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Le gel des fonds en droit communautaire

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par Jérémie Piété
Université Paris I Panthéon-Sorbonne - Master 2 recherche droit européen 2010
  

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Section 2. Un contrôle limité par la Cour

Les développements suivants traitent de la portée du contrôle. Le juge de Luxembourg, bien qu'attentifs aux intérêts des requérants et à l'importance d'un contrôle juridictionnel, prend manifestement en considération les intérêts des institutions et par ce fait, limite la portée du contrôle qu'il a lui-même consacré. Il souligne fréquemment l'importance

217 Lorsque l'autorité est judiciaire, le juge constate dans l'arrêt OMPI, que « le respect des droits de la défense a un objet relativement restreint, au niveau de la procédure communautaire de gel des fonds », TPICE, 12 décembre 2006, OMPI c./ Conseil, arrêt préc., point 126.

218 TPICE, 12 décembre 2006, OMPI c./ Conseil, arrêt préc., point 124, confirmé par TPICE, 30 septembre 2009, Jose Maria Sison c./ Conseil, aff. T-341/07, JOUE n° C 282 du 21 novembre 2009, point 95.

219 TPICE, 12 décembre 2006, OMPI c./ Conseil, arrêt préc., point 129.

220 Voir CJCE, 11 octobre 2007, Möllendorf, aff. C-117/06, Rec. I-8361.

221 LABAYLE H., MEHDI R., « Le contrôle juridictionnel de la lutte contre le terrorisme », article préc., p. 255.

222 TPICE, 12 décembre 2006, OMPI c./ Conseil, arrêt préc., point 137.

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des objectifs d'efficacité de la lutte contre le financement du terrorisme (Paragraphe 1) et va même jusqu'à limiter les effets de ses arrêts dans le temps (Paragraphe 2).

Paragraphe 1. La prise en compte des exigences de la lutte antiterroriste

Le Tribunal et la Cour ne sont pas restés insensibles aux intérêts du Conseil. Loin d'être réticent aux objectifs affichés de lutte contre le financement du terrorisme et la singularité de cette lutte, le juge communautaire a progressivement aménagé un « régime dérogatoire général »223 reposant sur des « considérations impérieuses touchant à la sûreté de la Communauté et de ses États membres, ou à la conduite de leurs relations internationales »224. Ces objections propres aux intérêts des États membres et de la Communauté peuvent s'opposer à « la communication de certains éléments à charge aux intéressés et, dès lors, à l'audition de ceux-ci sur ces mêmes éléments, au cours de la procédure administrative »225.

Instaurées à la demande des États membres (par exemple le Royaume Uni dans l'affaire OMPI), ces considérations impérieuses illustrent parfaitement « un rapport de force classique, celui qui oppose depuis toujours sécurité et liberté »226. Dans l'arrêt OMPI, le Tribunal, justifie et légitime ce raisonnement en invoquant le fait que de telles limitations sont conformes aux traditions constitutionnelles communes aux États membres et à la jurisprudence de la Cour de Strasbourg227. Succède ainsi aux modalités du contrôle juridictionnel énoncées par le juge, un régime général d'exception. Les limitations au contrôle du juge pourront être justifiées lorsque les moyens employés, à savoir le gel des fonds, apparaissent proportionnés et nécessaires au regard de l'objectif poursuivi par l'Union, la lutte contre le terrorisme.

Selon Yves Moiny, ce régime dérogatoire s'inspire des exceptions au droit d'accès aux documents telles qu'elles résultent du règlement CE n° 1049/2001 relatif à l'accès du public

223 MOINY Y., « Le contrôle, par le juge européen, de certaines mesures communautaires visant à lutter contre le financement du terrorisme », article préc., p. 140.

224 TPICE, 12 décembre 2006, OMPI c./ Conseil, arrêt préc., point 133, voir par analogie TPICE, 21 septembre

2005, Yusuf, arrêt préc., point 320.

