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Droit maritime et énergies marines renouvelables

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par Thibaut Schwirtz
Université Lumière Lyon 2 - Droit des transports et de la logistique 2014
  

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INTRODUCTION

« Être une puissance mondiale, cela signifie être une puissance maritime » selon Georges Leygues, qui fut ministre de l'Intérieur puis plusieurs fois ministre de la Marine entre 1917 et 1933. Cette phrase, prononcée à une époque de conflits entre puissances belliqueuses, devait s'entendre de l'importance des États de disposer d'une flotte militaire et commerciale puissante, ceci afin de contrôler les zones stratégiques du globe. Près d'un siècle d'industrialisation plus tard, l'enjeu maritime reste toujours autant de taille : à l'heure de la raréfaction des ressources énergétiques, l'homme s'est progressivement tourné vers la mer, jusque-là essentiellement destinée à la navigation, pour y puiser de nouvelles réserves d'énergie. Si l'exploitation de son sous-sol n'est pas un phénomène nouveau (les plates-formes pétrolières se sont multipliées dès les années 50), la flambée des prix du pétrole causée par les chocs pétroliers a provoqué un regain d'intérêt des États pour l'éolien, source possible d'indépendance énergétique.

En parallèle, la prise de conscience collective de la catastrophe environnementale provoquée par l'industrie traditionnelle, cumulée à la demande croissante en électricité (il est estimé que la demande énergétique mondiale sera multipliée par deux entre 2010 et 2050), ont convaincu plusieurs pays d'Europe du nord d'engager leur transition énergétique. Cette politique s'est traduite par le déplacement de la production d'énergie vers la mer, avec la construction de parcs éoliens dès les années 90. Le Royaume-Uni, le Danemark, l'Allemagne et les Pays-Bas se sont ainsi érigés en leaders mondiaux de l'énergie éolienne offshore. Au vu de ces expériences fructueuses et au fur et à mesure de la baisse du coût de l'électricité issu de l'éolien offshore, d'autres pays ont commencé l'installation de parcs aux dimensions toujours plus importantes. De nouvelles techniques de production d'électricité ont également émergées, telles que les éoliennes flottantes, les hydroliennes, les dispositifs houlomoteurs ou encore les engins utilisant l'énergie thermique de la mer, toutes regroupées sous l'appellation « énergies marines renouvelables » (EMR). Parmi ces technologies, l'éolien offshore posé reste actuellement la seule opérationnelle.

Les éoliennes dites « posées » sont, de la même manière que pour les éoliennes terrestres, destinées à transformer l'énergie mécanique du vent en électricité. Elles sont composées d'un mât fixé au fond marin, d'une nacelle abritant les composants mécaniques et électriques, et d'un rotor assorti de trois pales. Il existe déjà 66 parcs éoliens offshore en activité installés en Europe, dont le plus grand est celui de London

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Array, situé au large de l'estuaire de la Tamise. Achevé prématurément en 2012 (il était prévu que le parc soit deux fois plus grand que celui actuel), il s'étend sur 100 kilomètres carrés et se compose de 175 turbines de plus de 120 mètres, pour une puissance totale de 630 MW. En avril 2015, la barre des 3 000 éoliennes offshore installées en Europe a été dépassée, pour un total de 10 000 MW1. Au-delà de l'Europe, il est à noter que la Chine, qui entame progressivement des actions de grande envergure en faveur de l'environnement, s'est également dotée de trois parcs éoliens en mer depuis 2010, représentant une puissance totale de près de 400 MW. De même, les Etats-Unis ont validé la construction du parc Cape Wind, situé à 8 km des côtes dans le Massachusetts. Composé de 130 éoliennes, il est destiné à fournir 75 % de l'électricité du Cap Cod et des îles Martha's Vineyard et Nantucket2.

