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Le gel des fonds en droit communautaire

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par Jérémie Piété
Université Paris I Panthéon-Sorbonne - Master 2 recherche droit européen 2010
  

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Chapitre 2. Les modalités du contrôle

La détermination des modalités du contrôle allait conduire le juge à en mesurer l'étendue et l'intensité et à choisir un cadre de référence. Fidèle à sa jurisprudence 193, la Cour décide de se baser sur le référentiel des droits fondamentaux, dont la protection dans l'ordre

189 CJCE, 3 septembre 2008, Kadi et Al Barakaat International Foundation c./ Conseil et Commission, arrêt préc., point 304.

190 Ibid, point 316.

191 Voir sur cette question SIMON D., RIGAUX A., « Le jugement des pourvois dans les affaires Kadi et Al Barakaat : smart sanctions pour le Tribunal de première instance? », article préc., pp. 9-10, LABAYLE H., MEHDI R., « Le contrôle juridictionnel de la lutte contre le terrorisme », article préc., p. 247.

192 Cette solution a été confirmée récemment par la Cour de justice de l'Union, voir CJUE, 3 décembre 2009, Faraj Hassan et Chafiq Ayadi c./ Conseil et Commission, aff. jointes C-399/06 P et C-403/06 P, non encore publiés au Recueil, JOUE n° C 24 du 30 janvier 2010.

193 CJCE, 12 novembre 1969, Stauder, aff. 29/69, Rec. 00419 ; CJCE, 17 décembre 1970, Internationale Handelsgesellschaft mbH, aff. 11/70, Rec. 01125 ; CJCE, 14 mai 1974, Nold, aff. 4/73, Rec. 00491.

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communautaire est à la fois la raison d'être du contrôle des mesures de gel des fonds et la motivation du juge à exercer un tel contrôle (Section 1). Toutefois, la Cour se montre sensible aux exigences du système de sécurité collective du chapitre VII de la Charte des Nations Unies et à l'effectivité des mesures de gel des fonds et tempère son contrôle par des limites propres à la lutte antiterroriste (Section 2).

Section 1. Un contrôle à l'aune des droits fondamentaux

La juge de Luxembourg n'a cessé d'affirmer que le respect des droits de l'homme constitue une condition de la légalité des actes communautaires et que ne sauraient être admises dans la Communauté des mesures incompatibles avec le respect de ceux-ci194. Ce faisant, dans le contentieux des listes antiterroristes, il a consacré la garantie d'un certain nombre de droits fondamentaux (Paragraphe 1). Les particularités du contrôle des mesures de gel des fonds allaient cependant forcer le juge à moduler son contrôle selon le régime de sanction ou la nature de la décision d'inscription et de gel (Paragraphe 2).

Paragraphe 1. La reconnaissance de garanties variées

Lors des diverses affaires portées devant le prétoire du juge communautaire, les requérants invoquaient le fait que les actes communautaires d'exécution des résolutions du Conseil de sécurité portaient atteinte à certains droits fondamentaux. L'absence de garanties procédurales au bénéfice des personnes, groupes et entités visés par les mesures de gel des fonds apparaissait difficilement conciliable avec les exigences d'une « communauté de droit ». A la fois dans le contentieux des mesures mettant en oeuvre le régime instauré par la résolution 1373 (2001) que dans celui mettant en oeuvre la résolution 1267 (1999), le juge de Luxembourg a examiné la conformité des règlementations en cause au regard de deux séries de droits fondamentaux. La première, la plus substantielle, concerne les droits procéduraux195,

194 CJCE, 3 septembre 2008, Kadi et Al Barakaat International Foundation c./ Conseil et Commission, arrêt préc., point 283. Voir aussi CJCE, 26 juin 2007, Ordre des barreaux francophones et germanophone, aff. C305/05, Rec. I-05305, et CJCE, 12 juin 2003, Schmidberger, aff. C-112/00, Rec. I-05659.

195 Voir les lignes directrices sur les droits de l'homme et la lutte contre le terrorisme, adoptées par le Comité des ministres du Conseil de l'Europe le 11 juillet 2002, et le Livre vert de la Commission du 26 avril 2006 sur la présomption d'innocence, COM (2006) 174 final. Flavien Mariatte remarque que si ces actes de soft law comportent des développements sur le droit à une protection juridictionnelle effective dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, ils sont cependant muets quant aux droits de la défense tels que le Tribunal les envisage

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et comprend le droit à la communication des motifs, le droit d'être entendu, l'obligation de motivation et généralement le principe de protection juridictionnelle effective. A titre secondaire, le juge a récemment aussi reconnu en tant que principe général la présomption d'innocence (garantie par l'article 6, § 2, CEDH et l'article 48, § 1, de la Charte des droits fondamentaux) dans le contentieux de la lutte antiterroriste196. La seconde série se concentre, quant à elle, essentiellement autour du droit de propriété.

