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Borderline, symptôme du système individualiste


par Amélie Doste
Université de Rouen Normandie - Master 2 psychologie clinique et psychopathologie  2024
  

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3. L'individualisme

« La société occidentale se fonde sur les principes de l'individualisme, conception structurante dans laquelle la liberté individuelle est considérée comme un droit que les institutions doivent protéger. » (Blaha Stephen, 2002 The rhythms of history: a universal theory of civilizations, Pingree-Hill Publishing)

3.1 Un peu d'histoire...

Après les guerres, la révolution, il y a eu un réel désir d'émancipation à l'égard de ce passé intolérable. Passant par la dénonciation des abus de pouvoir de l'Etat et de la religion, l'écriture des droits de l'homme et du citoyen... la liberté est plus qu'une valeur, elle devient l'essence même de l'Homme. (Rosanvallon P., Le modèle politique français. La société civile contre le jacobinisme de 1789 à nos jours, Le Seuil, 2004.)

En France, la révolution de 1789 a marqué l'avènement d'un « individualisme citoyen » (Ro-sanvallon P., Le modèle politique français. La société civile contre le jacobinisme de 1789 à nos jours, Le Seuil, 2004) qui a refondé les relations traditionnelles entre l'autorité publique et ses administrés.

Pierre Le Coz dirige notre attention sur la liberté qui est la première valeur citée dans la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. Mieux qu'une valeur, la liberté devient l'essence même de l'homme : « Tous les hommes naissent libres (...) ».

Avec l'octroi de ses nouveaux droits, le citoyen français devient le fondement de la légitimité politique, en choisissant ses dirigeants et en dictant les lois par le biais de ses représentants.

Mais « la liberté à un prix » : en effet, à la suite de ces événements, de nouveaux droits émergent dont celui de ne pas participer aux affaires de la cité. Ce droit, aussi juste soit-il, encourage un désintérêt du bien commun, du collectif ainsi qu'une poursuite des intérêts privés, individuels.

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· C'est cette "désertion des affaires publique" qui est désigné pour parler de l'individualisme.

« Un nouvel idéal se fait jour qui réside dans l'affirmation « sur le plan moral et politique » de l'être humain particulier comme indépendant et se suffisant idéalement à lui-même. » (Dumont L., Essais sur l'individualisme, op. cit)

 

· Si cet idéal d'indépendance et d'autosuffisance deviennent la norme sociale, alors il entre en conflit avec les difficultés rencontrés par les personnes souffrant de trouble de la personnalité borderline. En effet, leur fonctionnement étant centré sur un Idéal du moi fort ces sujets pourront avoir tendance à fortement intériorisé cette norme et donc être en quête d'indépendance et d'autosuffisance de manière extrême ou du moins déconnectés de la réalité. Cependant, leurs instabilités émotionnelles, relationnelles et identi-taires, ainsi que leur peur de l'abandon, rendent cet objectif difficile à atteindre. La tension entre le désir d'indépendance et la dépendance émotionnelle et psychique, caractéristique des personnes borderline, est perceptible en raison du besoin de combler tous ces manquements. Cette tension reflète les efforts constants des personnes borderline pour concilier leurs besoins d'autonomie avec leurs besoins affectifs et relationnels.

Cette ère contemporaine abolie l'autorité du passé, les individus, avide de nouveauté, se donne le droit d'innover, d'inventer. Les valeurs telles que l'autonomie, la créativité, l'indépendance, le droit à l'intimité ainsi que le droit au pouvoir, ou du moins son accessibilité étaient promues.

De plus, cette dynamique individualiste pris une tournure qualifiée d'hédoniste, c'est-à-dire dans la valorisation du plaisir, la promotion des loisirs et du divertissement.

Les années 60 résonne avec cette période d'émancipation des corps, de la libération des moeurs, du sexe et des affects avec mai 68. C'est aussi à cette période où une extension du consumérisme s'opère, augmentant toujours plus le choix du matériel, on bascule dans le cycle de la production et des échanges marchands. Parallèlement au désir de vivre pour soi qui n'a cessé de s'affirmer et de se déculpabiliser. (Lipovetsky G., Les temps hypermodernes, Paris, Grasset, 2004.)

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Pierre Le Coz attire notre attention un changement dans les stratégies de mobilisation pour le don de sang, passant d'un appel basé sur le devoir à un message mettant en avant le pouvoir de chacun et la reconnaissance personnelle. Il cite le cas de l'Etablissement français du sang qui fait appel à des professionnels de la communication et de la psychologie sociale.

