalisations, impulsées d'ailleurs par la pratique, qui se fondent sur l'interprétation du champ d'application territorial du monopole bancaire (on introduit alors un élément d'extraterritorialité dans l'opération, comme cela est très courant dans la pratique actuelle). En effet, le droit pénal français est d'application territoriale ; dès lors, l'infraction de violation du monopole bancaire doit être localisée sur le territoire de la République pour être répréhensible. A contrario, lorsque les éléments constitutifs de l'infraction sont localisés hors de France, la loi pénale française n'est plus applicable. Dans un arrêt Cass.com 17 sept. 2002, la Cour de cassation a jugé que l'infraction de violation du monopole bancaire est une infraction complexe et que ses trois éléments constitutifs sont l'acte de prêt, la remise des fonds et l'encaissement des remboursements. A cet égard, il semble que la Cour de cassation considère que lorsque les offres de prêt ont été proposées par des intermédiaires et acceptées en France, les contrats ont été formés sous l'égide du droit national et sont de ce fait soumis à la loi française. Ainsi, afin de s'assurer que l'opération ne soit pas localisée en France, il faudra s'assurer que la négociation et la signature des contrats, la mise à disposition des fonds, le paiement du principal et des intérêts se situent tous en dehors du territoire français. Dès lors, la loi pénale n'est pas applicable. Cela nécessite ainsi que les parties impliquées ne soient pas des succursales d'un établissement de crédit étranger établies en France. En pratique, cela revient à faire appel à un véhicule immatriculé hors de France (bancaire ou non bancaire, dans les pays où de telles entités peuvent effectuer des opérations de crédit) : un établissement chef de file étranger (notamment luxembourgeois) par qui vont transiter tous les contrats et les remboursements, sans passer par la France. De tels établissements chefs de file peuvent utilement intervenir dans les opérations financières complexes tels que les montages LBO : même si l'opération a pour cible une société française, et pour holding une société française, rien n'empêche de faire intervenir des fonds d'investissement français et/ou étrangers pour éviter les règles relatives au monopole bancaire.

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    Au niveau national, cette fois, plusieurs possibilités sont également envisageables. La première serait de raisonner dans la logique de l'exemption. L'article L511-6 du code monétaire et financier permet toute une série d'exceptions aux règles du monopole bancaire au bénéfice de certaines entités que nous avons examinées précédemment. Une proposition intéressante serait, de lege feranda, d'insérer à la suite de cet article un nouvel alinéa qui ouvrirait la possibilités à des entités actuellement non exemptées (fonds de dette, fonds d'investissement en capital, certains FIA non constitués sous la forme d'organismes de placement collectifs) d'effectuer des opérations de crédit à titre habituel mais seulement auprès d'investisseurs qualifiés nommément désignés (ce qui est d'ailleurs la même logique qu'en matière d'offres publiques de titres financiers). Ce faisant, la nouvelle rédaction de l'article L511-6 ne subordonnerait pas la possibilité, pour les entités précédemment citées, de faire du crédit à l'obtention d'un quelconque agrément : raisonnant dans la logique de l'exemption, le législateur ne ferait que permettre de façon ponctuelle la réalisation de prêts à des investisseurs présentant soit de par leurs connaissances du marché, soit de par leur qualité sur ce marché le statut d'investisseurs qualifiés. En cela, il ne serait pas opportun d'entendre ici la notion d'investisseur qualifié de la même façon que pour l'offre au public de titres financiers. Nous considérons que la qualité d'investisseur qualifié pourrait être, dans cet article, définie comme « un investisseur qui intervient régulièrement dans des opérations financières complexes impliquant à la fois des entités bancaires et non bancaires et qui présente une certaine taille financière (fixée par décret) » (type LBO).

    Une autre possibilité est à rechercher du côté de la législation relative au crowfunding. Ce mode de financement de nature participative semble avoir la faveur de la pratique, en ce sens qu'il permet aux acteurs en besoin de financement de proposer directement leurs projets aux particuliers ou entreprises désireux d'investir. En effet, Avec le « crowdfunding », les particuliers peuvent se muer, par l'intermédiaire d'Internet, en mécènes ou en banquiers, en donnant, prêtant ou investissant leur argent dans des projets ou des entreprises126. Cette pratique existait depuis quelques années de façon officieuse sur les réseaux informatiques127, mais elle ne bénéficiait d'aucun encadrement juridique. Le gouvernement entend remédier à cette situation en légiférant par voie d'ordonnance et en créant un véritable régime juridique du financement participatif. A la vérité, il semble que le crowfunding soit un des rares domaines qui semble avoir la faveur du législateur et du régulateur. Ces derniers entendent, en effet, libéraliser le crowdfunding pour en faire un mode de financement régulier et usuel de

    126 « La France veut accélérer l'essor du financement participatif », in Le Monde Economie, 14 février 2014

    127 « La France se met à l'heure du crowdfunding » in Le Monde Economie, 21 octobre 2013

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    l'économie réelle128. On parle même d'assouplir le monopole bancaire, ce qui est un fait rarissime qui contraste fortement avec la frilosité exprimée à l'égard de la société de financement qui, pourtant, constitue un outil de financement aussi utile en ces temps de raréfaction du crédit. L'Autorité de contrôle prudentiel a d'ores et déjà annoncé que l'ordonnance à venir créerait une exception nouvelle au monopole bancaire129. Ainsi, pour permettre à des plates-formes de prêts de se développer dans des conditions de sécurité suffisantes, il est ajouté une nouvelle exception à l'article L. 511-6 pour permettre à des particuliers de consentir un prêt rémunéré à d'autres personnes physiques ou à une personne morale (entreprise, association...) dès lors que les opérations seraient réalisées dans le cadre d'un financement regroupant un nombre minimal de participants (une vingtaine). Un décret précisera le montant du plafond de prêt consenti par chaque particulier pour un projet donné ainsi que le plafond global du crédit octroyé. Il serait rajouté à l'article L511-6 CMF un 7°. 130. Le contenu prévisionnel de l'ordonnance a été annoncé récemment131. Outre la création de statuts particuliers (Conseiller en investissement participatif, Intermédiaire en financements participatifs) pour les plateformes de mise en relation des investisseurs avec les porteurs de projet, le régime semble prévoir la possibilité pour des personnes physiques (uniquement) de prêter jusqu'à 1000 euros par projet à une personne physique ou morale, sans contrevenir aux règles du monopole bancaire, et à titre régulier.

    On ne peut que se féliciter de cette réforme, tout en constatant qu'elle est insuffisante et que le crowdfunding présente des potentialités bien plus larges. Le législateur l'a bien senti, en concédant une exemption au monopole bancaire. La figure du financement participatif, qui acquière désormais un véritable régime juridique sécurisé, est porteuse d'espoirs ; mais le législateur entend tout de même ne pas lui conférer une trop large portée pour des raisons tenant au « risque de protection insuffisante du prêteur et de l'emprunteur et à un risque de distorsion de concurrence pénalisant les acteurs régulés du crédit par rapport aux nouveaux

    128 Proposition d'ordonnance de Fleur Pellerin devant être votée à l'été 2014

    129 «Un nouveau cadre pour le développement du financement participatif », consultation ACPR / AMF disponible : http://acpr.banque-france.fr/fileadmin/user_upload/acp/Communication/Communiques%20de%20presse/20130930-cadre-financement-participatif.pdf

    130 « 7. Aux personnes physiques qui consentent un crédit à titre onéreux dans le cadre du financement collectif d'un projet déterminé, à condition que le nombre de prêteurs soit supérieur à vingt et que le montant total du crédit et celui prêté par chaque participant n'excèdent pas des plafonds fixés par décret. »

    131 « Financement participatif : le projet d'ordonnance dévoilé » in Les Echos, 30 avril 2013

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    entrants » selon les dires du Comité consultatif du secteur financier132. C'est ainsi que le pouvoir règlementaire viendra fixer la limite de prêt autorisée.

