WOW !! MUCH LOVE ! SO WORLD PEACE !
Fond bitcoin pour l'amélioration du site: 1memzGeKS7CB3ECNkzSn2qHwxU6NZoJ8o
  Dogecoin (tips/pourboires): DCLoo9Dd4qECqpMLurdgGnaoqbftj16Nvp


Home | Publier un mémoire | Une page au hasard

 > 

La démocratie dans les politiques d'Aristote

( Télécharger le fichier original )
par Valentin Boragno
Université Paris X Nanterre - Master 1 2006
  

précédent sommaire suivant

Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy

2. Les espèces de démocratie : souveraineté de la masse ou souveraineté de la loi.

Aristote dresse trois typologies différentes des espèces de démocratie : au chapitre IV, 4, au chapitre IV, 6, et au chapitre VI, 4. Chacune des typologies peut contenir quatre ou cinq branches, mais Aristote se concentre surtout sur les deux espèces principales, celles qui sont opposées : la démocratie extrême, et la démocratie mesurée, les formes intermédiaires n'étant que des phases de transition81(*). Sous le même terme se tiennentt donc deux extrêmes : une forme constitutionnelle de gouvernement, et une forme anticonstitutionnelle. Cette déviation tient-il davantage aux espèces de peuple considérées, auquel cas l'action politique serait inefficace, ou au contraire tient-elle seulement à la qualité des institutions ? La qualité d'une démocratie est-elle comme inscrite dans la nature de son peuple ou bien se construit-elle ? Mais peut-être cette distinction pour nous classique entre le naturel et l'artificiel, l'inné et l'acquis, est-elle à reconsidérer chez Aristote, la cité étant elle-même une communauté naturelle ? L'élément discriminant entre les bonnes et les mauvaises démocraties est pourtant assez simple : c'est le respect de la loi.

Conformément à ce qui a été dit à propos des äçìïôéê?, classées selon le peuple et selon les magistrats, les deux critères de classification seront les suivants : l'organisation institutionnelle (chapitre IV, 4) et l'organisation sociologique (chapitre IV, 6, et VI, 4).

2.1. Classification institutionnelle (IV, 4, 1291 b 30 - 1292 a 39)

Les quatre premières espèces de la classification du chapitre IV, 4, respectent les lois. Même si Aristote ne le précise pas pour chacune d'elles, il le sous-entend puisque par la suite, il oppose la cinquième espèces aux précédentes sur le seul critère du non-respect des lois. Le gouvernement se fait sous la souveraineté de la loi ( ?ñ÷åéí ô?í í?ìïí) 82(*), alors que dans la cinquième et dernière espèce, la masse a la souveraineté sur les lois ( ê?ñéïí å?íáé ô? ðë?èïò êá? ì? ô?í í?ìïí)83(*).

2.1.1. Les espèces qui respectent les lois

Ces espèces diffèrent de par la constitution de leur corps civique. Elles apportent chacune une réponse différente à la question : qui est citoyen ?

Dans la première espèce, tous partagent le pouvoir politique84(*). La quatrième espèce lui ressemble puisque tous, à la seule condition d'être citoyens ( ??í ì?íïí ? ðïë?ôçò)85(*), participent aux magistratures. Ces citoyens peuvent être des étrangers faits citoyens.

Dans la deuxième espèce, qui est une démocratie censitaire, seuls peuvent prendre part aux magistratures ceux qui possèdent le cens.

La troisième espèce opère une discrimination, non sur l'argent des citoyens, mais sur leur naissance. Seuls peuvent participer au pouvoir ceux qui sont citoyens incontestablement ( ôï?ò ðïë?ôáò ?íõðå?èõíïé)86(*), c'est-à-dire ceux dont personne ne met en doute qu'ils soient citoyens de naissance.87(*)

Pour Aristote, la citoyenneté est plus un fait qu'un droit : « Il faut reconnaître que sont citoyens même ceux qui le sont injustement.88(*) » En effet, « un citoyen ne peut pas être mieux défini que par la participation à une fonction judiciaire et à une magistrature. »89(*) C'est bien ce qui se passe ici : ces hommes sont citoyens, mais le sont injustement. Ce sera particulièrement vrai dans la cinquième espèce.

