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La reforme de la justice et la protection des droits de l''homme en Mauritanie

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par Boubacar DIOP
Faculté des affaires internationales, Université du Havre - Master 2 Droit " Erasmus Mundus" 2007
  

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Chapitre 1 : Les principes garantissant l'indépendance de la justice

En tant que service public, la justice doit être bien gérée. C'est ce qu'on entend par l'exigence d'une ? bonne justice?. Donc, pour satisfaire à un besoin d'intérêt général, l'activité du service public de la justice doit être régis par des principes fondamentaux comparables à ceux exigés pour la gestion de toute autre administration.

Outre le principe de la continuité du service public de la justice, d'autres principes non moins important doivent régir l'activité judiciaire : l'égalité devant la justice (section 1),les garanties statuaires et juridiques de l'indépendance (section 2) et la révision permanente des textes (section 3)

Section 1 : L'égalité devant la justice

En tant qu'elle constitue un monopole de l'Etat, la justice est un service public, peut être le plus éminent de tous, qui est géré par un ministère qu'on appelle communément la chancellerie. Comme tout service public, la justice est gouvernée par le principe d'égalité, ce qui signifie que toute personne a vocation à être jugée par les mêmes juridictions selon les mêmes règles, sans la moindre discrimination. Autrement dit, les justiciables se trouvant dans la même situation doivent être jugés par les tribunaux selon les mêmes règles de procédure et de fond. Ainsi il ne doit pas y avoir une justice de classe, l'une pour les pauvres, et l'autre pour les riches. De même la justice ne doit pas distinguer les justiciables selon leur nationalité. Ce principe qui semble naturel à notre époque, n'est pas expressément affirmé par les textes (paragraphe 1), mais c'est un des principes fondamentaux de l'efficience de la justice malgré l'existence de limites certaines (paragraphe 2)

Paragraphe 1 : L'affirmation du principe de l'égalité devant la justice

Le principe de l'égalité de devant la justice signifie que « toute personne a une égale vocation à être jugé par les même juridiction et selon les même règles de procédure,sans la moindre discrimination »33(*). Il implique que chacun puisse avoir la possibilité de saisir la justice pour faire valoir ses droits34(*), il tire son origine (A) directement du principe selon lequel la justice est le monopole de l'Etat. La justice est un service public et, en tant que telle, son accès est libre et ne doit pas supposer, en tout cas , ni privilèges, ni discrimination. Ce qui signifie la réception du droit mauritanien (B)

A. L'origine du principe :

Le principe de l'égalité devant la justice, qui paraît naturel, se comprend mieux par référence à la situation qui existait dans l'ancien droit français. Sous l'ancien régime, il existait en effet des privilèges de juridictions : selon la classe sociale à laquelle le plaideur appartenait (clergé, noblesse), il était jugé par des juridictions différentes. C'est cette discrimination que le législateur révolutionnaire a entendu abolir en décidant, dans l'article 16 du titre II de la loi des 6 et 24 août 1790, que ? tout privilège en matière de juridiction est aboli ;tout les citoyen sans distinction,plaideront en la même forme et devant les même juges,dans les même cas?. Il y a quelques années, à l'occasion d'un litige opposant le Sunday Times au Royaume-Uni, la cour européenne des droits de l'homme de Strasbourg a précisé que « compte tenu de la place centrale occupée par l'article 6 de la convention (par le droit au procès équitable) qui consacre la place fondamentale de la prééminence du droit... l'expression autorités ou pouvoir judiciaire? (art 10 al.2) reflète notamment l'idée que les tribunaux constituent les organes appropriés pour apprécier les droits et obligations juridiques pour statuer sur les différents . Reconnaître ainsi la légitimité pour tout justiciable de voir ses différents portés devant les tribunaux d'un Etat, c'est admettre l'idée que tout les justiciables ont un droit égal à être jugés, naturellement par des juridictions puisqu'elles sont les mêmes pour tous.

On connaît la valeur quasi-mythique de l'idée d'égalité chez les français35(*) , mais aussi en droit positif. Acquis de la période révolutionnaire, composante de la devise française, ce principe est maintes fois évoqué par le conseil constitutionnel dans des domaines très divers et for éloignés de la procédure. Ce principe n'a pas encore été dégagé par la procédure civile, mais il est exprimé en termes si larges pour d'autres contentieux qu'on voit mal comment il pourrait être exclu du soubassement constitutionnel de la procédure civile. On le trouve exprimé pour la première fois dans une décision du 17 décembre 1973 du conseil constitutionnel36(*). En effet, ce dernier , pour ne pas priver le contribuables du droit d'agir en justice contre des mesures fiscales, alors que les autres contribuables auraient disposé de cette faculté, a affirmé que le principe de l'égalité devant la justice conférait les mêmes droits à tous les contribuables. Surtout, on le retrouve dans la décision du 25 juillet 1975 « le principe d'égalité devant la justice est inclus dans le principe d'égalité devant la loi proclamé par la déclaration des droits de l'homme »37(*), par application de ce principe, le président du tribunal de grande instance ne pouvait se voir reconnaître le pouvoir de renvoyer le jugement de certains délits soit à un juge unique, soit à une juridiction collégiale, car « le principe d'égalité fait obstacle à ce que les citoyens se trouvaient dans les conditions semblables et poursuivis par les mêmes infractions soient jugés par des juridictions composées selon des règles différentes ». Ce principe fut réaffirmé lors de l'examen de la loi ? sécurités et liberté? pour en censurer deux articles, qui , par les possibilités qu'ils offraient à la partie civile, faisant que les prévenus dépendaient du choix de celle-ci qui, pour bénéficier ou non du double degré de juridictions sur leurs intérêts civils. Il n'est pas étonnant que le principe d'égalité soit très présent dans la théorie de la juridiction, même s'il n'éclipse pas totalement le principe de liberté. Tous les justiciables se trouvant dans la même situation doivent donc être jugé par les mêmes tribunaux, et selon les mêmes règles de procédure et de fond. Ce principe, qui semble aujourd'hui aller de soi, n'existait pas sous la monarchie ou au clergé. Ces discriminations ont été supprimées par la loi des 16 et 24 août 1790. L'égalité ne bénéficie pas d'ailleurs pas aux seuls ressortissants français. C'est une règle d'application territoriale s'étendant à tous les justiciables plaidant, en demande ou en défense, devant toutes les juridictions .

Le principe d'égalité devant la justice repose sur des fondements internationaux et nationaux.

