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Leibniz et la physique quantique

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par Mathieu Néhémie
Université de Clermont-Ferrand - Master 1 de Philosophie 2006
  

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1.3.3. Âme et substance

Unité, multiplicité et indivisibilité

Leibniz entreprend, comme Descartes, de partir d'emblée de l'âme pour en connaître les propriétés, car aucun point de vue extrinsèque ne peut la trouver et l'observer. Mais là où Descartes recherche les limites de la connaissance humaine par les idées claires, Leibniz, parce qu'il ne partage pas le même dualisme, recherche à éclaircir par cette voie la notion de substance en usant également d'idées distinctes. Car Leibniz n'utilise pas proprement le doute méthodique cartésien mais davantage sa propre méthode logique qui concède guère plus car elle n'admet que des vérités identiques et les propositions qui s'y réduisent. Elle va même plus loin car Descartes admet les idées claires, qui montrent une évidence immédiate, alors que Leibniz admet seulement les idées claires et distinctes, c'est-à-dire qu'il n'admet que des propositions dont on peut rendre complètement compte du détail et dont le détail est évident.

Leibniz reprend donc le Cogito cartésien à son compte. Nous expérimentons une substance, notre âme, qui a une unité indiscutable, cela est l'évidence métaphysique première. Le moi constitue une unité fondamentale qui est supposée par toute pensée. Leibniz n'ira pas aussi rapidement que Descartes pour faire de l'âme une substance, sa considération des notions distinctes doit préalablement montrer si la connaissance par principes que nous avons d'une substance simple s'accorde avec la connaissance que nous avons de notre âme par le cogito. Nous devons donc admettre que notre âme est une substance car nous ne lui connaissons ni étendue, ni figure et donc ni partie ni divisibilité possible, éléments constitutifs d'une substance simple. Cela fait que nous avons une expérience directe d'une substance simple et, là où Descartes prouve la réalité matérielle indépendamment du cogito et fait de l'étendue une autre substance, Leibniz reste fidèle à son principe de continuité en recherchant une homogénéité entre l'étendue et l'âme. Et il la trouve dans le rapport du tout à ses parties, l'étendue ne peut être une substance simple car elle divisible en partie, elle doit donc être un composé, un agrégat de substances simples, et nous ne connaissons celles-ci que comme des âmes. La considération métaphysique de l'âme permet donc à Leibniz, parce qu'il admet une solution de continuité, de remonter à celle de l'étendue. « Il faut qu'il y ait des substances simples, puisqu'il y a des composés : car le composé n'est autre chose qu'un amas ou aggregatum des simples » (Monadologie).

L'autre originalité leibnizienne tient à ce qu'il ne se contente pas, comme seule évidence métaphysique, de l'unité de l'âme, l'autre évidence que Leibniz admet est que nous pouvons constater une multitude dans notre âme. C'est un point étrange est presque paradoxal qu'il concède ici : notre âme est une et multiple. Elle présente toutes les caractéristiques d'une substance simple mais nous y constatons une pluralité. Et comme il a préalablement admis par analyse l'identité de l'âme avec une substance simple, c'est la substance simple qui doit être également multiple. C'est bien cette identité qui écarte le paradoxe car « nous expérimentons nous-même une multitude dans la substance simple, lorsque nous trouvons que la moindre pensée dont nous nous apercevons, enveloppe une variété dans l'objet. Ainsi tous ceux qui reconnaissent que l'âme est une substance simple doivent reconnaître cette multitude dans la Monade » (Monadologie).