Cependant, l'éolien posé présente comme limite de ne pouvoir être installé qu'en eaux peu profondes (40 mètres maximum). Cette contrainte est relativement absente en Europe du nord, où la profondeur reste faible sur plusieurs dizaines de kilomètres, mais elle apparaît vite sur le front océanique ou en Méditerranée, où s'y ajoute une concurrence pour l'espace conséquente. A l'issue de deux appels d'offres réalisés en 2011 et 2012, la France a toutefois autorisé le lancement de programmes éoliens posés sur 5 sites différents (Tréport, Fécamp, Courseulles-sur-mer, Saint-Brieuc, Saint-Nazaire et Veulettes-sur-mer), pour un total de 3 000 MW, soit la moitié de la puissance éolienne attendue en France pour 2020.

Malgré cela, l'éolien flottant présente plus d'intérêt en ce qui concerne l'Europe du sud. A l'inverse de l'éolien posé, les éoliennes flottantes en projet sont construites sur des flotteurs amarrés au fond marin. Celles-ci sont donc prévues pour être installées dans des zones dont la profondeur peut atteindre 200 mètres, ce qui étend considérablement le nombre de zones aménageables. A l'heure actuelle, aucun parc de ce type n'a encore été construit. Cependant, un premier prototype WindFloat a été installé en 2011 à 5 km au large des côtes d'Aguçadoura au Portugal3. En France, l'éolienne Winflo est en conception, prévoyant l'installation du premier parc éolien flottant au large du Croisic d'ici 2020, pour un budget de 35 millions d'euros. Un deuxième projet plus ambitieux, le projet Vertiwind, financé par EDF Énergies, prévoit l'installation d'éoliennes flottantes à axe vertical d'ici 2017, moins coûteuses et moins grandes pour une performance similaire aux éoliennes à axe horizontal, au large de Fos-sur-mer. Le budget total du projet est de 130 millions d'euros, dont 37 millions proviennent de la commission

1 « Le marché de l'éolien en mer atteint le cap des 3 000 turbines en Europe », Les Échos 19/08/2015

2 capewind.org

3 principlepowerinc.com

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européenne4.

Les hydroliennes, quant à elles, sont des engins exploitant les courants marins. Leur capacité de production d'électricité est deux fois supérieure à celle des éoliennes offshore et sont destinées à être immergées, ce qui présente de nombreux avantages. La technologie hydrolienne est cependant encore mal connue : en France, les prototypes Orca et Beluga sont les plus prometteurs mais ont tous les deux accumulés du retard. Sabella, prévoit d'implanter la D10, hydrolienne de 10 m de diamètre, dans le Fromveur, où les courants marins sont forts. Après assemblage, la machine sera en principe immergée en 2015 et reliée à Ouessant pour un test d'un an.

A un stade encore moins mature se trouvent les systèmes houlomoteurs, théoriquement deux à trois fois plus performants que les éoliennes offshore, et destinés à utiliser l'énergie fournie par les vagues. Dans le monde, il existait en 2012 une cinquantaine de projets houlomoteurs, dont la quasi-totalité sont flottants, selon l'Agence internationale de l'Énergie. Le prototype houlomoteur français Ceto, installé au large de La Réunion, semblait très prometteur, mais le projet a également accumulé du retard en raison de la destruction des engins en 2014 par le cyclone Bejisa. DCNS et Fortum se sont également engagés à expérimenter en France le système houlomoteur WaveRoller développé par AW Energy en baie d'Audierne. Le calendrier du projet est prévu en 3 phases. La fabrication des modules et l'obtention des autorisations sont prévues pour 2015, l'installation et le début du test pour 2016.

Enfin, des dispositifs ont été inventés permettant de transformer l'énergie thermique de la mer (ETM) en électricité. Ils sont basés sur le pompage d'eau profonde vers la surface, le choc thermique étant destiné à produire de la vapeur alimentant une turbine. De tels dispositifs n'ont vocation à être installés qu'en zones tropicales mais constituent un potentiel intéressant, d'autant plus que la France occupe une place de choix dans le marché éolien : avec une surface de 11 millions de kilomètres carrés (3 500 km de côtes), elle dispose du deuxième plus grand domaine maritime du monde, derrière les États-Unis5, et près de 20% du potentiel éolien flottant européen.

