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Débat autour du concept de journalisme de paix

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par Charline Burton
Université Libre de Bruxelles - Licence en information et communication 2006
  

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2.2. Le journalisme de paix au Burundi

En jetant un coup d'oeil aux grilles de diffusion des différentes chaînes analysées, on est frappé par la diversité des programmes, mais aussi par l'apparente qualité de la programmation : émissions sur la réconciliation nationale, pour la promotion de la femme, sur l'intégration des sidéens, sur l'acceptation des réfugiés, sur la problématique foncière ; les grilles regorgent de programmes proactifs. On croirait d'ailleurs que le Burundi est le pays d'origine de la théorie du journalisme proactif. Comme nous le verrons, il en représente non l'origine, mais bien un terrain privilégié d'expérimentation.

Avant toute chose, il importe de souligner la nette distinction entre d'une part les médias d'information et d'autre part ceux qui utilisent ces producteurs afin de s'offrir une tribune pour promouvoir les idées qu'ils jugent nécessaires à la population burundaise. Dans la première catégorie entrent les stations de radios << naturellement >> créées par des journalistes ou par des passionnés des médias et qui auraient certainement agi de même quelle qu'eût été la situation politique à l'époque. Être un organe producteur d'information n'empêche nullement de faire du journalisme de paix, que ce soit dans le traitement de l'information ou dans le choix des sujets d'émissions.

Dans la seconde catégorie, on peut classer les organismes (ONG, société civile, organisations internationales) qui, à un moment ou un autre, ont compris l'influence des médias sur la population burundaise et ont décidé de les utiliser comme médium pour faire passer un message. Ces organismes concluent alors des partenariats avec les médias locaux (première catégorie). Ils leur proposent de << louer >> l'antenne pour y diffuser une production qu'ils ont réalisée eux-mêmes ; ou encore de créer une émission qui sera réalisée par les journalistes des radios partenaires qui devront suivre une ligne éditoriale imposée par l'organisme. En échange, celui-ci financera le programme. Ces productions sont appelées émissions concédées. Leur but est de faire une promotion directe de la paix ou de leurs activités, qu'ils considèrent d'une façon ou d'une autre comme promotrices de paix. Il s'agit notamment des studios de productions Ijambo, Onub, IRIN, ou encore d'association de la société civile comme l'Observatoire de l'action gouvernementale (OAG). Cette distinction entre les médias d'informations et ceux qui les utilisent pour diffuser un message précis est importante lorsqu'on analyse la programmation des différentes radios.

Dans cette étude de cas pratique, seuls les programmes produits ou diffusés sur la radio nationale (Radio Burundi) ainsi que sur une sélection de stations de radios privées (Bonesha, RPA, Isanganiro) ont été analysés. Ce sont les radios les plus écoutées au Burundi. Il ne nous a donc pas semblé opportun de nous attarder sur les productions des autres radios, ce qui aurait alourdi cette étude sans pour autant lui donner une valeur supplémentaire.

2.2.1. Les types de production

Puisque l'application d'un journalisme de paix peut se faire de trois façons différentes, elle a aussi été étudiée selon trois axes différents : les programmes de fiction d'une part, les programmes à vocation réconciliatrice d'autre part et enfin les informations d'actualité.

Les programmes de fiction

Même si la fiction ne fait pas à proprement parler partie du domaine de la production journalistique, nous en parlerons brièvement ici. En effet, la radio étant le médium africain au taux de pénétration le plus élevé, il s'agit d'un des moyens les plus efficaces pour faire passer un message à la population. Sans télévision, les populations locales se fidélisent facilement aux programmes radiophoniques et d'autant plus aux fictions, plus divertissantes, puisqu'il s'agit d'un des seuls loisirs disponibles dans les zones rurales. On distingue trois types de productions fictives : les spots, les feuilletons et le théâtre radiophonique.

Le spot consiste en une scène d'environ une minute jouée par des acteurs. Introduisant généralement une émission, il sert à donner une représentation plus concrète du problème qui va être abordé.

Exemple : Une femme en pleurs entre chez sa voisine. Celle-ci lui demande la cause de sa tristesse. J'ai été battue par mon mari, répond-elle. La voisine et ses amis retournent alors chez le mari violent et le chahutent, lui expliquant qu'un bon mari ne doit pas frapper sa femme.

Basé sur un principe identique, le feuilleton radiophonique diffère du spot par sa longueur (une vingtaine de minutes) et par les personnages et le << décor >>, qui restent immuables d'un épisode à l'autre. A l'instar des séries américaines du type Seven Heaven qui diffusait voici quelques années les valeurs chrétiennes, la fiction et le divertissement créés par les feuilletons radiophoniques ont pour but de propager des messages de paix et de réconciliation nationale. Parmi les différents feuilletons diffusés sur les ondes burundaises, deux ont connu un succès remarquable : il s'agit de Ababanyi Ni Tebwe (<< Notre voisin, notre famille >>), produit par le Studio Ijambo, et de Tuyage Twongere (<< Parlons encore et encore >>), production d'IRIN radio.