225 Ibid.

226 LABAYLE H., MEHDI R., « Le contrôle juridictionnel de la lutte contre le terrorisme », article préc., p. 259.

227 TPICE, 12 décembre 2006, OMPI c./ Conseil, arrêt préc., points 134-135.

»231.

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aux documents des institutions communautaires228. Dans l'arrêt OMPI, le Tribunal précise dans cette même lignée la portée de ces exceptions quant aux garanties procédurales des requérants. Il estime que les autorités nationales ou le Conseil peuvent opposer aux requérants des restrictions à l'accès au contenu précis ou à la motivation particulière d'une décision les visant, voire l'identité de l'autorité dont elle émane229. Le Tribunal, dans l'affaire Sison, avait en effet introduit cette faculté pour les autorités nationales de ne pas dévoiler certaines informations230. Il mentionne même que « dans certaines circonstances très particulières », il serait possible de refuser de fournir aux requérants des informations relatifs à l'identification de l'État membre ou du pays tiers dans lequel une autorité compétente a pris une décision à leurs égards, lorsqu'une telle décision « est susceptible de nuire à la sécurité publique, en fournissant à l'intéressé une information sensible dont il pourrait faire un mauvais usage

Ainsi chaque droit fondamental reconnu et garanti par le juge communautaire voit son effectivité circonstanciée à la bonne volonté des États membres. Tout en affirmant dans l'arrêt OMPI que l'obligation de motivation « constitue l'unique garantie permettant à l'intéressé, à tout le moins après l'adoption de cette décision, de se prévaloir utilement des voies de recours à sa disposition pour contester la légalité de ladite décision »232, le Tribunal admet qu'il est possible d'y déroger par des raisons impérieuses d'intérêt général. Comme certains auteurs l'ont remarqué, il aurait été préférable dans ce cas de garantir le respect inconditionnel de l'obligation de motivation233.

Largement empreint de consensualisme, ce régime dérogatoire général apparait très peu transparent et atténue réellement l'effectivité du contrôle juridictionnel, au nom de la lutte contre le terrorisme. Au risque de « perdre toute substance »234 et se transformer en simple contrôle formel des mesures de gel, il sera impératif pour le juge d'effectuer une juste balance des intérêts en présence en vertu d'un contrôle strict de la proportionnalité, sans quoi la raison d'État n'en ressortirait que renforcée.

228 Règlement (CE) n° 1049/2001 du Parlement européen et du Conseil du 30 mai 2001 relatif à l'accès du public aux documents du Parlement européen, du Conseil et de la Commission, JOCE n° L 145 du 31 mai 2001.

229 TPICE, 12 décembre 2006, OMPI c./ Conseil, arrêt préc., point 136.

230 TPICE, 26 avril 2005, José Maria Sison c./ Conseil de l'Union européenne, aff. jointes T-110/03, T-150/03 et T-405/03, Rec. II-01429, point 77 : « l'efficacité de la lutte contre le terrorisme suppose que les informations détenues par les autorités publiques [...] soient maintenues secrètes afin que ces informations gardent leur pertinence et permettent une action efficace », confirmé par CJCE, 1er février 2007, Jose Maria Sison c./ Conseil, C-266/05, Rec. I-1233.

231 TPICE, 12 décembre 2006, OMPI c./ Conseil, arrêt préc., point 136.

232 Ibid, point 148.

233 MOINY Y., « Le contrôle, par le juge européen, de certaines mesures communautaires visant à lutter contre le financement du terrorisme », article préc., p. 141.