Sur le plan universel, l'égalité devant la justice est fondée par des textes internationaux et régionaux38(*). Au niveau international, la déclaration universelle des droits de l'homme du 10 décembre 1948 dispose dans son article 1er que : « ...tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droit... », L'article 7 de la même déclaration indique « ... tous sont égaux devant la loi et ont droit, sans distinction, à une égale protection de la loi ... ». Le pacte international relatif aux droits civils et politiques du 16 décembre 1966 dispose dans son article 26 que « toutes les personnes bénéficient d'une totale égalité devant la loi... ,à cet égard, la loi doit interdire toute discrimination et garantir à toutes les personnes une protection égale, efficace et effective contre toute discrimination de race ou de situation sociale... »

Sur le plan régional, la charte africaine des droits de l'homme et des peuples, adopté le 28 juin 1981 à Nairobi par la conférence des chefs d'Etats et de gouvernements des pays membre de l'OUA, dispose que « toutes les personnes ont le droit à une protection de la loi... ». La convention européenne des droits de l'homme dispose, dans son article 14 que : «  la jouissance des droits et libertés reconnus dans la convention doit être assurée sans distinction aucune... » ; L'article 6-1 admet que tous les justiciables ont un droit égal à être jugés naturellement par les mêmes juridictions dans les mêmes formes39(*). L'article 21 de la convention américaine des droits de l'homme affirme que « toutes les personnes sont égales devant la loi. Par conséquent toutes ont droit à une protection égale de la loi , sans discrimination d'aucune sorte... » Ces trois textes proclament certes, le droit à l'égalité dans des termes presque similaires, mais il est à signaler que l'égalité juridique devant la loi n'a pas la m^me signification dans les traditions constitutionnelles des Etats. C'est pour cela qu'on distingue en doctrine40(*), à propos de celle-ci, entre l'égalité juridique formelle et l'égalité juridique substantielle. La première « n'exclut les mesures intrinsèques contraires aussi bien dans le domaine législatif que dans le domaine administratif ». La seconde exige, qu'en ce qui concerne les droits et les obligations, les normes soient 41(*)appliquées à tous. Outre une consécration internationale, le principe de l'égalité devant la justice aussi dans le droit interne .Au niveau de ce droit sur un plan purement théorique,l'égalité devant la justice est expressément qualifiée de droit fondamental dans le préambule de la constitution du 20 juillet 1991, qui prévoit que «  tout mauritanien et toute personne vivant sur le territoire mauritanien, bénéficient d'une égale protection de la loi » . Ce principe, qui apparaît contradictoire avec toute sorte de système de droit inégalitaire, signifie, s'il est appliqué à la lettre que la loi générale doit être appliquée de manière identique à tous. Une affirmation, parait inspirer du droit comparé où l'affirmation du principe d'égalité devant la loi de l'article 1er de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 trouve son aboutissement dans le principe d'égalité devant la justice, car si la justice n'es pas la même pour tous, la loi ne le sera pas42(*). La doctrine dans ces cas admet que le principe trouve son fondement dans la loi des 16-24 août 1790 qui dispose que «  tout privilège en matière de juridiction est aboli,tout les citoyens, sans distinction, plaideront en la même forme et devant les mêmes juges dans les mêmes cas ». En droit musulman, un tel principe est affirmé par le fait que le juge « ... doit traiter sur un pied d'égalité ceux qui comparaissent à son tribunal et devant sa conscience, de sorte que le puissant ne puisse compter sur sa partialité et le faible désespérer sa justice... »43(*). Cette convergence, entre le droit positif et le droit musulman semble faciliter, dans une large mesure, la réception de ce principe par le droit mauritanien.

B. La réception du principe par le droit mauritanien

Les obstacles paralysant l'égalité du droit des citoyens à recourir aux juges sont le fait des pouvoirs publics en Mauritanie où le système politique se caractérise par la centralisation (1),la pression sur la justice (2) et l'ineffectivité institutionnelle (3)

1. La centralisation

Le système politique mauritanien est « developpementaliste » et centralisé. Il est construit sur une idée maîtresse, qui implique que l'unité et la construction nationales imposent un pouvoir fort et autoritaire qui prend souvent l'allure d'un exécutif n'admettant aucun partage de pouvoirs et ce malgré la clarté des dispositions constitutionnelles à cet égard. Il en résulte pour le justiciable la crainte de représailles qui le conduit à s'abstenir de traîner les autorités administratives devant les tribunaux et à rechercher des voies négociées de règlement des conflits faussant ainsi le jeu du principe de l'égalité devant la justice. La crainte de représailles procède de l'opinion, très répandue généralement dans les pays en voie de développement et particulièrement en Mauritanie, selon laquelle attraire l'administration devant les tribunaux relève de la témérité, voire de l'inconscience, l'entreprise étant très risquée. Le ministre centrafricain de la justice, en 1969, s'en faisait ainsi l'écho : « On ne peut dire qu'en République centrafricaine, l'égalité devant la justice soit encore véritablement entrée dans les moeurs. Quereller l'Administration devant un juge paraît encore une entreprise téméraire voire incivique »44(*). Mais la crainte de représailles s'exprime surtout à l'égard des recours portés devant la cour suprême contre les actes des autorités administratives tout particulièrement ceux du chef de l'Etat. Le mauritanien croit, en effet, qu'attaquer une décision présidentielle c'est attaquer le Président de la République et au-delà de cette haute autorité politique et administrative, sa personne. C'est sans doute cette peur qui explique la rareté de tels recours en Mauritanie. Le mauritanien recherche, en effet, presque toujours une voie négociée de règlements des conflits45(*). En pareille occurrence, il peut gravir tous les échelons administratifs, du Hakem au Président de la République en passant par le ministre à la quête d'une solution négociée de son problème. Mais, le plus souvent il préfère avoir affaire à Dieu qu'à ses saints, en saisissant directement le chef de l'Etat par l'intermédiaire de sa tribut,ou sa collectivité, pour solliciter de lui qu'il entende sa cause en se fondant sur la justice et l'équité et non sur le rigueur des textes. Le recours systématique à l'arbitrage du chef de l'Etat se trouve justifié par sa double qualité de chef suprême de l'Administration et de président du Conseil Supérieur de la Magistrature. C'est dans ce contexte qu'il convient d'inscrire le ? dialogue à la mauritanienne?, largement presque pratiqué dans tout les pays africains, notamment le Togo,le Mali, le Congo, le Burkina Faso, le Bénin et la Cote d'ivoir, celui-ci est institutionnalisé dans le recours administratif préalable au recours juridictionnel de l'annulation que la plupart des législations alors qu'il dispose déjà d'une décision attaquable. Le législateur mauritanien veut ainsi voir épuiser les moyens de dialogue. Cette intention nous paraît judicieuse, car on ne comprendrait pas autrement le caractère contraignant de la décision préalable qui, du reste, revêt le caractère d'un moyen d'ordre public susceptible d'être soulevé d'office par le juge. L'opinion du législateur mauritanien ressemble à la procédure utilisée par les justiciables congolais, et rapportée par J.M Breton. En effet, bien que le droit de ces derniers ait opté pour une solution différente qui ne fait pas du recours préalable une formalité obligatoire devant le juge de l'excès de pouvoir, ils sont, pour la plupart46(*)naturellement plus enclins, en toutes circonstances, à saisir dans un premier temps l'administration, et à rechercher le règlement de leurs litiges avec elle, par le biais d'un recours comme préalable de conciliation, en raison probablement d'une égalité devant la justice plus limitée. L'égalité devant la justice est encore plus affectée par la pression sur la justice.

