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Une approche socio-historique de la violence au XIXème siècle: le cas d'une conspiration à  Lyon en 1817

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par Nicolas Boisson
Université Pierre Mendès France Grenoble - Master recherche 2008
  

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Premier cadrage historique des évolutions politiques de la ville de Lyon de la Révolution à ce complot de 1817

La ville de Lyon est l'espace de notre étude. Il est donc primordial de revenir sur la formation de son identité politique en essayant de comprendre le poids joué par les différentes vagues de violences qui jalonnent son histoire. En effet, Lyon, ville romaine par excellence, va constamment oeuvrer pour s'émanciper du carcan de la centralité de l'Etat à partir de la Révolution française. Comme le note Bruno Benoit : « A partir de la Révolution, les violences en étant libératrices, émancipatrices, révolutionnaires deviennent véritablement collectives. »37(*). Notre étude de cas prend donc son sens dans une analyse du contexte post-révolutionnaire. Néanmoins pour le lecteur soucieux d'acquérir une vue d'ensemble de l'histoire des mentalités lyonnaises, nous lui conseillerons le petit ouvrage de l'historien Jean-Pierre Gutton, Histoire de Lyon et du Lyonnais38(*).

Pour la période que nous retenons, de la Révolution aux années 1814-1817, la ville de Lyon va connaître cinq temps de violences collectives que l'on peut répertorier, selon la classification de Bruno Benoit39(*), de la manière suivante :

1. 1786 : la révolte des « deux sous » : une révolte ouvrière, des violences annonciatrices.

2. 1789/1790 : les violences révolutionnaires, des violences libératrices.

3. 1793 : les violences en réaction à la Terreur jacobine, des violences émancipatrices.

4. 1795-1798 : les violences de la Terreur blanche (royaliste), des violences réactionnaires.

5. 1814-1817 : les violences liées au retour des Bourbons, des violences émancipatrices issues de deux traditions locales : bonapartiste et « libérale-révolutionnaire », se rejoignant dans une lutte commune contre ces deux Restaurations. Violences auxquelles répondent les royalistes par de sévères vagues de répression.

Passons brièvement en revue ces différents épisodes de violences collectives à Lyon.

Retenons déjà qu'à chaque fois, ces violences collectives donnent lieu à une violence répressive, variant selon la légitimité ou la dangerosité que le pouvoir accorde ou n'accorde pas à ces violences.

1786 reste dans la mémoire lyonnaise le premier épisode de violences sociales de l'histoire contemporaine de la ville. Un lundi 7 août 1786, sur fond d'agitation sociale, une sédition des ouvriers de la soie se déclenche, aux cris de « Il n'y aura pas de navette sans les deux sols », pour réclamer une augmentation du prix de façon de deux sous par aune pour les unis, c'est-à-dire l'application du tarif promis depuis deux mois et qui avait déjà donné lieu à des heurts en 1744. Très vite, le mouvement entraîne dans son sillage le ralliement des chapeliers qui réclament une augmentation du prix de la journée de travail. Notons au passage que l'on retrouvera nombre de chapeliers au sein de la conspiration du 8 juin 1817. A l'origine, la protestation se veut pacifique mais très vite les violences naissent avec des jets de pierre au niveau de la place des Terreaux, occasionnant, au cours d'affrontements avec la maréchaussée, un mort et huit blessés40(*). Nous nous situons encore sous l'Ancien Régime et la Cour reste insensible aux revendications sociales des canuts et des chapeliers, jugés source de trouble à l'ordre public... Malgré l'intervention des chanoines-comtes41(*) de Lyon en tant que médiateurs entre les « séditieux » et les autorités, le travail ne reprend pas et poussent donc ces dernières à dissoudre le mouvement. Cela se traduit par la pendaison de trois ouvriers, dont Pierre Sauvage, un des meneurs du groupe des chapeliers, et d'un ouvrier piémontais, place des Terreaux le 12 août 1786. Cette révolte, qui appartient à l'histoire de la Fabrique lyonnaise, illustre parfaitement la rupture entre les autorités et la population. Elle est un parfait exemple des violences collectives à venir, et comme le note Bruno Benoit : « Ces luttes violentes de 1786 sont plus des combats de demain que d'hier. »42(*).

Les violences libératrices de 1789/1790 sont le fait de l'agitation politique révolutionnaire mais sont aussi liées, comme ce sera encore le cas en 1817, à la crise des subsistances et au combat pour une juste fiscalité. En effet, un « état de foule » gagne les Lyonnais lorsqu'ils apprennent à la fin du mois de juin 1789, les premiers bouleversements politiques dans la capitale liés à la Révolution. Dés le 30 juin, de nombreux Lyonnais envahissent les rues et crient : « Vive le Tiers-Etat ; point de gabelles, point d'aides, point de capitulation, point de droits d'entrée, tous libres ! »43(*). Des heurts éclatent, des manifestants molestent des agents des octrois et saccagent leurs bureaux, situés aux entrées de la ville. Leur but est d'empêcher la taxation des produits entrants dans la ville, taxes ou octrois qui renchérissent les denrées de première nécessité mais aussi le vin, au détriment du peuple. Ces violences contraignent le Consulat à faire intervenir l'armée. Le 5 juillet 1789, l'ordre sera rétabli avec la reprise des octrois. Quelques émeutiers, rapporte Bruno Benoit, seront condamnés à la potence, aux galères ou au bannissement44(*).

Mais le calme ne durera qu'une année45(*). Début juillet 1790, la situation économique et sociale ne s'améliorant pas dans la région, les révoltes anti-octrois redémarrent. Le 8 juillet en fin de journée, pas moins de 20 000 personnes envahissent la place des Terreaux. Quelques individus parviennent même à pénétrer dans l'Hôtel de Ville pour scander : « Point d'octrois, point de barrières, à bas les gapians, nous ne voulons plus payer, à bas les barrières où nous les brûlons... »46(*). Le mouvement de foule est telle, que la Garde nationale intervient. Les autorités municipales capitulent, les octrois sont supprimés le 10 juillet. Cependant, le roi impose le rétablissement de ceux-ci à la fin du mois, le retour d'affrontements encore plus violents devient inévitable. Le 26 juillet 1790, 2000 personnes partent de la place Bellecour marcher sur l'Hôtel de Ville, molestent sur place le maire et quelques officiers municipaux.

Cette fois la Garde nationale sera secondée d'un renfort du régiment suisse de Sonnenberg. Mais malgré, la démonstration de force, les émeutiers tiendront le siège au cri de « Vaincre ou mourir » jusqu'au 20 août où le calme semble revenu. Naturellement, les octrois seront maintenus mais qu'au prix de l'installation de troupes de lignes au coeur de Lyon !

C'est peu dire que ces 2000 insurgés lyonnais symbolisent la résistance à l'Etat central par des violences libératrices, politiques certainement mais avant tout motivées par leur refus d'une misère économique et sociale croissante. Comme le remarque avec justesse Bruno Benoit : « Il y a dans les violences collectives anti-octrois un face à face social entre ceux qui veulent plus de liberté et d'égalité et ceux qui ne veulent pas que les choses changent. »47(*).

Elles sont les colères de la soif et de la faim de tous ceux qui vivement difficilement au sein de la seconde ville de France, qui compte alors 150 000 habitants. L'ampleur quasi-extraordinaire de ces violences collectives de 1789/1790 caractérise désormais irrémédiablement l'identité politique complexe des Lyonnais, forte d'une grande capacité de résistance à la répression, de toute nature soit-elle.

Vient ensuite la terrible année 1793, spécialement pour la ville de Lyon qui va manifester son refus du jacobinisme par des violences émancipatrices. En effet, suite à la chute du roi à la mi-août 1792, s'exacerbent les tensions entre patriotes locaux, avec d'un coté les camarades de Joseph Chalier, dits les « Chalier », des montagnards exagérés partisans d'un gouvernement populaire, et de l'autre les modérés menés par Jean-Marie Roland et Louis Vitet, proches de la Gironde. Nous allons bientôt présenter le personnage de Joseph Chalier, présentation incontournable tant il aura marqué par réaction à ses excès idéologiques, la mémoire révolutionnaire lyonnaise. Notons déjà que l'on observe, avec la chute du roi, renaître le conflit « centre » contre « périphérie », Paris contre Lyon, sous la forme de l'affrontement doctrinal jacobins/montagnards contre girondins/libéraux. Tout l'enjeu de cet affrontement réside dans leur conception différenciée du recours à la violence. Sans surprise, le camp des « durs », les « Chalier » pour qui la Révolution et la République exigent tous les sacrifices, fussent-ils souvent en réalité de l'ordre du « défouloir », feront de la violence physique et verbale le moteur de leur cause. En effet, les « Chalier » veulent imiter les formes prises par les événements dans la capitale. Bruno Benoit rapporte les propos de Dodieu, un « Chalier » président de la section de la Juiverie le 27 août 1792 : « Imitons la cité de Paris et souvenons-nous que si la vie d'un seul particulier peut sauver le général et la patrie, nous avons le droit de l'immoler. »48(*). Cette question du recours à la violence va donc devenir la véritable « ligne de fracture », selon les termes de Bruno Benoit, entre les deux camps révolutionnaires lyonnais, avec pour paroxysme l'année 1793.

