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L'estime de soi dans la philosophie de Kant

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par Thomas Giraud
Université Paris I Panthéon-Sorbonne - Master 2 Recherche 2010
  

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2.4.2. L'estime de soi est un sentiment du sublime

La Critique de la raison pratique évoque, nous l'avons vu plus haut, le cas de « la divinité qui s'élève sublimement au-dessus de toute dépendance ». Et, quelques pages plus loin, la même Critique affirme que « la pure loi morale même (...) nous laisse pressentir la sublimité de notre propre existence suprasensible, et que, subjectivement, elle produit chez les hommes, qui ont en même temps conscience de leur existence sensible et de la dépendance qui en résulte par

rapport à leur nature affectée dans cette mesure très pathologiquement, du respect
pour leur haute destination »200. Citons encore la Critique de la raison pratique :

« l'idée de personnalité, qui éveille le respect (...) nous manifeste la sublimité de
notre nature (considérée dans sa destination) »201. A travers toutes ces

caractérisations du sentiment que suscite l'action de la loi morale sur la volonté, on voit que, dans ce sentiment, quelque chose de proprement sublime se manifeste à la conscience via l'élévation de la volonté au-dessus de toute dépendance à l'égard des influences de l'inclination. Nous essaierons dans cette section de comprendre pourquoi le sentiment de l'estime de soi qui s'éprouve dans la détermination de la volonté par la seule loi morale, s'accompagne du sentiment du caractère sublime de quelque chose, et nous essaierons de déterminer par là même ce qui peut se manifester comme sublime dans ce sentiment.

Une des citations données au paragraphe précédent rappelle que l'estime de soi que suscite la détermination de la bonne volonté, est liée au sentiment de notre destination suprasensible, ou encore de notre existence « suprasensible ».

Est-il légitime de parler de l'estime de soi dans ces termes ? Si oui, le sentiment

de notre existence suprasensible est-il relié aussi au sentiment de la sublimité de notre existence ?

Tout d'abord, justifions la qualification de suprasensible attribuée (sous certaines conditions) à l'existence humaine. Selon une distinction kantienne célèbre, on peut distinguer les phénomènes et les choses en soi, puisque « les représentations des sens (...) ne nous font connaître les objets que comme ils nous affectent » (comme phénomènes), de telle sorte que ce qu'ils peuvent être en soi nous reste inconnu » (ce qu'ils peuvent être comme choses en soi), et que par suite

« nous ne pouvons arriver qu'à la connaissance des phénomènes, jamais à celle
des choses en soi »202. En bonne conséquence, « il faut reconnaître et supposer

derrière les phénomènes quelque chose d'autre encore qui n'est pas phénomène, à
savoir les choses en soi »203, puisque, comme l'a établi la préface de la deuxième

édition de la Critique de la raison pure, pour qu'il y ait apparence phénoménale, il faut supposer l'existence de quelque chose qui apparaît et qui fonde l'apparition de ce qui apparaît. Aussi faut-il dire que les choses peuvent être envisagées sous deux aspects : d'une part, en tant qu'elles nous affectent et qu'elles se font ainsi connaître à nous dans les représentations de nos sens, en tant que phénomènes donc, mais aussi, d'autre part, telles qu'elles existent pour elles-mêmes indépendamment de toute possibilité d'expérience, en tant que choses en soi. Et, si on considère ces deux espèces de choses comme totalités de ce qui existe, c'està-dire comme mondes, il dérive de là « nécessairement une distinction » entre

deux mondes, « un monde sensible » (celui des phénomènes) et « un monde
intelligible
»204 (celui des choses en soi). Appliqué à l'homme, le principe de cette

202 Fdts, p. 321

203 Fdts, p. 321

204 Fdts, p. 321

distinction permet de distinguer l'homme phénoménal et l'homme nouménal : «

pour ce qui a rapport à la simple perception et à la capacité de recevoir les
sensations, il doit se regarder comme faisant partie du monde sensible, tandis que,

pour ce qui en lui peut être activité pure (...), il doit se considérer comme faisant
partie du monde intelligible »205. En tant que phénomène, son existence est bien

sûr purement phénoménale et, en tant qu'il est soumis aux lois de la nature, sa volonté est hétéronome. En tant que chose en soi, son existence peut être dite « intelligible » ou « intellectuelle » et, en tant qu'il est sous ce rapport soumis à des lois émanant de sa propre raison, sa volonté est autonome. Il est donc légitime de parler d'existence suprasensible de l'homme.