    Si l'on raisonne de lege feranda, il apparait que le régime juridique de la finance participative pourrait être amélioré pour satisfaire au mieux aux besoins de la pratique, en réaction à la figure décevante de la société de financement. Il serait ainsi souhaitable d'une part d'étendre les montants maximum pouvant être prêtés par une personne physique à des niveaux plus élevés, et d'insérer dans la loi la possibilité pour des personnes morales de prêter à d'autres personnes physiques ou morales au titre du crowdfunding. Cela permettrait ainsi de répondre au mieux aux besoins de la vie des affaires, en ce sens que les acteurs en forte capacité de financement, qu'elle que soit leur qualité (personne physique ou morale) pourraient choisir des projets dans lesquels investir et réaliser des opérations de prêt. Bien entendu, cette avancée est loin d'être envisagée par le législateur tant ses conséquences sur la profession bancaire seraient importantes. De plus, on comprend que le législateur ait tendance à limiter le mécanisme dans sa portée en ce sens que les personnes prêteuses ne sont soumises à aucune obligation prudentielle. L'avantage de ce mécanisme est qu'il introduit de la concurrence dans la fourniture de crédit, et qu'il permet d'augmenter les chances d'un porteur de projet d'être financé alors même qu'une banque n'aurait pas pris le risque. Il est vrai que l'investisseur au titre du crowdfunding accorde plus d'importance à l'aspect innovant du projet et moins au risque de contrepartie ; ce qui est en soi dangereux et nécessite que les intermédiaires promeuvent la transparence dans les projets (business plans avec cash-flows estimés, notamment). Etendre le bénéfice des dispositions du crowdfunding aux personnes morales en capacité de financement pourrait véritablement combler les besoins existants. En somme, il y a là une réelle opportunité qui s'apparente à système multilatéral de négociation organisée et qui peut constituer une solution aux déceptions provoquées par la société de financement.

    Enfin, examinons les autres possibilités offertes par l'article L511-6 CMF. Celui-ci exempte un certain nombre d'entités des dispositions du monopole bancaire. Même si ces dispositions ne concernent qu'un certain nombre limité d'opérations, qui, d'ailleurs, se situent presque toutes sur le marché secondaire (refinancement) et non celui de « l'origination » du crédit (marché primaire), elles constituent un pis-aller face aux limites de la société de financement et de la législation actuelle sur la finance participative. L'article dispose que ne sont pas

    132 Avis du Comité consultatif du secteur financier relatif au financement participatif (crowdfunding), 14 avril 2014 disponible sur https://www.banque-

    france.fr/ccsf/fr/publications/telechar/avis r/avis financement participatif 140414.pdf

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    soumises aux dispositions du monopole bancaire les entités suivantes : les OPCVM et les FIA relevant des paragraphes 1, 2, 3 et 6 de la sous-section 2, et des sous-sections 3, 4 et 5 de la section 2 du chapitre IV du titre Ier du livre II. Il s'agit : des fonds d'investissement à vocation générale (les SICAV ou FCP), fonds de capital investissement, organismes de placement collectifs immobiliers, fonds de fonds alternatif, fonds ouverts à des investisseurs professionnels (à vocation générale), organismes de titrisation, fonds d'épargne salariale.

    L'expression « fonds d'investissement » est large et renvoie à des réalités multiples. Ce n'est en aucun cas un terme juridique mais économique, il ne renvoie donc pas à un régime juridique déterminé. Dans un essai de typologie juridique, certains auteurs 133distinguent ainsi les fonds instruments de gestion collective et les fonds instruments d'investissement. Les OPCVM et les FIA 134font ainsi partie, selon eux, des fonds de gestion collective, exemptés au sens de l'article L511-6 CMF des dispositions du monopole bancaire pour certaines opérations de refinancement (mais non pour des opérations de crédit sur le marché primaire). Les fonds instruments d'investissement recouvrent, quant à eux, les fonds de capital-investissement et les fonds de gestion alternative dits « hedge funds », non exemptés.

    Les entités visées par l'article L511-6 du code monétaire et financier peuvent investir dans un certain nombre d'actifs et notamment, selon l'article L214-24-55 du code monétaire et financier : des instruments du marché monétaire habituellement négociés sur le marché monétaire qui sont liquides et dont la valeur peut être déterminée à tout moment ainsi que « des créances », des bons de souscription, des bons de caisse, des billets à ordre et des billets hypothécaires. Ainsi, on déduit de ces termes que ces fonds d'investissement alternatifs peuvent investir dans des titres à court terme des entreprises de type TCN (ce sera surtout le cas de ce qu'on appelle les « fonds monétaires » qui exercent une activité proche de l'activité de crédit, sans que cela en ait la qualification juridique). En revanche, la loi ne précise pas ce que l'on entend par « créances ». Théoriquement, donc, ces entités pourraient investir dans des créances bancaires au titre du refinancement mais rien n'est précis quant à la mesure de ces créances. De plus, les fonds de capital investissement ne peuvent, quant à eux, qu'investir dans des titres de capital et ne sont pas éligibles aux dispositions de l'article L214-24-55 précité135.

    133 GRANIER T., et al. in « Les fonds d'investissement », Lamy, Axe Droit, Janvier 2014

    134 La directive AIFM (Directive 2011/61/UE du 8 juin 2011 sur les gestionnaires de fonds d'investissement alternatifs) définit les FIA « comme des organismes de placement collectif, y compris leurs compartiments d'investissement, qui lèvent des capitaux auprès d'un certain nombre d'investisseurs en vue de les investir, conformément à une politique d'investissement définie, dans l'intérêt de ces investisseurs, et ne constituent pas des OPCVM ».

    135 V. notamment les articles L214-28, L214-30, et L214-31 du code monétaire et financier

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    En tout état de cause, ces dispositions n'apportent qu'une réponse très imparfaite aux besoins de la pratique d'où l'importance de rechercher de réelles solutions alternatives.

    La législation européenne, et notamment le package CRD IV et CRR I, a également eu des conséquences au niveau européen.

    Chapitre 2 : Les conséquences au niveau européen

    L'adoption du Règlement CRR du 26 juin 2013, si elle a uniformisé le statut d'EC et libéralisé le crédit, a manqué une occasion d'accroitre l'effectivité du marché intérieur (Section 1). La question de la microfinance ne fait pas partie du package, mais l'UE est en voie de se saisir de la question : elle entend exclure le microcrédit du champ du monopole bancaire (Section 2).

    Section 1 : L'effectivité du marché intérieur

    L'introduction en droit français de la société de financement soulève des questions relativement au régime du passeport européen. Le droit de l'Union européenne n'accorde le bénéfice du passeport européen qu'à deux types d'entités : les établissements de crédit et les établissements financiers. Ainsi, la lecture de la directive CRD IV136, reprenant les directives antérieures, précise en son article 34 ce que l'on entend par établissements financiers : établissements filiales d'un établissement de crédit à au moins 90%. Ainsi, à la lecture de cet article, on comprend que l'introduction de la société de financement risque de n'avoir que peu de conséquences sur l'état antérieur du régime du passeport.

    En effet, pour les établissements étrangers non bancaires fournissant des services de crédit et non filiales d'un EC, il ne sera pas possible de s'installer en France car ils ne sont pas éligibles à la qualification d'établissement financier : c'est ce qui prévalait avant même l'introduction du règlement CRR. En outre, les sociétés de financement françaises non filiales à 90% d'un établissement de crédit ne seront pas, non plus, éligibles à la qualification d'établissement financier et ne pourront installer de succursale dans un autre Etat membre de l'UE.

    136 Directive 2013/36/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 concernant l'accès à l'activité des établissements de crédit et la surveillance prudentielle des établissements de crédit et des entreprises d'investissement, modifiant la directive 2002/87/CE et abrogeant les directives 2006/48/CE et 2006/49/CE Texte présentant de l'intérêt pour l'EEE

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    Il y a là un paradoxe : nous avons mis en exergue que la volonté de l'UE était à la fois de libéraliser les sources de crédit et de parachever l'effectivité du marché intérieur. Pourtant, en adoptant le package CRD / CRR, l'Union européenne aurait du également en profiter pour modifier la définition d'établissement financier et de l'étendre aux entités non plus seulement filiales à 90% d'EC mais à toutes les entités fournissant des services de crédit sans préjudice de leur appartenance ou non à un groupe bancaire. Ce faisant, la réforme instaurant l'harmonisation des définitions d'EC aurait été réellement bénéfique au marché intérieur, en ce sens que les sociétés non-bancaires françaises ou étrangères fournissant des services de crédit, sans être filiales d'un établissement de crédit (comme la société de financement) auraient pu bénéficier du régime européen du passeport. Au lieu de cela, l'UE propose une réforme en demi-teinte car l'harmonisation des définitions d'EC n'a aucune influence en matière de passeport : les sociétés de financement en sont dépourvues, et les sociétés étrangères également. Finalement, l'UE entendait libéraliser le crédit et introduire la concurrence entre banques et autres entités pour la fourniture du crédit, mais n'a pas complété cette avancée en permettant aux entités nouvelles de prester leurs services dans toute l'UE selon le régime du passeport, ce qui est réducteur. Il est donc souhaitable d'étendre le régime des établissements financiers à toutes ces entités nouvellement créées.

