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La démocratie dans les politiques d'Aristote

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par Valentin Boragno
Université Paris X Nanterre - Master 1 2006
  

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3.2. La justice entre spécialistes et profanes (III, 11, 1281 a 40 - 1282 b 13)

La justice ne consiste pas seulement en l'attribution équitable de biens matériels. Elle n'est pas qu'un problème de répartition des richesses, car, on l'a vu, la cité n'est pas seulement une association économique. La justice consiste également en l'attribution équitable des pouvoirs entre les citoyens. Au chapitre III, 10, intitulé par P. Pellegrin « à qui donner le pouvoir souverain  », cette question est explicitement présentée comme un problème de justice. « Si les pauvres, du fait qu'ils sont majoritaires, se partagent les biens des riches, n'est-ce pas injuste ? Non, par Zeus, puisque cela a semblé juste à l'autorité souveraine. Mais que faudra-t-il appeler le comble de l'injustice sinon cela ?170(*) » L'attribution de la souveraineté est donc un problème de justice, lequel a déjà, en théorie, été partiellement résolu dans la partie précédente. Il reste à voir ce que, en pratique, vaut la masse au pouvoir. Il faut pour comprendre la position d'Aristote l'opposer à celle de Platon.

3.2.1 Critique du paradigme platonicien du médecin (III, 11, 1281 b 38 - 1282 b 13)

Pour Platon des Lois, le gouvernement sans lois est légitime, du moment qu'il est fondé sur le savoir. Toutes les décisions du roi philosophe seront équitables, et les lois trouvent leur incarnation dans la personne d'un homme buté et ignorant 171(*). Les gouvernants doivent être les gens compétents et la masse, étant incompétente, doit être exclue des fonctions de gouvernement. Il serait aussi absurde de laisser le peuple ignorant gouverner que laisser un homme du peuple soigner un malade. Il serait aussi absurde qu'un médecin soit choisi par des profanes qu'un magistrat par des ignorants.

« il semblerait que l'homme à qui il appartient de juger celui qui a prescrit un traitement médical correct, c'est précisément l'homme qui est en mesure de traiter le malade, c'est-à-dire de le libérer de la maladie qui l'habite. Or cet homme c'est un médecin. Et il en est de même pour les autres métiers et les autres arts. De même, donc, qu'un médecin ne doit rendre de comptes qu'à des médecins, de même aussi les autres professionnels ne doivent-ils le faire qu'à leurs semblables. 172(*) »

Platon, dans les Lois,173(*) propose le paradigme suivant. Si pour se faire prescrire un traitement médical correct, le malade n'hésite pas à choisir celui qui est en mesure de traiter le malade ( ô? ?áôñå?óáé), c'est-à-dire la médecin ( ? ?áôñ?ò), pourquoi devrait-il en être différemment pour les problèmes politiques ? De même, pourquoi celui qui est en mesure de gouverner ne devrait-il pas être le gouvernant ?

Celui qui sait, le médecin, ne doit rendre de comptes ( ô?ò å?è?íáò) à personne, si ce n'est à ses confrères, ses semblables ( ôï?ò ?ìï?ïéò), de même un magistrat n'a ni à se faire choisir ni à rendre de comptes, au sens propre du terme, auprès de ceux qui ne savent pas le métier. Le choix des magistrats, au contraire, doit donc, comme pour les autres professions, se faire par cooptation, c'est une affaire de spécialistes174(*).

Pour Aristote, la comparaison ne tient pas. L'homme politique n'est pas comparable à un médecin, le citoyen n'est pas comparable à un malade. La politique serait-elle un de ces métiers ( ô?ò ?ìðåéñ?áò) ou un de ces arts ( ô?÷íáò) qui échappent à ces règles de base ? Quels nouveaux paradigmes Aristote apporte-t-il en réponse à Platon ?

- le médecin et l'homme cultivé

« Or un médecin ce peut être soit le praticien, soit le chef d'école, soit en troisième lieu celui qui possède une culture médicale, car il y a tant de gens cultivés pour ainsi dire dans tous les arts, et nous n'accordons pas moins le droit de juger aux gens cultivés qu'aux spécialistes.175(*) »

L'homme cultivé est aussi à même que le spécialiste de juger. Ce type de savoir permet de juger dans n'importe quel domaine. L'homme cultivé est capable de se soigner tout seul.176(*)

Le bon citoyen se caractérise par sa culture générale. Parce que les affaires de la cité ne sont pas restreintes à un domaine précis, mais au contraire à l'ensemble des sphères de la vie humaine, le citoyen se doit d'être versé dans tous les arts.

- le médecin et celui qui a à faire à la médecine

Le deuxième argument est le suivant. L'usager ( ? ÷ñ?ìåíïò) juge mieux de la qualité du produit qu'il utilise que le fabricant ( ? ðïé?óáò) juge de son propre produit

« De plus, dans certains domaines, le fabricant ne saurait être ni le seul ni le meilleur juge, dans la mesure où ceux qui ne sont pas des techniciens ont aussi à connaître des produits : connaître d'une maison, par exemple, ce n'est pas seulement le fait de celui qui la construit, mais celui qui s'en sert

http://www.perseus.tufts.edu/cgi-bin/morphindex?lang=greek&lookup=krinei%3D&bytepos=209188&wordcount=1&embed=2&doc=Perseus%3Atext%3A1999.01.0057 en juge mieux que lui, et celui qui s'en sert c'est le chef de famille ; de même en est-il du pilote par rapport au charpentier, pour le gouvernail, et dans le cas du festin c'est le convive et non le cuisinier qui jugera le mieux. Il semblerait donc que cette difficulté trouve ainsi facilement une solution adéquate.177(*) »

De même que le convive qui goûte le plat est meilleur juge que le cuisinier, de même les citoyens, qui font les frais du gouvernement d'un magistrat, sont plus aptes à juger de sa compétence qu'il ne l'est lui-même ou que ne le sont ses collègues, et donc de devenir lui-même cuisinier, c'est-à-dire législateur. Car, on l'a vu, on juge mal de ses propres affaires.