Notre voisin, notre famille, écrit par l'auteur Marie-Louise Sibazuri, a cessé d'être diffusé car il ne correspondait plus à la réalité nationale. Lancé en 1997, le feuilleton relatait l'histoire de deux familles et mettait en scène des situations de la vie de tous les jours. Le thème du feuilleton peut être résumé de la sorte : << Nous avons tous quelque chose en commun quoique l 'on en dise. Même le jour et la nuit se rejoignent à l 'aurore et à la tombée de la nuit >>. L'histoire se déroule dans les collines rurales burundaises et des thèmes nouveaux étaient abordés à chaque nouvel épisode : SIDA, exactions, corruptions, viols, retour des réfugiés, etc. Les problèmes mis en scène par Notre voisin, notre famille sont ceux du quotidien, avec en toile de fond un thème récurrent : la réconciliation. Le titre reflète une des valeurs fondamentales pour le Burundais : la famille. << Si j'ai choisi ce titre, c'est pour rappeler qu 'un voisin au Burundi, c'est comme un frère à qui tu peux confier tes enfants malades quand tu vas au champs, c 'est lui qui va venir inspecter ta maison s 'il sent une odeur suspecte >>, explique Marie-Louise Sibazuri. << Or avec la guerre, les gens commençaient à perdre cette notion au profit de l'ethnicité : on ne voyait plus en lui le voisin, mais bien le Hutu ou le Tutsi >>1. Au coeur du feuilleton deux familles évoluent, l'une hutue l'autre tutsie, sans que l'auditeur ne sache laquelle appartient à quelle ethnie. Jamais cela n'a été mentionné, afin que << les Burundais comprennent que les comportements ne sont pas forcément liés à l 'ethnicité >>.

Tuyage Twongere, lancé en 2004, a été créé afin d'apporter une solution à une thématique très sensible au Burundi : le retour de ceux qui, durant la guerre, s'étaient exilés dans les camps de réfugiés, notamment en Tanzanie. En effet, avec le retour de la paix au Burundi, de nombreuses personnes ont repris le chemin de leur pays d'origine. Parmi ceux-ci, beaucoup ont éprouvé des difficultés au retour, car les Burundais restés au pays les étiquetaient communément de criminels ayant fui de peur des représailles. De l'autre côté, dans les camps, les exilés hésitaient à retourner au pays de peur de retrouver leurs bourreaux. << Il existait dès lors un énorme `gap' entre ceux qui avaient fui et ceux qui étaient restés >>, explique Laurent Martin Harimenshi, responsable du programme IRIN radio au Burundi. << À travers les feuilletons, nous développons deux optiques : d'une part, il s 'agit de montrer la vie menée dans les camps, pour faire savoir que les gens qui s'y sont réfugiés l'ont fait non pas parce qu 'ils avaient tué, mais bien parce qu 'ils avaient peur d'être tués. D 'autre part, nous développons des thèmes de la vie burundaise (SIDA, système éducationnel, agriculture, ...) afin que les réfugiés de Tanzanie ne soient pas coupés de l'information de leur pays d'origine >>. Également écrit par Marie-Louise Sibazuri, le feuilleton est joué par des acteurs recrutés dans les camps de réfugiés en Tanzanie.

1 Interview du 10 décembre 2004.

L'avantage principal de ce format est qu'il permet aux auditeurs de s'identifier aux acteurs et d'imaginer des moyens non violents pour résoudre leurs conflits, à l'image de se qui se fait dans la série.

Enfin, le théâtre radiophonique est similaire au feuilleton, si ce n'est que les épisodes n'ont pas de lien entre elles. Au Burundi, c'est la célèbre troupe de théâtre «N'inde ?», très appréciée de la population, qui fait le bonheur des auditeurs de la Radio Burundi. L'émission, baptisée Nkinankebura, est produite par le Studio Tubane. Financée au départ par Avocats sans frontières, l'émission traitait du code pénal radiophonique sous forme de théâtre, dans le but d'informer les paysans de leurs droits et d'influencer les juristes et les avocats. Aujourd'hui, ce financement a disparu, mais le Studio Tubane continue à produire ces émissions théâtrales, sur des matières qui lui tiennent à coeur : droits de l'homme, bonne gouvernance, cohabitation ; chaque sujet est abordé durant deux mois.

Parmi ces trois styles fictifs, le plus apte à faire passer des messages est sans aucun doute le feuilleton. En effet, celui-ci a l'avantage de fidéliser l'auditeur, qui voit les vies des acteurs évoluer au gré de leurs choix. Il tire de la sorte des leçons de ces expériences fictives, ce qui le pousse à adopter lui-même une attitude positive, à faire des choix responsables. Sans nul doute, les deux séries précitées ont eu un impact très important sur la perception qu'ont les Burundais des membres de l'autre ethnie, des autres communautés. Le genre est apprécié par les Burundais et par conséquent les radios les diffusent facilement.

