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La démocratie dans les politiques d'Aristote

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par Valentin Boragno
Université Paris X Nanterre - Master 1 2006
  

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2.3.2. Le mauvais mode de vie ( ? â?ïò öá?ëïò) des autres sortes de masse (VI, 4, 1319 a 1 - 1319 b 33)

Tout ce qui ne sera pas une démocratie rurale ou pastorale sera moins bien que celle-ci : « pour les obtenir il faut, en effet, dévier sans cesse du type premier, la masse exclue de la vie politique étant sans cesse pire.133(*) » Etudier les défauts de ces masses permettra de mieux comprendre les qualités des paysans.

Alors que la paysannerie archaïque rendait possible une démocratie fondée sur l'ordre, ces démocraties apparaissent comme les régimes du désordre. Plusieurs types de relations naturelles se trouvent renversées : les relations entre l'homme libre et le travailleur, entre le maître et l'esclave, entre le fils de citoyen et le fils d'étranger, entre l'homme et la femme, entre l'enfant et les parents.

- le travailleur des villes, le paysan et l'homme libre

« Par contre, presque toutes les autres sortes de masse populaire qui produisent, les sortes restantes de démocratie sont beaucoup plus mauvaise que ces deux premières. C'est que leur mode de vie est mauvais, du fait que l'activité à laquelle se livre la masse des artisans, des marchands et des hommes de peine ne va de pair avec aucune vertu. De plus à cause des allées et venues sur l'agora et par la ville, toute cette race de gens a, si l'on peut dire, l'assemblée facile. Les paysans au contraire à cause de leur dispersion dans la campagne ne se réunissent pas aussi facilement et n'ont pas le même besoin de ce genre de rencontre.134(*) »

Les « autres masses » sont mauvaises par leurs habitudes, mais aussi par nature. Leur mode de vie favorise l'émergence d'une démocratie d'assemblée, où les décrets l'emporteront sur les lois. L'artisan, pour Aristote, n'est pas seulement mauvais par les modifications institutionnelles que son nombre induit. Le travail manuel ne favorise pas les activités typiquement humaines, que sont les activités politiques, la délibération et le jugement. Il est par nature une sorte d'esclave. Aristote semble au chapitre III, 4, traitant des « vertus de commandement et des vertus d'obéissance », déplorer le temps où les travailleurs manuels ne participaient pas aux magistratures. 135(*) Quant au commerçant, il porte bien son nom grec d'homme de la place publique ( ô? ô?í ?ãïñá?ùí ?íèñ?ðùí). Chez Aristophane déjà, il était l'emblème du démagogue. Sa vulgarité est proche de celle de l'artisan ou du thète, car ces professions sont alors peu différenciées. Le marchand travaille aussi de ses mains. Ainsi, dans les Cavaliers, le Marchand de boudin est aussi désigné sous le nom de Charcutier. Ces travailleurs sont dangereux pour la Cité parce que, par nature, ils sont des sortes d'esclave, mais aussi parce que, par leur mode de vie, urbain et plein de loisir, ils peuvent aspirer à devenir maîtres. Il s'agit alors d'un des nombreux renversements de relations naturelles qu'induit la démocratie. Il en est d'autres.

- l'enfant légitime et l'enfant illégitime

« En vue d'établir cette sorte de démocratie, les dirigeants ont coutume de renforcer le peuple en lui adjoignant le plus de gens possible, c'est-à-dire en faisant citoyens non seulement les enfants légitimes mais aussi les illégitimes c'est-à-dire ceux dont un seul parent est citoyen, j'entends le père aussi bien que la mère, car tout ce monde convient particulièrement à un régime populaire de cette sorte. 136(*) »