Le slogan incitatif tel que « Faites votre devoir, donnez votre sang ! » n'éveille plus d'écho. Il a fait place à un nouveau message plus gratifiant : « partagez votre pouvoir, donnez votre sang ! »

(Le Coz, P. (2019). Le soin à l'épreuve de l'individualisme contemporain. Laennec, 67, 6-19.)

Traditionnellement fondée sur le devoir désintéressé, la pratique du don de sang évolue pour répondre à une sensibilité dominante axée sur la gratification personnelle et la reconnaissance individuelle.

Cela ne signifie pas la disparition de toute éthique, mais plutôt un déplacement vers une éthique plus axée sur les sentiments et la spontanéité, où les individus sont motivés par la compassion et le coup de coeur plutôt que par un sens du devoir. En résumé, la générosité persiste comme une valeur sociale, mais elle est désormais influencée par des motivations plus personnelles et émotionnelles, reflétant un changement vers un individualisme ambiant.

« L'homme de l'hypermodernité individualiste est en quête de reconnaissance de ses mérites et de gratifications narcissiques. Il ne va plus de soi de donner de soi, de consacrer son énergie et son temps à une cause universelle, impersonnelle et collective. » (Le Coz, P. (2019). Le soin à l'épreuve de l'individualisme contemporain. Laennec, 67, 6-19.)

Evidemment l'auteur souligne que l'évolution vers l'individualisme ne conduit pas nécessairement au nihilisme ou à la perte totale des normes éthiques. Il est erroné de penser que le cynisme prévaut et que les relations interpersonnelles deviennent de plus en plus déshumanisées. La générosité reste une valeur essentielle dans la société.

L'éthique n'a pas disparu, mais elle est moins sacrificielle et plus affective.

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3.2 Le concept d'individualisme d'un point de vue sociologique : Réflexion et liens

L'individualisme est une conception philosophique, politique, morale et sociologique où l'individu occupe la place centrale. Il s'agit donc d'une primauté de l'identité personnelle par rapport à l'identité collective. Cette notion peut être étudié sous plusieurs perspectives distinctes, ici nous l'analyserons principalement en tant que phénomène sociologique.

Norbert Elias, sociologue, analyse l'individualisme comme coexistant à une intensification des interdépendances sociales entre individus, qui pousserait l'individu à se construire un « refuge intérieur. » L'auteur dit que l'individu garde ses pulsions et ses émotions dans la sphère privée et évite de les dévoiler à autrui. Il les contient et les transforme, accentuant ainsi les différences de comportements, de sensations, de pensées, d'objectifs et d'apparence physique entre les individus. (Elias, N. (2018). La société des individus. Pocket)

Dans une conférence de Xavier Coton, psychiatre, et Raphaël Gazon, psychologue et psychothérapeute, ces professionnels explicitent que dans notre société occidentale, le mouvement individualiste valorise plutôt le contrôle des émotions et la maîtrise comme critères de succès. Les comportements des personnes matures sont supposés être contrôlés par des forces internes. Si la personne se définit par ses relations aux autres, elle est considérée comme immature et donc se retrouve en marge de la norme, rejeté et jugé négativement (les valeurs sociales étant des jugements sur ce qui est juste et injuste dans les relations sociales). (Conférence : Mieux comprendre le trouble de la personnalité « borderline » (état limite) de mon proche. Quand les émotions perturbent la vie, 2012)

Paradoxalement, le sociologue français Ehrenberg explique dans son article « La société du malaise : Une présentation pour un dialogue entre clinique et sociologie. » (2011) que tout ce qui concerne les émotions, les affects, les sentiments moraux, la subjectivité individuelle, est passé au coeur de la vie sociale des sociétés dites développées. Ce déplacement s'explique par la valeur grandissante accordée à la santé mentale et à la souffrance psychique.

Ce changement a accompagné les transformations des manières de « faire société », que rassemble la notion d'autonomie. Celle-ci désigne de prime abord deux types de valeurs intriquées de l'individualisme : le choix personnel et l'initiative individuelle. Elles se donnent dans trois aspects de la compétition, de la coopération et de l'indépendance. Le point crucial est alors la place de la responsabilité personnelle dans la vie sociale. Selon cet auteur, ces trois éléments, choix, initiative et responsabilité, forment le tournant personnel de l'individualisme.

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(Ehrenberg, A. (2011). La société du malaise : Une présentation pour un dialogue entre clinique et sociologie. Adolescence, 293, 553-570)

· Nous pouvons remarquer que les valeurs qu'engagent le processus de l'individualisme pose une certaine ambivalence avec le fait de vivre en communauté : l'autonomie (quête d'indépendance), l'individu au centre d'intérêt plutôt que le collectif, les affects et émotions, pris en compte mais seulement individuellement et la coopération elle, pour arriver à des fins individuelles.