2.1.2. La cinquième espèce de démocratie

- La cinquième espèce n'est pas une constitution

« Une autre espèce de démocratie, c'est celle où toutes les autres caractéristiques sont les mêmes, mais où c'est la masse qui est souveraine et non la loi.

C'est le cas quand ce sont les décrets qui sont souverains et non la loi. [...] De plus, ceux qui accusent les magistrats disent que c'est le peuple qui doit trancher, et celui-ci accueille avec joie cette invitation, de sorte que toutes les magistratures sont ruinées. Et on pourrait raisonnablement penser qu'il faut blâmer cette sorte de démocratie en disant qu'elle n'est pas une constitution, car partout où les lois ne gouvernent pas, il n'y a pas de constitution. 90(*) »

Cette démocratie n'est pas une constitution. Le critère de la souveraineté de la loi est fondamental, pour Aristote. Pour Platon, le respect des lois est l'apanage des régimes imparfaits. La loi n'est qu'un pis-aller91(*). Pour Aristote, les lois éduquent. C'est par leur moyen que nous pouvons devenir bons.92(*)

- supériorité de la loi sur le décret

Ce sont les décrets ( ô? øçö?óìáôá) qui favorisent la souveraineté de la masse sur celle de la loi. La loi, qui était à Athènes la réglementation la plus forte93(*), lui est supérieure pour deux raisons : son universalité, et sa longévité.

« Car il faut que la loi commande à tous, les cas particuliers étant tranchés par les magistrats en accord avec la constitution. De sorte que, si la démocratie est bien l'une des constitutions, il est manifeste qu'une telle organisation, dans laquelle tout se règle par les décrets, n'est pas une démocratie à proprement parler, car aucun décret ne peut être universel.94(*) »

 Cette distinction entre universel et particulier correspond à la distinction entre réglementation générale et réglementation d'espèce. Les lois sont des règles qui lient tout un chacun, les décrets s'appliquent à un individu déterminé ou à un sujet ponctuel.

Le deuxième avantage de la loi sur le décret est sa longévité. Une loi universelle doit être immortelle. Dans les Définitions platoniciennes, on lit : « un nomos est une définition prise dans les affaires de la polis par le pléthos (la majorité) sans limitation de durée ; un pséphisma est une décision qui intervient dans les affaires de la polis pour une durée limitée. »95(*) L'émergence des décrets est la cause du non-respect de la loi. Sachant que les décrets étaient promulgués par l'Assemblée, il semble donc que dans cette dernière espèce de démocratie les pouvoirs soient concentrés dans les mains de l'Assemblée, au détriment, comme on l'a vu, du Conseil. C'est l'avantage commun qui en pâtit, au profit de l'avantage de certaines personnes.

- rôle des démagogues

« Cela arrive par le fait des démagogues. Car dans les cités gouvernés démocratiquement selon la loi, il ne naît pas de démagogue, mais ce sont les meilleurs des citoyens qui occupent la première place. Là où les lois ne dominent pas, alors apparaissent les démagogues; le peuple en effet devient monarque, unité composée d'une multitude:, car ce sont les gens de la multitude qui sont souverains, non pas chacun en particulier mais tous ensemble.96(*) »

Aristote écrit donc : « Cela arrive par le fait des démagogues97(*) », et plus loin : « Ces démagogues sont cause que les décrets sont souverains et non les lois.98(*) » et plus loin encore, Aristote suggère qu'ils apparaissent « en conséquence » de la souveraineté de la masse sur les lois : « Là où les lois ne dominent pas, alors apparaissent les démagogues. » Cause, conséquence, ou influence, quelle action ont les démagogues sur le non-respect des lois ?

Il semble que les démagogues soient davantage les profiteurs d'une situation opportune, qui leur préexistait et qu'ils ne font qu'aggraver, que les réels instigateurs de la dérive de la démocratie. Comme le courtisan ou le flatteur qui profite de la faiblesse d'un monarque, le démagogue joue le rôle de catalyseur dans la destruction d'un régime moribond. Ils ont chacun une « influence prépondérante99(*) » sur le peuple et les monarques. L'origine du mal est la place trop importante accordée aux décisions du peuple, c'est-à-dire aux décrets. A l'arrivée du démagogue, le peuple est déjà « despote », ses décrets sont déjà des ordres tyranniques ( ô? ?ðéô?ãìáôá). Le démagogue est, pour nous modernes, une figure forcément négative. Mais comme le rappelle P. Pellegrin, le démagogue, c'est avant tout « le chef du, ou d'un, parti populaire.100(*)» Peut-être pourrait-on aussi traduire : « ceci arrive par le biais des démagogues ». La dernière démocratie serait alors mauvaise, non pas à cause des protagonistes qu'elle hébergerait, mais par nature.