Le renversement du lien se fait entre l'homme de la race ou de la cité ou encore l'enfant légitime (ãí?óéïò), et l'étranger ou le bâtard (í?èïò). Cette libéralité dans l'attribution de la citoyenneté ne peut avoir cours que dans les démocraties riches de la dernière espèce. Il faudra en effet que dans un deuxième temps la cité paie les indemnités137(*) : « Quant à la forme extrême, du fait que tout le monde prend part à la vie politique, toute cité n'est pas capable de la supporter138(*) ». Athènes, remarque Hansen139(*), est un excellent exemple de ce que dit Aristote au livre VI de sa Politique sur les démocraties en général : elles commencent par accroître le nombre de leurs citoyens en accueillant les bâtards, les métèques et les esclaves, jusqu'à ce que les gens ordinaires se soient assurés la majorité à l' assemblée ; après quoi elles n'accordent plus la citoyenneté aux étrangers qu'avec une extrême parcimonie.

L'ouverture de la citoyenneté à n'importe qui répond à un calcul politique, visant à favoriser le parti des pauvres, au risque de créer un déséquilibre. Aristote n'est pas contre le fait de donner plus de poids à la masse qu'aux notables « ce qu'il faut c'est augmenter la masse populaire jusqu'à ce qu'elle l'emporte sur les notables et les gens de la classe moyenne 140(*)». Mais il y a un risque de dépasser la limite : « Car dépasser cette mesure c'est augmenter le désordre de la constitution.141(*)» Le désordre est ce qui fait qu'une partie de la cité, en l'occurrence les notables, risque de se coaliser et de rentrer en sédition.

- rupture des relations anciennes : le vivre dans le désordre ( ô? æ?í ?ô?êôùò)

La démocratie extrême rompt deux types de relations naturelles : les relations hiérarchiques au sein de la société, mais aussi au sein de la famille.

« De plus, il semble que toutes les dispositions des tyrannies http://www.perseus.tufts.edu/cgi-bin/morphindex?lang=greek&lookup=dhmotika%2F&bytepos=464511&wordcount=1&embed=2&doc=Perseus%3Atext%3A1999.01.0057conviennent aux régimes populaires, je veux dire par exemple, l'absence d'autorité sur les esclaves (qui pourraient être utiles jusqu'à un certain point à la démocratie extrême), les femmes et les enfants, et le refus de contrôler le genre de vie que chacun veut mener. De ce fait, une telle constitution ne manque pas d'appui car il est plus agréable à la multitude de vivre dans le désordre que dans la tempérance.142(*) »

La division entre partis de la cité n'est pas le seul risque de la démocratie extrême. Aristote craint l'excès de mélange des citoyens, c'est-à-dire la rupture des relations anciennes. Le scandale est, pour Aristote, de remettre en cause la distinction des parties de la cité, en dépassant la juste mesure ( ?ðåñâ?ëëïíôåò). Les parties ne sont pas, comme on l'a vu, uniquement conventionnelles, mais naturelles. Il est scandaleux qu'un thète puisse débattre avec un hoplite, car leurs natures sont différentes. L'un est maître, l'autre est esclave. « Celui qui par nature ne s'appartient pas mais qui est l'homme d'un autre, celui-là est esclave par nature.143(*) » « La nature fait une chose pour un seul usage.144(*) » On est esclave par nature. Chez Platon, il n'y a pas de différence par nature entre les hommes.

Le mélange crée une sorte de corps monstrueux.Les moeurs ici favorisés sont contre-nature. Les relations maritales sont en effet censées être « despotiques145(*) », et le « mâle est plus apte à gouverner que la femelle.146(*) » Aristophane avait anticipé cette remarque d'Aristote avec L'Assemblée des Femmes, qui montre précisément une démocratie aux moeurs carnavalesques, où les femmes ont tous les pouvoirs sur les hommes, ou encore avec Les Cavaliers où les thètes, vulgaires et malhonnêtes, accèdent aux plus hautes magistratures. Par ailleurs, cette popularité de la démocratie auprès des non-citoyens n'est pas un véritable soutien au régime, mais un soutien opportuniste et circonstanciel. Qu'il suffise qu'ils soient bien traités dans la pire des tyrannies, et ils soutiendront la tyrannie147(*). Autrement dit, les lois et les moeurs qui découlent de la démocratie extrême ne sont pas en accord avec l'essence de la constitution. Or précisément, les lois n'ont pas d'autre impératif que celui-là. En effet, le fait que tous soient citoyens fait perdre l'habitude de la hiérarchie et du commandement ( ?íáñ÷?á). De fait, femmes et esclaves sont plus heureux, et accordent leur soutien à ce régime alors même qu'ils ne sont pas citoyens. Cette forme extrême repose donc sur une popularité qui n'a pas lieu d'être.