Cet argument, pourrait-on objecter, trouve cependant ses limites dans le fait que dans la plupart des cas, les magistrats en démocratie ne pouvaient être élus qu'une fois, et que donc, nul citoyen ne pouvait voter en connaissance de cause. Ils élisaient toujours un magistrat qui n'avait jamais gouverné dans cette fonction. Mais peut-être les bons citoyens apprennent-ils à ne pas tant voter pour une personne particulière que pour ses idées ? Juger des idées d'un autre n'est pas seulement une opération intellectuelle. Cela implique aussi une expérience, c'est-à-dire concrètement le fait d'avoir déjà expérimenté la mise en application de ces idées ou d'autres. C'est en quelque sorte l'expérience qui prime sur le savoir. Et c'est pour cela qu'Aristote compare l'activité politique à des pratiques physiques (alimentation, navigation). On voit pourquoi, par cet aspect, la comparaison ne tient pas. Le médecin est celui qui intervient ponctuellement en réponse à une crise, et le malade le voit le plus rarement possible. L'activité politique est une activité sur le long terme, comme l'est la navigation pour le marin, ou l'alimentation pour le convive. Elle est dans notre nature même d'animal politique. Ces natures mises ensemble en forment une plus grande : une nature collective.

- corps individuel du médecin et corps collectif du pouvoir

Le médecin opère seul. Il possède un savoir individuel. Il n'en va pas de même dans les assemblées. Ce n'est pas la décision de chaque membre qui compte, mais celle du collectif.

« Car ce n'est ni le juge, ni le membre du conseil, ni le membre de l'assemblée qui sont magistrats, mais le tribunal, le conseil, l'assemblée populaire, chacun de ceux-là en étant une partie (par partie je désigne le membre du conseil, le membre de l'assemblée, le juge). De sorte que c'est à bon droit que la masse est souveraine dans des domaines de plus grande importance, car il y a beaucoup de gens http://www.perseus.tufts.edu/cgi-bin/morphindex?lang=greek&lookup=o%28&bytepos=210454&wordcount=2&embed=2&doc=Perseus%3Atext%3A1999.01.0057dans l'assemblée populaire, le conseil, le tribunal, et le revenu est supérieur à celui de ceux qui exercent les magistratures les plus importantes individuellement ou en petit nombre.178(*) »

Chacun des membres de ces trois institutions ( ? äéêáóô?ò, ? âïõëåõô?ò, ? ?êêëçóéáóô?ò) n'est qu'une partie ( ì?ñé?í) de l'assemblée ( ? ä?ìïò), du conseil ( ? âïõë?), ou du tribunal ( ô? äéêáóô?ñéïí). Or on ne juge pas des parties, mais du tout, c'est-à-dire de la magistrature en tant que telle.

En vertu de la supériorité du jugement collectif sur les jugements individuels, il est juste ( äéêá?ùò) que les magistratures tenues par le peuple l'emportent sur ceux qui exercent les magistratures individuellement ( êáè' ?íá). Par ailleurs, leur légitimité tient également à la masse de leur revenu ( ô? ô?ìçìá), c'est-à-dire du cens que collectivement ils paient. Ainsi, le juste démocratique dans ce cas semblerait bien être absolu dans cette démocratie directe, où l'assemblée populaire est souveraine sur les magistratures individuelles. Peu importe que les juges soient individuellement compétents, pourvu que le tribunal le soit.

L'analogie ne tient pas. Le citoyen n'est pas le malade, que le savoir d'un législateur pourrait soigner. C'est à la limite quelqu'un de méchant que les lois peuvent éduquer, mais avec son propre assentiment, et de manière permanente. Il ne reçoit pas une vérité provenue d'une sphère idéale avec laquelle le philosophe-roi serait en contact. Pour Platon, être méchant c'est être malade, au sens où nul n'est méchant volontairement. Pour Aristote, l'homme peut être savant et méchant. On peut agir mal en connaissance de cause. Dès lors, le savoir n'apparaît plus comme un remède politique. C'est en vivant que l'on apprend à être bon, en vivant selon les lois.

* 170 Politique, III, 10, 1281 a 14 - 17

* 171 Platon, Le politique, 294 a

* 172 Politique, III, 11, 1281 b 39 - 1282 a 3

* 173 Lois, IV, 719

* 174 Politique, III, 11, 1282 a 9

* 175 Politique, III, 11, 1282 a 4 - 7

* 176 Eth., 1180 b 20

* 177 Politique, III, 11, 1282 a 18 - 23

* 178 Politique, III, 11, 1282 a 34 - 42

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"Le doute est le commencement de la sagesse"   Aristote