Dans l'affaire Kadi, la condamnation des violations des droits procéduraux succède à la consécration du contrôle juridictionnel. La Cour, rappelle que le principe de protection juridictionnelle effective est un principe général de droit communautaire et est désormais inscrit à l'article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne197. Ce principe impose la communication des motifs de la décision, soit au moment de l'adoption de celle-ci, soit dès que possible afin de garantir l'exercice des voies de recours, et le droit d'être entendu. Le juge précise que ce principe « doit être assuré même en l'absence de toute règlementation concernant la procédure » et que les destinataires des décisions qui voient leurs intérêts affectés par celles-ci puissent être en mesure « de faire connaître utilement leur point de vue »198. La Cour constate que ni la position commune 2002/402/PESC, ni le règlement n° 881/2002 ne prévoient de telles garanties199. Le Conseil semble n'avoir fourni aux requérants aucune information relative à leur inscription sur la liste ni n'apparait leur avoir permis de prendre connaissance des éléments à leur charge dans un délai raisonnable après l'édiction de la mesure. Il résulte de cette absence de communication des motifs que les requérants n'ont pu faire connaître utilement leur point de vue et n'ont pu par la suite défendre leurs droits dans des conditions satisfaisantes lors de la procédure contentieuse, ce qui équivaut à une violation du droit fondamental à un recours juridictionnel effectif. Par ailleurs, le Tribunal avait délimité dans l'arrêt OMPI l'exercice de ce droit fondamental au seul contrôle juridictionnel de la légalité, mais avait attribué une portée large à son contrôle200. Tout en reconnaissant un pouvoir d'appréciation au Conseil, le Tribunal

hors du champ d'application des articles 6 et 13 CESDH. Voir « Lutte contre le terroris me, sanctions économiques et droits fondamentaux », Europe, février 2007, comm. 45.

196 TPICE, 2 sept. 2009, Mohamed El Morabit c./ Conseil soutenu par Royaume-Uni et Commission , aff. T37/07 et T-323/07, non encore publié au Recueil, JOUE C 256 du 24 octobre 2009, p. 23.

197 Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, JOUE n° C 83 du 30 mars 2010, p. 389.

198 CJCE, 3 septembre 2008, Kadi, arrêt préc., point 348, voir aussi CJCE, 24 octobre 1996, Commission c./

Lisrestal, aff. C-32/95 P, Rec. I-5373.

199 CJCE, 3 septembre 2008, Kadi, arrêt préc., point 352.

200 « Les limitations apportées par le Conseil aux droits de la défense des intéressés devant être contrebalancées par un strict contrôle juridictionnel indépendant et impartial [...] le juge communautaire doit pouvoir contrôler la légalité et le bien-fondé des mesures de gel des fonds, sans que puissent lui être opposés le secret ou la

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s'autorisait à contrôler non seulement la légalité externe de la décision litigieuse mais aussi l'exactitude matérielle des faits, l'absence d'erreur manifeste d'appréciation, le détournement de pouvoir voire même « l'appréciation des considérations d'opportunité »201.

L'obligation de motivation (contenue à l'article 253 CE) est au même titre sanctionnable. Consacrée dans le cadre des mesures antiterroristes par l'arrêt OMPI202, le juge a indiqué ce qui recouvrait cette exigence notamment dans deux arrêts postérieurs prononcés à la même date. Dans Al Aqsa, le Tribunal précise que l'absence de mention de l'ordonnance de référé émanant d'une juridiction néerlandaise dans les motifs de la décision initiale aboutit à la violation de la protection juridictionnelle effective de l'entité requérante203. Dans un arrêt Sison, le Tribunal constate que ni la décision initiale ni celle de maintien ne mentionnent « les informations précises » ou les « éléments de dossier » montrant qu'une décision justifiant l'inclusion du requérant dans la liste litigieuse avait été prise à son égard par une autorité nationale compétente204. En l'espèce, le dossier de demande de droit de séjour du requérant était classé confidentiel. Le Tribunal conclut également à la violation de l'obligation de motivation et donc de la protection juridictionnel effective du requérant205.