Sur le plan juridique, l'intérêt porté aux EMR remonte à la Convention de Rio des 3-14 juin 1992 sur le climat, conduisant à la signature de la Convention cadre des Nations-Unies sur le changement climatique qui impose aux États industrialisés une réduction de leurs émissions de gaz à effet de serre aux niveaux de 1990. Le protocole de Kyoto a suivi en 1997, mettant en place des objectifs contraignants pour réduire les gaz à effet

4 Pôle mer Méditerranée

5 « Pourquoi la France doit enfin se doter d'une politique maritime », La Tribune, 7 juillet 2014

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de serre. L'Union Européenne l'a approuvé le 25 avril 2002, avec comme objectif une réduction de 8% sur la période 2008-2012 par rapport aux niveaux de 1990. Afin d'atteindre cet objectif, l'UE a adopté la directive 2001/77/CE6 sur la production d'électricité à partir de sources d'énergie renouvelables, qui a été abrogée par la directive fondamentale du 23 avril 20097. Celle-ci vise à porter à 20% à l'horizon 2020 la part de l'énergie provenant de sources renouvelables sur l'ensemble de l'Union. L'objectif est variable selon la situation d'origine des États : la France est ainsi tenue de porter à 23% la part de production d'électricité renouvelable dans sa production globale. Cette directive est d'une importance particulière en ce qu'elle est la seule en matière d'environnement à fixer des objectifs contraignants d'une telle ampleur pour les Etats membres. Ces derniers s'engageaient de plus à transposer la directive dans leur droit interne avant décembre 2010, ce qui a été fait au travers de la loi dite « Grenelle II »8 portant engagement national pour l'environnement.

Le constat est donc le suivant : la France est dotée de centres de recherche et développement très performants constituant un laboratoire d'idées majeur dans le domaine des EMR. Elle dispose en outre d'une situation géographique extrêmement favorable à un développement massif de parcs EMR sur son territoire. Enfin, ses engagements internationaux et sa politique environnementale en matière d'EMR semblent attester de sa volonté d'opérer un virage écologique concernant ses méthodes de production énergétique. Pourtant, il faut bien avouer qu'en 2015, aucune éolienne en mer n'a été installée, et presque tous les lancements de prototypes EMR ont été repoussés. Quelles sont les explications à ce retard significatif sur nos voisins européens ? Pourquoi aucun MW n'a été installé depuis le premier appel d'offres lancé par le gouvernement en 2004 ? De nombreuses raisons peuvent être avancées, mais les plus pertinentes ne sont assurément pas d'ordres économique ou technique : l'élément principal qui constitue un frein au développement des EMR en France depuis maintenant plus de 10 ans est le droit. Le principe des EMR implique ni plus ni moins de faire intervenir des industriels historiquement amenés à produire sur terre (EDF, GDF, Areva...) à mettre en place des technologies en mer. Or, si le droit commun s'applique sur les côtes, il devient un droit résiduel en mer, les spécificités du milieu marin nécessitant de le remplacer par les règles du droit maritime.

6 Directive 2001/77/CE du Parlement européen et du Conseil du 27 septembre 2001 relative à la promotion de l'électricité produite à partir de sources d'énergie renouvelables sur le marché intérieur de l'électricité

7 Directive 2009/28/CE du Parlement européen et du Conseil du 23 avril 2009 relative à la promotion de l'utilisation de l'énergie produite à partir de sources renouvelables