    L'UE conduit donc une libéralisation à l'intérieur des Etats membres en mettant fin aux monopoles bancaires mais ne créée pas les conditions d'une concurrence réelle entre les pays sur le marché du crédit non-bancaire.

    Heureusement, il existe une solution pour remédier à ces avaries juridiques. En effet, à défaut de pouvoir bénéficier des largesses du passeport européen, les sociétés de financement comme les sociétés étrangères non bancaires qui ne sont pas filiales d'EC pourront bénéficier des dispositions générales du TFUE relatives à la liberté d'établissement et à la libre prestation de services pour installer une succursale dans un autre Etat membre, court-circuitant ainsi les insuffisances du régime d'établissement financier et du passeport européen137. Ce régime est différent de celui du passeport en ce sens qu'il est moins avantageux : surveillance par le pays d'origine et dispense d'agrément dans le pays d'accueil, reconnaissance mutuelle etc.

    Section 2 : Le désir d'exclure le microcrédit du champ du monopole bancaire

    137 V. SAMIN T., « La réforme du statut d'établissement de crédit en vue de l'entrée en vigueur du règlement européen CRR I (Capital Requirements Regulation) : des sociétés financières aux société de financement » in Revue de droit bancaire et financier, n°5, septembre 2013 ; et ANCEL M-E., « Opérations de banque intra-communautaires Ð Aspects statutaires » in JCL Banque crédit bourse n°1010

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    L'Union européenne ne s'est pas, à l'heure actuelle, dotée d'un corpus législatif relatif à la microfinance, laissant aux Etats membres la possibilité ou non d'instaurer un régime particulier. Il ressort, pourtant, de travaux de la Commission que, si l'Union n'a pas légiféré, elle a à tout le moins adopté une ligne de conduite en la matière.

    En effet, dans un rapport sur l'application de la directive de 2006138, la Commission énonce deux principes. D'une part, elle se prononce contre l'inclusion du microcrédit dans le champ du monopole bancaire (conformément à son attitude envers le monopole et la libéralisation du crédit en général, exposée en partie 2, titre 1er) au motif que les banques se désintéressent souvent de ces activités peu rentables et parfois risquées. Cela est, en outre, cohérent avec sa définition de l'établissement de crédit et sa conception des activités de crédit. D'autre part, elle énonce que les exigences prudentielles devant peser sur les entités de microcrédit doivent nécessairement être allégées en ce sens qu'elles ne collectent pas de dépôts, ce qui, encore une fois, est conforme à l'esprit européen en matière de monopole bancaire.

    Pour une fois, il semble que la France ait ici été avant-gardiste en ce sens qu'elle a appliqué ces préconisations avant que l'UE n'impulse de texte général en la matière : elle a exempté le microcrédit du monopole bancaire, bien qu'en ayant pris des mesures de sécurité au niveau prudentiel (voir supra).

    Afin de conclure sur cette partie, soulignons que les atteintes européennes au monopole bancaire français, si elles ont été réelles, sont surtout restées théoriques et conceptuelles. L'examen des conséquences du règlement CRR a, en effet, montré que tant au niveau national qu'européen, ces atteintes sont plus que relatives : d'une part, la société de financement est fortement privée de portée par la France, portant ainsi atteinte aux objectifs microéconomiques de libéralisation effective du crédit ; d'autre part, l'absence de réforme du statut d'établissement financier par l'UE empêche, au niveau macroéconomique et européen, une véritable intensification de la concurrence au sein du marché intérieur, privant ce dernier du parachèvement et de l'unification en matière financière. Inutile de dire que cela se fait au détriment des acteurs économiques.

    A la vérité, ces avancées en demi-teinte témoignent, au delà de la volonté de libéraliser le crédit, des hésitations des législateurs français et européens, partagés entre la nécessité de reconnaître que les banques ne jouent plus vraiment leur rôle, et le spectre de la crise financière qui fait planer une menace sur la stabilité financière, ce qui accroit les méfiances envers le shadow banking (cf : la position de l'ACPR). Au résultat, on a d'un côté

    138 Rapport de la Commission au Parlement européen et au Conseil sur l'application de la directive 2006/48/CE sur le microcrédit - 20.12.2012

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    l'introduction de structures nouvelles, d'un autre, un mouvement de reflux législatif qui entend limiter leur portée en encadrant leurs activités pour éviter les risques, et notamment le risque systémique.

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    TROISIEME PARTIE :

    LES ENJEUX DE LA LIBERALISATION DU CREDIT AU SEIN DE L'UNION

    EUROPEENNE

    La libéralisation du crédit présente des enjeux qui transcendent les frontières ; ainsi, ils sont présents à la fois au niveau français et au niveau européen. L'Union européenne, consciente des limites bancaires, s'est prononcée en faveur de la libéralisation des sources de crédit. A cet égard, le paquet législatif CRD IV / CRR I n'est qu'un des aspects de la libéralisation du crédit. Son influence sur les monopoles bancaires nationaux est réelle. Cependant, malgré sa volonté d'infléchir les monopoles bancaires nationaux et de libéraliser le crédit, l'Union européenne est aussi consciente qu'un encadrement des structures de finance parallèle est nécessaire.

    Cette apparente réticence envers le shadow banking, bien qu'il soit reconnu comme nécessaire, s'explique par les risques qui lui sont attachés (Titre introductif). Ainsi, l'Union européenne et la France ont entrepris de réguler les entités de shadow banking (Titre 1er). Reste à savoir si cette réglementation est finement ajustée pour permettre à l'activité de ces entités de s'opérer, ou si, au contraire, elle est dirimante (Titre 2).

    TITRE INTRODUCTIF:

    LE « SHADOW BANKING » DANS LE PAYSAGE FINANCIER

    Le terme shadow banking est apparu entre les années 2000 et 2008. Il est défini de la manière suivante par le Conseil de stabilité financière : « système d'intermédiation de crédit qui implique des entités et activités extérieures au système bancaire ordinaire139. » Hors du système bancaire classique, les entités du « shadow banking system » ne sont par définition pas des banques et ne collectent donc pas de dépôts du public, ni ne sont soumises, a priori, à la règlementation prudentielle pesant sur les établissements de crédit140. Si ces entités ne sont

    139 V. FSB « Shadow banking : strengthening oversight and regulation », Recommendation 27 sept 2011; CASSOU P-Y., «Quelles initiatives en matière de shadow banking?», in Revue Banque

    140 V. notamment toutes les directives bancaires y compris le package CRD IV / CRR I : Directive 2013/36/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 concernant l'accès à l'activité des établissements de crédit et la surveillance prudentielle des établissements de crédit et des entreprises d'investissement, modifiant la directive 2002/87/CE et abrogeant les directives 2006/48/CE et 2006/49/CE Texte présentant de l'intérêt pour l'EEE, Règlement (UE) n 575/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 concernant les exigences prudentielles applicables aux établissements de crédit et aux entreprises d'investissement et modifiant le règlement (UE) n 648/2012, Directive 2006/48/CE du Parlement européen et

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    pas soumises aux mêmes exigences que les banques car elles n'en sont juridiquement pas, il demeure que leurs activités économiques sont, en revanche, semblables à celles des banques 141: elles ont des activités de crédit et de financement, rapprochent les investisseurs et les emprunteurs, réalisent des opérations de pension, participent à des émissions de titres d'emprunt et à la titrisation ou encore opèrent des transferts de fonds vers les paradis fiscaux142. Ainsi, ces entités opèrent alors avec un incontestable atout concurrentiel car elles n'ont pas à intégrer le réel cout du risque pris en compte dans la règlementation prudentielle. Ces acteurs sont les hedge funds, les fonds monétaires de type OPCVM monétaires (« money market funds » ou MMF's), véhicules d'investissement structurés et autres institutions financières non bancaires. Ce système bancaire parallèle n'est ni illégal, ni irrégulier, et présente certains avantages : c'est, notamment, une source alternative de financement et de liquidités (comme nous l'avons défendu tout au long de ce travail). De même, et c'est encore une idée que nous avons défendue, ces entités peuvent avoir des compétences que les banques classiques n'ont pas (en matière de capital-investissement, de distressed debt).