2. Une justice sous pression

La justice semble perdre toute crédibilité aux yeux des populations mauritaniennes du fait de sa partialité et de sa vulnérabilité. Elle est soumise aux pressions de toutes sortes, tout particulièrement celles des autres administrations, de la politique et de l'argent.

a) Les rapports de la justice avec les autres administrations :De nombreux conflits opposent les walis aux magistrats et plus particulièrement aux magistrats du parquet. Ces conflits naissent à l'occasion de l'exercice de leurs fonctions soit par suite d'une méconnaissance des textes qui déterminent leurs prérogatives, soit par une interprétation abusive de ceux-ci. Très souvent pour se justifier, ils évoquent les règles juridiques qui déterminent et précisent leurs compétences. Cette situation ne peut qu'affaiblir les organes de l'Etat. Il y a des principes constants qui consacre l'indépendance de la justice et la répartition des fonction de l'Etat qui découle de la constitution du 20 juillet 1991. Une bonne compréhension de ces principes permettra sûrement d'éviter les incidents nuisibles au bon fonctionnement de l'Administration.

L'application de ces principes qui ont une valeur constitutionnelle, ne doit pas conduire à l'isolement de chaque pouvoir à tel point que l'harmonie des institutions, dont la mission commune consiste à réguler l'autorité de l'Etat. En effet, les attributions des walis sont fixées par décret n°80.166 du 18 juillet 1980. L'article 1er de ce décret dispose : «  le wali, en sa qualité de représentant du pouvoir central, est dans la wilaya, le délégué du gouvernement et à ce titre le dépositaire de l'autorité de l'état. Il représenté chacun des deux ministres... » le cadre dans lequel il exerce sa mission, est précisé par les articles 3 à 8 du décret de la ligne sus- référencé .Ce texte ne concerne pas la fonction judiciaire. Il est opposable au juge tant qu il ne viole pas les dispositions législatives réglementant la magistrature de la justice. Quant aux procureurs de la république leurs prérogatives sont déterminées par les codes de procédures. Quand ils agissent des qualités, les pouvoirs hiérarchiques qui peuvent, à l'exclusion de tout autre, s'exercer sur eux sont, dans l'ordre croissant, ceux du Procureur Général près la Cour d'appel, du Procureur Général près la Cour suprême et du Ministre de la Justice, et cela, dans un cadre également défini par les codes de procédure. Les prérogatives du Ministre de la Justice, dans ce domaine, ne peuvent être déléguées à un représentant de l'autorité administrative. Il exerce son pouvoir par des injonctions aux magistrats du parquet dans un ordre décroissant. C'est le procureur de la République qui, eu vertu des textes, dirige l'action de la police judiciaire et en est le chef. A cet effet, il a, incontestablement, des pouvoirs qu'il exerce sur tous les officiers de police judiciaire et même sur ceux qui ne le sont qu'occasionnellement.

Cependant dans la pratique, les membres de la police judiciaire collaborent laborieusement avec le parquet et s'évertuent à communiquer les éléments de preuve à leurs supérieurs qui n'ont pas le droit d'en prendre connaissance en vertu du secret de l'instruction et de l'enquête. Quant aux magistrats du siège, ils sont totalement indépendants dans leurs fonctions juridictionnelles même vis-à-vis du Ministre de la Justice. Sans pouvoir exercer à l'égard des procureurs de la République les prérogatives attribuées au Ministre de la Justice par le code de procédure pénale, il n'en demeure pas moins que les walis peuvent, pour des raisons d'ordre public, être intéressés par certains faits susceptibles de faire l'objet de poursuites pénales. S'il en est ainsi, il est souhaitable que le wali et le procureur de la République se consultent pour prendre les mesures nécessaires au maintien de l'ordre public même en cas de poursuite. Lorsqu'il n'y a aucune infraction à la loi pénale et que l'activité d'une personne est jugée dangereuse pour la sécurité publique, le wali ne peut demander au procureur de la République d'exercer des poursuites pénales. Il doit alors prendre ses responsabilités et appliquer les mesures administratives prévues en la matière.

Les contacts fréquents, loin de porter atteint à leurs prérogatives, peuvent non seulement resserrer les liens entre les autorités, mais leur permettre également de mieux comprendre le fonctionnement des institutions qu'elles représentent. Les procureurs de la République doivent impérativement se soumettre aux prérogatives des walis ainsi qu'elles sont fixées par le décret n° 80.166 du 18 juillet 1980 tant qu'elles ne sont pas contraires aux textes législatifs qui précisent les leurs. Les walis sont des auxiliaires de justice ainsi qu'il résulte du code de procédure pénale (CPP) et du décret fixant leurs attributions et, partant, ceux du Procureur de la République. Les walis doivent rendre compte au Ministère de la Justice de toutes les irrégularités qu'ils constateront dans le fonctionnement administratif des juridictions. Ils ne doivent pas donner des demandes d'explication aux magistrats ou prendre à leur encontre des décisions leur infligeant des sanctions ni les troubler dans l'exercice de leurs fonctions juridictionnelles, mais rendre toujours compte de leurs agissements. Le processus de déclenchement de l'action disciplinaire contre les magistrats est plus compliqué que celui de la Fonction Publique. La loi n° 94.017 du 12 février 1994 détermine les conditions de poursuite disciplinaires contre les magistrats. Les autorités administratives n'exercent que très occasionnellement les fonctions d'officier de police judiciaire. Elles doivent impérativement, quand elles agissent en qualité, se soumettre aux prescriptions de la loi. Les magistrats du parquet et les walis doivent appréhender la limite de la police administrative et de la police judiciaire. La police administrative, qui joue un rôle préventif (ordre, sécurité, salubrité et tranquillité publique), relève des autorités administratives. La police judiciaire n'intervient que lorsque l'infraction est consommée, la délimitation est aisée et ne doit pas faire obstacle à la bonne et saine collaboration faite dans un but d'intérêt général.

