3.3. Le monde microscopique
3.3.1. Entités quantiques et substances simples
Les particules élémentaires
selon la théorie de la substance
La quête des derniers éléments de la
nature, des entités élémentaires à partir
desquelles tout est construit, est courante en philosophie, et notamment dans
les divers atomismes. Leibniz chercha lui aussi la nature des existants
fondamentaux de la réalité, mais, fidèle à la
tradition philosophique, il tenta d'en définir a priori les
propriétés essentielles via la métaphysique. Comme
à l'accoutumée, il travailla à cela avec un maximum de
rigueur logique. Le système leibnizien propose donc une théorie
de la substance qui prétend déduire les structures essentielles
des derniers éléments de la nature par un raisonnement
métaphysique gouverné par la stricte logique. C'est sur cette
base qu'est réfuté le mécanisme pur comme l'atomisme
matérialiste.
Les sciences empiriques, avec l'apparition et le
perfectionnement des microscopes, ce sont également fixé pour but
de déterminer les existants fondamentaux, quoique les appareils
utilisés de nos jours pour sonder les détails de la
matière soient d'une nature très différente. C'est
d'ailleurs à ce sujet que fut créée la physique quantique.
Celle-ci, par des moyens de plus en plus perfectionnés mais toujours
plus différents de nos schèmes sensibles usuels, sonde la
matière pour découvrir son fonctionnement comme ses composantes
fondamentales. Le but est alors de dégager les particules
élémentaires, c'est-à-dire les `'briques'' qui
composent l'univers. La physique estime avoir découvert la plupart des
particules élémentaires qui composent tous les
phénomènes observables qu'ils soient corpusculaires ou autre.
Ainsi connaît-on pour le moment plusieurs leptons, quarks et bosons. Mais
le critère qu'utilise la science pour juger si une particule est
élémentaire tient à ce que l'on ne puisse lui
déterminer de structure interne ni de composants. Au vu de la
distinction que nous avons retenue, avec d'Espagnat, entre objectivité
forte et objectivité faible, il est clair que ce critère ne peut
convenir pour définir les éventuelles particules
élémentaires de la réalité indépendante
(d'Espagnat ne semble d'ailleurs pas croire en l'existence fondamentale de
telles particules). En effet il fait référence à nos
capacités de détermination et on peut remarquer que, dans son
histoire, il est souvent arrivé à la microphysique de retenir
comme élémentaires des particules dont des composants plus
fondamentaux furent ensuite découverts. Les conditions
nécessaires pour observer un détail sont bien plus contraignantes
si son échelle est petite, notamment les quantités
d'énergie nécessaire deviennent très importantes ;
cela laisse à nombre de physiciens l'espoir de découvrir des
particules plus fondamentales lorsque les niveaux d'énergie
nécessaire seront réunis. Autrement dit, on peut
légitimement penser que les particules élémentaires, ainsi
dénommées par la physique, ne sont les ultimes composants que de
la réalité empirique.
Bien que les termes d'antan puissent maintenant porter sur des
entités différentes, comme nous l'avons déjà
noté, le paradigme des particules élémentaires en physique
moderne correspond bien plus à l'atomisme philosophique que Leibniz met
en question. Ses critiques et sa théorie de la substance visent, non pas
à réfuter l'existence de tels atomes ou particules de
matière, mais à leur refuser le statut de derniers
éléments de la nature. Les propriétés des
existences fondamentales, tel que Leibniz les définit, imposent des
critères bien plus contraignants que la seule
inséparabilité pratique. La substance leibnizienne doit donc
être une et inétendue car il n'y a qu'ainsi définie qu'elle
ne pourra plus être divisée, et cela dans un sens fortement
objectif. On peut alors remarquer que les particules élémentaires
considérées par la physique quantique possèdent en
générale masse et taille et ne peuvent donc pas être
identifiées à des substances simples au sens de Leibniz. Quand
bien même l'énergie nécessaire pour rompre un
électron ne serait pas disponible dans tout l'univers, il demeurerait
que celui-ci est divisible en droit et que cette impossibilité
contingente ne lui autorise pas le statut de substance simple.