    Le shadow banking system, catégorie d'entités d'origine doctrinale, donc innomée, recouvre de larges réalités. A ce titre, la société de financement introduite en droit français, en ce qu'elle ne constitue pas un établissement de crédit, appartient de facto à cette catégorie. Tel est également le cas des banques d'investissement qui ne collectent pas de dépôts.

    Le rôle de shadow banking system s'est considérablement accru avec les limitations d'origine prudentielle aux activités des banques. On connait son implication sur le marché secondaire de la dette, et notamment le marché du refinancement : les entités interviennent majoritairement sur les marchés du rachat de créance et de la titrisation. Pour autant, les pressions se font aujourd'hui de plus en plus fortes pour que les régulateurs à travers le monde assouplissent les différentes règlementations tenant au statut des établissements financiers non bancaires, afin que ceux-ci puissent intervenir directement sur le marché du crédit en « originant » les prêts. Une fois n'est pas coutume, citons ici la Banque nationale d'Irlande qui en appelle à l'Union européenne afin que celle-ci établisse un cadre juridique permettant

    du Conseil du 14 juin 2006 concernant l'accès à l'activité des établissements de crédit et son exercice, Directive 2002/87/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2002 relative à la surveillance complémentaire des établissements de crédit, des entreprises d'assurance et des entreprises d'investissement appartenant à un conglomérat financier, et modifiant les directives 73/239/CEE, 79/267/CEE, 92/49/CEE, 92/96/CEE, 93/6/CEE et 93/22/CEE du Conseil et les directives 98/78/CE et 2000/12/CE du Parlement européen et du Conseil

    141 BONNEAU T., « Régulation bancaire et financière européenne et internationale », p148, n°223, Bruylant, 2013

    142 V. Commission européenne, « Livre vert sur le système bancaire parallèle », COM (2012)102 final, Bruxelles le 19 mars 2012 ; GOURIO G., THEBAULT L., « Publication d'un livre vert sur le shadow banking » in Revue de droit bancaire et financier, mai-juin 2012, n°101.

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    aux fonds d'investissement d'originer les prêts 143: elle estime que la législation actuelle est insuffisante en ce sens que d'une part les fonds d'investissement réglementés (type OPCVM-UCITS) ou FIA (AIF) ne peuvent investir que dans une catégorie limitée d'actifs, qui exclue les créances bancaires144, et que, d'autre part, il existe certains monopoles bancaires nationaux prohibant à des entités autres que les banques d'intervenir sur le marché primaire ou secondaire du crédit ou que, à tout le moins, les fonds d'investissement ne peuvent intervenir que sur le marché secondaire.

    La question du shadow banking présente, pour notre étude, un intérêt, en ce sens que se poser la question de l'attitude de l'Union européenne vis-à-vis du monopole bancaire français (et vis-à-vis des monopoles bancaires en général) et en déduire que l'Union est favorable à un démantèlement des monopoles et à une libéralisation du crédit, c'est également poser la question des enjeux que cela entraine au niveau du shadow banking puisque la libéralisation des monopoles bancaires s'accompagne mécaniquement de la percée de ces entités, d'où l'intérêt d'étudier l'attitude à la fois de l'UE et de la France envers elles à l'heure où les monopoles bancaires sont démantelés.

    En effet, l'UE, tout à son désir de libéraliser le crédit, n'en reste pas moins très axée sur la stabilité financière. Que l'on en juge par la multitude de textes et de mécanismes instaurés pour faire face à ces perturbations145. C'est bien que les avantages du shadow banking ne doivent pas en faire oublier les inconvénients.

    En effet, le SBS peut devenir une source de risque systémique 146en raison des interconnections existant avec le système bancaire classique, notamment si les banques

    143 Op. cit. Central Bank of Ireland, discussion paper, July 2013, « Loan origination by investment funds », disponible ici : http://www.centralbank.ie/regulation/marketsupdate/Documents/Discussion%20Paper%20Loan%20Origination %20by%20Investment%20Funds.pdf

    144 Directive 2009/65/EC on the coordination of laws, regulations and administrative provisions relating to undertakings for collective investment in transferable securities (UCITS). This directive replaces the previous UCITS Directive 85/611/EEC.

    145V. notamment Règlement (UE) n° 1024/2013 du Conseil du 15 octobre 2013 confiant à la Banque centrale européenne des missions spécifiques ayant trait aux politiques en matière de surveillance prudentielle des établissements de crédit ; Règlement (UE) n° 1022/2013 du Parlement européen et du Conseil du 22 octobre 2013 modifiant le règlement (UE) n° 1093/2010 instituant une Autorité européenne de surveillance (Autorité bancaire européenne) en ce qui concerne des missions spécifiques confiées à la Banque centrale européenne en application du règlement (UE) n° 1024/2013 ; GOURIO A., THEBAULT L., « Union bancaire : volet supervision » et « Union bancaire : volet résolution » in Revue de droit bancaire et financier, mars 2014, n°67. 146 «Systemic risk refers to the tendency of financial institutions to collectively underestimate liquidity risk in good times when funding markets are functioning well because they are convinced that the central bank will almost certainly intervene in times of stress to maintain such markets, prevent the failure of financial institutions, and thus limit the impact of liquidity shortfalls on other financial institutions and on the real economy» in MURPHY E., What is systemic risk? Does it apply to recent JP Morgan Losses?» May 2012

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    d'investissement qui contrôlent les hedge funds se financent auprès de banques de dépôts leur appartenant ce qui peut engendrer des crises de liquidité.

    De manière plus générale, les entités du shadow banking, outre leurs liens avec le système bancaire classique, peuvent courir des risques de liquidité, de contrepartie et de « runs 147». Risque d'illiquidité car ces entités effectuent des opérations de transformation d'échéances ou de maturité, même si elles ne collectent pas des dépôts. Elles peuvent, ainsi, comme dans le cas d'un OPCVM monétaire ou d'un organisme de titrisation, investir dans des créances risquées via l'argent des épargnants investi dans le fonds. Si les épargnants sentent le marché se dégrader et veulent, en même temps, sortir du fonds (le « run »), ce dernier courre un risque d'illiquidité qui peut précipiter son insolvabilité et l'acculer à la faillite. De plus, une entité telle qu'un hedge fund ou autre fond de capital-investissement qui exercerait des prêts risqués en se finançant lui-même sur les marchés serait exposé au risque de contrepartie de ses débiteurs, ce qui les empêcherait de rembourser leurs propres créanciers ce qui serait susceptible d'entrainer des réactions en chaine.

    D'où la vigilance de l'Union européenne (cf : livre vert) et des instances internationales de régulation148. Il faut bien garder à l'esprit que tout à son désir de libéraliser le crédit, sous quelque forme que ce soit 149(marché primaire / secondaire, financement direct / refinancement) et de démanteler les monopoles, l'UE va cependant décider d'encadrer les entités exerçant des tâches analogues aux banques.

    L'enjeu sera, alors, de déterminer le degré d'encadrement de ces structures : trop les réguler et les assimiler aux banques reviendrait à tuer leurs potentialités en les rendant peu attractives, pas assez les réguler exposerait à la réalisation des risques ci-dessus. Pour certains auteurs, la règlementation des entités du shadow banking doit être sur mesure, parce qu'elles répondent à des besoins précis. Ils en appellent à une approche globale différenciée 150et non pas à un

    147 Les activités du système bancaire parallèle sont exposées à des risques financiers analogues à ceux des banques sans être soumises aux contraintes découlant de la réglementation et de la surveillance bancaire. Ainsi, certaines activités du système bancaire parallèle reposent sur des financements à court terme, avec le risque de retraits brutaux et massifs des fonds des clients.

