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La démocratie dans les politiques d'Aristote

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par Valentin Boragno
Université Paris X Nanterre - Master 1 2006
  

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2.3. Classement selon la qualité déterminée ( ô? ðïé?í ôéíá)117(*) de chaque partie de peuple (VI, 4, 1318 b 6 - 1319 b 33)

Les qualités du peuple démocratique ont déjà été présentées en un rapide portrait, caractérisé par la bassesse. « De plus puisqu'une oligarchie se fonde sur la naissance, la richesse, l'éducation, les caractéristiques du régime populaire semblent être le contraire de ceux-ci: basse naissance, pauvreté, grossièreté.118(*) ». La messe semble être dite. Le peuple se caractériserait uniquement par des défauts. Mais une de ces trois qualités n'est peut-être pas inévitable. La âáíáõó?á c'est certes la grossièreté, mais c'est aussi le fait d'être un artisan. Ce type de grossièreté correspondra donc davantage aux démocraties urbaines. Les qualités du peuple démocratique sont donc susceptibles de varier, selon son mode de vie.

2.3.1. Le bon mode de vie des paysans et des pâtres (VI, 4, 1318 b 6 - 1319 a 6)

Ce bon mode de vie fait de la démocratie rurale non seulement la meilleure de toutes les démocraties ( ô?í äçìïêñáôé?í ?ñ?óôç) 119(*), mais en plus un véritable gouvernement constitutionnel. Il consiste en trois caractères de la paysannerie : son caractère ancestral, son absence de loisir, et son acceptation d'un commandement par des magistrats compétents.

- une paysannerie archaïque

« Des quatre sortes de démocraties existantes la meilleure est la première dans l'ordre. C'est aussi la plus ancienne de toutes. Je dis que c'est la première en suivant le même ordre qu'on adopterait pour distinguer les peuples Car le peuple le meilleur c'est celui des paysans, de sorte qu'il est possible d'instituer même  une démocratie là où la masse populaire a une vie agricole ou pastorale.120(*) »

Le classement des démocraties, qui va suivre, obéira donc à un ordre chronologique. Aristote livre ici son sentiment quant à l'évolution historique des démocraties. L'ancien est associé à l'ordre. La meilleure démocratie, celle des paysans, est la plus archaïque ( ?ñ÷áéïô?ôç), la pire est la plus récente (ôåëåõôá?á), mot qui peut se traduire aussi par « extrême ». A d'autres reprises Aristote prône ce modèle de démocratie archaïque. La politie telle qu'il la conçoit, c'est la démocratie traditionnelle « Ce que nous appelons aujourd'hui des gouvernements constitutionnels s'appelaient auparavant des démocraties. 121(*) » A l'inverse la démocratie de ses contemporains est la dernière espèce de démocratie proche de l'anarchie : « Dans la démocratie au sens où on entend de nos jours la démocratie par excellence (je veux dire celle où le peuple est souverain même des lois).122(*) » Il s'inscrit dans un courant répandu à son époque, empreint de nostalgie, notamment à Athènes, à l'égard de la constitution primitive, de la démocratie des pères ( ô?ò ðáôñ?áò äçìïêñáô?áò), nostalgie qui flambait surtout dans les périodes de crise, comme après une défaite militaire123(*). Mais chez Aristote, le passé n'est pas seulement un refuge contre les imperfections du présent. L'amour de l' ?ñ÷á?ïò, qui signifie littéralement « depuis l'origine », ce peut aussi être un amour de l'origine ou encore, étymologiquement, du principe de toutes choses. 