Le wali est responsable du patrimoine de l'Etat. Il a, en conséquence, un droit de regard sur le matériel de la Justice (véhicules, matériel, bâtiments...). Il est, par ailleurs, ordonnateur du budget. Le décret n° 80.166 du 18 juillet 1980 s'applique, dans ses dispositions, au personnel non magistrat des juridictions. Les magistrats décident souverainement de leur transport judiciaire suivant ordonnance ou réquisition de transport qui doit indiquer obligatoirement les moyens de transport (s'il s'agit du véhicule de service) et les noms des agents qui les accompagnent. Copie de cette ordonnance est adressée au wali pour information. Magistrat et wali ont chacun un attribut de l'Etat qui ne doit s'exercer que dans un but d'intérêt général. Le désir de paraître et la démonstration de force de chacun d'eux ne sont pas dans l'intérêt de l'Etat. En effet dès que chacun d'eux tire sur la ficelle de la hiérarchie, il y a risque de rupture dans leurs relations dont, en définitive, les seules victimes sont les institutions qu'ils représentent et les citoyens dont ils ont la charge. La cohabitation entre la Justice et l'administration doit être empreinte d'un climat de compréhension réciproque mais toujours dans le respect des lois et règlements. Aucun sentiment de dépendance ou de frustration ne doit les opposer. Chaque fois qu'il y a un litige, les walis et les magistrats doivent consulter les lois et règlements qui déterminent leurs compétences et régler leurs problèmes sans passion pour ne pas donner à la population une mauvaise image des institutions de la République que la politisation peut accentuer.

b. La politisation de la justice : Dans le fonctionnement de la justice, le pouvoir politique peut se donner les moyens de traiter d'une certaine manière les affaires délicates de façon à contrôler le déroulement, voire l'issue du procès47(*). C'est pourquoi, on admet que « la justice n'est jamais juste quand elle juge la politique » 48(*). La politisation de la justice49(*) procède de la confusion totale des pouvoirs en Mauritanie. En effet, en dépit de la constitutionnalisation de l'indépendance du pouvoir judiciaire, la justice est étroitement dépendante, en pratique, du pouvoir exécutif détenu par le Président de la République dans les pays en voie de développement. J.P. Passeron notait, en 1966 en ce sens : «En définitive, la justice en Afrique noire, reste et restera marquée par le même régime d'unité de pouvoir, qui confie le rôle essentiel au Chef de l'Etat, érigé en véritable guide de la Nation, animant un parti unique ou demeurant majoritaire à l'Assemblée nationale et pouvant éliminer, sans rencontrer d'obstacles, toute opposition susceptible de nuire à la cohésion nationale et au développement du pays» 50(*). Cette remarque demeure d'actualité en Mauritanie, malgré la démocratisation. En effet, un tel pouvoir concentré, qui appartient au "chef", ne peut que s'aliéner le pouvoir législatif et surtout le pouvoir judiciaire qui sera amené à condamner sans preuves des citoyens, particulièrement les opposants au régime et, en cas de résistance du juge, le sanctionner lorsqu'il n'annule pas purement et simplement sa décision.

Par ailleurs, pour éviter tout risque d'autonomie de la justice51(*), les Pouvoirs Publics ont, dès l'indépendance, institué des juridictions d'exception. L'expérience de la Mauritanie en la matière est très riche : en 1961 la cour criminelle spéciale52(*), en 1962 les juridictions militaires53(*), en 1964 la cour de sûreté de l'Etat54(*), en 1978 la Cour spéciale de justice55(*). La règle de soumission du juge à la loi est soulignée ici avec plus d'intensité, même si les droits de la défense peuvent être bafoués ; il s'agit pourtant de la légalité en vigueur fut-elle une légalité d'exception. L'expérience mauritanienne dépend de plusieurs facteur liés à la conjoncture politique : large définition des infractions, interprétation extensible des chefs d'accusation, pouvoirs importants confiés à l'accusation pour conduire le procès, réduction des droits de la défense, procédure sommaire et rapide. Echappant au droit commun56(*), la justice politique est, sans doute, celle qui alimente le plus la méfiance du citoyen, d'autant plus qu'il ne la différencie pas de la justice ordinaire. Cela ne peut que renvoyer une mauvaise image de la justice en général et donc du pouvoir politique lui-même. Toutes ces juridictions ont un caractère commun, c'est d'être née pour les mêmes besoins politiques. De fait, leur objet se réduit à réprimer durement les contestations du régime politique, car sous l'empire du parti unique, et du temps des militaires, aucune opposition n'était tolérée. Les chefs d'inculpation sont très graves : infractions contre la sûreté de l'Etat, trahison et espionnage, etc. Avec la constitution d'inspiration démocratique de 1991, toutes ces juridictions ont été supprimées, l'opposition politique ne constituant plus, en théorie, un délit. En somme, la conception dominante et exclusive de la justice en Mauritanie est essentiellement d'en faire un agent du pouvoir, au besoin par la pression de l'argent.

c. La pression de l'argent : La pression de l'argent n'est pas moins forte et revêt une portée beaucoup plus générale, affectant l'égalité devant la justice ordinaire par opposition à la justice politique, encore que la distinction entre les deux ne soit pas bien nette. Elle s'inscrit dans le contexte global de la corruption généralisée qui gangrène l'Administration mauritanienne. "La politique du ventre" stigmatisée par Marc Debene57(*), est aussi une attitude judiciaire en Mauritanie. Le souci d'améliorer leurs conditions matérielles conduit les magistrats à être plus attentifs aux arguments des plaideurs les plus nantis. Les auxiliaires de justice, et plus particulièrement, les avocats, ne sont pas en reste. Plutôt que de se donner la peine de plaider le droit d'une partie, ceux-ci préfèrent transiger sur le procès en faisant croire à leur client que c'est la seule solution possible58(*).Une telle justice est loin d'être égale pour tous, établissant une discrimination à l'avantage des plus fortunés et au préjudice des moins nantis qui représentent la plus grande partie de la population mauritanienne aux revenus dérisoires, voire inexistants. Ainsi donc la célèbre phrase de Pascal aura survécu au temps: « Selon que vous serez puissant ou misérable, les jugements de la cour, rendront blanc ou noir ». L'on comprend dès lors la crainte légitime et la réserve des "misérables" mauritaniens à s'engager dans une aventure dont l'issue est incertaine, le procès étant perdu d'avance.