Jouissant du climat de grandes tensions régnant à Lyon suite aux violences extrêmes, que nous avons déjà présentées, de l'été 1790, les « Chalier » vont exciter la scène politique locale de septembre 1792 à mai 1793. La République naît officiellement le 25 septembre 1792, et dés lors les « Chalier » feront tout pour monopoliser son contrôle local, pour ce qui concerne le niveau de la ville de Lyon. Présentons la figure de Joseph Chalier.

D'origine sarde, né en 1747, Joseph Chalier a migré à Lyon pour y faire ses études puis s'y est installé comme négociant en soieries49(*). Chalier voyage beaucoup en Europe, puis finit par s'implanter à Lyon, en s'associant en affaires avec le représentant d'une famille de marchands-fabricants, Antoine-Marie Bertrand, futur « Chalier ». Elu comme notable au printemps 1790 dans la première municipalité lyonnaise, celle de Palerne de Savy, il devient officier municipal, en novembre 1790, aux côtés de Jean-Marie Roland dans l'équipe Vitet50(*). Suspendu de ses fonctions par le directoire du département de Rhône-et-Loire en janvier 1792, à la suite de plaintes de citoyens pour visites domiciliaires abusives, il se rend à Paris où la fièvre clubiste s'empare de lui après avoir rencontré Marat, l'homme qu'il admire et qu'il veut être à Lyon. Quand il rentre à Lyon le 24 août 1792, blanchi de toute accusation par Roland, ministre de l'Intérieur, il retrouve ses fonctions au sein de l'équipe municipale conduite par Vitet, puis par Nivière-Chol, lorsque Vitet devient député à la Convention. Il est encore plus convaincu qu'en 1790, n'avait-il pas alors écrit que Lyon est « une ville ingrate, une ville perfide qui renferme plus que tout autre les ennemis jurés de la plus heureuse, comme de la plus étonnante des révolutions »51(*), par l'idée que Lyon est une ville réactionnaire, voire contre-révolutionnaire, un repaire pour les ennemis de la Révolution. Pour Chalier, observe Bruno Benoit, il faut nettoyer Lyon de tous ses aristocrates, de tous ses riches, de tous ses « mangeurs d'hommes »52(*). Alliant la violence verbale à la violence physique, Joseph Chalier et ses comparses vont s'atteler à pousser à l'élimination de tous les ennemis lyonnais de la Révolution. La population lyonnaise rejettera leurs méthodes et mettra fin à leur radicale entreprise, en jugeant Joseph Chalier, guillotiné à Lyon le 16 juillet 1793, au terme d'un long procès. Revenons rapidement sur l'épisode Chalier pour comprendre l'inclinaison des Lyonnais au rejet de l'oppression.

Les « Chalier » vont annoncer leurs méthodes dés le procès du roi. Leur arme favorite, remarque toujours Bruno Benoit, est la « parole assassine », le  « discours violent ». Bruno Benoit rappelle, par exemple, la séance du Club central des « Chalier », le 6 février 1793, où leur leader préconise l'installation de guillotines sur le pont Morand afin que les têtes tombent directement dans le Rhône. Le 9 mars 1793, Antoine-Marie Bertrand, l'associé de Chalier, accède à la mairie de Lyon, sous la pression de la Convention...parisienne. Les « Chalier » ont alors les mains libres pour mettre en oeuvre leur programme municipal :

-création d'un tribunal révolutionnaire condamnant les aristocrates, royalistes, accapareurs, prêtres réfractaires, rolandins...

- création d'une armée révolutionnaire.

- taxation des riches.

Les « Chalier » s'appuient sur la Société lyonnaise des Jacobins et sur le Comité lyonnais de Salut public. Cependant la résistance au « Chalierisme », cette dictature révolutionnaire inspirée du jacobinisme parisien, ne va pas tarder à s'organiser. Le 29 mai 1793, un soulèvement sectionnaire et majoritaire éclate contre cette politique dangereuse pour l'existence même de la ville. En effet, comme le remarque à juste titre Jean-Pierre Gutton : « Ceux que l'on nomme les « Chalier » appartiennent à des milieux modestes, mais rarement populaires. »53(*). Cette réaction à la Terreur révolutionnaire des « Chalier » intervient donc dans une ville où, est-il besoin de le rappeler, les rapports marchands de confiance dans le négoce structurent profondément les hiérarchies sociales locales. Le commerce et son esprit ont façonné l'identité tenace de la ville de Lyon, une identité faite à la fois de libéralisme politique et économique, et de tradition catholique. Cette identité, bourgeoise aux yeux des « Chalier », fédère les Lyonnais, et nous le voyons, durant tous les épisodes de répression de ses éléments. Ainsi comme le note Bruno Benoit : « Le 29 mai, quand Lyon dit non à Chalier, la majorité de la population lyonnaise refuse son discours anti-riches, amalgamant marchands-fabricants et chefs d'atelier, qui vise directement la prospérité de la ville, même si celle-ci n'est, en 1793, guère brillante. »54(*). En réalité, Joseph Chalier va échouer dans sa politique de jacobinisation forcée, précisément parce que le fonctionnement des rapports sociaux à Lyon n'est le même que celui de Paris, et que tenter d'opposer le monde de la Fabrique à celui du « Capital » relève de la simplification idéologique, même pour les travailleurs lyonnais...

Dés lors, les « Chalier », en essayant de détruire ce traditionnel syncrétisme professionnel et ce notamment dans les métiers de la soie, vont provoquer un soulèvement armé le 29 mai 1793, dont les combats font plus de 40 morts, et conduisent à l'arrestation de Chalier et de la plupart de ses amis. Se met alors en place à Lyon une municipalité provisoire, républicaine mais libérale, ce qui coûtera la vie à son maire, le chirurgien Jean-Jacques Coindre, exécuté en novembre 1793. Revenons au mois de juin 1793. Comme l'indique Bruno Benoit, une fois encore la ville de Lyon s'inscrit à contre courant des événements parisiens du 2 juin qui voient les Montagnards et les sans-culottes prendre le pouvoir aux dépens de la Gironde. Les Lyonnais rejettent ce coup de force jacobino-montagnard et déclarent le 9 juin : « qu'ils regardent la ville de Paris comme étant en état de révolte contre l'égalité politique, la République une et indivisible et la souveraineté nationale, tant qu'elle retiendra dans ses fers une partie des représentants du peuple... »55(*). Le 8 juillet, les autorités provisoires lyonnaises vont même jusqu'à solliciter l'aide d'un royaliste, le colonel Précy, pour organiser et commander l'armée lyonnaise. Paris voit dans cette résistance, un acte contre-révolutionnaire, en confirmant l'opinion de ses ennemis la qualifiant de ville blanche. Les représailles du pouvoir central ne tardent pas. La Convention déclare le 12 juillet, la ville de Lyon comme étant en état de rébellion contre-révolutionnaire. Cette déclaration est de plus motivée par l'exécution à Lyon de Joseph Chalier, le 16, au terme d'un procès de ses violences. Paris, convaincue par l'idée que Lyon est redevenue un foyer royaliste, organise son siège avec l'aide de l'armée des Alpes, commandée par le général Kellermann. Lyon résiste tout de même 60 jours. Mais le 12 octobre 1793, la ville est officiellement « destituée » par le décret de la Convention : « Lyon fit la guerre à la liberté, Lyon n'est plus. »56(*).

Comme le note Bruno Benoit : « Ce décret donne le coup d'envoi à une période de répression d'une rare violence à l'égard de Lyon qui a acquis, aux yeux du pouvoir central, une réputation de ville royaliste, de ville contre-révolutionnaire, ce qui sera une des conséquences longtemps indélébiles de son soulèvement et de sa résistance. »57(*). Les acteurs principaux de cette répression sont Couthon, Collot d'Herbois et surtout Fouché qui restera le symbole de cette Terreur révolutionnaire à Lyon dans la mémoire de ses habitants. Bruno Benoit, toujours, nous livre un aperçu de ses violences inouïes : « Prés de 1900 personnes, jugés sommairement, sont guillotinées place des Terreaux ou mitraillées dans la plaine des Brotteaux entre octobre 1793 et avril 1794, soit 1,5% de la population de la ville. Toutes les catégories sociales versent le tribut de sang à cette régénération physique... »58(*).