L'âme, en tant que substance simple, doit donc être inétendue, sans partie et indivisible. Et cela n'est pas sans conséquence car lorsque la question de son action sur les autres substances, et des autres substances sur elle, se posera, il sera impossible d'imaginer un moyen, mécanique ou autre, pour qu'elles se communiquent quoique ce soit. Comme les monades sont les éléments derniers des choses, il est inconcevable d'imaginer des espèces entrant dans leur composition qui puisse passer de l'une à l'autre. Cette multitude dans la substance sera alors essentielle afin de rendre compte de son changement car la monade n'ayant pas de partie, son changement ne peut constituer dans le mouvement de celles-ci, il doit consister plutôt dans une variation qualitative qui implique une pluralité dans la substance. Si les substances simples ne contenaient aucune pluralité, elles ne pourraient non plus satisfaire au principe des indiscernables.

Spontanéité, communication des substances et liberté

C'est une conséquence essentielle de la métaphysique leibnizienne que les notions de substance simple et d'action au sens habituel ne soient pas compatibles. La première implique une unité et une indivisibilité qui ne laissent guère de place à la communication quelconque que présuppose la seconde. L'action et passion entre deux substances devraient signifier que l'une donne quelque chose à l'autre mais il est inconcevable que l'une perde quoi que ce soit tandis que l'autre ne saurait être augmentée d'une partie en restant une substance simple. Et ce problème prend toute son ampleur avec l'âme, car nous avons l'expérience de perceptions que nous semblons recevoir de l'extérieur.

Il s'agit du même problème que celui qui préoccupa Descartes, Spinoza et bien d'autres. Comment l'âme peut-elle subir l'influence d'un environnement extérieur et matériel qui semble lui être hétérogène, et l'influencer en retour ? La solution cartésienne est bien connue, la glande pinéale servant d'intermédiaire d'une façon bien occulte car, si Descartes explique ce qui dans l'âme correspond à l'influence de son corps et dans le monde des corps, par le changement de direction, ce qu'est l'action de l'âme, il ne rend pas compte de manière intelligible de ce en quoi consiste précisément la communication de l'un à l'autre. Et Leibniz généralise ce problème à celui de la communication de toutes les substances simples entre elles, puisqu'elles sont toutes pensées par analogie avec notre âme, transformant une question d'ordre physique en un problème davantage logique. Pourtant la solution leibnizienne, l'Harmonie préétablie, trouvera son usage, aussi bien pour rendre compte de l'union de l'âme et du corps que pour rendre intelligible le commerce des corps ou pour éclaircir la polémique au sujet des idées innées.

La définition de la substance simple implique que celle-ci, parce qu'elle n'a ni porte ni fenêtre, ne peut recevoir aucune impulsion ni influence d'une autre substance, excepté de Dieu. La suite des changements que connaît toute substance ne peut être par conséquent que spontanée ou opérée par le concours permanent de Dieu. L'occasionnalisme défendu par les cartésiens n'utilise que la deuxième solution, le commerce des corps et des substances est toujours assuré par Dieu qui transmet lui-même le mouvement entre les corps autant qu'il bouge le corps à l'occasion des choix de l'âme ou affecte celle-ci pour répondre au mouvement du corps. Spinoza, ayant fait de Dieu la seule substance, ne pose pas le problème en ces termes ; tout arrive par une nécessité suprême dans l'étendue comme dans la pensée, tous deux conçus comme des attributs de la substance unique, et l'action de l'un sur l'autre est une illusion due au fait que ces deux attributs obéissent parallèlement à la même loi, à la même nécessité.