Par ailleurs, le développement de la Mauritanie s'est traduit par un important flux des marchés de gré à gré comportant d'importantes transactions financières. De célèbres affaires de détournements de deniers publics et de corruption en sont résultées et la lutte contre les malversations de différentes natures a fait clairement apparaître les limites du pouvoir de la justice, malgré l'arsenal législatif et juridictionnel dont elle dispose. La Cour suprême avait, entre 1961 et 1987, pour mission l'assistance des pouvoirs publics dans le contrôle de l'exécution des lois de finance. Elle juge les comptes des comptables publics, contrôle la gestion financière et comptable des entreprises nationales, des établissements publics et des sociétés mixtes à caractère industriel et commercial. Statuant en matière de comptabilité publique, elle était chargée aussi du contrôle administratif des comptes financiers des administrations publiques. Elle établissait annuellement un rapport dans lequel elle signalait les irrégularités et proposait éventuellement des réformes et améliorations. Ce rôle a été dévolu au Secrétariat d'Etat chargé du contrôle d'Etat en 1987, puis à une toute nouvelle institution prévue par l'article 68 de la constitution qu'est la cour des comptes instituée en 199359(*). Dans la pratique, ces institutions n'ont jamais fonctionné de façon satisfaisante. Elles se heurtaient, souvent à des obstacles sociaux qui les empêchent d'accomplir leur mission60(*). En dépit des déclarations et des intentions des gouvernants, la justice économique n'a pas lutté réellement contre la corruption et le détournement des deniers publics. Ceci s'explique par le fait que son fonctionnement effectif risque de menacer la stabilité des régimes. L'astuce fut récemment d'introduire des affaires en justice 61(*) pour démontrer la volonté affichée tout en préservant parallèlement les procédés habituels de laisser s'éterniser le procès sous divers prétextes : instruction nouvelle, incompétence des juridictions, instruction terminée mais non suivie de procès, problèmes de preuves, etc. Ce qui n'a pas manqué de susciter la défiance des justiciables à l'égard d'une justice monnayable, donc dévoyée et ineffective.

3. L'ineffectivité institutionnelle :

L'égalité devant la justice est compliquée par l'ineffectivité institutionnelle qui a caractérisé les différents régimes politiques mauritaniens. Les régimes militaires en sont la meilleure illustration. Les coups d'Etats militaires ont, en effet, pour conséquence d'abroger ou de suspendre les textes de loi dont la constitution. Il s'en est suivi un vide juridique et institutionnel qui a amoindri les garanties d'une égalité devant la justice offertes aux citoyens pour exercer leurs droits élémentaires et libertés fondamentales. Ce fut notamment le cas de 1978 à 1991. L'ineffectivité a d'autant plus sévi que la Mauritanie a connu en trente deux ans, c'est-à-dire de 1960 à 1992, cinq coups d'Etat et trois tentatives de renversement de pouvoir, soit, en fait, un changement de régime tous les quatre ans. La Cour suprême de Mauritanie, plus particulièrement la chambre constitutionnelle a connu une paralysie fonctionnelle de 1978 à 1991 qui s'est répercutée négativement sur le fonctionnement de la justice. L'ineffectivité institutionnelle n'est pas le propre des régimes militaires, elle a caractérisé aussi le premier régime civil mauritanien dirigé par Maître Moctar Ould Daddah qui a été porté au pouvoir au lendemain de l'indépendance du pays le 28 novembre 1960 et qui a emprunté des institutions modernes à l'Occident pour les reléguer aux musées des institutions juridiques. Il n'est que de rappeler ici que la démocratie, le multipartisme et les droits de l'homme, quoique consacrés par les différentes constitutions qui se sont succédées depuis 1959, n'ont pu avoir un début d'application qu'en 1992, soit trente trois ans après, et ce, à la faveur du mouvement de démocratisation.

L'explication que l'on donne communément pour justifier le décalage entre le droit et la pratique se résume dans le fait que le droit moderne est investi d'une double mission d'unité nationale et de développement économique. Le défunt président ivoirien Félix Houphouët Boigny, se faisant le porte-parole des Etats africains, déclarait le 13 août 1967 à Montréal  «Dans nos pays, la tâche la plus importante des gouvernants est d'introduire les structures, de promulguer les textes, de créer les organes qui encadrent l'évolution de la société ». Répliquant ainsi à l'objection de décalage qui s'établissait entre le droit et la réalité sociale, le chef de l'Etat ivoirien soutient que «l'écart entre la réalité d'aujourd'hui et les actes du législateur indique la direction dans laquelle doit s'engager l'effort de tous »62(*). La thèse "du droit du développement" qui attribue au droit occidental des vertus de développement économique et de progrès social n'est-elle pas un mythe? Un droit, quelle que soit sa perfection technique formelle, doit être en relation avec la société et l'exprimer et non être un idéal incompréhensible pour ceux qu'il doit régir et qui sont censés ne pas l'ignorer 63(*) afin de ne pas constituer un obstacle intellectuel à l'égalité des justiciables devant la justice.

B. Limites tenant à la situation intellectuelle des plaideurs

En Mauritanie, à l'instar des pays en voie de développement, l'effectivité du principe de l'égalité devant la justice est rendue difficile à cause de certaines limites liées à la situation intellectuelle des justiciables qu'un fossé sépare de leurs juges et parfois même de leurs avocats. En effet, le justiciable ne comprend pas le fonctionnement de la justice (1) et se singularise par la méconnaissance du droit extranéen en vigueur dans de larges pans de l'activité économique du pays (2).

1. Le justiciable ne comprend pas le fonctionnement de la justice

Le principe d'égalité devant la justice implique que les plaideurs ne soient pas gênés dans l'introduction de leurs demandes en justice. Mais ce principe théorique s'avère difficile à mettre en exécution. En effet, comprendre les rouages des juridictions est une épreuve pour le commun des justiciables mauritaniens, et cela est, d'ailleurs, source de nombreuses incompréhensions entre le plaideur et les autres acteurs de la justice les magistrats et les avocats notamment. Certes, on ne peut pas donner des cours au justiciable chaque fois qu'il introduit une requête ou est attrait devant les tribunaux par un adversaire. Mais, l'idée avancée parfois de placer dans les juridictions une personne avertie, qui pourrait, au besoin, orienter les justiciables et les informer du processus ou du stade de traitement de leurs dossiers ne peut qu'être cautionnée64(*), car elle contribuerait à égaliser les chances des justiciables qui se trouveraient, au départ, nantis des mêmes informations qui leur permettront d'accéder de façon égalitaire aux juridictions. Au surplus, elle répondrait parfaitement aux préoccupations relatives à l'accueil des justiciables dans les juridictions et services qui collaborent avec elles et qui restent, par appréhension, hermétiquement clos devant une importante frange des justiciables peu accoutumés aux procédures judiciaires. En effet, c'est avec beaucoup de réticence et de crainte que le commun des justiciables mauritaniens, même lorsqu'il n'a rien à se reprocher, met pied dans les locaux de la gendarmerie ou de la police, première étape en général du procès, spécialement en matière pénale. Les anciennes méthodes et la conception que de nombreux hommes en tenue ont de leurs prérogatives sont encore assez dissuasives. Le cadre judiciaire lui-même, par ignorance, n'est pas toujours abordé sans appréhension. Et bien que cet aspect psychologique soit généralement connu, on a pensé à organiser l'accueil des justiciables dans les juridictions qu'à la fin des années 1990 avec la création des bureaux d'accueil du public. En effet, afin d'améliorer l'accueil du justiciable dans les juridictions et faciliter ses premiers contacts avec l'institution judiciaire, le Ministère de la Justice a décidé de développer une politique globale et cohérente de rapprochement de la justice des justiciables. Pour ce faire des bureaux d'accueil sont crées en 1999 pour informer les justiciables. Ils reçoivent des missions bien déterminées, leur emplacement est dicté par des commodités d'efficacité, qui commande également leur fonctionnement.