Plus symbolique, les jacobino-chaliéristes s'en prennent aux façades de la place Bellecour, rebaptisée place de la Fédération, et privée depuis août 1792 de sa statue équestre de Louis XIV. La ville n'est plus que le chef-lieu d'un département « croupion », celui du Rhône, et elle perd son nom pour celui de Ville-Affranchie, pour retrouver un maire « Chalier » : monsieur Bertrand. De même, on assiste à un déchaînement anti-clérical, fort logique de la part des Jacobins qui vise là habilement une ville plutôt dévote. Une fête de l'âne est organisée le 8 novembre 1793, où un âne coiffé de la mitre pontificale traîne les saintes écritures attachées à sa queue...

On assiste bien à la mise en scène d'une punition de l'Etat central, de Paris, sur Lyon, caricaturée sous les traits de la réaction royaliste chrétienne contre la jeune République jacobine et laïque. On comprend mieux, dés lors, le rôle moteur joué par la peur dans le déclenchement de ces vagues de répression. Comme le note l'historien Jean-Pierre Gutton : « L'histoire de Lyon est une succession de réactions, de gauche ou de droite, qui manifestent la peur que la ville inspire aux différents gouvernements. Pour l'heure, il s'agit d'une Terreur jacobine. »59(*). Pour Bruno Benoit, ces violences collectives des années 1793-1794 sont une véritable guerre civile, d'abord lyonno-lyonnaise puis entre la Convention et Lyon. Comme il le remarque judicieusement : « Deux visions de la République/Révolution s'affrontent, le centralisme contre le pouvoir local, le pouvoir des sociétés populaires contre celui des sections où dominent les citoyens responsables, la Terreur contre la Liberté. »60(*).

En ces années marquées donc par les excès révolutionnaires, Lyon fait figure de ville martyre car elle concentre en elle trois camps aux motivations différentes :

- Les « exagérés » dont nous avons vu qu'avec les partisans de Chalier, même minoritaires, en usant et abusant de la violence, ils ont profondément meurtri les Lyonnais, auxquels ils voulaient imposer la face la plus obscure de la Révolution.

- Les « modérés », majoritaires à Lyon, plus enclin au dialogue qu'à la force, ce sont les véritables hommes de 1789, épris du principe de liberté et de respect de la religion. Ils formeront les libéraux sous la Restauration.

- Les royalistes, qui de façon discrète, ont pu infiltré les « modérés » dans leur résistance à la Terreur jacobine.

  C'est ce dernier camp, qui exploitant les divisions locales entre révolutionnaires lyonnais, va prendre le relais des violences collectives. La ville de Lyon, à peine remise de la Terreur rouge des « Chalier » et autres Montagnards et Jacobins, va connaître à nouveau des violences réactionnaires de 1795 à 1798, celles royalistes de la Terreur blanche, véritable réaction aux violences de la Terreur révolutionnaire.

Cette quatrième vague de violences au sein de la ville de Lyon, selon notre fourchette retenue, est d'une grande importance car c'est en partie « elle », ou plutôt son souvenir ambivalent d'un potentiel extraordinaire d'affirmation par cette ville de son autonomie et de sa liberté par les armes, qui va réveiller encore plus tard l'esprit de résistance des Lyonnais sous la Restauration.

Avec la chute de Robespierre en août 1794 et le recul des Montagnards et des Jacobins, victimes de leurs excès de violences, la Convention renouvelée décide, le 7 octobre 1794, d'accepter d'annuler le fameux décret du 12 octobre 1793, qui bannissait littéralement la ville de Lyon et ses habitants. Très vite, le désir de vengeances de certains Lyonnais à l'égard des « Terroristes » chalieristes et de leurs méfaits, prend le pas sur le retour au calme et à la modération politique, et une Terreur blanche se développe durant le premier semestre de 1795. En effet, suite à la Terreur rouge, nombreuses sont les familles de Lyonnais à déplorer la perte d'un de leurs membres et la haine pour les « mathevons », terme local désignant les jacobins et les terroristes sans-culottes, s'accompagne du désir de vengeance.

Les royalistes, présents en nombre considérable à Lyon, profitent de ce climat de règlement de comptes pour amorcer leur projet de reconquête de la ville. Ils excitent les esprits et organisent des chasses aux mathevons. Dés novembre 1794, des chants contre-révolutionnaires emportent des bandes de royalistes et de Lyonnais assoiffés de vengeance.

Les violences blanches éclatent en février 1795 à Lyon, ce qui est un peu plus tôt que dans le reste de la France, cette dernière touchée dans son ensemble par un reflux royaliste. Dans le Rhône, cette Terreur blanche est menée par les Compagnons de Jésus, qui était, selon Jean-Pierre Gutton : « une société secrète dont, à dire vrai, on ignore tout. »61(*). Ses membres, de jeunes royalistes obsédés par leur dévouement à Dieu et au Roi, traquent les derniers « Chalier » et autre Montagnards et Jacobins reclus au sein de la ville. Selon les recherches de Bruno Benoit, ils égorgeaient massivement leurs victimes62(*).

Mais les violences les plus marquantes ne sont pas le fait directement des Compagnons de Jésus. Elles interviennent en réalité lors des procès d'anciens « Chalier ». Ainsi, dans l'après midi du 14 février 1795, lors du transfert de Joseph Fernex, un ancien « Chalier » membre de la Commission révolutionnaire de Lyon, vers la prison dite de Joseph, des passants le reconnaissent, parviennent à le soustraire de ses gardes et après l'avoir tabassé, le jette dans le Rhône. Deux mois plus tard, en mai 1795, des massacres éclatent dans les prisons. Ainsi, le 4 mai 1795, doit comparaître devant le tribunal criminel, Etienne Bonnard, membre du comité révolutionnaire de Vaise. Lorsqu'il regagne la prison de Roanne, une foule immense, de 30 000 à 40 000 personnes63(*), réclame sa tête ainsi que celles d'autres « mathevons ». La foule envahit la prison et tue les prisonniers. Le lendemain, elle s'attaquera à d'autres prisons. Une partie du peuple lyonnais, excitée par les royalistes, a donc décidé de se rendre justice elle-même, en ce qui concerne les anciens bourreaux de la Terreur rouge.

Ainsi selon Bruno Benoit : « Le bilan des massacres de Floréal (mai 1795) avoisine la centaine de morts et le total des mathevons tués durant ce semestre de Terreur blanche tourne autour de 400 personnes. »64(*). Comme l'observe Jean-Pierre Gutton : « Ce qui pouvait apparaître le plus inquiétant dans la réaction lyonnaise était en effet son aspect anti-républicain. »65(*). Cependant, il faut garder en mémoire que ce reflux royaliste suivi par certains Lyonnais intervient à peine deux années après les massacres de la Terreur rouge, et que la rancoeur des Lyonnais à l'égard de la Convention n'est dés lors qu'un juste retour face l'oppression subie de la part de cette dernière. De plus, ces violences collectives réactionnaires sont facilitées par le travail d'enveniment de la situation par des royalistes à Lyon, menés notamment par Imbert-Colomès, qui ont depuis 1790 infiltré différents rouages administrativo-politiques.

Assez tardivement, la Convention inquiète de la tournure que prennent les événements en province et surtout à Lyon, se décide à réagir. Le 24 juin 1795, pour éteindre la Terreur blanche à Lyon, la Convention pousse à la mise en place d'une nouvelle équipe municipale, et ce afin d'éviter que ne s'installe encore durablement un climat de guerre civile. En effet, c'est bien toujours le spectre de la guerre civile à Lyon qui inquiète le pouvoir central. Comme le note à juste titre Jean-Pierre Gutton : « Désormais, l'histoire de Lyon est entièrement dépendante des décisions de Paris qui la surveille d'ailleurs soigneusement. »66(*). En effet, en cette année 1795, la ville de Lyon, affaiblie de plus par les difficultés économiques, est un enjeu important pour les royalistes locaux comme Imbert-Colomès que l'on retrouve à la tête de complots voués à l'échec en novembre. Ce climat de tensions insufflé par le retour des royalistes sur la scène politique local incite les Jacobins du pouvoir central à redoubler la surveillance de la ville. Le 1er juillet 1796, le Directoire autorise le commandement militaire de Lyon à proclamer l'état de siège de la ville si la situation le réclame, ce qui arrivera le 2 février 1798. Cependant malgré, et peut-être à cause, de cet encadrement tout droit organisé par l'Etat central, les Lyonnais, lors d'élections d'avril 1797 pour le Conseil des Cinq-Cents, élisent, au suffrage censitaire, deux royalistes locaux : Imbert-Colomès et Camille Jordan, ce dernier rejoindra les libéraux plus tard... Pour Bruno Benoit, ce choix de ces deux royalistes : « prouve que les élites lyonnaises refusent la violence, mais préfèrent le royalisme à la République. »67(*).