La solution leibnizienne se présente à première vue de cette manière : tous les changements de la substance lui viennent de son fond intérieur avec une parfaite spontanéité, d'une manière analogue à un algorithme qui se développe spontanément. Mais ce déploiement est sans cesse garantie par la puissance divine car, si on peut parler comme chez Descartes de création continuée dans le système de Leibniz, ce n'est pas tout à fait approprié dans le sens où la création du monde initiale fait intervenir la volonté divine et son choix, en plus de la puissance divine, tandis que cette dernière suffit au maintient du monde. Non pas que la volonté divine n'est pas le loisir ou le droit d'intervenir après la création, c'est que celle-ci n'est pas nécessaire, cela ne l'empêche donc pas d'intervenir exceptionnellement, par miracle par exemple. Leibniz utilise encore son principe du meilleur pour juger de l'action divine, rien ne peut empêcher Dieu, par souci d'économie, de créer les substances comme des automates parfaits, de prévoir toutes leurs actions, de sorte que leur développement soit entièrement spontané. Cela peut paraître extravagant mais il serait contradictoire d'affirmer cela impossible à l'être sans borne. Et comme cela lui permet d'économiser sa volonté, il ne peut s'être gardé de le faire ; de plus, son entendement parfait ne peut manquer d'avoir prévu la suite de tous les évènements de tous les mondes possibles et sa volonté tout aussi parfaite d'avoir déjà choisi un monde en fonction de la suite de ces évènements dés la création. L'intervention de la volonté divine après la création n'est donc pas nécessaire et Dieu devrait donc en faire l'économie. Pour Leibniz, même le concours exceptionnel de Dieu, qui est toujours envisageable, ne peut manquer d'obéir tout de même à ce principe suprême ; lorsque nous croyons que Dieu agit sans règle, c'est qu'il agit selon une loi que nous ne connaissons pas et il peut ainsi transgresser les lois du monde telles que nous les connaissons imparfaitement. Leibniz est donc d'accord avec les cartésiens sur le fait que Dieu est nécessaire pour maintenir le monde mais il juge illégitime d'expliquer tous les évènements particuliers et tous les détails du monde par son seul concours.

« Il est bien vrai qu'il n'y a point d'influence réelle d'une substance créée sur l'autre, en parlant selon la rigueur métaphysique, et que toutes les choses, avec toutes leurs réalités, sont continuellement produites par la vertu de Dieu : mais pour résoudre des problèmes, il n'est pas assez d'employer la cause générale, et de faire venir ce qu'on appelle Deum ex machina. Car lorsque cela se fait sans qu'il y ait autre explication qui se puisse tirer de l'ordre des causes secondes, c'est proprement recourir au miracle. En Philosophie il faut tâcher de rendre raison, en faisant connaître de quelle façon les choses s'exécutent par la sagesse divine, conformément à la notion du sujet dont il s'agit » (Système nouveau de la nature). Si les cartésiens se défendent de recourir au miracle en affirmant que Dieu intervient certes exceptionnellement mais en suivant tout de même des lois fixes, Leibniz donne ici une autre définition du miracle qui consiste dans l'intervention de Dieu sans causes secondes c'est-à-dire hors du cours naturel des choses et de la contingence. Les cartésiens font en réalités exactement ce qu'ils reprochent aux scolastiques et à leurs qualités occultes, tout expliquer par une cause qui ne nous donne pas le fonctionnement des choses et de leur détail.

Nous avons explicité comment une substance simple peut avoir une telle spontanéité mais il nous reste encore à voir ce que signifie cette action et cette passion que nous constatons partout dans le commerce des corps et des âmes. Si toutes les substances tiennent leurs changements de leur fond, la puissance de Dieu a pu cependant les créer toutes pour qu'elles s'entre-répondent perpétuellement, que lorsque l'une agit l'autre pâtit proportionnellement. Cela ne fait pas de l'action des corps et des substances une illusion, au contraire cette Harmonie préétablie permet de rendre raison intelligiblement de tout phénomène physique aussi bien que des substances qui se cachent derrière ces phénomènes. C'est certes Dieu qui a créé ces substances, prévu leur développement et qui les maintient perpétuellement, mais il est possible d'expliquer les actions et les passions d'une substance par sa constitution interne et par la multiplicité qui l'habite. Là encore l'étrangeté de cette théorie ne doit pas nous incliner à croire, comme certain contemporains de Leibniz, que cela pourrait être une entreprise inaccessible à Dieu. Et comme l'âme est une substance simple qui est à une place spéciale dans l'agrégat de substances simple qui est son corps, l'union de l'âme et du corps peut s'expliquer également par la spontanéité de chaque monade et par l'accord de toutes les monades ensembles. « Outre tous ces avantages qui rendent cette Hypothèse recommandable, on peut dire que c'est quelque chose de plus qu'une Hypothèse, puisqu'il ne paraît guère possible d'expliquer les choses d'une autre manière intelligible » (Système nouveau de la nature). En effet, non seulement l'Harmonie préétablie se montre être une théorie plus appropriée pour rendre gloire à Dieu que celles de ses concurrentes, mais elle semble la seule rigoureusement envisageable à partir des principes que Leibniz a posé.