Ainsi, les quatre radios étudiées ont intégré Tuyage twongere dans leur programme (feuilleton d'IRIN sur les réfugiés). De plus, Radio Burundi diffuse Nkinankebura (produit par le studio Tubane) et elle produit également sur fonds propres un autre théâtre radiophonique avec la troupe N'inde. De même, trois fois par jour des spots résonnent dans les oreilles de ses auditeurs. Quant à Bonesha, elle a inclus dans ses programmations deux feuilletons du Studio Ijambo : Semerera Sida sur la problématique du SIDA et Tubiri tuvurana ubupfu sur le rapatriement. Enfin, Isanganiro diffuse Semerera, Tubiri tuvuruna ubupfu, six minutes de spots quotidiens ainsi que Museke Weya, feuilleton sur la réconciliation produit par l'association Benevolencia (ONG hollandaise active au Rwanda).

Les programmes à vocation réconciiatrice1

Par << programme à vocation réconciliatrice >>, il faut entendre des émissions d'information générale sur des thèmes controversés ou sur des problèmes de société, traités dans une optique d'intégration, de réconciliation nationale et/ou de cohabitation pacifique. C'est avant tout dans cette catégorie de productions que prolifèrent les partenariats en tous genres avec les radios locales, ainsi que les émissions concédées :

Bonesha2 travaille en partenariat avec le Studio Ijambo, l'Union européenne, PADCO, le Centre d'alertes et de prévention des conflits (CENAP), l'OAG, ainsi qu'avec IRIN. La RPA, quant à elle, collabore avec le Studio Tubane, Médecins Sans Frontières, IRIN, le Projet Cadre d'Appui aux Communautés (PCAC) et le gouvernement belge. Isanganiro travaille presque en exclusivité avec le Studio Ijambo. Cependant, il tente de diversifier ses partenaires et travaille avec l'OAG ainsi qu'avec le Réseau Citoyen Network (RCN). Enfin, Radio Burundi travaille avec un nombre impressionnant de partenaires, que nous détaillerons plus loin dans l'étude.

Bien entendu, les thèmes choisis pour ces émissions à vocation réconciliatrice varient en fonction de l'actualité, mais aussi du climat social. Aujourd'hui, avec la fin du processus de transition, la tenue d'élections libres et la mise sur pied du nouveau gouvernement démocratique, les priorités ont changé par rapport à 2000, les peurs aussi. Par conséquent, les thèmes abordés par les radios et les studios de productions ont également évolué, dans la mesure où il s'avère fondamental de lier les productions médiatiques aux besoins de la population.

Pour illustrer cette évolution de ligne éditoriale, nous allons emprunter l'exemple du Studio Ijambo et de ses différentes productions au cours des ans :


· En 1998, la guerre a commencé depuis cinq ans déjà. La capitale est balkanisée : les Hutu ne s'aventurent pas dans les quartiers tutsis, de peur d'y perdre la vie. Et vice versa. C'est dans ce climat qu'est lancée l'émission Ikingi y 'ubuntu (Héros), qui retrace l'expérience de justes anonymes. Le magazine met en avant l'expérience de personnes qui, pendant la période des massacres de 1993 à 1996, ont risqué leur vie pour sauver celle d'une personne de l'autre ethnie. Ce programme << n 'a pas une audience exceptionnelle, mais rassemble des auditeurs passionnés >>3. On y raconte notamment l'histoire de Rebecca Hatungimana, une femme tutsie mariée, qui, au lendemain de l'assassinat de Melchior Ndadaye, le président burundais, a agi

1 Remarque : dans cette rubrique, les informations présentées ne concernent que les émissions à vocation réconciliatrice. Par exemple, la Radio Burundi travaille en partenariat avec de nombreux organismes ou associations, mais n'ont été mentionnés ici que les partenariats pertinents dans le cadre de cette rubrique.

2 A la date du 1 er février 2006.

3 << Independent program evaluation: Search For Common Ground in Burundi 1999-2001>>, avril 2002, p. 73. Voir aussi sur www.sfcg.org/sfcg/evaluations/burundiev.pdf

directement en cachant 41 voisins hutus dans sa maison. Avec son mari, un officier militaire, ils ont défendu leur propriété toute la nuit contre les att aquants armés de lances et de machettes. La semaine d'après c'est de Nimbona Natanaye, un habitant hutu de Kamenge, que l'on parlera. Lui a sauvé un jeune vendeur de rue tutsi alors qu'un groupe de jeunes Hutu le rouait de coup1. Chaque semaine, ce sont de nouveaux témoignages qui mettent en lumière les actes héroïques de simples citoyens.

Lors du lancement de l'émission, des journalistes sont attaqués dans la rue par des gens qui les accusent d'avoir monté de toute pièce des scénarios joués par des acteurs, parce qu'ils n'arrivaient pas à imaginer qu'un Hutu ait risqué sa vie pour un Tutsi ou vice versa. Mais comme semaine après semaine les témoignages continuent d'affluer, plus personne ne peut contester la véracité des propos. De plus, entendre ces actes de justes permet à certains de rassembler le courage nécessaire pour raconter, eux aussi, leurs propres actions héroïques, sans plus (trop) craindre les représailles de leurs proches. D'après une enquête indépendante de SFCG2, 46% des Burundais estiment que ce programme leur a fait changer leur perception de l'autre ethnie et 65% affirment qu'écouter << Héros >> leur donnait de l'espoir pour une coexistence pacifique.