Cette analyse est pertinente dans le sens où effectivement, au travers de ces violences réactionnaires royalistes, une partie des Lyonnais a manifesté son refus de la République autoritaire et sanguinaire des « Chalier » et des Jacobins. Mais peut-on pour autant en conclure que Lyon en ces années s'affirme à nouveau comme une ville blanche ? La réalité semble complexe. Depuis que la ville vit depuis juillet 1796 sous la menace d'un état de siège par la main de Paris, les élites locales manifestent à nouveau leur « distinction », pacifiquement par la voix des urnes, en réaction aux couleurs politiques de la capitale jacobine, donc en se tournant à nouveau vers les royalistes. Ces velléités provinciales inquièteront toujours Paris qui finira par déclarer la ville de Lyon, en état de siège le 2 février 1798.

Les violences diminuent dés cette date et les Lyonnais réincarneront le salut de leur ville dans la personne de Napoléon Bonaparte, qui de retour d'Egypte viendra inquiéter Paris en faisant étape à Lyon, où il y manifestera une ferveur particulière pour ses habitants, ces derniers lui rendront amplement en lui assurant une certaine fidélité à venir...

En effet, en cette fin du XVIIIème siècle, les Lyonnais, las de toutes ces violences, révolutionnaires ou royalistes, voient dans Napoléon, le « Sauveur » face à l'oppression centrale. Le 13 octobre 1799, Napoléon fait étape à Lyon. Ses habitants illuminent et l'acclament quand il paraît au théâtre où l'on joue une pièce improvisée Le Héros de retour. C'est depuis cette étape que s'enracine le Bonapartisme lyonnais qui nourrira les insurrections à venir à l'encontre des ultras...

Essayons de faire un bilan de l'état des forces politiques à Lyon suite à ces différentes vagues de Terreur, rouge puis blanche. Bruno Benoit résume parfaitement le tiraillement du peuple de Lyon entre trois forces politiques en cette fin d'année 1799 : « A Lyon, les prétendants au pouvoir sont au nombre de trois : les partisans d'une République sociale, minorité qui cultive l'héritage des « Chalier », les partisans d'un régime modéré qui sont des libéraux qui se souviennent du 29 mai, du fédéralisme et de l'esprit de résistance lyonnais, et enfin les partisans de la monarchie, ceux qui veulent le règne du Roi et de Dieu. Quant à la majorité de la population, elle suit les élites modérées quand celles-ci lui montrent le chemin, ce qui a été le cas en 1793. En revanche, quand ces élites ne maîtrisent plus la situation, comme en 1795, la majorité de la population peut-être tentée par les extrêmes. Les ingrédients d'une guerre civile permanente sont bien réunis à Lyon et les violences collectives ne peuvent qu'entraîner à leur tour d'autres violences... »68(*).

Nous en arrivons à la cinquième vague de violences collectives des Lyonnais amenant notre conspiration du 8 juin 1817. Ces violences émancipatrices des années 1814-1817 se manifesteront par la singulière rencontre du Bonapartisme avec la tradition révolutionnaire. Cette fois l'ennemi est le royaume ou plutôt l'inertie des royalistes face à la crise économique, et leur despote en privant les citoyens redevenus sujets, de leurs libertés publiques fondamentales.

Pour comprendre, ce retour à l'usage de la violence des Lyonnais sous la Restauration de Louis XVIII, donc qui plus est contre la monarchie alors que tous voyaient cette ville acquise à la cause du roi suite à la Terreur blanche, il faut garder à l'esprit le changement de paramètres induit par le retour de Napoléon et l'Empire.

Le Directoire avait laissé la ville démographiquement diminuée, matériellement défigurée, socialement désorganisée, économiquement exsangue et politiquement déchirée69(*).

Sous l'Empire, Lyon retrouve sa population ou presque, Bellecour ses façades, ses élites traditionnelles, son dynamisme textile et commerciale. Elle bénéficie d'un maire nommé par le pouvoir central, Fay de Sathonay, ancien royaliste modéré rallié pourtant à Napoléon. Comme le suggère Bruno Benoit à propos de ces nouvelles années pacifiées à Lyon: « Napoléon n'est-il pas le meilleur garant, en attendant une éventuelle Restauration, de l'ordre social, trop souvent perturbé sous la Révolution, de la prospérité économique et de la réconciliation religieuse ! »70(*). Et en effet, si l'on passe outre quelques complots monarchistes à l'encontre de Napoléon71(*), tous déjoués, l'Empire est une période de modernisation importante du pays et surtout de son Etat. Mais à partir de l'année 1810 resurgissent les difficultés économiques fragilisant ainsi le régime.

Le commerce recule et la misère refait son apparition chez les canuts, ce qui laisse présager de nouveaux troubles politiques locaux au regard du fonctionnement socio-politique de la ville, déjà présenté précédemment. Ces inquiétudes expliquent le fait que les Lyonnais n'offrent pas d'avantage de résistance, ils ont déjà payé un lourd tribut, à l'entrée des Autrichiens dans leur ville le 21 mars 1814. Pourtant, on ne peut conclure à l'abandon de la ville aux Bourbons.

Certes la municipalité lyonnaise reconnaît le 8 avril 1814 cette première Restauration en la personne de Louis XVIII, mais le peuple de Lyon ne semble pas suivre ses élites au regard de l'accueil triomphal qu'il réserve à l'Empereur de retour de l'île d'Elbe.

Le 13 mars 1815 est un symbole important dans l'histoire de l'identité politique lyonnaise. Ses habitants accueillent en effet l'Empereur, canuts en tête, aux cris de : « Vive l'Empereur ! Mort aux royalistes ! A bas les prêtres ! »72(*). On observe bien là un sursaut jacobino-républicain de la population, prête à oublier les violences subies hier par les « Chalier », pour mieux combattre celles présentes des ultras. Comme le remarque Bruno Benoit : « Les élites royalistes sont déconsidérées à l'image du comte de Fargues, le maire ultra de Lyon, et les élites bourgeoises ne savent plus à quel régime se vouer, les exagérés imposent leurs vues à la population et la peur s'empare alors de la ville. »73(*). En réalité, un climat de grande confusion politique et idéologique règne à Lyon après la défaite finale de Napoléon à Waterloo. L'ordre ancien semble être revenu durablement en France alors qu'à Lyon se cultive l'idée de ramener la République avec l'Empereur. Bruno Benoit résume parfaitement la situation politique locale : « Malgré le royalisme affiché par une partie de ses élites, Lyon est une ville à surveiller, car depuis mars 1814, les descendants des « Chalier » ayant épousé la cause napoléonienne, seule manière de résister à l'ordre ancien, s'est alors opérée à Lyon, aux yeux du pouvoir central, la confusion entre bonapartisme et tradition révolutionnaire. »74(*).

Nous en arrivons donc enfin aux années 1815-1817, présentées précédemment, ces années marquées par les rumeurs de complots divers, toujours à l'encontre de Louis XVIII qui règne sans grand soutien populaire et entouré d'ultras manipulant le sentiment de peur à leur seuls profits personnels. Les ennemis officiels du « nouveau » régime restauré une seconde fois en la personne de Louis XVIII sont désormais les Bonapartistes ligués avec les Jacobins.

On ne compte plus les rumeurs de complots bonapartistes, alimentant un climat de peur, marqué par les lettres anonymes et les délations en tout genre. Ce climat trouve son paroxysme avec l'échec des ultras à convaincre le roi de ne pas dissoudre la Chambre. La Chambre dissoute le 5 septembre 1816, cela signifie concrètement l'organisation prochaine d'élections, élections que redoutent les ultras locaux au regard de la montée en puissance des royalistes constitutionnels (des modérés) et pire encore pour les ultras, de celle des libéraux.

En cette fin d'année 1816 et début de 1817, l'enjeu des ultras lyonnais est donc d'effrayer à nouveau la population en réveillant ses souvenirs des violences collectives subies et longuement exposées précédemment. Le spectre de « la guerre civile », mal qui a tant meurtri Lyon, est donc l'arme des ultras au service de leur despote. Multiplier la propagande autour de complots, parfois réels, souvent exagérés... Infiltrer les groupes de dissidents...Provoquer parfois l'émeute puis diaboliser les desseins des conspirateurs...Tels sont quelques éléments de la stratégie ultra.

C'est donc dans ce climat fait, tout à la fois de résistance réelle au régime restauré que d'exploitation par les ultras d'entreprises secrètes naissantes, que va éclater la grande affaire lyonnaise de la conspiration du 8 juin 1817.