    148 « Les travaux du CSF ont mis en lumière le fait que la défaillance désordonnée d'entités du système bancaire parallèle pouvait entraîner un risque systémique, soit directement, soit par l'intermédiaire des liens de l'entité avec le système bancaire classique » V. Commission européenne, « Livre vert sur le système bancaire parallèle », COM (2012)102 final, Bruxelles le 19 mars 2012

    149 « Le système bancaire parallèle peut constituer un élément utile du système financier en remplissant les fonctions suivantes: i) offrir une alternative aux dépôts bancaires pour les investisseurs; ii) affecter avec plus d'efficacité les ressources à des besoins spécifiques du fait d'une plus grande spécialisation; iii) offrir à l'économie réelle un mode de financement alternatif pouvant s'avérer particulièrement utile en période de mauvais fonctionnement du système bancaire traditionnel et des marchés; iv) constituer une possibilité de diversification des risques par rapport au système bancaire. » ibid.

    150 CASSOU P-Y., « Réguler le shadow banking system implique une approche globale différentiée » in Revue Banque 28 févr 2012 ainsi que « Réguler le shadow banking : oui, mais avec discernement »

    92

    simple décalque de la règlementation bancaire. Reste à voir, en pratique, comment les législateurs français et européens ont opéré.

    TITRE 1:

    REGULATION DES ENTITES DU SHADOW BANKING SYSTEM

    La régulation des entités du shadow banking entretient des liens étroits avec le démantèlement des monopoles bancaires car il existe entre eux un lien qui est selon nous indissociable. En effet, la libéralisation des monopoles bancaires, qu'elle doit de facto (en raison des insuffisances des banques) ou de jure (lorsque le droit met fin aux monopoles) accroit, mécaniquement, le rôle des entités de shadow banking. C'est la raison pour laquelle le régulateur envisage conjointement la question de la libéralisation et celle de la règlementation des entités nouvellement créées. En pratique, la règlementation applicable aux entités de SB françaises est surtout d'origine européenne, l'Union ayant décidé, avant même de libéraliser les monopoles, de s'attaquer aux entités pouvant, déjà, intervenir sur le marché du financement sans heurter les monopoles bancaires et qui prennent une importance croissance face au crédit bancaire (Chapitre 1er). Elle est aussi d'origine nationale dans la mesure où le règlement CRR a obligé la France à instaurer une nouvelle forme d'établissement financier non-bancaire fournissant du crédit, qu'il a fallu réguler (Chapitre 2).

    Chapitre 1er : Réglementation européenne des entités du shadow banking

    Avant même de songer au démantèlement du monopole bancaire français, l'UE était consciente de l'existence, au sein du marché unique, d'entités qui, bien que ne fournissant pas des crédits au sens juridique du terme, fournissaient des services analogues à ceux des banques. Ainsi, elle a entrepris de réguler un certain nombre de ces entités. En conséquence, cela a impacté les entités françaises de shadow banking, que celles-ci soient déjà exemptées du monopole bancaire ou non. Nous verrons ainsi, brièvement, les règlementations applicables aux OPCVM, aux fonds d'investissement alternatifs, et celle devant intervenir en matière de fonds monétaires.

    93

    L'intervention sur les marchés financiers à travers les différentes structures d'OPCVM expose les investisseurs à des risques de plusieurs natures151, notamment le risque de marché152, le risque de contrepartie153, le risque de liquidité154.

    Afin d'encadrer ces risques, les autorités ont défini des règles de base 155qui délimitent la composition des actifs. Ces actifs doivent répondre à des critères d'éligibilité. Les risques liés aux actifs composant le portefeuille des OPCVM sont mesurés par plusieurs types de ratios. Ces ratios s'appliquent aux différentes catégories d'OPCVM avec des contraintes plus ou moins souples en fonction des investisseurs auxquels ils sont destinés. On peut ainsi citer l'exemple du ratio de risque global dont l'objectif est limiter le risque de marché et de contrepartie sur contrats financiers ou instruments financiers à terme du fait de l'amplification possible par l'effet de levier. Ce ratio a pour objectif de s'assurer que l'OPCVM est à tout moment en mesure de répondre à ses engagements. Il vérifie que le risque global lié aux contrats financiers n'excède pas la valeur nette totale du portefeuille156. Il existe également le ratio de composition des actifs 157et le ratio émetteurs158.

    Ainsi, la gestion collective constituée sous forme d'OPCVM est relativement bien encadrée ; mais tel n'est pas le cas des fonds d'investissement alternatifs, ce qui a pu jouer un rôle dans la crise de 2008 car les actifs gérés par ces fonds représentent des montants d'une telle importance qu'ils peuvent influencer le cours du marché et permettre la propagation des risques159. Or, ces fonds étaient relativement peu surveillés. C'est désormais moins le cas avec l'adoption de la directive dite « AIFM » pour « Alternative investment fund management »

    151 V. art. 313-53-3 RGAMF

    152 Risque de perte pour l'OPCVM résultant d'une fluctuation de la valeur de marché des positions détenues imputable à une modification de variable du marché telles que les taux d'intérêt, les taux de change, les cours d'actions et de matières premières, ou à une modification de la qualité de crédit d'un émetteur

    153 Risque de défaillance de la contrepartie, l'une des parties pouvant faire défaut à l'une de ses obligations présentes ou futures, conditionnelles ou occasionnelles (retour des titres mis en pension, versement des intérêts, etc.) avant que l'opération ait été réglée de manière définitive. La qualité de l'émetteur peut influer sur sa solvabilité

    154 Risque qu'une position, dans le portefeuille de l'OPCVM, ne puisse être cédée, liquidée ou clôturée pour un coût limité et dans un délai suffisamment court, compromettant ainsi la capacité de l'OPCVM à se conformer à tout moment aux dispositions qui prévoient que les parts ou actions doivent pouvoir être rachetées

    155 Directive 2009/65/EC on the coordination of laws, regulations and administrative provisions relating to undertakings for collective investment in transferable securities (UCITS). This directive replaces the previous UCITS Directive 85/611/EEC.

    156 Il mesure le risque de perte en cas d'évolution défavorable des conditions de marché. La méthode de calcul (calcul de l'engagement ou calcul de la valeur en risque) est fonction de la stratégie de gestion et de la nature des contrats financiers détenus en portefeuille.

    157 L'objectif est de limiter les risques de marché et de liquidité en fixant des seuils par nature d'opérations et d'instruments financiers (afin de permettre la diversification des émissions)

    158 L'objectif est de limiter le risque de marché ou de crédit et de contrepartie ou sur une même entité par la diversification des contreparties

    159 Op.cit. GRANIER T., et al. in « Les fonds d'investissement », Lamy, Axe Droit, Janvier 2014

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    même si, selon un auteur160, cette directive ne vise pas l'activité des fonds et se contente de régir le capital et les fonds propres. La directive AIFM 161vise à imposer des exigences communes en matière d'agrément et de surveillance des gestionnaires de FIA afin d'établir une approche cohérente quant aux risques liés aux activités de ces fonds et à leur incidence sur la stabilité financière162. Le champ d'application de la directive est non pas les FIA mais les gestionnaires de FIA : ainsi, les règlementations relatives aux investissements des FIA ainsi que la définition de ce que recouvre cette catégorie relèvent du droit national. Comme elle l'indique à son article 1er, la directive se borne à prévoir des règles en ce qui concerne l'agrément, l'activité et la transparence des gestionnaires de FIA. On peut s'interroger sur la pertinence de cette directive en termes prudentiels et en termes de stabilité économique car elle ne vise pas les activités des FIA ni ne les définit de façon précise.

    Ce caractère inabouti de la directive AIFM est analogue au domaine des fonds monétaires qui ne sont pas encore règlementés, bien qu'ils présentent des risques spécifiques à leur activité tournée vers le marché monétaire et les instruments financiers à court-terme, ce qui rapproche ces entités de banques : elles collectent des quasi-dépôts et font des quasi-prêts, bien que juridiquement s'agisse de gestion collective et non pas de crédit163. Pourtant, ces fonds présentent des risques particuliers que la proposition de règlement européen 164reprend.