· En 2000, les pôles politiques hutu (G7) et tutsi (G10), le FDD, le CNDD et le Palipehutu-FNL sont à Arusha (Tanzanie). Ils y discutent un éventuel accord de paix, et de ces négociations dépend l'avenir du pays. Bien qu'il y ait eu plusieurs émissions dédiées uniquement aux négociations et au processus de paix, c'est au travers de son émission d'actualité hebdomadaire Amasanganzira (et Express, la version française) que le Studio Ijambo va tenter de faire comprendre à la population tous les enjeux de ces négociations. Donnant la parole à toutes les parties en négociation (gouvernement, mais aussi opposition et forces rebelles), l'émission permet dès lors non seulement d'humaniser les différents acteurs politiques en faisant connaître leurs revendications et leurs motivations, mais elle sert également de médiatrice entre des groupes aux idéologies opposées. En effet, de par la recherche de solutions pacifiques, les journalistes du Studio Ijambo proposent des alternatives, canalisent les idées3 afin de faire émerger un terrain d'entente. De plus, la présence de membres de la société civile, d'analystes, de facilitateurs des négociations, d'hommes d'église, et de la population permet de transformer cette mosaïque de points de vue en une réalité cohérente.

1 Pour plus de témoignages, voir http://www.sfcg.org/programmes/burundi/burundi_hero_fr.html

2

<< Independent program evaluation: Search For Common Ground in Burundi 1999-2001>>, loc. cit.

3 Les différents acteurs ne se retrouvaient pas toujours assis autour de la même table : il arrivait régulièrement qu'une émission et son invité répondent à des propos recueillis au cours d'une interview, ou diffusés dans une émission précédente, car il était par exemple impossible de rassembler chefs rebelles et membres du gouvernement autour d'une même table.


· Durant toute l'année 2005, l'activité politique est frénétique : les premières élections législatives depuis 1993 se préparent. La tension monte, car nombreux sont ceux qui craignent que les élections ravivent les haines. Une couverture responsable des informations politiques est dès lors primordiale. Le Studio Ijambo initie alors une série d'émissions intitulée Ntorere Kazoza (Votons pour demain), qui accompagnera les élections depuis la création de la Commission électorale indépendante (CENI), jusqu'à la mise en place des nouvelles institutions. La structure de l'émission permet de mêler les interrogations de la population aux réponses des acteurs de la société civile : un reportage de terrain donne la parole aux gens de la rue, qui expriment leurs doutes, leurs attentes ou leurs peurs face aux élections, tandis que grâce à la table ronde menée dans les studios, des personnalités éclairées tentent de répondre aux questions de la population. Parmi ces invités, un membre de la CENI ou du ministère de l'intérieur est incontournable, ainsi qu'un témoin d'une expérience d'ailleurs détaillant la situation d'autres pays ayant connu des élections démocratiques après un long conflit. Enfin, une dernière partie aborde uniquement le thème des femmes leaders, afin d'encourager une participation massive des femmes dans le processus électoral.

A chaque époque, sa priorité. Aujourd'hui, celles-ci sont d'un tout autre ordre qu'au cours de la guerre : relance économique, problématique foncière, valorisation de la femme, intégration des démobilisés, retour des rapatriés, etc. Les radios approchées au cours de cette étude comptent toutes, ont compté ou compteront, dans leur grille de programmation, au moins une émission consacrée à chacun de ces thèmes. Car l'enjeu est de taille : il s'agit de redresser un pays, le leur.

Dans la partie théorique, il avait été expliqué que le journalisme proactif consiste, entre autres, à expliquer en profondeur les thèmes conflictuels, à donner la parole aux différents acteurs, les amener à exprimer leur propre perception du problème, afin que chaque partie puisse se mettre dans la peau de l'autre, aboutissant dès lors à une solution apte à satisfaire tous les protagonistes. Au Burundi, rares sont ceux qui connaissent les théories du journalisme de paix, si ce n'est le personnel du Studio Ijambo. Pourtant, sans le savoir, toutes les stations étudiées le pratiquent à un degré ou à un autre. En effet, en ce qui concerne les émissions portant sur les thèmes sensibles, toutes suivent cette méthodologie. D'ailleurs, lorsqu'il s'agit de différencier journalisme

classique du journalisme proactif, les réponses des professionnels burundais des médias sont claires : dans un pays en guerre, il n'existe pas de journalisme classique, on ne peut que faire du journalisme de paix. Dieudonné Jujute, responsable de la programmation du Studio Tubane, s'exprime très clairement dans ce sens : « Après douze ans de crise et de guerre, il est difficile de démarquer toute activité du programme humanitaire. Car tout est humanitaire après tout : il faut reconstruire les infrastructures, les pays et les esprits. Dans ces conditions, même le journaliste ne

peut pas faire un simple compte-rendu de la réalité. Personne ne peut, après douze ans de conflit dans son pays, se démarquer du cadre humanitaire. Pas même le journaliste »1.