Ces années 1814-1817 à Lyon sont, en réalité, plus marquées par les peurs que par les violences collectives ouvertes décrites précédemment. Ces peurs sont peut-être même plus le syndrome des ultras locaux voyant dans la montée en popularité des royalistes constitutionnels incarnés par Camille Jordan, et entraînant avec lui les élites libérales, un danger imminent à l'approche des élections d'octobre 1818. En effet, cette maturité politique que le peuple de Lyon va manifester à partir de 1817, en soutenant notamment les insurgés de juin, fussent-ils même accusés d'avoir comploté contre le royaume, puis en se tournant vers les voix « modérés » lors des élections de 1818, résulte de l'assimilation mentale de ces différentes périodes de « Terreur » subies depuis 1786.

Avant de présenter notre protocole d'étude de l'affaire du 8 juin 1817, essayons brièvement de retenir les grands traits de la mentalité politique lyonnaise, et ce afin d'orienter cette recherche sur les formes de sa réception et de sa réaction à la violence économique et politique du régime de Louis XVIII. Bruno Benoit conclue son analyse de cette mentalité politique lyonnaise par le qualificatif de « modérantiste ». Nul n'ignore en effet comment la notion de « centre » sur l'échiquier politique français a trouvé au XXème siècle son expérimentation à Lyon, des municipalités d' Edouard Herriot à celle de Raymond Barre. Cependant ce processus de maturation politique amenant cette ville à une certaine stabilité politique au XXème siècle s'est réalisé, nous l'avons vu et il le fallait, au prix de cycles de violences collectives particulièrement aigus. Cette stabilité est certes l'oeuvre des élites libérales locales, mais ces dernières ont réussi leur entreprise car elles seules ont compris et respecté les spécificités du fonctionnement socio-politique de cette ville. Ces élites se sont appuyées sur l'événement fondateur de la mémoire politique « modérantiste » lyonnaise : le martyrologe de 1793, suite au décret de la Convention qui excluait Lyon de la République : « Lyon n'est plus ». Cet épisode ancre en effet dans la mentalité politique lyonnaise son exigence d'une identité politique consensuelle75(*), en refusant à partir de 1905 les extrémismes politiques... Pour cerner les réalités des événements du 8 juin 1817 et notamment celle de la portée du complot au regard de la propagande des ultras, il nous faudra garder à l'esprit le poids de ce martyrologe, et surtout la complexité de sa transmission. En effet, si les Lyonnais ont résisté aux « Chalier » et à leur Terreur rouge, était ce vraiment le signe de la réaction royaliste ou n'était ce pas plutôt à la fois un refus de leur part de violences injustifiées déstabilisant les équilibres socio-économiques fragiles de la ville, un refus d'une conception centralisée de la République niant le libéralisme politique de la Révolution, un refus peut-être aussi de l'anti-cléricalisme jacobin, enfin en somme un refus de la politique de division de la société lyonnaise, accompagnant nécessairement ces vagues de Terreur et menant irrémédiablement à des guerres civiles récurrentes. Bruno Benoit confirme ce constat que nous devrons mémoriser comme clef de l'histoire des violences à Lyon : « Depuis 1793, Lyon a été secoué par la révolution, la réaction et l'anarchie. Le rouge, le blanc et le noir sont donc les trois couleurs symboliques du tableau des violences historiques lyonnaises, tableau que Lyon voudrait effacer définitivement, car à chaque manifestation de ces violences, sa mémoire politique étant là pour l'enregistrer mais aussi pour le rappeler, la guerre civile, la mort et l'appauvrissement soufflent entre Saône et Rhône. »76(*).

Ainsi les excès de la Terreur  blanche ne sont pas le fait d'un ensemble représentatif du peuple lyonnais mais plutôt d'une minorité excitée de royalistes locaux saisissant l'opportunité d'une réaction d'un autre ensemble plus important de victimes de la Terreur rouge précédente, réglant ses comptes avec les derniers « Chalier » et autre mathevons, pour user du terme local. Lyon est une ville profondément libérale qui n'accepte en réalité pour « chefs » que les garants de sa prospérité économique. Dés lors, le rejet de Louis XVIII par les Lyonnais s'inscrit pleinement dans ce cadre de leur défiance face à l'inertie de son régime concernant la crise économique que connaît la région dans ces années 1815-1817. Ils ont apprécié la place accordée à leur ville par l'Empire. Pour s'en convaincre, on retient l'accueil chaleureux qu'ils manifestent pour Napoléon en mars 1815. La nostalgie bonapartiste va alors se mêler à l'espoir d'un retour à la République pour les libéraux et les révolutionnaires lyonnais, Napoléon pouvant alors étrangement incarner ce retour... Pour Bruno Benoit : « En 1815, le non aux Bourbons est un refus de revenir à l'Ancien Régime, tandis que le oui à l'Empereur est fait à l'homme qui a reconstruit la ville et non à son régime. »77(*). L'historien prouve à nouveau la réalité des attentes progressistes de ses habitants en rapportant le constat d'un voyageur anglais de passage à Lyon en septembre 1815 : « Aucune population n'est plus sensible que les Lyonnais aux grands avantages qu'a produits la Révolution et nulle ne fait plus de voeux pour ne pas revenir à l'Ancien Régime. »78(*).

Face à cet esprit de méfiance du peuple lyonnais envers le pouvoir central, les royalistes en cette année 1817, désastreuse sur le plan économique, surveillent d'autant plus grandement la deuxième ville du royaume restauré. Nous avons vu comment ils usèrent de la manipulation, notamment par le biais de la rumeur, pour installer un climat de suspicion envers les bonapartistes et les libéraux dés l'année 1816. Nous pouvons dés lors nous lancer dans l'étude de cette affaire du 8 juin 1817 en présentant ces différentes réalités, et surtout en exposant les usages faits de la violence et de la justice.

Justifications théoriques de cette étude

La première justification théorique de cette étude que je tiens à exposer, est celle de la méconnaissance ou de l'oubli de ces événements au niveau de l'histoire nationale, intervenus pourtant à la périphérie et au coeur de la deuxième ville de France. Cette remarque a d'autant plus de sens si l'on observe que cette conspiration lyonnaise de 1817 sera suivie d'autres entreprises de ce genre, dans la région mais aussi à Paris, réactualisant ainsi le mode secret d'organisation et de contestation politique en Europe. Les périodes de Restaurations en Europe ne seront pas les seuls espaces à connaître nouveau la pratique politique du complot, mais bien l'ensemble du XIXème siècle sera concerné, où les violences collectives spontanées seront souvent appuyées des techniques du secret. Ce travail s'inscrit donc dans une démarche contributive. Contribuer à la (re)découverte de la singularité de ces événements, dans le cadre de l'histoire locale de la ville, mais aussi dans le cadre des études des formes variées de la lutte républicaine en France au XIXème siècle. Cette contribution est le fait d'un Lyonnais d'origine, tenu par le goût de comprendre l'histoire de la construction identitaire de sa ville natale. Une ville qui, le lecteur l'aura déjà réalisé, pâtit d'une réputation erronée d'immobilisme politique. Modifier ce regard infondé faisait aussi parti de mes intentions lorsque j'ai découvert par hasard l'existence de cette affaire politique lyonnaise...

Sur le plan académique, l'enjeu de ce travail est donc de contribuer à l'étude des usages et des formes de la violence émancipatrice à partir d'un cas précis. Etude de cas donc, dans le champ plus général des recherches sur la thématique du secret en politique79(*) et de sa mise en oeuvre au sein d'entreprises politiques, plus ou moins bien organisées selon les acteurs, que sont les complots bonapartistes et/ou républicains sous la Restauration en France.

Ces périodes de Restauration en Europe sont tout autant marquées du poids de l'oppression des royalistes que du souffle de résistance qu'incarne le jeune mouvement libéral, notamment par son soutien ou sa participation directe aux actions clandestines des Carbonari en Italie, suivies rapidement de celles de la Charbonnerie en France. Au terme de cette étude, nous réaliserons comment le soutien des parties les plus « modérées » de la société française de 1817, royalistes constitutionnels et élites libérales, aux accusés de cette « conspiration-insurrection » fera de cette dernière un élément repère dans l'histoire politique du mouvement libéral lyonnais mais aussi dans l'histoire sociale de la ville, du fait de la force du caractère économique des revendications des insurgés. Cependant, du fait du caractère politique singulier de l'entreprise, mêlant des individus se réclamant du bonapartisme, des révolutionnaires souhaitant le retour à la République, des éléments anti-cléricaux et de simples « insurgés de la faim », nous ne pourrons conclure à une appartenance directe aux oeuvres de la Charbonnerie française, la grande milice secrète libérale. Venons-en à l'objet et aux objectifs de ce travail.