L'autre particularité, que Leibniz associe aux
substances simples et qui découle directement de leur
indivisibilité, est la spontanéité dont elles doivent
faire preuve. Chacun des états que connaît une monade n'est qu'une
conséquence de sa constitution interne sans qu'aucune influence externe
ne soit ni nécessaire ni possible (excepté Dieu comme toujours).
Une entité ontologiquement indivisible, ne pouvant rien gagner ni rien
perdre, ne peut en effet subir ni exercer d'influence, en aucune manière
que ce soit. La physique explique pourtant, ou tente d'expliquer, tous les
phénomènes qu'elle répertorie par des transferts de bosons
entre particules des deux autres types, leptons et quarks ; toutes ces
particules étant considérées comme
élémentaires. Cependant, le langage des physiciens, en
évoquant des gluons liant les quarks entre eux ou des photons passant
d'électron en électron, ne nécessite-t-il pas des
entités sous-jacentes pour expliquer ces interactions ? En
reprenant le raisonnement de Leibniz, pour garantir à ces particules
leur statut ontologique, nous n'avons guère d'autre solution que de leur
accorder une spontanéité similaire à celle que
lui-même prête aux substances simples. Cela permet en effet de
résoudre la difficulté, quoique nous devions pour cela faire
abstraction des arguments que nous avons avancés
précédemment pour refuser aux particules
élémentaires leur statut ontologique.
Cependant la théorie quantique des champs milite contre
cette solution, car ces champs permettent de prédire le comportement des
particules comme leurs interactions sans être eux-mêmes
décrit par aucun modèle corpusculaire. Même si, là
encore, on ne peut pas en déduire que ces champs doivent exister tel
quel dans la réalité indépendante, les
particularités épistémologique de la physique quantique
devant nous rendre prudents, nous pouvons tout de même supposer, en
raison de leur efficacité, que quelque chose doit y correspondre ;
et ce quelque chose ne peut être aucune des particules
élémentaires en question, mais une ou plusieurs entités
plus fondamentales.
Finalement, il paraît assez évident qu'aucune des
découvertes de la physique quantique concernant les particules
élémentaires ne peut être vue comme apportant un argument
convaincant contre la division actuelle à l'infinie de la matière
que Leibniz déduit a priori de principes logiques et
métaphysiques.
Les substances simples et la physique quantique
Il nous est également possible de poser la question du
rapport entre les substances simples et les particules
élémentaires dans l'autre sens. En admettant que les particules
quantiques ne sont pas les substances simples de Leibniz, voyons si celles-ci
ne pourraient pas tout de même devenir des objets de la physique
quantique.
D'emblé Leibniz estime prouver que ces entités
sont inobservables par le simple fait qu'elles sont inétendues, de la
même manière que l'on ne peut voir un véritable point
mathématique. Par définition, c'est par une division à
l'infinie de la matière qu'un physicien pourrait espérer en
arriver à isoler une monade ; celui-ci étant
irrémédiablement borné, il ne lui reste aucun espoir de
clore cette division d'une manière ou d'une autre. On pourrait cependant
répondre à cela qu'un tel argument se fonde sur un paradigme
spatial tridimensionnel, et que l'abandon de celui-ci en physique quantique
ouvre peut-être la voie à une telle division à l'infini. Le
principe des substances simples est qu'elles sont les unités
fondamentales de la réalité, et pas seulement dans un sens
spatial, aussi ne peuvent-elles pas être individuellement
quantifiées, la quantité apparaît seulement lorsqu'on les
multiplient. C'est entre autre pourquoi les unités qui apparaissent dans
la théorie quantique ne peuvent correspondre aux monades, cette
discrétisation est la conséquence de propriétés
mathématiques continues sous-jacentes. En mathématique tous les
principes de limite en l'infini sont similaires, qu'ils soient tridimensionnels
ou pas. Ainsi, puisque les quantités d'énergie nécessaires
pour observer un détail avec un canon à électron croissent
lorsque ce détail est de plus en plus petit, détecter un
détail infiniment petit comme une monade demanderait une quantité
infinie d'énergie qu'il ne nous est pas possible de réunir. Cela
maintient le fait que les monades soient observables en droit, mais en
pratique, seul un esprit infini comme Dieu pourrait les observer.
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