Mais un tel système, si dans l'âme est prévu dés le début du monde tout ce qui doit lui arriver, n'introduit-il pas un déterminisme qui réduit à néant la liberté comme la nécessité dans l'occasionalisme ou dans le spinozisme ? Leibniz, face à un tel problème redouble d'effort et c'est encore les principes qu'il a posé qui lui permette de se tirer d'affaire. Car il a grand besoin de garantir la liberté humaine, c'est un élément essentiel pour que la justice divine ait un sens. Le problème se pose ainsi : il faut concilier l'omniscience divine, qui doit lui permettre de prévoir toute nos actions, sa volonté, qui nous a choisi avec nos actions futures, et notre liberté, qui doit laisser nos actions non nécessaires. C'est la distinction des vérités nécessaires et des vérités contingentes ainsi que les principes de contradiction et de raison qui permettent la solution leibnizienne. En effet nous avons montré précédemment que les vérités contingentes sont indémontrable a priori car il est impossible à un esprit fini de les réduire en propositions identiques. La prévisibilité dont nous sommes capables au sujet des êtres contingents n'est jamais absolue car elle ne peut être confirmée qu'a posteriori lorsque nous testons un système en le soumettant à l'expérience, jamais a priori en le prouvant par analyse. Dieu par contre, parce qu'il est seul capable de saisir la série infinie des êtres contingents, est capable d'une prévision totale à leur sujet, seul Dieu peut connaître a priori la suite des changements des êtres contingents. Et puisque nous sommes des êtres contingents, notre existence n'étant pas nécessaire, la multiplicité qui nous habite et qui contient déjà tout ce qui nous est arrivé, qui nous arrive et qui doit nous arriver ne nous est jamais entièrement accessible. Ainsi tout ce qui arrive à un esprit est aussi spontané et déterminé que tout ce qui arrive à tout autre substance, mais il ne s'agit jamais d'une vérité nécessaire, cela est du au choix du meilleur que Dieu a opéré parmi les possibles lors de la création. Ainsi, il y a une raison à toute action libre mais celle-ci ne peut jamais bénéficier d'une démonstration basée sur la nécessité car son contraire n'implique pas contradiction et reste par conséquent possible. Et cette raison de toute action libre est le choix du meilleur, Dieu choisit en toute liberté ce qui est le meilleur, car il ne peut se tromper, tandis que les créatures choisissent, librement également, ce qui leur paraît le meilleur, en fonction de leur imperfection. Toute action libre est inclinée par le principe du meilleur mais jamais nécessitée, bien que Dieu connaisse tout de même nos actions futures par avance du fait que c'est lui qui a opéré le choix qui nous fait exister. Car Leibniz ne croit pas comme Descartes, justement à cause de son principe de raison, que la liberté doit être une liberté d'indifférence, bien au contraire cela n'a pas de sens à ses yeux. Bien plus pose-t-il, comme à son habitude, des définitions claires et distinctes des termes du problème : la liberté n'est pas antinomique avec l'inclination mais avec la nécessité, si la liberté est inclinée mais pas nécessitée, elle est donc sauve. C'est par cette erreur que Descartes en vient à nier la bonté de Dieu au non de sa liberté, il veut lui garantir une volonté parfaite en la privant de toute inclination. Pour Leibniz la volonté divine est d'autant plus parfaite qu'elle est complètement inclinée par la recherche du meilleur.