Objet et objectifs de ce travail

L'objet cette étude est double, à la fois local et national. En effet, les faits étudiés se déroulent à Lyon et dans sa périphérie, mais l'ampleur que prend l'affaire est réellement nationale. Dés lors, l'analyse de cet événement qualifié de conspiration sera, d'une part une porte ouverte sur l'exploration de la construction d'une partie de l'identité politique complexe de la ville de Lyon, et d'autre part une piste de réflexion sur les usages faits de la violence et de la justice en 1817. Le fil conducteur de l'étude sera la question constante des réalités de l'événement sous le vocable de conspiration, conjuration ou complot. Des éléments de définition de ces termes suivent... Ainsi, mais nous l'avons déjà évoqué, cette question du caractère clandestin et surtout prémédité de l'insurrection devra être examinée au regard de la propagande des ultras, des formes de leurs manipulations, comme notamment celle de la provocation policière de l'événement par infiltration de l'entreprise. Dés lors, nous exposerons les divergences des thèses des historiens au sujet de l'affiliation de cette insurrection à une conspiration préexistante. Retenons, comme je l'ai déjà précisé antérieurement, que l'événement existe dans tous les cas sous le registre de la conspiration ou du complot, puisque il a été stigmatisé comme tel par les royalistes, que des accusés ont révélé avoir été « initiés » et surtout que l'histoire a donc retenu ces faits sous ce vocable. On observe bien là une existence symbolique indéniable de l'événement en tant que conspiration. Il nous restera à essayer d'entrevoir au-delà de la mise en scène politique de celui-ci, les réalités secrètes du projet des insurgés. De même, le thème de ce mémoire est tout autant le secret, l'action politique clandestine que le recours à la violence des conjurés et des insurgés, comme des forces de la répression : police et justice. Pour comprendre les usages faits de ces violences, il faudra assimiler leurs éléments déclencheurs, ou vectoriels, pour chacune des parties. Pour les insurgés, la crise des subsistances et le climat politique d'incertitudes liées à la Charte seront déterminants. Et du coté des ultras, la montée des « modérés » et surtout le discrédit frappant l'inertie politique du gouvernement, les amèneront à intensifier leurs investigations policières et à durcir grandement « leur » justice en matière des actes qu'ils assimilent à des conspirations, donc à des menaces directes à l'intégrité du royaume. Cette insurrection assimilée à une conspiration appartient au registre des violences collectives émancipatrices de l'histoire de la ville de Lyon, dont nous avons déjà exposé certaines précédemment. L'étude de cet épisode appellera l'observation des plans des conjurés, du déroulement du complot et de son échec. Mais surtout, cette analyse supposera la description minutieuse du contexte politique et surtout socio-économique de la ville de Lyon et de ses campagnes dans ces années troubles que sont les années 1815-1820 en France. Nous insisterons beaucoup sur le facteur socio-économique déclencheur d'un complot qui s'apparente beaucoup à une insurrection populaire. En effet, nous devrons décrire le climat de tension que génèrent tant la répression des libertés publiques par le régime de Louis XVIII, notamment lors de l'épisode dit de la « terreur légale » de l'automne 1815, que la crise des subsistances qui sévit dans la région en 1817. Ainsi, se posera rapidement la question de la nature politique de l'entreprise. Les insurgés se mobilisèrent-ils par simple nostalgie bonapartiste ? Ou réelle aspiration républicaine ? Ou encore ne s'agissait-il pas en réalité d'une conspiration « imaginaire »80(*) ?... La « réalité » est certainement complexe. C'est pourquoi, nous parlerons des réalités possibles de ces événements. La complexité humaine de nos sociétés rend leur histoire complexe également, pour reprendre un terme cher à l'historien, sociologue Edgar Morin81(*).

Conspiration : complot secret tramé contre la chose ou les personnes publiques. Le nombre et la fréquence des conspirations attestent le mauvais état de la société ou la mauvaise conduite du gouvernement, ou l'un et l'autre ensemble. (Guizot). On conspire partout, et beaucoup plus contre les mauvais gouvernements que les bons. (Guizot). Tiré de Pierre Larousse82(*), Grand Dictionnaire Universel du XIXème siècle, tome IV, « C », Paris, librairie classique Larousse et Boyer, 1869, pages 1011 et 1012.

Conspiration, conjuration : union de plusieurs personnes dans le dessein de nuire à quelqu'un ou à quelque chose. Tiré de l'Encyclopédie de Diderot et d'Alembert, tome IX, p.120.

Conspiration : n.f (v.1165) est emprunté au latin classique conspiratio « accord » et surtout, en mauvaise part, « complot ». D'abord employé en parlant d'un complot politique, conspiration est également employé (1673) à propos d'une cabale dirigée contre une personne. Son autre sens de « concours de forces vers un même but » (1561) est archaïque. Tiré de Alain Rey (dir.), Dictionnaire historique de la langue française, tome 1 « A à E », 1381 pages, p.863.

En effet, une attention particulière devra aussi être prêtée au contexte politique troublé au sein duquel cette affaire intervient. Durant l'été 1815, la France connaît à nouveau une violente vague de Terreur blanche (royaliste), qui se transformera sous la main des députés ultras en une Terreur légale au sein de la Chambre introuvable, d'octobre 1815 jusqu'à la dissolution de la Chambre le 5 septembre 1816. Nous pouvons à présent énoncer la problématique de cette étude. Elle peut se résumer à la question suivante : Comment dans un contexte d'incertitudes sociales et politiques de montée des revendications économiques due à une crise des subsistances, peut s'organiser une « résistance » à un régime d'oppression morale et policière ? Il s'agira globalement de montrer comment la redécouverte de l'action politique clandestine est un mode de résistance singulier, peut-être même incontournable au sein de la société française sous la Restauration. Nous verrons pour cela comment les techniques du secret peuvent s'allier à une véritable culture de la violence que dispose de manière ambiguë le peuple de Lyon, tantôt victime de la violence, tantôt auteur de celle-ci, lorsqu'il décide de réagir à la réaction politique du pouvoir central.

Cette problématique s'articule donc autour du couple Secret/Violence s'activant dans le contexte d'un régime verrouillant « sa » société, et du couple Police/Justice, « pilier », « gardien » de l'ordre des ultras. Dés lors, ces deux couples, d'une part le couple Secret/Violence, et d'autre part le couple Police/Justice, vont s'affronter. L'enjeu de cette étude sera donc l'analyse des formes de cet affrontement à partir du cas de cette conspiration dans le Rhône, le 8 juin 1817. Cette analyse nourrira de plus notre réflexion sur les usages faits de la violence par les deux « parties » : les insurgés et les ultras, dans le contexte de l'affirmation du réformisme politique, qu'incarnent les libéraux, les constitutionnels et les indépendants. Nous retrouverons là à nouveau la question traditionnelle des degrés de légitimité de l'action politique révolutionnaire clandestine face au légalisme des élites « modérées », qu'elles soient monarchistes constitutionnelles ou libérales. Cette question des formes légitimes de « résistance » politique prendra d'autant plus de sens dans une observation indispensable des mises en scènes politiques des événements du 8 juin 1817.

Conspiration ou insurrection ? Nous ne pourrons vraiment trancher, mais plutôt démontrer comment son récit déformé par les manipulations de la propagande ultra viendra légitimer la répression aigue de toutes les entreprises politiques secrètes à venir... Cette stigmatisation/diabolisation du complot politique s'appuie sur des techniques, elles aussi, obscures de désinformation, comme celle de la propagation de rumeurs alimentant le climat de peur, satisfaisant les intérêts des ultras. C'est le triptyque déjà évoqué Rumeurs-Manipulations-Conspirations. Sans pour autant céder trop hâtivement à ce schéma, nous devrons donc nous interroger sur l'existence initiale de cette conspiration et le rôle de l'entreprise d'intimidation policière quant à son déclenchement. Si il est clair, nous le verrons, que l'entreprise secrète était déjà infiltrée, nous verrons dans quelle mesure la conspiration fut provoquée. Ce schéma de complots anti-ultra provoqués était d'ailleurs courant sous la Restauration. Ce qui ne remet par autant en cause l'existence initiale du projet de conspiration...

L'instrumentalisation de ces tentatives « contrôlées » de mise en action d'un plan secret, d'une stratégie de résistance, de réaction à la réaction, se poursuivra naturellement pour le camp ultra par une légitimation dés lors simplifiée, l'affaire aura tellement été diabolisée avant même sa naissance, de sa politique de répression : policière et judiciaire.