Enfin, les griefs des requérants portaient sur la violation du droit de propriété206. Les ingérences au droit de propriété doivent, d'une part, poursuivre des objectifs d'intérêt général et, d'autre part, ne pas constituer, au regard de l'objectif poursuivi, une intervention démesurée et intolérable à la substance de ce droit. Dans l'arrêt Kadi, La Cour rappelle que ce droit n'est pas une prérogative absolue et que les ingérences à celui-ci ne sauraient en soi être inadéquates ou disproportionnées207. Dans cette affaire, le juge conclut que les mesures de gel à l'encontre des requérants, constituent « une restriction injustifiée à son droit de

confidentialité des éléments de preuve et d'information utilisés par le Conseil ». TPICE, 12 décembre 2006, OMPI c./ Conseil, arrêt préc., point 155.

201 Ibid, point 159.

202 TPICE, 12 décembre 2006, OMPI c./ Conseil, arrêt préc., points 138-151.

203 TPICE, 11 juillet 2007, Al-Aqsa c./ Conseil, aff. T-327/03, Rec. II-00079., point 64.

204 Tel qu'il ressort des exigences de l'article 1er, § 4, de la position commune n° 2001/931/PESC (voir supra p. 16).

205 TPICE, 11 juillet 2007, Sison c./ Conseil, aff. T-47/03, Rec. II-00073., points 215-226.

206 Principe interprété au regard de l'article 1er du premier protocole additionnel de la CESDH et de la jurisprudence de la CEDH. La Charte des droits fondamentaux de l'Union rappelle la teneur du droit de propriété à l'article 17.

207 CJCE, 3 septembre 2008, Kadi, arrêt préc., point 363. Voir aussi sur ce point, pour les entités soupçonnées de contribuer au financement de la prolifération nucléaire, TPICE, 14 octobre 2009, Bank Melli Iran c./ Conseil, arrêt préc.

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propriété »208. Le juge considère cette restriction « considérable » en l'espèce, en prenant en compte « la portée générale et la durée effective des mesures restrictives »209.

Finalement, dans ses modalités, le contrôle juridictionnel n'apparait pas comme une simple déclaration de bonnes intentions par le juge communautaire. Aussitôt consacré, le juge confirme la réalité du contrôle et sa portée relativement large. En résumé, c'est la constatation de la violation des droits fondamentaux allégués par les requérants qui conduit à l'annulation de l'acte litigieux. Le traité de Lisbonne ajoute à ce titre à l'article 215 TFUE (précité), alinéa 3 que « [l]es actes visés au présent article [notamment les mesures de gel à l'encontre des particuliers] contiennent les dispositions nécessaires en matière de garanties juridiques. » Le traité semble donc consacrer une obligation de respecter certaines garanties juridiques lors de la mise en oeuvre des mesures de gel des fonds, en restant néanmoins très évasif sur ces garanties.

Paragraphe 2. Le risque d'un traitement discriminatoire

Le caractère particulier des mesures de lutte antiterroriste et l'architecture des sources des actes d'inscription et de gel des fonds ne tendent pas vers une unification des régimes de sanction. Des nuances dans le contrôle juridictionnel apparaissent alors, d'une part selon que la règlementation soit issue du régime de la résolution 1267 (1999) ou de la résolution 1373 (2001). D'autre part, l'intensité du contrôle juridictionnel (et corrélativement les droit fondamentaux qui y sont attachés) dépendra selon que l'acte litigieux soit une décision initiale ou une décision de maintien.

208 Ibid, point 370.

209 Ibid, point 369.

Premièrement, comme l'illustre le contentieux quant au principe du contrôle juridictionnel des mesures de gel des fonds, un traitement discriminatoire des requérants avait indirectement été créé. Les personnes ou entités faisant l'objet de la réglementation issue du règlement CE n° 881/2002 (et de la position commune 2002/402/PESC) se voyaient privées de recours juridictionnel effectif210 contrairement aux requérants, tel l'OMPI, qui poursuivaient l'annulation d'un acte pris sur le fondement de la réglementation issue du

210 TPICE, 21 septembre 2005, Ahmed Ali Yusuf et Al Barakaat International Foundation c./ Conseil et Commission, et Yassin Abdullah Kadi c./ Conseil et Commission, arrêts préc.

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règlement CE n° 2580/2001211. Les requérants, dans la première hypothèse, ne jouissaient que de faibles palliatifs, à savoir l'existence d'un contrôle à l'aune du jus cogens212 et le recours à la protection diplomatique devant les instances de l'ONU213.