Et c'est que souligne les auteurs Nisbet & Azuelos, qu'en effet, l'individualisme montre le processus de distanciation de l'individu par rapport à ses groupes d'appartenance, au sein d'une société où s'établit progressivement la primauté de l'individu sur le collectif ; c'est en ce sens que l'individualisme est souvent assimilé à un égoïsme croissant, dans un rapprochement péjoratif. (Nisbet, R. A., & Azuelos, M. (2011). La tradition sociologique (5e éd). Presses universitaires de France.)

Ehrenberg va dans ce sens également que d'après lui, on ne peut pas avoir de société individualiste, c'est-à-dire de société qui donne la même valeur à tout être humain, si on ne brise pas les liens de dépendance entre les gens. (Ehrenberg, A. (2011). La société du malaise : Une présentation pour un dialogue entre clinique et sociologie. Adolescence, 293, 553-570.)

Borderline, une dissonance de la personnalité ?

· Finalement, ce qu'il ressort de l'individualisme dans la société occidentale, c'est que la dépendance aux autres, aux groupes n'est pas acceptée (acceptable ?...) Comme l'a dit le philosophe Aristote, repris par la suite dans le champ de la psychologie sociale, nous sommes des animaux sociaux vivant en société donc en collectif, un système de valeurs prônant des intérêts individuels et non collectifs, pourrait provoquer des dissonances dans les comportements et donc dans la personnalité, comme vu précédemment avec Bilsky & Schwartz, (1994) qui constatent que les valeurs et la personnalité peuvent s'influencer mutuellement.

Or, les valeurs sont conçues comme consensuelles et éminemment prosociales : provenant d'un consensus, elles régulent les rapports sociaux (Moscovici et Doise, 1992).

En effet, d'après Morchain, l'organisation du système de valeurs est en lien direct avec les groupes sociaux. L'auteur explique que les valeurs s'inscrivent dans un processus de comparaison sociale : les personnes comparent leurs perceptions, sensations, croyances, à celles

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des autres personnes. Une des conséquences de la comparaison est un clivage net entre les groupes (« Ils n'ont pas les mêmes valeurs que nous ! »). Toutefois ce clivage n'est pas forcément le produit biaisé des évaluations : l'organisation des valeurs est bien sûr différente d'un groupe social à un autre. (Morchain, P. (2009). Chapitre 1. Que sont les valeurs ? Tentative de définition(s). Dans :, P. Morchain, Psychologie sociale des valeurs (pp. 7-27). Paris : Dunod.)

· Un système de valeurs qui prônent des comportements individualistes pourrait donc être un non-sens entraînant des mouvements dissonants chez les individus par rapport aux groupes. Mais si les rapports sociaux régulent les comportements des individus afin de créer un corps social coordonné, ces valeurs peuvent être « antisociales » et tout de même partagées dans un groupe.

3.3 Lien entre la personnalité borderline et l'individualisme

Comme vu précédemment, les personnalités borderline sont des individus qui éprouve une forte dépendance à l'autre, et qui ont de grande difficulté à gérer leurs émotions. Le système de valeurs de l'individualisme, valeurs majoritairement présentent dans la société, prônant l'inverse de ces comportements, les rejetant donc, pourrait accentuer l'insécurité générale qu'éprouve un sujet autour de la question identitaire, de l'estime de soi, de la peur de l'abandon, du rejet ... principales critères diagnostiques de cette pathologie.

Avec un Idéal du Moi au centre du conflit avec la réalité, maîtrisant avec force, ses comportements, en remplaçant le Surmoi, le sujet borderline va avoir tendance a fortement intériorisés les normes, et donc les valeurs de son environnement. Comme vu précédemment, quête vaine dû à sa forte dépendance à l'autre.

Pour reprendre ce nous disions plus haut, nous pouvons voir cette ambivalence avec l'apport du sociologue Norbert Élias. La primauté de l'individuel donne à une personne un « refuge intérieur » amenant à contenir ses émotions et pulsions, ce qui est l'inverse du sujet borderline qui lui, ne peut contenir ses émotions, au contraire il les dévoile, il se « vide », comme vu précédemment avec la notion d'hémorragie psychique explicité par Adolph Stern.

Nous nous demandons donc quels valeurs les personnalités borderlines intériorisent, et ce que nous pouvons en conclure avec l'individualisme.

C'est ce nous allons explorer et découvrir...

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