Les bureaux d'accueil reçoivent des missions d'accueil et d'information des usagers du service public de la justice qui sont priés de les consulter pour faciliter le fonctionnement de la justice. Les bureaux d'accueil accomplissent les missions d'accueil à travers lesquelles ils doivent recevoir et guider les justiciables; fournir aux usagers les renseignements dont ils ont besoin ; diriger les citoyens vers les services compétents ; organiser l'accès des citoyens aux juridictions et à la Chancellerie afin d'éviter les rassemblements de foules nuisibles au fonctionnement de l'institution judiciaire ; faciliter la célérité administrative dans le traitement des dossiers au niveau de la Chancellerie et organiser la réception des dossiers.

Pour faciliter l'information permanente des usagers du service public de la Justice, les bureaux d'accueil ont pour missions de publier sur des affiches et panneaux, prévus à cet effet au Ministère de la Justice au Palais de Justice de Nouakchott et dans toutes les juridictions, les informations que les justiciables doivent connaître; fournir à toute personne des informations supplémentaires qu'elle demandera ; distribuer une série de guides sur la justice à l'usage des justiciables ; vulgariser les programmes de sensibilisation et d'orientation des justiciables établis par la Chancellerie sous forme de brochure ; recourir aux techniques de télédiffusion et de radiodiffusion pour informer plus amplement les justiciables sur le fonctionnement de la justice ; initier et poursuivre des actions d'information et de sensibilisation en direction des journalistes chargés de ces questions. Par ailleurs, soucieux de faciliter le succès de la mission de ces institutions, le Ministère de la Justice a recommandé aux usagers du service public de la justice de s'adresser d'abord à ces bureaux pour qu'ils soient édifiés sur les mesures à prendre quant à leurs actions en justice pour ce faire, il leur a facilité leur emplacement. En effet, en attendant d'être généralisés sur l'ensemble des juridictions nationales, trois bureaux d'accueil sont créés au niveau du Palais de Justice de Nouakchott et deux autres dans les locaux du Ministère de la Justice et qui fonctionnement déjà.

Les bureaux d'accueils sont dirigés par un greffier en chef assisté de plusieurs fonctionnaires du Ministère de la Justice et un service de sécurité opérationnel. Les fonctionnaires chargés de l'accueil se relaient afin que les bureaux d'accueil soient ouverts sans interruption de 8 à 16 heures, ce qui permet au justiciable d'y avoir accés facilement. Les fonctionnaires des bureaux d'accueil sont en relation permanente avec tous les autres départements de la Justice et sont donc informés de l'évolution de la législation et assurent une liaison avec les services des juridictions ainsi que les autres administrations. Les bureaux d'accueil assurent également la police administrative du palais de justice de Nouakchott et du Ministère de la Justice, sous la supervision des autorités compétentes, en jouant le rôle de bureau d'ordre et en régulant la fluidité de la circulation des usagers dans lesdites institutions. Le personnel des bureaux d'accueil est qualifié et a subi des formations spéciales lui permettant d'assurer adéquatement les missions exigées de lui. Le personnel est équipé en matériel suffisant et adapté à son travail. Ces bureaux d'accueil contribueront, sans doute, a atténuer la peur que suscite l'institutions judiciaire. En effet, la justice, comme ses juges, continue à paraître aux yeux des justiciables comme un monde terrifiant tout sauf un service ouvert normalement aux usagers. On n'y met pas pied avec autant d'assurance que lorsqu'on se rend au service de la santé ou de la poste.

Le principe d'égalité devant les juridictions est également malaisé pour le justiciable qui est confronté à un langage judiciaire souvent incompréhensible pour lui. En effet, un paradoxe doit être souligné ici: alors que le taux d'alphabétisation est relativement faible en Mauritanie, les débats dans les salles d'audiences ont généralement lieu dans un arabe littéraire difficilement accessible pour tous. Cela est déjà un obstacle à l'égalité devant la justice. Mais un obstacle, il faut le reconnaître, qui a le mérite de la neutralité dans le contexte de la Mauritanie qui compte quatre langues nationales 65(*) qui ne sont pas toutes à la portée du magistrat. De surcroît, il faut ménager les susceptibilités et craintes du justiciable lorsque le magistrat s'exprime dans la seule langue maternelle de l'une des parties. Ce n'est donc pas sur ce point que doit porter l'essentiel de la critique que l'on peut adresser au fonctionnement du service public de la justice relativement à l'égalité devant les juridictions dans la mesure où l'inconvénient relevé est généralement corrigé par les interprètes. Lorsque nous mettons en cause le langage judiciaire en tant que vecteur d'inégalité devant les juridictions, nous pensons à cet ésotérisme qui caractérise les décisions de justice. Autant lorsque l'autorité coutumière tranche un litige, tous participent à la décision et comprennent la portée exacte des motifs et dispositifs, autant devant les juridictions la compréhension de la décision motivée et décidée n'est pas toujours évidente pour le commun des citoyens. A la lumière du style judiciaire, on peut opportunément se poser la question de savoir à qui le juge destine-t-il la décision rendue ? L'interrogation est d'autant plus légitime que la méconnaissance du droit extranéen, contenu dans les décisions judiciaires, n'est pas d'appréhension aisée pour les justiciables qui y voient une autre source d'inégalité devant la justice.