234 Ibid.

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Paragraphe 2. La limitation dans le temps des effets des arrêts

Le juge communautaire a adopté l'habitude de ne déclarer l'annulation des actes litigieux que « pour autant qu'ils concernent les requérants » dans le contentieux sur les listes antiterroristes portée devant lui, afin de maintenir les effets de l'acte erga omnes et garantir l'effectivité de la lutte contre le terrorisme235. Cette limitation rationae personae s'accompagne d'une limitation rationae temporis des effets de l'arrêt dans l'affaire Kadi. La Cour, considère que l'impact de l'annulation du règlement litigieux pourrait affecter la légitimité politique des positions communes et plus largement risquerait d'entraîner la responsabilité de la Communauté ou de ses États membres devant les instances de l'ONU.

Sur la base de l'article 231 CE236 (article 264 TFUE), la Cour fait donc le choix dans l'arrêt Kadi de maintenir les effets de l'acte communautaire litigieux et de différer les effets de l'annulation de celui-ci « pendant une brève période qui doit être fixée de façon à permettre au Conseil de remédier aux violations constatées, mais qui tienne aussi dûment compte de l'importance incidente des mesures restrictives dont il s'agit sur les droits et libertés des requérants »237. Le Conseil se voit ainsi octroyée la possibilité d'adopter un acte conforme aux exigences de la Cour et de l'idée de communauté de droit. Outre l'étendue du pouvoir de la Cour238, cet article repose sur le postulat que « la sécurité juridique impose parfois de prendre quelques distances avec la constatation objective de l'illégalité »239, même si l'équilibre entre légalité et sécurité juridique peut parfois être délicat à déterminer240.

235 Denys Simon et Anne Rigaux souligne le « paradoxe » de celle solution : « on comprend mal alors ce qui justifie le maintien en vigueur de dispositions procédurales jugées illégales, lesquelles affectent à l'évidence les droits fondamentaux de l'ensemble des personnes et entités relevant du champ d'application du règlement », « Le jugement des pourvois dans les affaires Kadi et Al Barakaat : smart sanctions pour le Tribunal de première instance? », article préc., p. 10.

236 L'article 231, alinéa 2, CE dispose « Toutefois, en ce qui concerne les règlements, la Cour de justice indique, si elle l'estime nécessaire, ceux des effets du règlement annulé qui doivent être considérés comme définitifs.». Avec le traité de Lisbonne, l'article 264 TFUE étend le champ d'application de l'article à tous les actes.

237 CJCE, 3 septembre 2008, Kadi, arrêt préc., point 376.

238 Selon Henri Labayle, le juge peut choisir librement au sein du règlement contesté « ceux des effets » qui doivent être considérés comme définitifs, sans aucune limitation ou restriction de ce point de vue, tant du point de vue matériel que personnel et dispose à ce titre d'une compétence sortant de l'ordinaire, « La Cour de justice et la modulation des effets de sa jurisprudence : autres lieux ou autres moeurs ? », R.F.D.A., 2004, p. 663.

239 LABAYLE H., « La Cour de justice et la modulation des effets de sa jurisprudence : autres lieux ou autres moeurs ? », R.F.D.A., 2004, p. 663.

240 CJCE, 22 mars 1961, SNUPAT c/ Haute Autorité, aff.42 et 49/59, Rec. p. 103, « le principe du respect de la sécurité juridique, tout important qu'il soit, ne saurait s'appliquer de façon absolue, mais... son application doit

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Alors même que ni le Conseil, ni la Commission ni même les États membres intervenus lors de la procédure n'avaient sollicité ce report, la Cour fixe la période de maintien des effets du règlement litigieux à 3 mois. La Cour justifie ce mécanisme juridictionnel car « il ne saurait être exclu que, sur le fond, l'imposition de telles mesures aux requérants puisse tout de même s'avérer justifiée »241. Il est vrai que l'illégalité n'entache que la procédure suivie devant le Conseil et l'absence de garanties procédurales au profit des requérants, et ne préjuge en rien de l'opportunité et de la légalité de la décision sur le fond. Les dispositions du règlement litigieux ne seront nulles et non avenues en vertu de l'article 231, alinéa 1, CE qu'à l'issue de ce délai de 3 mois, ce qui prive le requérant pendant cette période de l'effet de sa requête242.