La société est alors organisée de manière désordonnée ( ?ô?êôùò), c'est-à-dire qu'elle n'est pas en ordre de bataille, ou encore qu'elle manque de structure hiérarchique.

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- le respect de la loi, de l'ordre, de la nature de la cité.

La démocratie est mauvaise quand elle transforme le peuple. La communauté est en effet naturelle. La bonne constitution est celle qui reste naturelle. Tout n'est pas permis à l'homme sous prétexte qu'il vit en cité, bien au contraire la cité n'est qu'une communauté naturelle plus élaborée. Dès lors, comment les institutions peuvent-elles être bonnes ? Que veut dire être en accord avec la nature pour un homme, et a fortiori pour une communauté ?

L'étude des typologies des démocraties révèle avant tout l'importance des qualités intrinsèques aux peuples. Les institutions ne peuvent que renforcer celles-ci ou les rectifier. Le mauvais mode de vie ( ? â?ïò öá?ëïò)148(*) des autres sortes de masse populaire produit des mauvaises démocraties. Ce sont bien les qualités du peuple qui produisent óõíåóô?óé les types de constitutions. Mais elles ne peuvent pas les créer. Un législateur ne peut pas établir n'importe quelle espèce de démocratie n'importe où, car il faut que le peuple y soit d'une qualité déterminée. On retrouve ces distinctions axiologiques au sein même des peuples. Il y a des parties meilleures que d'autres. Il est alors juste de leur accorder plus de pouvoir. Et c'est contre cette exigence que la conception démocratique du juste entre en conflit.

Aristote avait insisté sur le fait que la démocratie ne se définit pas par la souveraineté de la masse, et que cette définition platonicienne était fausse. En effet, là où la masse est souveraine ( ê?ñéïí ô? ðë?èïò), les lois ne le sont plus. Ces deux entités s'opposent. Alors que les libres et les lois peuvent cohabiter. La démocratie n'est donc pas forcément une démagogie, car le peuple n'est pas forcément une masse. Pourquoi les démocraties extrêmes ne respectent-elles pas la loi ? Pourquoi sont-elles mauvaises et injustes ? Pourquoi le légal, et non le légitime, est-il nécessairement bon ? C'est ce qu'il convient désormais d'examiner.

* 133 Politique, VI, 4, 1319 a 40

* 134 Politique, VI, 4, 1319 a 24 - 32

* 135 Politique, III, 4, 1277 a 38 - b 7

* 136 Politique, VI, 4, 1319 b 6 - 12

* 137 Pellegrin, note 15 p. 428

* 138 Politique, VI, 4, 1319 b 3

* 139 Hansen, p. 125.

* 140 Politique, VI, 4, 1319 b 13

* 141 Politique, VI, 4, 1319 b 15

* 142 Politique, VI, 4, 1319 b 27

* 143 Politique, I, 4, 1254 a 13

* 144 Politique, I, 2, 1252 b 4F

* 145 Politique, I, 3, 1253 b 8

* 146 Politique, I, 12, 1259 b 1

* 147 Politique, V, 11, 1313 b 33

* 148 Politique, VI, 4, 1319 a 27

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"L'imagination est plus importante que le savoir"   Albert Einstein