2. La méconnaissance du droit extranéen

La méconnaissance du droit extranéen, c'est-à-dire du droit français, transplanté en Mauritanie, constitue en fait une double limite du principe de l'égalité devant la justice: son ignorance par le mauritanien et le refus de celui-ci d'y recourir, tout particulièrement de saisir les juridictions d'Etat rendent vaine toute idée d'égalité devant la justice.

a. L'ignorance du droit :

L'une des limites majeure de l'égalité devant la justice en Mauritanie est constituée par l'ignorance du droit français en général hérité de la colonisation française, et encore applicable dans le pays, faute d'abrogation et de leurs droits issus de cette législation, en particulier, par les citoyens qui sont pourtant censés ne pas les ignorer, en vertu de l'adage nemo legem ignorare censetur66(*). On peut se faire une idée approximative des difficultés de l'ignorance du droit extranéen si l'on ne perd pas de vue que la Mauritanie compte encore plus de 70% d'analphabètes ou de personnes non scolarisées en langue française67(*). L'analphabétisme constitue, pour cette masse de justiciables, un handicap si sérieux qu'on est en droit de se demander si la présomption de connaissance de la loi, qui est une condition de son opposabilité, leur est applicable et si l'on ne devrait pas, au contraire, la renverser pour eux en posant : «nul n'est censé connaître la loi». Mais faute de pousser la logique à son terme, le législateur mauritanien ne pourrait-il pas la retenir à mi-chemin en reconnaissant aux analphabètes en langue française un statut particulier d'incapacité juridique68(*). Les autres citoyens, c'est-à-dire les 30% restants, ne sont pas, pour la plupart, attirés par le droit qu'ils considèrent comme une matière rébarbative et complexe dont la compréhension n'est réservée qu'aux seuls initiés que sont les juristes. Ils n'ont pas tort. En effet, l'incompréhension des textes de loi, la multiplicité et la complexité des conditions de recevabilité des recours contentieux (notion d'intérêt d'agir, d'acte administratif...), la brièveté des délais (délais très limités du recours pour excès de pouvoir de deux mois comme en France), la complexité des procédures juridictionnelles longues et lentes, dont l'issue, reste, de surcroît, incertaine sont autant de difficultés qui restreignent, sinon paralysent, le principe de l'égalité des citoyens devant la justice. Les praticiens du droit eux-mêmes avocats et juges ne font pas exception à la règle, laissant souvent apparaître leur ignorance du droit public en soumettant la puissance publique au droit privé qui relève de leur formation et de leur spécialité 69(*) A telle enseigne que les populations rurales estiment que les juridictions ne sont ouvertes qu'aux habitants des grandes villes, ces derniers estimant, de leur côté, que la justice ne statue qu'en faveur de ceux qui connaissent et maîtrisent parfaitement les rouages et le fonctionnement des juridictions. Cette situation est d'autant plus déplorable que l'information des citoyens sur leurs droits d'accéder de façon égalitaire aux juridictions, par l'Etat a pendant longtemps fait cruellement défaut ou tout le moins n'était pas organisée et que les agents de l'Etat, particulièrement les forces de l'ordre profitent de l'ignorance des mauritaniens pour se livrer, en toute impunité, à des excès de pouvoir. Pour y remédier, on serait tenté, à l'instar de M. Adama Dieng, Secrétaire Général de la Commission Internationale des Juristes de proposer «des projets d'assistance juridique pour les populations démunies en matière de connaissance de droit extranéen». Ces projets comporteront notamment la formation de para juristes sur le terrain70(*), une mission spécifique consistant pour ceux-ci à ancrer le principe de l'égalité devant la justice dans la mentalité de ces populations en leur permettant de connaître leurs droits. Mais cette aide juridique pour l'instauration de l'égalité de tous devant la justice entamera-t-elle leur détermination à refuser de recourir au juge de l'Etat ?

b. Le refus de recourir aux juridictions de l'Etat

A l'instar des autres populations africaines, les justiciables mauritaniens vivent en marge du droit "moderne" et conformément à leurs coutumes islamiques. Le Code des Obligations et des Contrats continue d'être boudé au profit des coutumes islamiques qui régissent le statut personnel notamment celles qui réglementent le mariage, la succession la dot, la polygamie...71(*) La même attitude est observée à l'égard des institutions et procédures "modernes", dont les juridictions notamment. Malgré les efforts déployés d'abord par le colonisateur français et ensuite par l'Etat mauritanien pour «rapprocher la justice des justiciables», les contentieux sont réglés en dehors des tribunaux et conformément à la coutume musulmane.

Cette attitude n'est d'ailleurs pas spécifique aux justiciables mauritaniens. En effet, lors du premier congrès de l'Institut International du Droit d'Expression Française, tenu à Fort-Lamy en 1966, il fut stigmatisé la "fuite" des africains devant les tribunaux classiques. Au second congrès, tenu l'année suivante à Dakar, on fit le même constat. De l'avis du professeur Alliot, «il n'y a pas plus de 1% des affaires coutumières qui sont soumises aux tribunaux traditionnels, le reste étant réglé par les chefs selon leurs procédés ancestraux en dehors de toute intervention de l'Etat » 72(*). Sans pouvoir avancer de chiffres, l'on peut affirmer que le même constat d'échec ne fait presque aucun doute. « Aujourd'hui, écrit Marc Debenne, un audit des systèmes judiciaires se solderait certainement par un résultat négatif » 73(*). Et pour cause, en paraphrasant le juge Keba M'Baye, on peut préciser que  «la fierté du nomade mauritanien est de pouvoir dire : je n'ai jamais mis les pieds dans un tribunal ou un commissariat de police »74(*).D'avoir affaire à la justice reste encore perçue, partout en Afrique, comme une atteinte à l'honorabilité et à la dignité humaine. L'africain, même s'il vit dans une case, ne supporte pas d'être enfermé dans une cage. Et, malheur au justiciable qui osera se prévaloir de sa décision de justice contre sa communauté et même contre un des membres de celle-ci. Il s'y exclurait lui-même ou s'exposerait à des sanctions. G. Pontie et M. Pilon expliquent :« La femme, qui aura obtenu le divorce continuera à faire l'objet de pression de la part de sa famille. Le mari, délaissé, qui n'aura pas obtenu, au tribunal, le remboursement intégral des prestations liées au mariage, continue à réclamer. Le dissident devra se résigner à quitter le village ou à payer sa réintégration sociale de quelques concessions... » 75(*). Après avoir étudier l'égalité devant la justice , voyons en ce qu il en est des garanties statuaires et juridiques de l'indépendance de la justice.