L'arrêt Kadi a mis fin à ce traitement discriminatoire des requérants devant le juge communautaire selon la source de la réglementation qu'ils attaquaient. Pourtant, une forme de discrimination « potentielle » persistait à l'issue de cette harmonisation du contrôle de juge. Il faut pour cela se reporter au raisonnement du juge dans l'affaire Segi (voir supra p. 38). Celui-ci consacrait sa compétence pour contrôler indirectement la légalité de la position commune 2001/931/PESC. Or, la Cour semblait avoir limité son contrôle aux seules positions communes adoptées dans le cadre du titre VI du TUE, en vertu de l'article 35, § 6, UE alors que la juridiction communautaire n'a aucun rôle selon le TUE dans le cadre du titre V. La position commune 2001/931/PESC, prise sur la base d'un double fondement (articles 15 et 34 UE) rentrait donc dans cette catégorie. L' « ambiguïté »214 de cette solution conduit à s'interroger dans quelle mesure l'arrêt Segi aurait introduit une discrimination envers les personnes et entités faisant l'objet de la position commune 2002/402/PESC215, prise sur le seul et unique fondement de l'article 15 UE (titre V). La discrimination n'est pourtant que potentielle car le règlement CE n° 881/2002 et les actes pris sur son fondement sont quant à eux attaquables.

Enfin, le contrôle juridictionnel revêt une intensité différente selon qu'il porte sur une décision initiale ou de maintien. Cette distinction doit être aussi comprise à la lumière du processus de décision, constitué d'une première phase nationale, puis d'une phase communautaire216. A ce propos, le principe de coopération entre les autorités communautaires et les autorités compétentes nationales implique que le Conseil doit s'en remettre autant que possible à l'appréciation de l'autorité nationale compétente, à tout le moins s'il s'agit d'une

211 TPICE, 12 décembre 2006, OMPI c./ Conseil, arrêt préc.

212 TPICE, 21 septembre 2005, Ahmed Ali Yusuf et Al Barakaat International Foundation c./ Conseil et

Commission, et Yassin Abdullah Kadi c./ Conseil et Commission, arrêts préc.

213 TPICE, 12 juillet 2006, Chafiq Ayadi c./ Conseil, et Faraj Hassan c./ Conseil et Commission, arrêts préc.

214 MOINY Y., « Aperçu de la jurisprudence communautaire développée dans le cadre de la lutte contre le

financement du terrorisme international », article préc., p. 43.

215 Ibid.

216 Selon l'article 1er , § 4, de la position commune 2001/931/PESC, cette phase nationale consiste en la décision

prise par une autorité compétente, en principe judiciaire, à l'encontre d'une personne et entité, devant reposer sur des « preuves ou des indices sérieux et crédibles ». La phase communautaire consiste en la décision d'inclusion de la personne ou entité dans la liste sur la base « d'informations précises ou d'éléments de dossier qui montrent

qu'une décision a été prise par une autorité nationale compétente ».

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autorité judiciaire217, notamment quant aux « preuves ou [aux] indices sérieux et crédibles » sur lesquels la décision de celle-ci est fondée218. En ce qui concerne la décision initiale, le juge communautaire admet que la communication des motifs soit concomitante ou intervienne aussitôt après l'adoption de la décision219, afin de préserver un certain « effet de surprise » sans lequel les mesures de gel ne pourraient poursuivre leur objectif de lutte contre le terrorisme220. Ces exigences se comprennent aisément au regard de la singularité de la lutte antiterroriste. Toutefois, il en découle que la communication des motifs, le droit d'être entendu, et l'obligation d'audition de la personne ou entité ne peuvent intervenir que postérieurement à l'adoption de la mesure litigieuse.

La décision de maintien, ou décision subséquente de gel des fonds, justifie par nature un contrôle « plus poussé »221. A ce stade, les fonds sont déjà gelés, l'effet de surprise et l'urgence n'ont donc plus lieu d'être des justifications pour ne pas satisfaire au respect des droits fondamentaux. Etant donné la mise à jour semestrielle des listes antiterroristes par le Conseil, le contrôle de la décision de maintien s'est révélé bien plus important qu'on ne le croyait. En substance, le contrôle est renforcé car le maintien du requérant sur la liste litigieuse doit être justifié par des « raisons spécifiques et concrètes », qui doivent lui être communiquées au moment de l'adoption de la décision de maintien. De plus, une telle décision doit en principe être précédée d' « une communication des nouveaux éléments à charge et d'une audition »222. En revanche, ni dans l'arrêt OMPI ni dans l'arrêt Kadi, le juge ne précise l'étendue de l'obligation de procéder à l'audition du requérant.

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"Piètre disciple, qui ne surpasse pas son maitre !"   Léonard de Vinci