Mais l'estime de soi produite par la pure représentation de la loi morale est-elle liée à la conscience de notre existence intelligible ? Nous avons vu que l'estime de soi ainsi définie n'était autre que le sentiment de la valeur que nous conférait notre personnalité (voir notre section 2.2.1). Or, dans la définition que nous donnions alors de la notion de personnalité, celle-ci apparaissait indissolublement liée à la notion de liberté (au sens d'indépendance mais aussi d'autonomie). Rappelons en effet l'entame de cette définition : « la personnalité, c'est-à-dire la liberté ». Ainsi, ce n'est qu'en tant que l'homme est envisagé du point de vue de son existence suprasensible, qu'il peut être considéré comme doté d'une personnalité, puisque, nous le disions, c'est sous cet aspect que la volonté humaine peut être jugée libre et que la personnalité est liée à la liberté : « la personne », c'est-à-dire l'être doué de personnalité au sens de liberté, est

« soumise à sa propre personnalité, pour autant qu'elle appartient en même temps
au monde intelligible »206 On voit, dès lors, comment l'estime de soi qu'inspire la

loi morale peut se comprendre comme associée au sentiment de notre existence

suprasensible, puisque c'est en tant que l'être humain est considéré comme ayant une existence suprasensible qu'il s'apparaît à lui-même comme doué de personnalité (au sens kantien du terme) et de valeur interne.

Mais ce mode particulier d'existence ne manifeste-t-il pas une certaine sublimité ? Dans le chapitre précédent, nous avons vu que le sentiment du sublime (au sens dynamique comme au sens mathématique du terme) se ramenait au sentiment de la supériorité de notre destination suprasensible ou de notre existence suprasensible. L'estime de soi, comme sentiment éprouvé devant notre existence intelligible, apparaît bien alors comme lié au sentiment de la sublimité de notre destination supérieure.

Au terme de cette double analyse, nous pouvons bien dire que, dans l'estime de soi comme sentiment de la dignité de notre personnalité, nous éprouvons le sentiment de la supériorité de notre destination comme sentiment du sublime et que, dans le sentiment du sublime, nous éprouvons aussi le sentiment de la supériorité de notre destination suprasensible comme estime de soi. Nous avons donc dégagé une double implication : le sentiment du sublime implique l'estime de soi et l'estime de soi implique le sentiment du sublime. Nous interprétons cette double implication comme le signe d'une identité entre les deux sentiments: derrière les deux formulations possibles se révèle le même sentiment de notre destination suprasensible ou supérieure. Or, c'est ce même sentiment que la Critique de la raison pratique désignait, sous le nom de sentiment de notre personnalité, comme le sentiment moral, celui qui sert de mobile à la moralité. On comprend dès lors pourquoi la lettre à Reichardt peut ramener la moralité subjective au goût. Si, en effet, on ramène la part subjective de la moralité au seul

sentiment moral, comme sentiment de la sublimité de notre destination, et qu'on fait de ce sentiment une affaire de goût, il ne reste plus qu'à réduire la moralité subjective à ce sentiment. La Critique de la faculté de juger semble donc enrichir la conception kantienne du sentiment moral en lui ajoutant une détermination supplémentaire : sentiment de respect pour la loi morale supérieure, mais aussi estime de la supériorité de notre destination, et enfin sentiment de la sublimité de cette même destination.

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L'estime de soi, comme sentiment de la destination sublime de la nature humaine dans sa propre personne, nous fait prendre conscience de la « plus grande perfection morale » à laquelle nous devons tendre, à savoir le souverain bien, la vertu mêlée au bonheur : « La volonté de Dieu n'est pas simplement que nous soyons heureux, mais que nous nous rendions heureux »207. La destination finale du genre humain, ce n'est pas seulement le bonheur, mais ce qui nous rend digne du bonheur, i.e. la vertu. Or, par quel moyen l'espèce humaine peut-elle faire chemin vers cet idéal de perfection ? La réponse de Kant est sans équivoque : « l'éducation » et « rien d'autre ! »208. Nous allons nous intéresser dans la partie suivante à l'éducation morale et au rôle que peut y jouer l'estime de soi.

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"Soit réservé sans ostentation pour éviter de t'attirer l'incompréhension haineuse des ignorants"   Pythagore