* 33 R. PERROT op. cit . n° 59

* 34 J.M. COULON et T. GRUMBACH : ?Egalité devant la justice?, justice n°1. 2000, p.83 et s ; H. VRAY : ?L'essentiel sur les institutions judiciaires? , ed. L'hermes 1991 p.19 et s ; D. TRUCHET : ?La justice comme un service public? ed Odlie jacob 1998. p.31 et s  ; J.M. SAUVE : ? La justice et le théorie française du service public? p.65 et s

* 35 Montesquieu écrivait dans l'esprit des lois que ?l'amour de la démocratie est l'amour de l'égalité? (1ere partie du livre 5, chap 5. D'autres systémes sont axés sur l'idée de liberté tel que le système americain. Voir A. GUINCHARD : ?Droit de la défense lors de l'instruction?, Mémoire de DEA sciences criminelles 1994-1995, Lyon III, 495 et s p.293

* 36 Décision n°75.51, D.C Grandes décisions n°20

* 37 Décision n°75.56 , D.C . Rec. Dr. Public, obs. FAVOREU et PHILIP , AJDA 1976 , 44, note RIVERO, D. 1975.658 L. HAMON et G . LEVASSEUR, JCP 1975. II. 18200, note FRANCK

* 38 Parmi ces textes, certain sont mentionnés par la constitution mauritanienne du 20 juillet 1991 (déclaration universelle des droits de l'homme, le pacte international, la charte africaine), les autres ne le sont pas

* 39 D.CAPELLETI : ? Accès à la justice et etat providence? Economica 1984 p. 48 et ; M. BOUSSUYT : La convention européenne des droits de l'homme, commentaire et texte, sous la direction de L. PETTITI, E. DECAUX et P.H.INBERT, Economica 1995, p.475 et s

* 40 Y. VOLERE ETEKA : ? La charte africaine des droits de l'homme? L'Harmattan 1996, p.55 et s

* 41 F.OUGERGOUZ/ : La charte africaine des droits de l'homme, une approche juridique des droits de l'homme entre tradition et modernité? PUF 1993 p. 121 et s

* 42 H DELAROSIER DE CHAMPFEN : égalités et responsabilité?, in GAZ. Pal 1996, p.967 et s

* 43 E. HIRSH : ?L'islam et les droit de l'homme? librairie des libertés 1984 p.19 et s

* 44 Rapporté par P.F. GONIDEC : ?La place des juridictions dans l'appareil de l'Etat? ,RJPIC n° 4, 1969, p. 935 et s ; et aussi, in encyclopédie juridique de l'Afrique T. I. ; ?L'Etat et le droit? p.235 et c

* 45 Cette attitude n'est pas spécifique au spécifique au justiciable mauritanien, on la retrouve généralement dans les pays d'Afrique.

* 46 J.M. Breton : ?La jurisprudence administrative au congo?, in les cours suprêmes en Afrique?, T.III. op .cit.98 et s

* 47 Comme les affaires ayant trait à l'opposition politique ou la corruption et les détournements des deniers publics.

* 48 R. CHARVIN : `'Justice et politique, évolution de leurs rapports'', Paris, LGDJ 1968, p. 2 et s.

* 49 Voir P. F. GONIDEC op. cit. p. 234 et s.

* 50 J. P. PASSERON : ''Le pouvoir et la justice en Afrique noire et à Madagascar'', Paris Pedone 1996, p. 157 et s.

* 51 D. BIGO : `'Justice et pouvoir politique'', Afr. Cont. n° 156, 1990, p. 166 et s.

* 52 La loi n° 61.048 du 15 mars 1961.

* 53 La loi n° 62.165 du 19 juillet 1962.

* 54 La loi n° 64.017 du 18 janvier 1964.

* 55 L'ordonnance n° 85.118 du 28 mai 1985, n° 86.121 du 13 juillet 1986 ; voir sur cette juridiction : Th. GRANIER : `'La Cour spéciale de justice'', RMDE 1987, p. 16 et s.

* 56 Même en occident, la justice est mise à mal dans les affaires politiques. Il est vrai certes que la différence n'est pas de nature mais de degré.

* 57 M. DEBENNE : ''La justice sans juge d'hier à demain'', Afr. Cont. op. cit. p. 90 et s.

* 58 Cf. Rapport final précité p. 47 et s.

* 59 Loi n° 93.019 du 26 janvier 1993 portant institution et organisation de la cour des comptes.

* 60 Les infractions sont relevées contre des hommes issus des groupes tribaux puissants ou contre de grands hommes d'affaires en matière de délinquance économique de sorte qu'on peut affirmer que toutes les classes politiques et commerciales sont, depuis l'indépendance à nos jours, impliquées dans ce genre d'affaires.

* 61 Affaire `'Oasis'' en 1996.

* 62 Conférence prononcée sur le thème "Unité et développement'', in recueil des textes et documents du Ministère de la fonction publique de Côte d'Ivoire, Imprimerie Nationale 1994, p. 17 et s.

* 63 R.DEGNI-SEGUI: "Codification et uniformisation du droit", p. 406 et s.

* 64 Cf. D.ABARCHI op. cit. p. 4 et s

* 65 L'article 6 de la constitution du 20 juillet 1991.

* 66Cet adage est consacré par l'article 17 de la constitution du 20 juillet 1991.

* 67 Ces chiffres nous sont fournis officieusement par les services du Ministère de l'Education Nationale.

* 68 Voir dans ce sens Y. TANO: "L'inaptitude juridique de l'analphabète", in Studi Giuridici Italo-Ivoiriani, Macerata, 21-23 mars 1991, Ahi del convergno Milano-Dote a guiffre éditore, 1992. 253.

* 69 Voir dans ce sens, de façon générale, R.DEGNI-SEGUI: "Le droit de la responsabilité extracontractuelle de l'administration en Côte d'Ivoire", in Studi Giuridici op. cit. p. 29 et s.; B.MUAMBA: "Contentieux administratif au Zaïre", in les Cours suprêmes en Afrique op. cit. p. 76 et s. et particulièrement pour la Mauritanie, A.S. BOUBOUT: "Existe-il un contentieux autonome administratif en Mauritanie" op. cit. p. 58 et s.

* 70A. DIENG: "Assistance juridique aux populations rurales en Afrique" op. cit. p. 108 et s.

* 71 Cette attitude a été comprise par le législateur mauritanien qui a adopté, au mois d'octobre 2001, une loi portant code du statut personnel inspirée du droit musulman .

* 72 M.ALLIOT: "Les résistances traditionnelles", in R.J.P.I.C., 1967, p. 245 et s

* 73 M.DEBENNE: "La justice sans juge, d'hier à demain", in La justice en Afrique op. cit. p. 90 et s.

* 74 K.M'BAYE: "Le droit en déroute, liberté et ordre social", Neuchâtel, Editions de la Banonnière, 1969.

* 75 G.Pontie et M.Pilon: "Un exemple de justice au quotidien: "les conflits matrimoniaux au Togo", in La justice en Afrique op. cit. p. 104 et s

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