Il serait inutile de passer en revue toutes les émissions à vocation réconciliatrice pour le démontrer. Nous nous contenterons dès lors d'analyser une émission pour chacune des quatre radios étudiées, en commençant par un exemple de production type du Studio Ijambo. Le lecteur pourra dès lors comparer ce qui se fait chez les adeptes du journalisme de paix d'une part, chez ceux qui n'ont pas connaissance de ces théories d'autre part.

Studio Ijambo : Dusangire Ikivi N'Ikiyago (Battons-nous ensemble pour la paix)

Dusangire Ikivi N'Ikiyago

Cette émission, produite en collaboration avec la Commission nationale chargée de la démobilisation, réinsertion et la réintégration des ex-combattants (CNDRR), a été lancée en novembre 2005.

Groupe cible : Les démobilisés, quelle que soit leur orientation (ex-rebelles, mais aussi démobilisés des ex-Forces armées régulières), ainsi que leurs proches.

But : permettre aux démobilisés de se sentir intégrés dans la société d'un point de vue social et économique.

- Intégration économique : la CNDRR offre à tous les démobilisés l'équivalent en nature de 600.000 Fbu (€500). Au travers de l'émission, le journaliste essaie de montrer aux démobilisés les options qui existent afin de monter efficacement leurs propres projets. De même, on y parle de démobilisés qui ont investi intelligemment cet argent et qui arrivent aujourd'hui à faire vivre leur famille grâce à ce placement.

- Intégration sociale : Il s'agit de faire sentir aux démobilisés qu'ils sont désormais des citoyens ordinaires, et non plus des soldats, rebelles ou mercenaires. L'émission vise à leur faire comprendre qu'ils doivent se sentir à l'aise dans la communauté, en acceptant de vivre comme les autres. Dès lors, ils connaîtront des mêmes difficultés que tous les Burundais et ils devront apprendre à les résoudre par eux-mêmes sans toujours tendre la main dans l'espoir d'une aide extérieure.

Format : Le programme de trente minutes correspond toujours à un même format (d'ailleurs similaire à toutes les émissions du studio Ijambo) : tout d'abord, un reportage auprès des ex-combattants à propos du thème choisi. Dans cette rubrique, la parole est laissée aux protagonistes, qui s'expriment sur leur expérience, leurs problèmes et les solutions qu'ils envisagent. Ensuite, vient la table ronde avec un représentant de la CNDRR ainsi que d'autres intervenants selon l'émission (ONG, ex-combattant, membre du gouvernement, ...). Par la suite, un démobilisé a l'opportunité de poser une question directe (en duplex) au représentant de la CNDRR qui se doit d'y répondre. Dusangire Ikivi N'ikiyago se termine enfin par un sketch joué par des acteurs visant à dépeindre la vie des excombattants en fonction du thème choisi.

 

Cette structure, touj ours identique, est une formule trouvée par le studio afin de rassembler au sein d'une même émission les différents genres journalistiques : enquête et reportage de terrain,

1 Entretien du 11 janvier 2006.

table ronde, sketch, analyse, expérience d'ailleurs, chaque émission du Studio Ijambo correspond à ce format. Si l'idée est bonne, on déplore cependant cette redondance dans la mesure où certaines radios, comme la radio Isanganiro, qui diffusent de nombreux magazines produits par le Studio Ijambo, ont également adopté ce format pour leurs propres magazines.

À force de réorientations stratégiques régulières, le Studio entend traiter de sujets qu'il juge pertinents. Pour 2006, il s'agira désormais d'axer les émissions sur trois thèmes prioritaires : dialogue, réconciliation des communautés divisées et bonne gouvernance. Ces trois axes ont été jugés comme les plus en pertinents vu le contexte politique actuel, et seules sept émissions continuent à être produites, afin de ne pas faire double emploi avec ce qui se fait dans les autres radios partenaires. Le studio vise donc, dans la mesure du possible, à calquer ses productions sur la réalité, et ses émissions sont axées sur les thèmes jugés pertinents c'est-à-dire les problèmes considérés comme les plus actuels. << Aujourd'hui par exemple, la priorité n 'est plus aux conflits interethniques, d'où la disparition du magazine Héros >>, explique Annick Nsabimana, sousdirectrice du Studio. << Désormais, on s 'occupe beaucoup plus de conflits d'intérêts, même entre des membres de la même ethnie, car ce sont ceux qui prévalent >>.1

Au menu du Studio Ijambo : Dusangire ikivi n 'ikiyago (voir supra) ; Icibare cacu qui traite des conflits fonciers, Kumugaragaro sur la bonne gouvernance ; Ramutswa iwanyu qui aborde le retour des rapatriés ; le magazine d'actualité Amasanganziro et son équivalent francophone Express ; Buri irya n 'ino (femme et gouvernance).