- une paysannerie sans loisir

« Car du fait de la modicité de son avoir cette masse populaire n'a pas de loisir, ce qui fait qu'elle ne peut pas souvent se réunir en assemblée. http://www.perseus.tufts.edu/cgi-bin/morphindex?lang=greek&lookup=dia%2F&bytepos=456715&wordcount=2&embed=2&doc=Perseus%3Atext%3A1999.01.0057D'autre part, comme ils manquent du nécessaire, ces gens passent leur temps au travail et ne convoitent pas le bien d'autrui, mais il leur est plus agréable de travailler que de s'occuper de politique ou d'être magistrats du moment qu'il n'y a pas de grands profits à tirer des magistratures. Car la plupart de ces gens courent plutôt après le gain qu'après les honneurs. Une preuve en est qu'ils supportaient autrefois les tyrannies comme ils supportent aujourd'hui les oligarchies, pour peu que nul les empêche de travailler ni ne leur prélève rien. Ainsi certains d'entre eux s'enrichissent-ils si vite, alors que même que les autres ne sont pas dans l'indigence. 124(*)»

Du fait qu'il est sans loisir ( ?ó÷ïëïò), le peuple rural participe peu au pouvoir délibératif, et aux magistratures, puisqu'il n'a pas le temps de souhaiter les honneurs. Les paysans sont guidés par des besoins « nécessaires », au sens de primaires. Pourtant la cité n'est pas une association commandée par le seul besoin. Les affaires politiques ( ðïëéôå?åóèáé) visent quelque chose de plus que la satisfaction de ces besoins. Or précisément les citoyens paysans n'ont pas accès à ce quelque chose. Est-ce à dire que le typiquement humain que produit la cité échoierait aux magistrats uniquement, pendant que les paysans travailleraient ? Les biens matériels, l'argent et l'enrichissement, dont jouissent les paysans ne constituent pas une fin digne d'être choisie pour Aristote : seuls les meilleurs devraient-ils accéder à la vraie fin de la cité, qui est la vertu ? Les qualités de ce peuple, estimées qu'à l'aune de la non-participation au pouvoir politique et aux magistratures, sont-elles exclusivement négatives ?

Il faut se garder de caricaturer l'admiration aristotélicienne à l'égard des paysans. Les paysans ne forment pas un peuple d'animaux, asservis par des magistrats compétents, strictement équivalents à des tyrans. Ils sont bel et bien les membres d'une démocratie, c'est-à-dire que tous participent à certaines fonctions politiques.

- une masse participante et des magistrats compétents et contrôlés

Le peuple a deux pouvoirs fondamentaux, desquels dépendra le bon gouvernement : élire les magistrats ( ô?ò á?ñ?óåùò ô?í ?ñ÷?í) et contrôler leur gestion.

« C'est donc pourquoi dans le cas de la démocratie dont on vient de parler il est avantageux (et telle est bien la pratique habituelle) que d'une part, tous choisissent les magistrats, vérifient les comptes, rendent la justice, et que d'autre part, on choisisse les titulaires des magistratures les plus importantes parmi les censitaires, d'autant plus importantes qu'ils paient plus de cens, ou bien qu'aucun cens ne soit exigé, mais que les magistratures soient confiées aux gens qui sont aptes à les exercer. Et il est nécesssaire que des gens ainsi gouvernés soient bien gouvernés.125(*) »

Il faut atténuer le pouvoir populaire en le combinant avec un exécutif plus puissant et compétent, qui gouvernera dans les magistratures les plus importantes ( ô?ò ìåã?óôáò). On évitera ainsi de remettre le pouvoir dans les mains d'incompétents. « Le remède trouvé à l'incompétence populaire est une synthèse, qui par la délégation du pouvoir tend à se rapprocher de nos démocraties indirectes. » 126(*)

Les magistrats ne sont pourtant pas coupés du peuple, d'abord parce que celui-ci les élit, mais aussi parce qu'il a un droit de regard permanent sur leurs comptes. Le peuple n'est pas un groupe d'esclaves dirigés par des maîtres. Il est lié à ses gouvernants par une relation de réciprocité : l'un dirige l'autre, mais l'autre approuve ou réprouve l'autre. Le magistrat est dépendant ( óõìö?ñïí) du peuple.