La Cour décide ainsi d'exercer la compétence qu'elle tire de l'article 231 CE dans l'attente de l'adoption d'une nouvelle réglementation par le Conseil qui soit conforme aux exigences que la Cour a posé en matière de droits fondamentaux. Cette prise de position, favorable aux intérêts des institutions, illustre la logique institutionnelle à laquelle répond l'article243. Suite au prononcé de l'arrêt, la Commission a communiqué aux parties les motifs de leur inscription sur la liste et leur a donné la possibilité de formuler leurs observations. Elle a finalement édicté dans le délai de 3 mois un nouveau règlement réinscrivant M. Kadi et Al Barakaat Internation Foundation sur la liste actualisée des personnes et entités visées par une mesure de gel des fonds244.

Le bilan des arrêts de la Cour montre que celle-ci est définitivement attachée à l'effectivité de son contrôle juridictionnel et à la protection des droits fondamentaux245. Celle-ci, transposant le raisonnement Solange246 dans l'ordre communautaire, pourrait cependant

être combinée avec celle du principe de la légalité ; ...la question de savoir lequel de ces principes doit l'emporter dans chaque cas d'espèce dépend de la confrontation de l'intérêt public avec les intérêts privés en cause »

241 CJCE, 3 septembre 2008, Kadi, arrêt préc., point 374.

242 LABAYLE H., MEHDI R., « Le contrôle juridictionnel de la lutte contre le terrorisme », article préc., p. 263.

243 LABAYLE H., « La Cour de justice et la modulation des effets de sa jurisprudence : autres lieux ou autres moeurs ? », article préc., p. 663.

244 Règlement (CE) n° 1190/2008 de la Commission du 28 novembre 2008 modifiant pour la cent et unième fois le règlement (CE) n° 881/2002 du Conseil instituant certaines mesures restrictives spécifiques à l'encontre de certaines personnes et entités liées à Oussama ben Laden, au réseau Al-Qaida et aux Taliban, JOUE n° L 322/25 du 2 décembre 2008.

245 Voir les derniers développements de cette jurisprudence avec CJUE, 29 avril 2010, M (FC) e.a. c./ Her Majesty's Treasury, aff. C-340/08, non encore publié au Recueil, conclusions de l'Avocat général Paolo Mengozzi présentées le 14 janvier 2010.

246 BVerfGE, 29 mai 1974, Solange I, BvL 52/71, BVerfGE t. 37, p. 271.Voir aussi CEDH, 20 juin 2005, Bosphorus, arrêt préc.

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n'être habilitée que d'une compétence par défaut, en dépit de la carence des procédures onusiennes247. Une possible évolution desdites procédures dessaisirait alors le juge communautaire de son office, à la lumière de la solution Solange II 248. Ce renversement de paradigme apparaît peu probable vu l'affirmation forte et récurrente de l'autonomie de l'ordre communautaire. Le contrôle juridictionnel s'est en effet vu consacré « fondement même de l'ordre juridique communautaire » et « garantie constitutionnelle ». Pourtant, comme le souligne Henri Labayle et Rostane Mehdi à juste titre, à propos de la limitation rationae temporis des effets de l'arrêt Kadi, « plus qu'il n'en assure la réalité, l'arrêt Kadi entretient l'illusion d'une protection efficace »249.

247 LABAYLE H., MEHDI R., « Le contrôle juridictionnel de la lutte contre le terrorisme », article préc., p. 365.

248 BVerfGE, 22 octobre 1986, Solange II, BvR 197/83, EuGRZ, p. 10.

249 LABAYLE H., MEHDI R., « Le contrôle juridictionnel de la lutte contre le terrorisme », article préc., p. 365.

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"Il existe une chose plus puissante que toutes les armées du monde, c'est une idée dont l'heure est venue"   Victor Hugo