Venons-en à notre protocole d'étude, c'est-à-dire à la progression de celle-ci. Ce mémoire évolue selon trois thèmes qui correspondent aux trois temps de réflexion sur notre problématique. Le premier temps de ce travail consistera à la mise en place du contexte historique national et local (1793-1817) de ces événements. Ce premier thème de cadrage historique sera plus court que les autres au regard de la première bonne présentation détaillée et volontaire dés l'introduction de ces années, notamment pour l'histoire de la ville de Lyon. En réalité, ce premier point sera donc plus axé sur la situation politique et économique de la France mais surtout de Lyon et sa région, sous les premières années du second régime de Louis XVIII : 1815-1817 (I). Au cours de ce premier thème de mise en place de l'affaire, nous présenterons la détérioration sérieuse et précoce de la société française en ces années, avec d'une part de grandes tensions politiques nationales et locales entre « modérés » et ultras, et d'autre part un état dégradé et se dégradant de l'économie et de la société dans la région Rhône-Alpes durant ces années 1810-1820 et avec comme point d'orgue une grave crise des subsistances en 1817. Le constat du règne d'un ordre moral et policier mais d'un désordre politique, économique et social complet de la société de Louis XVIII, traversée en plus par la reprise du bouillonnement intellectuel du libéralisme, nous permettra d'aborder les réalités de l'affaire de cette conspiration du 8 juin 1817 dans le Rhône. Le deuxième thème de ce travail sera donc orienté sur la question du complot bonaparto-républicain, de son déclenchement et de ses suites immédiates. Il s'agira dans ce second temps d'aborder la question de la nature politique singulière de l'entreprise, en s'interrogeant notamment sur son affiliation directe à une conspiration, en présentant naturellement des explications possibles au soulèvement indéniable, sa mise en scène politique et médiatique par les ultras, et ce notamment au travers du « plan » rapporté des conjurés, pour enfin présenter les suites immédiates d'une affaire que le camp ultra ne maîtrise plus (II). L'analyse de ces différentes réalités de l'affaire du 8 juin 1817 nous aura convaincu qu'il s'agit à la fois d'un réel soulèvement populaire typique de l'histoire lyonnaise et d'un fait politique que les ultras peinent à définir et dés lors instrumentalise sous le registre du complot politique. En montrant comment la gestion de cette affaire échappe aux élites royalistes locales et crée ainsi l'embarras de la Cour, nous pourrons aborder une dernière réflexion sur les usages de la violence et de la justice en ces années. Le troisième et dernier thème de ce mémoire sera donc celui des usages de la violence et de la justice en 1817. Il s'agira de présenter les formes de recours à la violence par les conjurés comme par les forces de la répression, en montrant les aspects codifiés de la conspiration politique, une entreprise secrète particulière, les éléments de la répression policière et judiciaire avec notamment une observation critique de la justice des conspirations par François Guizot, et enfin pour finir une brève réflexion sur le complot comme forme légitime de violence émancipatrice (III). Nous pourrons alors conclure ce mémoire sur la dimension d'événements révélant tout autant la fragilité que l'opacité du régime de Louis XVIII. Nous évoquerons l'aspect annonciateur d'autres conspirations plus élaborées à venir de la part de sociétés politiques secrètes...Nous insisterons enfin sur la maturation en cette année 1817 de l'identité politique lyonnaise au travers des convergences politiques entre bonapartistes, libéraux et révolutionnaires. Des convergences qui illustrent tout l'enjeu de la construction mentale d'un duel culturel, politique et économique entre la capitale et la province. Une conspiration qui au-delà de sa réalité conceptuelle prouvera aussi les résonances entre luttes politiques et luttes sociales au XIXème siècle.

Présentation rapide des ouvrages et des sources sollicités

Nous avons déjà présenté les trois études principales utilisées, relatant directement les événements du 8 juin 1817 : à savoir les études de Sébastien Charléty, Georges Ribe et celle de Bruno Benoit. Elles nous seront encore très précieuses tout au long du développement de ce travail. De même, nous solliciterons les différents documents d'archives consultés et présentés précédemment. Sommairement, pour le second thème, celui de la conspiration même, nous illustrerons notre propos à l'aide de documents issus des archives nationales pour les rapports du préfet du Rhône, Chabrol, au ministère, pour les éléments d'appréciations de la situation par les autorités ultras et leur propagande, pour les rapports internes sur les personnages liés à l'affaire... Nous établirons des notices biographiques de ces derniers. Toujours pour le second thème, nous nous appuierons sur les correspondances des maires des communes en insurrection pour illustrer leur détresse et la nature politique singulière du mouvement. Ces correspondances proviennent des archives départementales du Rhône. De cette source d'archives, nous utiliserons des extraits d'interrogatoires conservés et un compte rendu de la Cour prévôtale. Ceci aura pour but d'éclairer la question de l'existence d'un plan des conjurés et surtout de présenter le flou de l'instruction de l'affaire (III). Dans le troisième temps, nous aurons recours aux documents des archives municipales de Lyon, également présentés antérieurement. Nous illustrerons les formes symboliques de la conspiration, rites des conjurés et représentations des autorités, par le volume rouge « Procédure », le plus épais document relatant le procès des conspirateurs arrêtés. Il offrira également une idée fidèle de l'instruction de l'affaire, et des condamnations prononcées. Enfin, toujours pour le troisième thème, nous utiliserons le texte des archives municipales de François Guizot sur les conspirations et la justice politique, et la réponse de Camille Jordan à un discours sur les troubles de Lyon pour illustrer la défense des conjurés par les élites « modérées ».

Terminons par une présentation des principaux ouvrages requis.

Essayons d'énoncer globalement les principaux dans l'ordre du développement de ce travail. Pour le premier thème, temps du cadrage historique des aspects de la Restauration sous Louis XVIII, nous utiliserons des ouvrages d'histoire, de type « manuels » comme ceux de Jean-Claude Caron83(*), Jean-Pierre Chaline84(*), Max Tacel85(*), J-L Robert86(*) (dir.), des ouvrages plus spécialisés comme ceux de Louis Girard87(*) ou d'André Jardin/A-J Tudesq88(*), René Rémond89(*), Jean-Fançois Sirinelli90(*), pour ne citer que les principaux... Nous aurons encore recours aux ouvrages d'histoire de la ville de Lyon, de Bruno Benoit91(*) et Jean-Pierre Gutton92(*), et aux trois études de l'affaire du 8 juin 1817. En ce qui concerne l'analyse socio-économique de la région dans les années 1810-1820, nous solliciterons l'ouvrage d'histoire sociale de la France au XIXème siècle de Christophe Charle93(*). Nous piocherons aussi dans d'autres ouvrages comme ceux de Tocqueville94(*) pour illustrer le phénomène de « libéralisation » de la presse que le régime bourbon peine à endiguer.

Pour le second thème, celui de la conspiration même, nous nourrirons notre propos, entre autres, des travaux de Eric J. Hobsbawm95(*), Maurice Agulhon96(*), Alan B. Spitzer97(*), Raoul Girardet98(*) sur les mythes politiques, et des articles de contribution sous la direction de Bernard Gainot et Pierre Serna99(*), etc...

Enfin, pour le thème des usages de la violence et de la justice, nous mettrons à contribution les ouvrages de René Girard100(*), P-A Lambert101(*) et de Frédéric Monier102(*) sur les rites du secret et la surveillance policière de ses entreprises... Enfin, nous aurons consulté aussi l'article d'Olivier Ihl103(*) consacré à François Guizot et à son Des conspirations et de la justice politique. Cette énumération n'est pas exhaustive. Le lecteur retrouvera l'ensemble des sources et ouvrages cités en bibliographie.

Nous pouvons à présent entrer dans le premier thème de ce mémoire, qu'est celui de la situation politique et économique de la France, et plus spécialement de Rhône-Alpes, sous le régime de Louis XVIII.

* 37 Bruno Benoit, L'identité politique de Lyon, entre violences collectives et mémoire des élites (1786-1905), Paris, L'Harmattan, collect Chemins de la mémoire, 1999, 239 pages, p.21.

* 38 Jean-Pierre Gutton, Histoire de Lyon et du Lyonnais, PUF, Que sais-je ?, 2ème édition, 2000, 127 pages. Voir notamment le chapitre 6 sur Lyon à l'époque contemporaine et sur son enclin bonapartiste, pp.105, 106, 107 et suiv.

* 39 Bruno Benoit, op.cit, page 21 à 53.

* 40 Pour plus de détails, voir le récit de Bruno Benoit, op.cit, p.24.

* 41 Comme l'observe Bruno Benoit : « Cette alliance entre population lyonnaise et Eglise est un des traits caractéristiques de la ville qui perdure largement au-delà de la période. ». B. Benoit, op.cit, p.25.

* 42 Bruno Benoit, op.cit, p.26

* 43 Maurice Wahl, Les premières années de la Révolution à Lyon 1788-1792, Paris, Armand Colin, 1894, p.95, cité par Bruno Benoit, op.cit, p.27.

* 44 Bruno Benoit, op.cit, p.28

* 45 Le récit qui suit est toujours basé sur celui de Bruno Benoit, op.cit, pp.28-29.