    Les fonds monétaires sont un instrument commode pour les investisseurs en raison de leurs similitudes avec les dépôts bancaires: accès instantané aux liquidités et stabilité relative de leur valeur. Compte tenu de ces caractéristiques, les investisseurs considèrent les fonds monétaires comme un substitut sûr et plus diversifié aux dépôts bancaires. Pourtant, les fonds monétaires sont des fonds de placement classiques, soumis aux risques de marché inhérents à tout fonds. Ainsi, lorsque le cours des actifs dans lesquels les fonds monétaires sont investis

    160 Op.cit BONNEAU T., « Régulation bancaire et financière européenne et internationale », p148, n°223, Bruylant, 2013

    161 Directive 2011/61/UE du Parlement européen et du Conseil du 8 juin 2011 sur les gestionnaires de fonds d'investissement alternatifs et modifiant les directives 2003/41/CE et 2009/65/CE ainsi que les règlements (CE) n ° 1060/2009 et (UE) n ° 1095/2010 Texte présentant de l'intérêt pour l'EEE

    162 Contrairement à la directive OPCVM qui règlemente à la fois les produits de la gestion collective (les fonds) et les acteurs de la gestion collective (société de gestion, dépositaire), la directive AIFM est essentiellement une directive « acteurs » qui harmonise la législation applicable aux gestionnaires. Cette différence d'approche apparait surprenante dans la mesure où les dispositifs OPCVM et AIFM devraient se compléter pour couvrir l'ensemble des OPC, or, ici, le parallélisme n'est pas total.

    163 En Europe, quelque 22 % des titres de créance à court terme émis par des administrations ou par des entreprises sont aux mains des fonds monétaires, lesquels détiennent par ailleurs 38 % des créances à court terme émises par le secteur bancaire

    164 Proposition de RÈGLEMENT DU PARLEMENT EUROPÉEN ET DU CONSEIL sur les fonds monétaires /* COM/2013/0615 final - 2013/0306 (COD)

    95

    se met à baisser, en particulier en période de tension sur les marchés, la promesse faite aux investisseurs de rembourser immédiatement les parts ou actions émises et d'en préserver la valeur ne peut pas toujours être tenue. Si certains sponsors de fonds (surtout les banques) ont les moyens de soutenir, le cas échéant, la valeur des parts, d'autres (surtout les gestionnaires d'actifs) ne disposent pas nécessairement de capitaux suffisants pour le faire. En raison de l'asymétrie des échéances entre la liquidité quotidienne qu'un fonds monétaire offre aux investisseurs et la liquidité des actifs détenus dans son portefeuille, le remboursement immédiat risque de n'être pas possible à tout moment. La promesse de stabilité des prix de remboursement est souvent doublée d'une note AAA. Il est à craindre, toutefois, que les investisseurs, dès qu'ils sentent qu'un fonds monétaire risque de faillir à sa promesse de liquidité et de stabilité permanentes, demandent le remboursement et provoquent, partant, un désengagement massif (les « runs »).

    Les désengagements massifs se caractérisent par des demandes de remboursement soudaines et de grande ampleur émanant de groupes importants d'investisseurs désireux d'éviter les pertes et d'obtenir un remboursement au prix le plus élevé. Ils présentent une importance systémique car ils forcent les fonds monétaires à vendre leurs actifs à bref délai pour répondre aux demandes de remboursement à satisfaire. La spirale des remboursements accélère pour sa part la baisse de la valeur liquidative (VL) du fonds, dont la régression se trouve dès lors démultipliée, de même que s'intensifient les craintes d'instabilité pesant sur le marché monétaire dans son ensemble. Du fait que les fonds monétaires jouent un rôle déterminant dans le financement à court terme d'entités telles que les banques, les entreprises ou les administrations, les désengagements massifs dont ils font l'objet peuvent avoir des conséquences macroéconomiques plus étendues.

    En conséquence, la proposition de règlement préconise l'instauration de normes communes pour accroître la liquidité des fonds monétaires et assurer la stabilité de leur structure. Des règles uniformes seront établies pour garantir un niveau minimal de liquidité à un jour et à une semaine. Des principes normalisés seront arrêtés pour permettre au gestionnaire de fonds de mieux connaître sa clientèle d'investissement. Des règles communes garantiront en outre que les fonds monétaires investiront dans des actifs de grande qualité et bien diversifiés jouissant d'une bonne qualité de crédit. Ces mesures doivent garantir que le fonds présente une liquidité suffisante pour faire face aux demandes de remboursement des investisseurs. La stabilité des fonds monétaires sera assurée par la création de règles claires et harmonisées pour la valorisation des actifs dans lesquelles ils investissent. Ces règles de valorisation consacreront une évidence, à savoir que les fonds monétaires sont des fonds de placement

    96

    normaux, dont les actifs sont soumis aux fluctuations des cours. Outre ces dispositions, une règle commune en matière de notation garantira que les gestionnaires de fonds et les investisseurs cessent de s'en remettre à des notations externes du crédit qui pourraient nuire au fonctionnement du marché monétaire en cas de dégradation. Ces mesures seront accompagnées d'exigences de transparence renforcées afin que l'investisseur soit correctement informé du profil de risque et de rendement de son investissement.

    s?

    L'ensemble de ces règles (OPCVM, FIA, fonds monétaires) ont vocation à s'appliquer, en France, à des entités qui certes appartiennent au domaine du shadow banking, mais qui peuvent exercer leurs opérations sans nuire au monopole bancaire : soit qu'elles en soient exemptées au sens de l'article L511-6 du code monétaire et financier pour certaines de leurs activités, soit que leur activité ne tombe pas sous le coup de l'interdiction. Pour autant, à cette règlementation européenne vient s'ajouter une règlementation cette fois purement nationale. Elle concerne, en effet, les sociétés de financement, entités de shadow banking nouvellement introduites en droit français et ne correspondant ni à la qualification d'OPCVM, ni à celle de FIA, pour la raison suivante : il ne s'agit pas de gestion collective mais bien d'activité de crédit.

    Chapitre 2 : Règlementation française de la société de financement

    En ce qu'elle n'est pas un établissement de crédit, juridiquement, la société de financement tombe de facto dans la catégorie innomée des entités de shadow banking. Lors de son adoption, s'est donc posée la question de son régime prudentiel, au-delà de son régime d'agrément et de fonctionnement. En effet, il ne faut pas perdre de vue que la société de financement, comme toute entité de SB, présente les risques de contrepartie, d'illiquidité, et de « runs » exposés précédemment. Elle peut, si elle est filiale d'un EC, faire courir des risques à l'ensemble du système bancaire. En vertu de son statut lui interdisant la collecte des dépôts165, la société de financement bénéficie de sources de refinancement limitées : elles n'ont pas accès au marché interbancaire ou aux facilités de paiement de la Banque centrale européenne. En cas de risque, la seule solution pour se refinancer consiste à céder des créances sur le marché financier, le marché monétaire leur étant fermé, ce qui peut conduire à des situations d'illiquidité. Comme la société de financement financera ses crédits via des

    165 Art L511-5 code monétaire et financier

    97

    emprunts sur le marché, elle est vulnérable au risque de contrepartie car la défaillance de ses débiteurs la rend incapable de rembourser ses propres créanciers, sauf à céder massivement et pour une valeur souvent sous-évaluée, ses actifs sur le marché, ce qui peut précipiter sa perte, ce qui est d'autant plus dangereux car la société de financement ne bénéficie pas de l'accès au marché interbancaire ou de dépôts pour ajuster en cas de risque de contrepartie. Sa situation précaire commandait, donc, un régime prudentiel particulier.

    A cet égard, toute la question est de savoir dans quelle mesure la règlementation prudentielle choisie s'écartera ou non de celle applicable aux banques, avec les conséquences que cela entraine en termes d'attractivité.

    Les grandes lignes du régime prudentiel applicable à la société de financement ont été dévoilées par Danièle NOUY, ex-secrétaire générale de l'ACPR à l'époque de l'adoption de l'ordonnance du 27 juin 2013. Le régime prudentiel a été fixé, définitivement, par voie d'arrêté166. Il précise notamment que le régime prudentiel de la société de financement répond à deux objectifs : d'abord, conférer à ces entités une robustesse comparable à celle de la directive CRD IV ; ensuite, l'adaptation du régime aux spécificités des anciennes sociétés financières, devenues désormais sociétés de financement. La directive CRD IV permet en effet d'utiliser des pondérations de risques identiques à celles applicables aux EC pour les sociétés de financement : ce qui a notamment des incidences en matière d'éligibilité des prêts cautionnés par les sociétés de financement au refinancement par obligations sécurisées. On recherche ainsi l'alignement le plus large possible avec le régime prudentiel des EC 167(afin de préserver la stabilité financière, et de ne pas instaurer de distorsion de concurrence avec les EC). En ce qui concerne les fonds propres, le principe sera celui de la soumission au package CRD / CRR avec quelques ajustements tenant compte de la spécificité des sociétés de financement168. Ainsi en matière d'exigences de liquidité et de levier 169ou d'adhésion au fond de garantie des dépôts dont elles sont dispensées.