Comment les démagogues peuvent favoriser les décrets ? La loi est, on l'a vu, l'expression de la raison. Le décret est plus passionnel. C'est pourquoi il est favorisé par les démagogues, qui sont des hommes de passion et qui eux mêmes excitent les passions. « Le frelon c'est l'homme plein de passions, et d'appétits gouvernés par les désirs superflus101(*) », écrit Platon. Bien que moins rationaliste que son maître, Aristote fait primer aussi l'exercice de la raison dans la décision, politique ou non. la décision n'est ni l'appétit, ni le souhait, ni l'ardeur : elle présuppose une délibération.102(*) Or quand il est « unifié », le peuple est plus soumis aux passions. Le peuple devient tyran quand il se regroupe, quand il devient un bloc, une unité composée d'une multitude ( ó?íèåôïò å?ò ðïëë?í). Le peuple est bon s'il garde sa diversité, autrement dit quand il n'est pas un troupeau sous les ordres d'un démagogue tyrannique. Il est alors soumis aux passions.

- la « polykoirania »

« De quel gouvernement parle Homère en disant que "le commandement de plusieurs n'est pas bon", de celui-ci ou de celui où beaucoup de gens exercent le pouvoir individuel, cela n'est pas clair. 103(*) »

En soulevant cette difficulté d'interprétation du texte de Homère ( ï?ê ?ãáè?í å?íáé ðïëõêïéñáí?çí104(*)), Aristote souligne en même temps la proximité entre la tyrannie et cette démocratie. La ðïë?-êïéñ?í?á, gouvernement de plusieurs, peut en effet aussi désigner le gouvernement d'une succession de tyrans, comme celui d'une succession de démagogues. Cette hésitation devant la phrase de Homère pourrait bien être le reflet de son hésitation à l'égard de la valeur de la ðïë?-êïéñ?í?á, c'est-à-dire ce que nous appelons la démocratie. Cette citation lorsqu'elle sera reprise et assumée par Aristote dans sa Métaphysique 105(*) sera à l'origine, selon P. Aubenque, d'une lecture anti-démocratique des textes politiques aristotéliciens. Mais il ne s'agit ici que d'une espèce de démocratie. La typologie révèle la primauté donnée au « nomos », et l'importance du chef. D'autres espèces peuvent respecter ces impératifs.

* 81 Hansen, p. 95.

* 82 Politique, IV, 4, 1292 a 3

* 83 Politique, IV, 4, 1292 a 4

* 84 Politique, IV, 4, 1291 b 37

* 85 Politique, IV, 4, 1292 a 3

* 86 Politique, IV, 4, 1292 a 1

* 87 Pellegrin, note 14 p. 293

* 88 Politique, III, 2, 1276 a 6.

* 89 Politique, IV, 1, 1275 a 22 -24.

* 90 Politique, IV, 4, 1292 a 4 - 37

* 91 Platon, Le politique, 297 b - e

* 92 Ethique à Nicomaque, 1280 a 15, et 1280 b 25

* 93 Hansen, p. 208

* 94 Politique, IV, 4, 1292 a 33 - 37

* 95 Platon, Définitions, 415 b, cité par Hansen, p. 205.

* 96 Politique, IV, 4, 1292 a 7 - 12

* 97 Politique, IV, 4, 1292 a 7

* 98 Politique, IV, 4, 1292 a 23

* 99 Politique, IV, 4, 1292 a 22

* 100 Pellegrin, note 15 p. 294

* 101 Platon, République, VIII, 560 a

* 102 Politique, 1111b - 1112 a

* 103 Politique, IV, 4, 1292 a 13 - 15

* 104 Iliade, II, 204

* 105 Métaphysique, L, 10, 1076 a 4, cité dans Aubenque, p. 255.

précédent sommaire suivant






Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy








"Tu supportes des injustices; Consoles-toi, le vrai malheur est d'en faire"   Démocrite