1 Entretien du 11 janvier 2006.

Radio sans frontière Bonesha FM : Yaga Dushirehamwe turwanyintambara (Réconciliation)

Yaga Dushirehamwe turwanyintambara

Cette émission, produite en partenariat avec USAID/OTI via le projet PADCO1, existe depuis 2003. Groupe cible :

- Déplacés qui ont trouvé refuge dans d'autres parties du Burundi (principalement des Tutsi).

- Réfugiés qui se sont exilés dans les pays limitrophes (principalement des Hutu).

- Les non déplacés.

But : Il s'agissait au départ de préparer les esprits au retour des rapatriés et des réfugiés, afin d'anticiper les étincelles que ces mouvements de population pourraient produire. Le but ? Que les non déplacés parviennent à accepter de se réconcilier avec ceux qui reviennent et de vivre ainsi pacifiquement sur les collines. Il y a énormément de conflits avec les réfugiés de retour au pays (intolérance, refus de pardonner, problèmes fonciers, ...), et le message global de l'émission vient remédier à cette situation.

Méthodologie : L'émission utilise une méthodologie participative. C'est-à-dire que l'idéal de réconciliation est exposé par les journalistes, mais que les idées proposées proviennent directement de la population, qui montre les limites de l'application et de la faisabilité d'une cohabitation pacifique, et recherche alors des solutions.

Format : Il s'agit d'un magazine de 30 minutes, composé principalement de reportages de terrain et d'interviews de la population rurale. Le journaliste s'applique à illustrer la thématique exposée par différents exemples, positifs et négatifs, afin d'en tirer des conclusions.

Exemple : Sur certaines collines, la guerre a tout détruit : les maisons, les écoles, les champs et les routes. Sur d'autres collines, par contre, les habitants ne se sont pas battus, et ces collines ont accédé aujourd'hui à un bon niveau de développement (école, dispensaire, routes en bon état,...). Le journaliste essaie alors d'amener les auditeurs à tirer les conclusions de cet exemple, afin qu'ils se rendent compte par eux-mêmes du bien-fondé d'une réconciliation pacifique avec les réfugiés.

 

Alice Hakizimana, secrétaire de rédaction de Radio Bonesha, divise l'histoire récente du Burundi en trois phases, sur lesquelles la radio s'est appuyée pour déterminer les thèmes prioritaires à aborder2. La première période est celle de l'avant-Arusha, c'est-à-dire précédent les accords d'Arusha. La priorité est alors la recherche de la paix, optique dans laquelle avait été fondée la radio. À l'époque où le gouvernement commence à négocier avec les rebelles, la situation est difficile et tendue dans le monde des médias, car la RTNB fait alors une couverture strictement gouvernementale des négociations, ne parlant pratiquement pas des rebelles et de leurs revendications. Chez Bonesha, on prend le parti de tendre le micro aux rebelles, même au risque de voir les journalistes encourir des peines de prison. Au début, le gouvernement prend des sanctions et des journalistes sont inquiétés et retenus en prison (trois journalistes de Bonesha sont

1 USAID (United States Agency for International Development) est la principale agence de coopération au développement états-unienne. OTI est l'Office of Transition Initiative, l'agence de développement du gouvernement américain active lors des périodes de transition. PADCO (Planning and Development Collaborative International), firme internationale de consultance en développement, est l'une des agences d'exécution de USAID/OTI au Burundi.

2 Entretien du 3 février 2006.

emprisonnés à cette époque pour avoir fait parler les rebelles). Mais une fois les négociations officiellement commencées, il devient dès lors possible de donner la parole aux leaders rebelles, puisqu'il s'agit de partenaires de négociations. C'est un point de gagné, ce qui représente une avancée primordiale pour les médias burundais. Les journalistes burundais ont alors une avance spectaculaire par rapport aux autres médias de la sous-région. Offrir son antenne à un rebelle qui a déclaré la guerre au pouvoir - même s'il accepte alors de négocier la paix - est inimaginable sous d'autres cieux. Malgré cette éclaircie, le gouvernement ne relâchera pas toute la pression sur les radios, puisque par la suite, il enverra à nouveau des journalistes en prison pour avoir diffusé des interviews des rebelles non signataires des accords de paix.

La deuxième époque est celle qui suit directement les négociations, c'est la période de transition. Bonesha décide d'approfondir le thème de la cohabitation pacifique. << A ce moment, il fallait prêter une attention particulière au vocabulaire employé, par exemple, ne pas appeler les ex-rebelles des assaillants ou des génocidaires, puisque désormais il allait falloir vivre pacifiquement avec eux >>. A l'époque, les Burundais ont peur : peur des ex-rebelles, peur des réfugiés, peur des rapatriés,... Bonesha organise alors des débats, où sont invités différents protagonistes aux points de vue divergents, afin de les amener à trouver une solution pacifique de manière conjointe. << Au début du débat, tout était touj ours très tendu, mais c 'est le journaliste qui devait arriver à déceler les aspects positifs des deux parties, afin d 'arriver à concilier les points de vue>>, explique Alice Hakizimana. Trouver chez chaque intervenant la part de lui-même qui est prête à négocier, puis l'exacerber afin d'arriver à un consensus entre les invités, voilà la difficile tâche du journaliste dans ce type de débat.