8 Loi n° 2010-788 du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l'environnement

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Il ressort que certains pans entiers du droit maritime privé restent à adapter à l'apparition de techniques de production inédites dans un milieu inédit. Dès lors, comment inciter les investisseurs à se lancer dans de tels projets pharaoniques sans leur apporter un cadre légal stable leur permettant d'établir un programme financier fiable ? La notion même « d'installation EMR », « d'engin » ou « dispositif EMR » est inexistante en droit français. Quel régime doit-on alors leur appliquer ? Doit-on raisonner par analogie en les rapprochant d'entités juridiques existantes, ou doit-on leur créer un régime propre prenant en compte leurs spécificités techniques ? Et selon le choix qui sera fait, quelles règles du droit maritime privé devront être appliquées ? Les parcs éoliens, comme la plupart des engins EMR, vont constituer des obstacles plus ou moins visibles à la navigation et vont concurrencer l'espace maritime. Une fois installés, ce ne sera donc qu'une question de temps avant qu'un navire entre en collision avec un engin. Quelles seront les règles de responsabilité à mettre en oeuvre dans cette situation ? Faudra-t-il instaurer des règles de circulation particulières dans les parcs ? Les règles de l'assistance maritime pourront-elles s'appliquer ? Quelles seront les répercussions sur les contrats d'assurance ? Le volet social représente également une part non négligeable des règles qu'il reste à établir en matière d'EMR. Les parcs éoliens construits en Europe représentent des mois de travail de longue haleine en pleine mer, ce qui amène à se demander quel statut sera applicable aux travailleurs participant à leur installation et gérant leur exploitation.

Des solutions à certains de ces problèmes ont déjà été trouvées à l'étranger, comme en matière d'assurance, où les compagnies britanniques ont opéré par « saucissonnage » en empruntant à divers contrats existants. L'Angleterre étant le leader incontesté en matière d'assurance maritime, on peut supposer que la France se calquera sur les produits d'assurance d'Outre-Manche. Ceci étant, les particularités du marché français ne permettent pas de raisonner de la sorte sur toutes les matières. Il est en conséquence impératif pour la France d'intégrer les EMR dans sa législation au plus vite, au vu des projets qui devraient se mettre en place prochainement.

Par ailleurs, force est de reconnaître que les projets EMR en France en sont à un stade bien avancé ; la construction d'éoliennes offshore devrait bientôt voir le jour. Pour autant, leur construction sera l'aboutissement d'une procédure administrative longue de 15 ans, qui conduit à se demander si cette procédure ne devrait pas être simplifiée. Les investisseurs doivent en effet passer par un véritable parcours du combattant durant lequel un grand nombre d'autorisations doivent être délivrées par les autorités compétentes. Certaines autorisations sont délivrées sur la base d'appels d'offres : les

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investisseurs sont ainsi jugés sur leurs capacités à assurer la construction et la gestion des parcs et à prendre en compte l'existence des activités existantes, tout en préservant l'environnement. Si de nombreux critères sont requis afin d'assurer aux autorités de disposer d'opérateurs fiables, celles-ci assurent-elles en retour aux investisseurs des garanties suffisantes ? Les EMR seront installées en mer, domaine public par excellence, sur lequel l'État a la mainmise. La construction d'EMR par des acteurs privés sur un domaine public n'entraine-t-elle pas un droit de regard trop important de l'État ? Dans l'optique où les EMR seront installées toujours plus loin des côtes, comment articuler ces installations avec le droit international de la mer ? Enfin, des préoccupations environnementales contraignantes accompagnent aujourd'hui la prolifération des fermes éoliennes. Comment le développement des EMR va-t-il composer avec l'existence des zones naturelles protégées ? Et comment les Etats peuvent-ils faire face à la création de nouveaux risques environnementaux créés par l'utilisation des énergies marines ?

Dans ces conditions, le sujet amène la question suivante : la France, en l'état actuel de son droit positif, a-t-elle les moyens de développer de manière sécurisée son marché des Énergies Marines Renouvelables afin de répondre aux objectifs fixés par l'Union Européenne ? Il apparaît que le droit maritime privé, avec les EMR, doit faire face à l'apparition de nouveaux utilisateurs de la mer nécessitant leur incorporation aux règles organisant les rapports privés en mer (Partie 1). La France est également confrontée à un droit public contraignant, tant administratif qu'environnemental, responsable de son retard dans le développement des EMR et qu'il convient de simplifier (Partie 2).

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"Il faut répondre au mal par la rectitude, au bien par le bien."   Confucius