« Il est avantageux en effet d'être dépendant, c'est-à-dire ne pas avoir la possibilité de faire ce qu'on trouve bon, car la possibilité de faire ce que l'on veut rend incapable de se prémunir contre ce qu'il y a de mauvais en chacun. Dans ces conditions on aura nécessairement ce qui est utile à chacun dans les constitutions: que le gouvernement soit aux mains d'honnêtes gens mis dans l'impossibilité de faillir, sans que la masse en subisse aucun dommage. 127(*) »

Cette vérification, qui avait notamment cours à Athènes128(*), trouve sa nécessité, selon Aristote, dans la nature de l'homme. L'homme, aussi compétent soit-il, porte du mal en lui, le mal humain ( ô? ô?í ?íèñ?ðùí öá?ëïí). Ce sont les lois et la cité qui l'aident à devenir bon. Sa moralité n'a rien à voir avec son intelligence ou sa science. Ce n'est pas parce qu'il est compétent qu'il faut lui accorder une confiance absolue. Le pouvoir chez Aristote n'est pas fondé sur une morale intellectualiste, mais sur l'idée que chacun a un lieu qui lui est attribué et qu'il doit respecter. C'est notamment pourquoi les paysans ne doivent pas se rapprocher de la ville.

- une paysannerie nombreuse et dispersée

« Dans le but d'avoir un peuple de paysans, certaines lois jadis en vigueur dans beaucoup de cités étaient très utiles: elle ne permettait absolument pas que l'on possédât de la terre au-delà d'une certaine limite ou au moins en-deça d'un certain point d'éloignement de la citadelle de la cité.129(*) »

La loi empêche deux choses : la trop grande proximité de la ville, et donc de l'accès aux magistratures, et la trop grande propriété, et donc la désertion des campagnes. Elle crée ainsi le peuple idéal, celui qui est composé de petits ou de moyens propriétaires éloignés du centre urbain.130(*) Plus nombreux seront les paysans, et donc meilleure sera la démocratie, si les propriétés sont de petite taille. La dispersion empêche les hommes d'être trop regroupés, et de former des partis au sein de la cité. Les bergers mènent ainsi également une vie convenable, car, au-delà de leur vertu militaire131(*), ils sont dispersés et ne peuvent se réunir qu'épisodiquement. Cette configuration ne doit pas forcément s'établir par des lois. Elle peut simplement résulter de la géographie.

« Et là où il se trouve que le territoire a une configuration telle que la campagne est séparée de la ville par une grande distance, il est aisé d'établir une démocratie de bonne qualité c'est-à-dire un gouvernement constitutionnel, car la masse est contrainte d'aller installer des établissements dans les champs, de sorte que, même s'il y a une foule de gens fréquentant l'agora, on est bien forcé de ne pas tenir d'assemblée sans la masse du peuple habitant la campagne. 132(*) »

Pour établir ces bonnes démocraties, il faut respecter l'équilibre entre le pouvoir des villes et celui de la campagne, et mettre une distance entre eux. La bonne configuration est celle où la campagne est séparée de la ville par une longue distance. Chacun y a sa place propre. C'est pourquoi, le peuple démocratique des campagnes apparaît comme une sorte de modèle de référence du bon peuple. Ceux, que nous allons étudier maintenant, se définissent en effet comme des déviations de ces premiers.

* 117 Politique, VI, 4, 1319 a 5

* 118 Politique, VI, 2, 1317 b 42

* 119 Politique, VI, 4, 1319 a 5

* 120 Politique, VI, 4, 1318 b 6 - 11

* 121 Politique, IV, 13, 1297 b 24.

* 122 Politique, IV, 14, 1298 b 15.

* 123 Hansen, p. 343.

* 124 Politique, VI, 4, 1318 b 12 - 22

* 125 Politique, VI, 4, 1318 b 29 - 34

* 126 Romilly, J. de, Problèmes de la démocratie grecque, p. 95.

* 127 Politique, VI, 4, 1318 b 38 - 1319 a 4

* 128 Hansen, p. 259.

* 129 Politique, VI, 4, 1319 a 6 - 10

* 130 Pellegrin, note 6 p. 426

* 131 Politique, VI, 4, 1319 a 20 - 23

* 132 Politique, VI, 4, 1319 b 33 - 37

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"Ceux qui vivent sont ceux qui luttent"   Victor Hugo