Aujourd'hui, c'est une troisième phase qui commence, et le rôle de Bonesha est dès lors d'oeuvrer à la réconciliation nationale, de manière à ce que les gens arrivent à vivre ensemble en pardonnant à un tel d'avoir tué ses parents, d'avoir brûlé son champs ou volé ses vaches. Chez Bonesha, c'était surtout au travers des débats politiques que s'exerçait le proactivisme. Aujourd'hui, c'est via trois émissions, financées par PADCO1, que la radio travaille sur le thème de la réconciliation nationale, en fonction de l'actualité, << car on ne peut pas parler tous les jours de réconciliation, comme ça, dans le vague, il faut en parler, mais en rattachant ce thème à des sujets d'actualité >>. Parmi ces émissions, on retrouve Yaga Dushire et son homologue swahiliophone Mawasiliyano, ainsi que l'émission Rwaniramahoro qui met en avant les initiatives citoyennes en faveur de la paix. PADCO finance également un magazine sur la femme (Ikiyago c 'abakenyezi) ainsi qu'un débat où les citoyens discutent de la politique du pays (Mubivuze kwiki). Le principe de départ de PADCO était de rapprocher les communautés à la base pour une

1 Planning and Development Collaborative International.

résolution pacifique des conflits, dans tous les thèmes connexes. Avec Bonesha, PADCO a trouvé un partenaire privilégié pour un moyen d'action efficace. << Et nous, ça nous arrange bien >>, explique Innocent Manirakiza1, responsable de la programmation, << car nous sommes désireux de promouvoir la réconciliation nationale, mais sans toujours avoir les moyens de produire ce type d'émissions >>. Un partenariat qui fait donc deux heureux : PADCO qui trouve une tribune pour faire valoir ses idées, et Bonesha qui trouve l'opportunité de couvrir des thèmes qui lui tiennent à coeur, et ce à moindre frais.

Et après analyse de la grille des programmes de Bonesha, on se rend compte que ce type de partenariat rentre dans la norme, aux dépens des productions apparues sur la base d'une initiative propre. En effet, l'émission de débats d'actualité politique et sociale (Tribune Bonesha en français, son jumeau Inkuru Y'imvaho en kirundi et Jambo na Jambo en swahili) et celle sur la promotion de la femme (Maerndele ya wanawoke) sont les seules émissions financées sur fonds propres pouvant prétendre au titre d'émissions à vocation réconciliatrice. Ce vide est comblé par l'apport du Studio Ijambo, qui diffusait sept de ses magazines et feuilletons sur les ondes de Bonesha en janvier 2006. Ou encore par les trois émissions sur la justice que finance l'Union européenne. À l'instar de la collaboration mise en place avec PADCO, l'organisme extérieur partenaire offre les moyens (essence, minidisque, nuits d'hôtel) aux journalistes de faire des descentes sur le terrain dans le cadre de l'émission concédée.

Ces étroites et multiples collaborations n'entraînent-t-elles pas un amenuisement de l'identité de Bonesha ? Pas du tout, se défend Innocent Manirakiza, pour qui être partenaire d'un organisme extérieur n'implique pas une perte de souveraineté en faveur de ce bailleur. << Quand PADCO s 'en ira, Bonesha continuera à diffuser des messages de paix et de réconciliation, puisque ceci entre dans notre mission : nous garderons les messages, même si nous n 'aurons plus les mêmes moyens pour les produire >>. Certes, ces émissions représentent un moyen considérable pour diffuser ces messages de réconciliation nationales, mais il n'empêche que toute la ligne éditoriale est axée sur la même thématique, financement extérieur ou pas. Le message reste donc sous-jacent, notamment dans animations libres qui, elles, ne coûtent rien en production. Mais de toute façon, ajoute le responsable de programmation, la situation du Burundi évolue. Bientôt, c'est sur des thèmes tels la bonne gouvernance, l'environnement ou le développement économique que les radios burundaises devront axer leurs émissions. << Et là, ce ne sera pas trop dur de trouver des financements dans ce sens... >>.

1 Entretien du 25 février 2006

RPA : Ubuzima Ni Akatimabwa (La vie est sacrée)

Ubuzima fii akatimabwa

Créé au départ en partenariat avec l'Office du Haut Commissariat pour les droits de l'homme, le magazine a débuté en janvier 2005.

But : sensibiliser les auditeurs aux droits de l'homme, dénoncer et condamner les éventuels manquements à ces droits et enseigner aux Burundais les différents recours possibles pour les victimes de violations.

Public-cible : toute la population burundaise

Méthodologie : Se base souvent sur des témoignages des victimes d'enfreintes aux droits de l'homme, avec si possible des interviews des coupables (pourquoi ont-ils fait cela ?), des représentants des ligues des droits de l'homme et de la police (il y a-t-il des sanctions prévues ?)