Par cette solution il réduit à néant aussi bien les opinions quiétistes que connaît son temps que le vieil argument paresseux des anciens. En effet Dieu a effectivement prévu toutes nos actions mais il nous est incapable de les prévoir nous-même de la même manière, ainsi ne pouvons nous pas connaître à quoi la volonté divine nous a destinés. La providence s'opère grâce à la série des êtres contingents et non contre nos actions, car celles-ci font partie de cette même providence.

Leibniz parvient donc, par son Harmonie préétablie et par la rigueur logique qu'il maintient dans ses raisonnements, à construire un système qui concilie parmi les substances simples à la fois leur spontanéité et leur communication, et dans la création, le déterminisme et la liberté.

Innéité et perceptions insensibles

La notion leibnizienne de l'âme, qui est également celle de la substance, montrera son utilité pour traiter un autre sujet de controverse, à savoir celui des idées innées. Alors que Descartes estime que les vérités éternelles, pour rendre raison de leur caractère absolu, doivent être dans l'âme dés sa création, reprenant ainsi la réminiscence platonicienne. Les divers sensualismes rejoignent d'avantage d'Aristote pour comparer l'âme à une tablette vide qui reçoit tout de l'expérience. La première hypothèse se trouve confrontée au fait que nous ne naissons pas en connaissant ces vérités et que nous ne pouvons les apprendre ou les découvrir que par la suite. Le sensualisme pour sa part ne rend pas convenablement raison du fait que ces vérités soient identiques pour tout le monde malgré des expériences différentes. Nous ne connaissons pas dés la naissance le rapport de l'hypoténuse au deux autres côtés d'un triangle rectangle mais nous finirons tous, pourvu que nous nous y intéressions, à trouver que le carré de l'hypoténuse est égal à la somme des carrés des deux autres côtés. Cette connaissance ne dépend d'aucune expérience particulière, il est même possible de l'appréhender sans même avoir déjà vu empiriquement le moindre triangle rectangle. Cette polémique, qui ne semble pas avoir de rapport spécifique avec la communication des substances, trouvera cependant une solution, grâce à l'Harmonie préétablie, qui écarte le problème précédemment soulevé.

L'âme, ou la substance car on peut désormais utiliser indifféremment les deux termes, dans le système leibnizien, possède dés sa création, enveloppée, la suite de tous ses changements et de tous les états qu'elle sera amenée à connaître. Et son existence consiste dans le développement algorithmique de cette suite sans que rien ne puisse l'influencer de l'extérieur. Leibniz tend donc à rejoindre l'opinion cartésienne qui veut que les vérités éternelles soient des idées innées. Il semble même aller plus loin car il affirme que toutes les affections de l'âme, ses idées aussi bien que ses sensations, lui sont innées et viennent de son propre fond. Dans le système cartésien, l'âme a des idées innées mais elle subit également une influence extérieure à laquelle correspondent les sensations et les passions. La critique la plus évidente à laquelle Leibniz se confronte, et que l'on avait déjà faite aux idées innées de Descartes, consiste à demander comment quelque chose pourrait être dans l'âme sans que nous en ayons conscience. La réponse leibnizienne utilisera un autre élément pivot de son système, les perceptions insensibles.