    166 Arrêté du 23 décembre 2013 relatif au régime prudentiel des sociétés de financement, JORF n°0301 du 28 décembre 2013

    167 Article 11 : Pour l'application du paragraphe 5 de l'article 119 et du e du paragraphe 1 de l'article 129 du règlement (HE) n° 575/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 susvisé, les exigences prudentielles auxquelles sont soumises les sociétés de financement sont réputées comparables en termes de solidité à celles qui s'appliquent aux établissements, au sens du 3 du paragraphe 1 de l'article 4 du même règlement.

    168 Article 2 : Sauf dérogation prévue par le présent arrêté, les sociétés de financement sont tenues de respecter les dispositions applicables aux établissements de crédit en application : 1° Du règlement (HE) n° 575/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 susvisé ; 2° Du règlement du Comité de la réglementation bancaire n° 91-05 du 15 février 1991 susvisé ; 3° Du règlement du Comité de la réglementation bancaire et financière n° 97-02 du 21 février 1997 susvisé ; 4° De l'arrêté du 5 mai 2009 susvisé.

    169 Article 7 : Les sociétés de financement ne sont pas soumises aux dispositions relatives à la liquidité et au levier prévues par le règlement (HE) n° 575/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 susvisé,

    98

    Ces modalités de régime étant précisées, reste à examiner leur pertinence économique au regard à la fois de l'objectif de libéralisation du crédit et de celui de stabilité financière.

    TITRE 2:

    EVALUATION DE LA REGLEMENTATION FRANCAISE DES
    SOCIETES DE FINANCEMENT

    Comme il a été précisé plus haut, la société de financement a déçu les espoirs qui lui étaient attachés, en ce sens qu'elle est délibérément circonscrite aux anciennes sociétés financières sans que d'autres entités nouvelles puissent en solliciter l'agrément, en raison de la circonspection des autorités de régulation au regard de cette nouvelle forme d'établissement. Néanmoins, pour les besoins de la réflexion, il nous faut examiner l'attractivité du régime de la société de financement dans l'hypothèse heureuse où « l'embargo juridique » pesant sur la société de financement viendrait à être levé. De la sorte, nous mesurerons l'adéquation du régime de la société de financement aux objectifs d'attractivité et de protection avant de formuler des propositions pour en améliorer le dispositif.

    Il est évident que l'assimilation du régime prudentiel de la société de financement à celui des établissements de crédit par application du package CRD / CRR est de nature à sauvegarder la stabilité financière en soumettant ces sociétés à des exigences strictes à la fois en termes de fonds propres, afin de renforcer la solvabilité, mais également en termes de couverture des risques, de diminution du levier, et de constitution de coussins de fonds contracycliques pour éviter les effets de procyclicalité en temps de crise et afin que les sociétés puissent continuer à prêter. Ainsi, l'application de ces exigences issues des accords de Bâle III est associée au degré de protection le plus élevé contre les risques liés à l'activité de prêt. En effet, les risques tels que le risque de contrepartie, d'illiquidité, ou de runs, sont ainsi minimisés. Dès lors, il peut être affirmé que la société de financement présente peu de risques au niveau de la stabilité financière.

    Pour autant, ce principe d'assimilation au régime prudentiel des banques n'est pas sans poser des problèmes. Dans l'hypothèse, en effet, où l'obtention de l'agrément serait possible pour des entités du shadow banking, sans que l'ACPR ne s'y oppose, ce régime pose problème au niveau de l'attractivité du statut. D'abord, si l'on considère que c'est justement le

    notamment celles qui figurent dans les sixième et septième parties du ce règlement.

    99

    durcissement prudentiel pesant sur les banques qui a été à l'origine de la raréfaction du crédit, il y a là une contradiction à soumettre une nouvelle entité non bancaire à des exigences aussi strictes, car la nouvelle entité, supposée - à tout le moins au sens du droit de l'Union européenne - pallier l'insuffisance des banques, ne pourrait mener cette tâche à bien. Mais ce sont surtout les conséquences du régime prudentiel sur l'attractivité du statut qui sont dirimantes. En effet, il y a fort à parier que les établissements qui auraient pu prétendre au statut de société de financement soient dissuadés par la complexité du statut prudentiel et les exigences en termes de fonds propres, d'autant plus parce que ces entités - désirant réaliser des opérations de crédit - avaient délibérément choisi de ne pas opter pour ce statut avant que la société de financement soit créée.

    Ainsi, il semble que l'arbitrage ait été clairement réalisé en faveur de la sécurité financière et moins en faveur de l'attractivité. Ainsi, la société de financement apparaît condamnée à la fois par son régime prudentiel, et par les réticences de l'Autorité de contrôle prudentiel.

    Cependant, si l'on part du principe que le statut de société de financement reste une avancée positive du droit qui présente des attraits et des potentialités au niveau conceptuel, l'on est en droit de se demander si une troisième voie n'est pas envisageable. Cette dernière consisterait à prendre plus largement en compte les spécificités de la société de financement et surtout les objectifs qu'elle pourrait servir en terme de source de financement alternative pour les agents économiques. De la sorte, il est nécessaire d'élaborer un régime prudentiel qui, sans sacrifier les impératifs de stabilité économique, soit moins contraignant. Il est possible d'assouplir le régime applicable aux sociétés de financement sans sacrifier la stabilité financière : notamment en réduisant les exigences en termes de capital et d'actionnariat, et en réduisant les obligations relatives aux ratios de solvabilité.

    Bien entendu, l'ensemble de ces préconisations ne présente un intérêt qu'à partir du moment où l'idée que cette forme juridique puisse bénéficier aux entités du shadow banking soit admise, ce qui, en l'état, n'est pas d'actualité.

    100

    CONCLUSION GENERALE

    Afin de clore cette analyse, que conclure quant à la confrontation entre le monopole bancaire français et le droit de l'Union européenne ?

    Le droit de l'Union européenne a appliqué, en matière de monopole bancaire, ses principes cardinaux en matière de monopole en général. Cependant, les effets pratiques de cette libéralisation souhaitée sont loin d'être probants, en France. En effet, la société de financement et ses potentialités avortées constitue la seule innovation majeure qui découle de l'influence du droit de l'Union en la matière et qui porte atteinte, du moins conceptuellement, de façon directe au monopole bancaire français. Mais en l'état, dans la pratique, cette avancée ne reste que théorique. Pour des raisons essentiellement prudentielles, le droit français n'a pas été assez audacieux, rendant la réforme très imparfaite par rapport à l'esprit de l'Union européenne. Ainsi, cet exemple relance le débat sur la transposition des normes européennes en droit français, et notamment sur la question de la violation de l'esprit des textes européens, malgré une application littérale de la lettre de ces derniers, comme c'est le cas en l'espèce.

    s?

    Il résulte de ce qui précède que si, conceptuellement, le monopole bancaire et recule, ce qui veut dire qu'il n'existe plus en droit ; il n'en demeure pas moins que le monopole économique des banques semble avoir vocation à demeurer pour les opérations de crédit.

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    · DE VAUPLANE H., « Réguler le shadow banking . les propositions européennes et les autres » in Revue Banque, septembre 2012 ;

    · LASSERRE-CAPDEVILLE J., « La réforme de la monnaie électronique en droit français- un nouveau droit pour un réel essor ? » in JCP G n°10, 4 mars 2013, doctr. 278

    · LASSERRE-CAPDEVILLE J., « Harmonisation du statut d'établissement de crédit à l'échelle de l'Union européenne » in JCP E, n°28, juillet 2013, 805

    · MATHEY N., « La réforme des services de paiement », in Revue de droit bancaire et financier, n°1, janvier 2010 ;

    · PELTIER F., FERNANDEZ-BOLLO E., « Structures, réglementation, et contrôle public des professions bancaires ; structures et conditions d'accès » in JCl Banque, crédit, bourse, Cote 08,1997.

