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Louis Ferdinand Céline:une pensée médicale

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par David Labreure
Université Paris 1 panthéon sorbonne - DEA Histoire et philosophie des sciences 2005
  

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1.2 : FORDISME, TAYLORISME, HYGIENE DANS LES ANNEES 20 :

Dans son essai consacré à Céline, Misère de la littérature, terreur de l'histoire, Philippe Roussin rappelle que, dans les années 1920, à travers les ouvrages de l'architecte et urbaniste Le Corbusier ou de Pierre Drieu La Rochelle, se « diffusaient alors en France l'idéologie du taylorisme, du fordisme (...) qui érigeaient l'Amérique industrielle au rang de modèle des sociétés européennes »81(*). Au début des années 1920, le taylorisme et le fordisme sont les modèles dominants d'organisation des entreprises : ces deux termes désignaient un modèle qui opérait la division des tâches dans le travail et constituait un moyen d'amélioration, de rénovation de la capacité de production industrielle. Mais pas seulement. Comme le souligne Philippe Roussin , « ils semblaient promettre l'éloignement du spectre de la misère et de la rareté,la multiplication des biens matériels,une politique de hauts salaires conjuguée à une moindre pénibilité du travail »82(*),en bref une amélioration sensible du niveau de vie. Céline voit dans cette industrialisation la possibilité effective d'une socialisation et d'une standardisation de la médecine à l'échelle de l'usine. A l'usine oui, mais pas seulement... Ce mouvement devait pénétrer dans d'autres domaines, d'autres champs : celui de l'urbanisme, de la santé et de l'hygiène. Les préoccupations sanitaires sont ainsi au coeur de ce nouvel état d'esprit industriel. Créer une architecture particulière mais aussi ériger la santé comme valeur dominante de cette société industrielle. On insistait beaucoup,à l'époque ,sur le contraste entre les modes de production modernes des usines et la vétusté et l'insalubrité des villes, et particulièrement celles de la banlieue qui semblait laisser ses habitants à l'abandon. Il faut donc à la ville une « architecture salubre »83(*) et s'intéresser à cette pathologie urbaine que Céline décrira si bien, nous le verrons, dans le Voyage au bout de la nuit. Il y a ,à cette époque,l'idée d'intégrer les préoccupations des hygiénistes dans ces programmes urbains de modernisation. Au cours de la seconde moitié du XIX è siècle, une meilleure compréhension de la propagation des maladies infectieuses allait renforcer l'idée que, pour éviter les contagions, il fallait protéger les plus pauvres et les plus faibles. Des mesures ponctuelles d'hygiène publique (drainage, propreté des chaussées, ramassage des ordures) se révèlent avoir un effet immédiat sur la santé. La saleté devient une sorte d'ennemi public. Cette progression de la santé publique illustre de nouvelles interactions entre la médecine, la réflexion philosophique, les données économiques et sociales et la volonté politique dominante. On maintient que, dans le domaine sanitaire, une intervention étatique et des règlements précis devaient être indispensables à ce bon fonctionnement. Dans le dernier tiers du XIX è siècle, à la suite des travaux de Pasteur notamment, l'aspect scientifique de l'hygiène prend cependant le pas sur l'aspect social. Pourtant, l'amélioration du niveau de vie et la rigueur de l'application de certaines mesures simples comme le pavage des rues ou le tout à l'égout avaient obtenus de très bons résultats dans les villes. Mais à la fin du XIX è siècle et au début du XXé, le domaine de la santé publique est négligé. L'hygiène individuelle, cet ensemble de pratiques simples, hérités des principes pasteuriens, lui est préférée: les leçons d'hygiène instaurées par Jules Ferry, en 1883 participent de cette grande vague de « pasteurisation ». En France, une loi sur l'Hygiène publique est votée en 1902 mais la situation reste très préoccupante. Les campagnes se dépeuplent de plus en plus, s'appauvrissent et les conditions sanitaires des faubourgs surpeuplés de villes comme Paris ,par exemple, sont catastrophiques. La description du faubourg ouvrier de Rancy, en banlieue parisienne, dans le Voyage au bout de la nuit, lorsque Bardamu revient de son voyage en Amérique est imprégnée du regard médical de l'hygiéniste et de ces constatations de délabrement et de déchéance des banlieues. Aux premières pages du récit,Bardamu évoque les habitants de Rancy,leur décor et leur condition. Le nom de la banlieue, Rancy, suggère déjà un élément fondamental de cette description : la pourriture...Au niveau de la réalité, la pourriture est d'abord un phénomène biologique ,elle est aussi une dégradation : « Au bout du tramway voici le pont poisseux qui se lance au dessus de la Seine ,ce gros égout qui montre tout »84(*).A l'origine de cette dégradation,la domination du système économique sur lequel les hommes n'ont que très peu de contrôle mais qui exerce un pouvoir déterminant sur leur destinée : le travail n'est pas ,pour ces gens,une source de sécurité matérielle,bien au contraire :  « ils ont énormément peur de le perdre,les lâches(...) souvenirs de « crise » (...) de la dernière fois sans place (...) ces mémoires vous étranglent un homme »85(*).L'intégration des hommes au système économique sert de base à une autre série d'images ,celle des machines,autre avatar du système économique dominant : ces machines,comme le tramway ou le métro qui « compriment » ou « avalent » les gens,les transforment même en « ordures »,ces machines qui semblent contrôler la vie de l'ouvrier banlieusard. La zone ressemble à un immense atelier dans lequel errent, sans but précis des êtres humains hirsutes, malades qui ne font que survivre dans un climat malsain, reflétant la dépravation de leur environnement, cette « poubelle gazeuse pour tortures imbéciles »86(*).Comment ne pas voir un parallèle saisissant avec les usines Ford telles que Céline les décrit dans ses notes, avec leurs handicapés moteurs et mentaux, littéralement cloués devant leur machine ? Où se trouve la différence entre les usines, « cages à mouche sans fin dans lesquelles on discernait les hommes à remuer » et Paris où « les hommes se traînent » ? Dans ce monde, l'homme semble toujours et partout soumis à quelque chose qui le dépasse. Le système économique, représenté par le travail, les machines, écrasent l'homme et produisent la peur, la claustration : « Au matin donc le tramway emporte sa foule se faire comprimer dans le métro. On dirait à les voir tous s'enfuir de ce là, qu'il leur est arrivé une catastrophe »87(*).Comme aux Etats-Unis, le règne de l'industrialisation, du travail, écrase la condition humaine. Conséquence irrémédiable de cette compression générale, la saleté, la pourriture, la véritable obsession de Céline, qui revient sans cesse. Dans ce passage descriptif de Rancy, la saleté est directement liée aux effets de l'industrialisation : « la lumière du ciel à Rancy, c'est la même qu'à Detroit, du jus de fumée qui trempe la plaine depuis Levallois. Un rebut de bâtisses tenues par des gadoues noires au sol »88(*).La permanence de cette saleté suggère que les conditions de Rancy sont éternelles .Plusieurs autres ressemblances se dégagent d'un passage décrivant les pauvres en Amérique : « Les relents d'une continuelle friture possédaient ces quartiers (...) Tout me rappelait les environs de mon hôpital à Villejuif,même les petits enfants à gros genoux cagneux (...) Je serais bien resté là avec eux mais ils ne m'auraient pas nourri non plus les pauvres et je les aurais tous vus ,toujours et leur trop de misère me faisait peur »89(*).La plupart des thèmes qui constituent le décor de Rancy ont déjà été utilisés pour évoquer les conditions de vie des classes désavantagées dans les descriptions de l'Afrique,de l'Amérique ou même de Paris pendant la guerre : « Dans le grand abandon mou qui entoure la ville ,là où le mensonge de son luxe vient suinter et finir en pourriture,la ville montre à qui veut le voir son grand derrière en boîtes à ordures »90(*).En plus d'être persistantes et indélébiles,la misère et la pauvreté de Rancy sont universelles...L'insalubrité touche tout le monde :l'écrivain se désole face à la passivité des banlieusards qui se contentent de vivoter ,ne pensant qu'à leur pension,obsédés par les problèmes économiques mais constate que,loin d'être responsables de leur passivité,les pauvres sont victimes de leur environnement malsain .La fatalité sociale n'est toutefois pas l'apanage des seules classes défavorisées : tout le monde est concerné par une mauvaise alimentation, une mauvaise diététique :les rues de la banlieue pénétrées du « petit bruit du graillon qui crépite à midi, orage des mauvaises graisses »91(*) mais aussi les hommes d'église comme l'Abbé Protiste , « un homme qui mangeait trop vite et qui buvait du vin blanc »92(*) ou les Henrouille dont le « pavillon payé,(...) plus un sou de dettes »93(*) de Rancy n'empêche pas l'eau d'y pénétrer : «Les murs du pavillon se gardaient encore bien secs autrefois (...) mais a présent que les hautes maisons de rapport le cernaient, tout suintait chez eux, même les rideaux qui se tachaient en moisi »94(*).