C'est parce que le système leibnizien a une vision de l'âme radicalement différente de celle du cartésianisme qu'elle peut se permettre une telle réponse. En effet Descartes définit l'âme par la pensée et la conscience, ce qui rend l'idée de quelque chose dans l'âme, dont on n'ait pas conscience, contradictoire. Chez Leibniz toute substance est une espèce d'âme car toute substance connaît la perception, non pas que toute substance soit consciente au sens où on l'entend généralement. Il y a continuité entre l'inconscience et la conscience, et c'est la même continuité qu'il y a entre les perceptions confuses et les perceptions distinctes. Aussi bien que nous ne passons pas du sommeil à la veille par un saut mais par une infinité de degrés, aucune perception de devient distincte sans être apparue confusément. Ainsi notre âme ne se vide pas chaque fois que nous tombons dans l'inconscience, et nous percevons même dans cet état, comme en témoigne le fait qu'un grand bruit suffit souvent à nous en extraire. Il suffit d'admettre qu'il peut y avoir perception sans conscience pour non seulement accorder une âme aux bêtes mais aussi une forme d'âme et de perception à toute les substances. « Et c'est en quoi les Cartésiens ont fort manqué, ayant compté pour rien les perceptions, dont on ne s'aperçoit pas » (Monadologie).

C'est donc de cette manière que l'âme peut contenir, dés le commencement, enveloppé, l'ensemble des états futurs qu'elle connaîtra, sous forme de pensées confuses, si confuses qu'on ne les aperçoit pas. C'est donc sous la forme d'une virtualité que l'âme contient toutes ses idées et toutes ses sensations. Et c'est par cette tendance, ce développement, qui fait passer d'un perception confuse à une perception plus distincte, que cette virtualité se concrétise à nous en accédant à la conscience, en passant de la perception à l'aperception, mais toujours par une variation de degrés continue. Ce qui donne alors l'impression que les sensations et les connaissances empiriques nous viennent de l'extérieur, c'est cette même Harmonie préétablie qui fait que toute les substances sont accordées entre elles et que ce qui arrive dans chacune correspond à ce qui arrive dans toutes les autres.

Leibniz se servira également de cette théorie des perceptions insensibles pour régler d'autres problèmes et elle deviendra rapidement un élément essentiel pour la cohérence de son système. Ainsi la monade peut-elle percevoir l'infinité des monades qui constitue le monde, de sorte qu'elle ait une perception pour chacune d'elles, car une perception confuse est la somme de nombreuses perceptions qui se confondent. De la même manière que lorsque nous entendons une foule, nous percevons confusément, sans nous en rendre compte, le bruit émit par chaque individu, nous percevons individuellement toutes les substances simples qui composent un corps, mais inconsciemment seulement, c'est pourquoi nous voyons d'avantage une masse, une étendue, qui fait l'objet d'une perception claire mais confuse. « Et c'est à peu près comme le murmure confus qu'entendent ceux qui approchent du rivage de la mer, vient de l'assemblage des répercussions des vagues innumérables » (Discours de métaphysique).

Ce sont des conséquences essentielles que Leibniz tire de sa métaphysique, des conséquences qui rejoignent d'ailleurs bien souvent celles que sa physique avait auguré. La substance leibnizienne revêt les mêmes caractéristiques, qu'elle soit nécessitée par les exigences de la dynamique ou déduite à partir de principes logiques et métaphysiques. Mieux encore la métaphysique, comme nous avons déjà commencé de le montrer dans le cheminement extrinsèque, complète magnifiquement la physique car elle permet de rendre compte et d'expliciter ce qui peut paraître déconcertant dans ses conclusions aux yeux de qui voudrait se limiter cette seule physique. De même les extravagances de la métaphysique leibnizienne, pourtant obtenues avec une certaine rigueur méthodologique, trouve leur confirmation en rejoignant des considérations liées aux découvertes mécanistes, aussi bien que des applications en mathématiques alors que se construit le calcul différentiel. Le cheminement intrinsèque de Leibniz se montre cependant plus large dans le sens où il permet également d'aborder des questions purement métaphysiques ou théologiques. C'est également la conciliation de certaines antinomies, anciennes comme nouvelles, dans le système leibnizien, qui concourent à sa validité.

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"Je ne pense pas qu'un écrivain puisse avoir de profondes assises s'il n'a pas ressenti avec amertume les injustices de la société ou il vit"   Thomas Lanier dit Tennessie Williams