    · ROUSILLE M., « Que reste-il du monopole bancaire ? » in Mélanges AEDBF volume VI, 2013

    · SCHMIDT D., MOULIN F., « Les fonds de dette . un environnement juridique et financier favorable à leur développement » in Revue de droit bancaire et financier n°6, septembre 2012 ;

    · SCHMIDT R., HACKETAL A., TYRELL M., «Disintermediation and the role of banks in Europe. an international comparison» in Journal of financial intermediation, 1998;

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    ·

    103

    VERMEILLE S., « Règle de droit et développement des modes de financements alternatifs au crédit bancaire, ou l'inadaptation du droit français à l'évolution de l'économie et de la finance » in Revue trimestrielle de droit financier, n°2, 2012.

    TABLE DES MATIERES

    REMERCIEMENTS

    1

    SIGLES, ACRONYMES, ABREVIATIONS

    2

    SOMMAIRE

    3

    INTRODUCTION

    GENERALE 4
    Section 1 : L'OBO, une cession en deux

    temps 8
    Section 2 : L'OBO, une modalité particulière de transmission de

    l'entreprise ..10

    Section 3 : L'OBO, une opération à double

    détente ...13

    PREMIERE PARTIE : LA MISE EN PLACE DE L'OBO, ENTRE CESSION DE LA SOCIETE D'EXPLOITATION ET DESENGAGEMENT PROGRESSIF DE

    L'ENTREPRENEUR

    ..14

    Chapitre 1 : La cristallisation du montage autour d'une holding patrimoniale de

    reprise 16

    Section 1 : La création de la holding

    patrimoniale 17

    §1 : L'enjeu du choix de la holding de

    reprise 17

    A) Le choix de la forme sociale de la holdingÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉ.ÉÉÉÉÉ.É18

    B) Le choix du régime fiscal de la holdingÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉ.ÉÉÉÉ.ÉÉÉ.19

    §2 : Les apports dans le capital de la holding de

    reprise .20

    A) L'apport d'une partie des titres de la cible à la holding.................................... ÉÉÉ21

    1. Impôt sur les plus-valuesÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉ.ÉÉÉÉ22

    2. Droits d'enregistrementsÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉ.ÉÉÉÉÉÉ23

    3. Impôt de solidarité sur la fortune......................................................... ÉÉÉ. 23

    B) L'apport de fonds propres par les capital-investisseurs et le repreneur le cas échéant 25

    Section 2 : L'enjeu de l'architecture statutaire et capitalistique de la holding de reprise à l'aune du

    mode de financement retenu pour l'acquisition de la société

    d'exploitation 26

    104

    §1 : La préservation des intérêts du chef d'entreprise au sein de la

    holding 27

    §2 : La préservation des intérêts des fonds d'investissement au sein de la

    holding ...30

    A) L'exclusion des fonds de la gestion opérationnelle moyennant le maintien des prérogatives financièresÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉ.ÉÉÉÉÉÉ.30

    B) L'utilisation de procédés de contrôle alternatifs et indirects............... É.ÉÉÉ31

    C) La préparation de la sortie du fonds minoritaire.............................. ÉÉÉÉÉÉÉÉ32

    Chapitre 2 : La cession de la société d'exploitation à la

    holding 33
    Section 1 : Le financement de l'acquisition de la

    cible 33

    §1 : La mise en oeuvre des

    financements 34

    A) Les typologies de financement......................................................................... ÉÉ34

    1. Le financement par endettement............................................................... É.É.34

    2. Le financement par fonds propresÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉ.ÉÉÉÉÉÉÉÉÉ.É.É.É.35

    B) Les modalités juridiques du financementÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉ.ÉÉÉÉÉ35

    1. Les clauses protectrices des établissements de crédit ou « covenants bancaires » 35

    2. Les modalités de remboursement du prêtÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉ 38

    3. La hiérarchisation des différentes strates de financementÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉ38

    §2 : La garantie directe des

    financements .39

    A) Les sûretés consenties par la cible à l'épreuve de l'article 225-216 C.ComÉÉÉÉ.ÉÉ 40

    B) Les sûretés consenties par la holding témoins d'alternatives limitées........................... 42

    1. Les sûretés classiques.................................................................................... 42

    2. Les sûretés nouvellesÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉ43

    Section 2 : L'acquisition des titres de la société d'exploitation par la

    holding .45

    §1 : Aspects du régime juridique de la vente à soi-

    même 45

    A) Régime du contrat de cessionÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉ.46

    B) Régime fiscal de la cessionÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉ.47

    1. Droits d'enregistrement.................................................................. ÉÉÉÉÉ47

    2. Impôt sur les plus-valuesÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉ.47

    §2 : Les risques consubstantiels à la vente à soi-

    même 50

    A) Le grief de «vampirisme financier » à l'encontre du dirigeant..................... ÉÉÉÉÉ.50

    B) L'abus de droit socialÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉ.ÉÉÉÉ.51

    C) L'abus de droit fiscalÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉ..ÉÉÉÉ.53

    1. La notion d'abus de droit fiscalÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉ.ÉÉÉÉÉÉ53

    2. La sanction de l'abus de droit fiscalÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉ.54

    3. L'abus de droit fiscal et l'OBOÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉ 55

    105

    DEUXIEME PARTIE : LE DENOUEMENT DE L'OWNER BUY-OUT, DU DESENGAGEMENT TOTAL DE L'ENTREPRENEUR A L'ABOUTISSEMENT DE LA STRATEGIE

    PATRIMONIALE 58
    Chapitre 1 : L'effet de levier et le remboursement de la

    dette ..58
    Section 1 : Le remboursement

    assuré ..59

    §1 : La manifestation des effets de

    levier .59

    A) L'effet de levier financier..................................................................................... 59

    B) L'effet de levier fiscal.......................................................................................... 61

    1. Le régime des sociétés mères et filialesÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉ61

    2. Le régime d'intégration fiscale........................................................................ 63

    §2 : L'Amendement Charasse, vecteur d'affaiblissement du levier

    fiscal 64

    A) La réintégration des charges financières au résultat imposableÉÉ.ÉÉÉÉÉÉÉ.ÉÉÉ..65

    B) La recherche de contournements à l'obstacle de l'Amendement CharasseÉÉÉÉ.ÉÉÉÉ.68

    1. La fusion rapide de la holding et de la cibleÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉ.ÉÉÉÉ..68

    2. La création d'une activité bénéficiaire au sein de la holdingÉÉÉÉÉ.ÉÉÉÉÉÉÉ.70

    Section 2 : Le remboursement

    défaillant .72

    §1 : Du bris de covenant aux difficultés de

    remboursement .73

    §2 : De la crise de liquidités à la cessation de

    paiement 76

    A) La sauvegarde judiciaire, a priori de la cessation de paiementÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉ.77

    B) Le redressement et la liquidation judiciaire, a posteriori de la cessation de paiementÉ.ÉÉ78

    Chapitre 2 : L'aboutissement de la stratégie patrimoniale de

    l'entrepreneur 79

    Section 1 : La sortie du montage d'Owner-Buy-out ou

    débouclage 80

    §1 : La cession de la société holding de reprise à un tiers

    repreneur 80

    A) Les finalités de la cession de la holdingÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉ.ÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉ.É80

    B) Les modalités de la cession de la holding................................................................ 81

    §2 : La donation du contrôle de la holding à l'ayant-droit

    repreneur ..83

    A) L'utilisation du procédé de la donation-partageÉÉÉÉÉ.ÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉ.ÉÉ.83

    B) Le bénéfice de dispositions fiscales favorablesÉÉÉÉÉÉ.ÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉ.ÉÉÉ84

    Section 2 : Le rééquilibrage des patrimoines privé et

    professionnel 88
    §1 : La fructification du patrimoine

    privé 88

    106

    §2 : La transmission du patrimoine

    privé 89

    A) Le cadre de la transmission du patrimoine dans une visée successoraleÉÉÉÉ..ÉÉÉÉÉ90

    B) Le désintéressement des héritiers réservataireÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉ.ÉÉÉÉÉÉÉ.91

    CONCLUSION

    GENERALE 93

    ANNEXES

    94

    BIBLIOGRAPHIE

    100

    TABLE DES

    MATIERES .102






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"Le don sans la technique n'est qu'une maladie"