La banlieue n'est pas la seule pourvoyeuse de maladies : pendant la guerre de 14-18, la tuberculose et d'autres maladies infectieuses causent des centaines de milliers de morts et mettent en évidence l'inadéquation des structures. Le rôle, nous l'avons vu, de la fondation Rockefeller aux missions de laquelle a participé le docteur Destouches fut vaine dans la prise de conscience populaire et dans la sensibilisation à ces questions de santé publique. Celle ci reste, à l'aube des années 1920, dédaignée par les cliniciens et la médecine libérale.

* 81 P.Roussin, Misère de la littérature terreur de l'histoire, Paris, NRF Gallimard, 2005, p.86

* 82 Ibid p.88

* 83 Ibid p.92

* 84 L.F Céline, Voyage au bout de la nuit, Paris, Folio Gallimard, 1932, p.238

* 85 Ibid p.238

* 86 L.F Céline, Voyage au bout de la nuit, Paris, Folio Gallimard, 1932, p.239

* 87 Ibid p.238

* 88 Ibid p.238

* 89 Ibid p.204

* 90 Ibid p.94

* 91 L.F Céline, Voyage au bout de la nuit, Paris, Folio Gallimard, 1932, p.95

* 92 Ibid p.339

* 93 Ibid p.249

* 94 Ibid p.250

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"Ceux qui vivent sont ceux qui luttent"   Victor Hugo