* 46 Cité dans Maurice Wahl, op.cit, p.179, rapporté par Bruno Benoit, op.cit, p.28.

* 47 Bruno Benoit, op.cit, p.29.

* 48 Cité dans Maurice Wahl, op.cit., p.579, rapporté par Bruno Benoit, op.cit, p.31.

* 49 Personnage peu présenté dans l'historiographie parisienne, cette notice biographique sur Chalier se base sur les présentations de l'individu par Bruno Benoit et Jean-Pierre Gutton dans leurs ouvrages déjà cités précédemment. Cependant, pour le lecteur désireux d'en apprendre d'avantage sur Joseph Chalier, Bruno Benoit utilise entre autres la biographie suivante : Georges Eynard, Joseph Chalier, bourreau ou martyr 1747-1793, Lyon, éditions lyonnaises d'Art et d'Histoire, 1987, 220 p.

* 50 Roland et Vitet sont tous les deux des « modérés », proches des girondins.

* 51 Cité dans Maurice Wahl, op.cit, p.579, rapporté par Bruno Benoit, op.cit, p.31.

* 52 Bruno Benoit, op.cit, p.31-32.

* 53 Jean-Pierre Gutton, op.cit, p.90.

* 54 Bruno Benoit, op.cit, p.33.

* 55 Bruno Benoit, op.cit, p.35.

* 56 Le lecteur pourra retrouver dans l'ouvrage de Bruno Benoit, op.cit, p.37, cinq articles de ce décret qui stipulent notamment que les Lyonnais seront désarmés, la ville détruite pour ce qui est de l'habitat des riches et autres contre-révolutionnaires, le nom de Lyon sera effacé du tableau des villes de la République, partout sur ses ruines on édifiera une colonne pour y lire : « Lyon fit la guerre à la Liberté, Lyon n'est plus. ».

* 57 Bruno Benoit, op.cit, p.37.

* 58 Bruno Benoit, op.cit, p.38.

* 59 Jean-Pierre Gutton, op.cit, p.96.

* 60 Bruno Benoit, op.cit, p.39.

* 61 Jean-Pierre Gutton, op.cit, p.101.

* 62 Voir Bruno Benoit, op.cit, p.42.

* 63 Ces chiffres sont ceux rapportés par Bruno Benoit, op.cit, p.43.

* 64 Bruno Benoit, op.cit, p.43-44.

* 65 Jean-Pierre Gutton, op.cit, p.101.

* 66 Jean-Pierre Gutton, op.cit, p.102.

* 67 Bruno Benoit, op.cit, p.44.

* 68 Bruno Benoit, op.cit, p.45.

* 69 Selon les mots de Bruno Benoit, op.cit, p.46.

* 70 Bruno Benoit, op.cit, p.46.

* 71 On songe notamment au complot de Georges Cadoudal, qui projetait fin 1803 d'enlever Bonaparte au profit de la couronne. Acte contre-productif, Cadoudal sera arrêté et exécuté, tandis que ceux qui soutiennent l'héritage révolutionnaire se rapprochent d'autant plus du futur « Empereur du gouvernement de la République ». Voir sur cette affaire et ses conséquences, le récit de Lucien Genet dans Révolution, Empire 1789-1815, Paris, Masson histoire, 3ème édition, 1994, 217 pages, p.126-127.

* 72 Bruno Benoit, op.cit, p.48. L'historien rapporte aussi que l'on pouvait lire sur les murs de Lyon ce même 13 mars 1815 : « Lyonnais, je vous aime. ». Le lecteur désireux d'approfondir sa compréhension du bonapartisme lyonnais peut aussi se reporter au numéro 676 de la revue Historia, avril 2003, intitulé « Napoléon, Empereur des Francs Maçons ».

* 73 Bruno Benoit, op.cit, p.49.

* 74 Bruno Benoit, op.cit, p.49.

* 75 Sur le modérantisme, voir Bruno Benoit, op.cit, page 151 à 170.

* 76 Bruno Benoit, op.cit, p.p 153-154.

* 77 Bruno Benoit, op.cit, p.159.

* 78 Rapporté par Bruno Benoit, op.cit, p.50.

* 79 Je découvris cette thématique au travers des travaux de Pierre-Arnaud Lambert, références en bibliographie, dans le cadre d'une étude des figures du conspirateur grenoblois Joseph Rey. Sa réflexion sur les usages politiques du secret, et notamment sur sa dimension ritualisée, nourrira cette étude.

* 80 Georges Ribe traite de la thèse de l'infiltration policière dans son étude citée précédemment, et évoque même une contribution au titre laissant perplexe : Roger Fulchiron, Un procès politique à Lyon sous la Restauration, ou la Conjuration fantôme. Georges Ribe ne donne pas plus de références sur cette brochure, je n'ai pu donc me la procurer. Le lecteur trouvera cette allusion à la brochure de Fulchiron dans l'étude de Georges Ribe, « L'opinion publique et la vie politique à Lyon... », op.cit, p.251.

* 81 Voir Edgar Morin, La complexité humaine, textes rassemblés, Paris, Flammarion, 1994, 380 pages.

* 82 Un exemplaire de cet article est consultable en annexe, document 3, 2 pages.

* 83 Jean-Claude Caron, La France de 1815 à 1848, Paris, Armand Colin, collect Cursus, 1995, 190 pages, voir page 7 à 27.

* 84 Jean-Pierre Chaline, La Restauration, Paris, PUF, collect Que sais-je ? , 1998, 127 pages.

* 85 Max Tacel, Restaurations, Révolutions, Nationalités 1815-1870, Paris, Masson histoire, 5ème édition, 1993, 318 pages.

* 86 J-L Robert (dir.), Le XIXème siècle, Paris, Bréal éditions, tome 1, 1995, 352 pages.

* 87 Louis Girard, Les libéraux français 1814-1875, Paris, Aubier, collect historique, 1985, 277 pages.

* 88 A. Jardin/A-J Tudesq, La France des notables, l'évolution générale 1815-1848, nouvelle histoire de la France contemporaine, n°6, Paris, Seuil, 1973, 249 pages. Et La France des notables, la vie de la nation 1815-1848, nouvelle histoire de la France contemporaine, n°7, Paris, Seuil, 1973, 251 pages.

* 89 René Rémond, Les droites en France, Paris, Aubier-Montaigne, 1982, 544 pages.

* 90 Jean-François Sirinelli (dir.), Les droites françaises, de la Révolution à nos jours, Paris, Gallimard, Folio histoire, 1992, 925 pages.

* 91 Bruno Benoit, L'identité politique de Lyon, entre violences collectives et mémoire des élites (1786-1905), Paris, l'Harmattan, collect chemins de la mémoire, 1999, 239 pages.

* 92 Jean-Pierre Gutton, Histoire de Lyon et du Lyonnais, Paris, PUF, Que sais-je ? , 2ème édition, 2000, 127 pages.

* 93 Christophe Charle, Histoire sociale de la France au XIXème siècle, Paris, Seuil, collect Points histoire, 1991, 392 pages.

* 94 Alexis de Tocqueville, De la démocratie en Amérique, Paris, Flammarion, collect le Monde de la Philosophie, 2008, 1191 pages.

* 95 Eric J. Hobsbawm, L'Ere des révolutions, Complexe, 2000, 416 pages.

* 96 Maurice Agulhon, Le cercle dans la France bourgeoise 1810-1848, étude d'une mutation de sociabilité, Paris, librairie Armand Colin, cahiers des annales n°36, 1977, 105 pages.

* 97 Alan B. Spitzer, Old Hatreds and Young Hopes, The French Carbonari against the Bourbon Retoration, Harvard University Press, 1971, 334 pages.

* 98 Raoul Girardet, Mythes et mythologies politiques, Paris, Seuil, collect Points histoire, 1986, 211 pages.

* 99 Bernard Gainot/Pierre Serna (dir.), Secret et République 1795-1840, Clermont-Ferrand, Presses Universitaires Blaise-Pascal, collect Histoires croisées, 2004, 182 pages.

* 100 René Girard, La violence et le sacré, Paris, réed Hachette Littératures, collect Pluriel, 1998, 486 pages.

* 101 Pierre-Arnaud Lambert, La Charbonnerie française 1821-1823, Du Secret en Politique, Lyon, PUL, 1995, 136 pages.

* 102 Frédéric Monier (textes réunis par.), Complots et conspirations en France du XVIIIème au XXème siècle, Presses Universitaires de Valenciennes, 2003, 150 pages.

* 103 Olivier Ihl, « Conspirations et science du pouvoir chez François Guizot », Revue Française d'Histoire des Idées Politiques, Paris, éditions Picard, n°19, 1er semestre 2004, 24 pages.

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