Format : magazine de 30 minutes. Les interviews des différents acteurs sont entrecoupées de plages musicales. De temps à autres, l'émission se déroule sous forme de débat avec une table ronde.

Exemple : programme du 05-02-2006. Thème abordé : la peine de mort.

Alors que la condamnation à mort n'est pas reconnue par tous les juristes, qu'une relaxation de prisonniers politiques se déroule depuis janvier, et qu'une commission vérité et réconciliation chargée d'enquêter sur les crimes commis durant la guerre doit être mise en place, l'émission cherche à faire le point : est-il nécessaire de poursuivre les exécutions capitales alors que de telles évolutions vont avoir lieu sous peu ? Ce numéro utilise les interviews d'un condamné à mort (propos : ne devrait pas être exécuté, car il a commis ces crimes sous des pressions politiques), d'un professeur d'université (redonne une explication de la justice et de son rôle : justice n 'a rien à voir avec vengeance), ainsi qu'un débat entre un partisan (Alexis Sinduhije, directeur de la RPA) et un adversaire (avocat du TPIR) de la peine de mort.

 

La grille de la RPA regorge de magazines aux thèmes variés (Voir grille des programmes : annexe p. 158) : bonne gouvernance (2 émissions), promotion de la femme (2), intégration des personnes marginalisées, conflits fonciers, témoignages de personnes au comportement exemplaire, intégration et respect des Batwa (2), droits de l'homme (2). Et étonnamment, cette diversité dans la programmation n'est pas issue de partenariats particuliers, contrairement à la majorité des autres radios. Ainsi, seules les deux émissions sur les Batwa sont directement financées par le gouvernement belge.

Il arrive cependant que quelques magazines nais sent grâce à un << coup de pouce » externe : Ubuzima ni akatimabwa, par exemple, naît à l'initiative de l'Office du Haut Commissariat pour les droits de l'homme. Puis, début 2006, le financement se tarit. La RPA décide néanmoins de continuer à produire le magazine sur fonds propres. Nul besoin de posséder des connaissances poussées en arithmétique pour se douter que d'un jour à l'autre, les moyens d'actions du journaliste en charge de l'émission sont fortement réduits. Emery Madirisha explique les difficultés qu'il connaît depuis le retrait du bailleur1 : << Pour créer une émission de qualité, il faut sortir de Bujumbura car les violations des droits de l 'homme ont principalement lieu à l 'intérieur

1 Entretien du 7 février 2006.

du pays. Avant [quand l 'émission était financée], c 'était facile de se déplacer : je louais une voiture et un chauffeur, et on partait. Aujourd'hui, je dois attendre qu 'un groupe de journalistes se rende là où je veux aller, pour pouvoir partir avec eux. Alors j 'en profite pour ramener du matériel pour trois ou quatre émissions ». Difficile d'être journaliste ? Il s'agit pourtant du sort de tous les professionnels des médias de la région. C'est d'ailleurs une pratique commune au Burundi de demander à un collègue en déplacement de ramener des sons utiles à ses propres émissions, et cela afin de s'éviter un voyage. Ce type d'interviews perd dès lors toute la finesse que peut avoir l'entretien tenu par deux personnes maîtrisant leur sujet. Il arrive régulièrement que les résultats soient médiocres et que les productions finales ressemblent malheureusement plus à du copiercoller de ce que le journaliste aura trouvé d'utilisable, de diffusable, qu'à une émission réellement réfléchie et construite en conséquence.

Dès lors, si la grille de programmation de la RPA est très riche, il faut néanmoins relativiser cette première impression. L'effort est certes remarquable, mais la RPA emploie des jeunes journalistes, peu formés et manquant parfois de professionnalisme : une émission peut être entrecoupée de morceaux de musique qui diminueront de moitié la durée de contenu pertinent. Ou, faute de pouvoir interviewer la personne adéquate au bon moment, certains débats ont lieu sur deux, voire trois semaines : Mme X donne ses arguments cette semaine, Mr Z y répondra dans le numéro suivant. D'accord donc pour équilibrer l'information, mais pas nécessairement dans une seule et même émission : les journalistes de la RPA considèrent que cet équilibre peut tout aussi bien être atteint en plusieurs émissions. Enfin, la grille de programme n'est pas toujours respectée. Il arrive que des émissions soient remplacées à l'improviste par des plages musicales, tandis que d'autres programmes accusent des retards considérables ou ne respectent pas le minutage prévu1. Un bel effort, donc, mais les résultats obtenus ne cadrent pas toujours avec la volonté de départ.

1 CNC, Rapport sur les contenus du média radio publique africaine, p.1, document non publié.

Radio Isanganiro : Gira Ahuba wubahwe (Sois respecté chez toi et dans tes biens)

Gira Ahuba wubahwe

L'émission, financée par l'ambassade des États-Unis à hauteur de 10.000$, a débuté en janvier 2006 et s'est achevée fin février 2006.

But : Il s'agissait d'une émission divisée en deux phases : la première portant sur la bonne gouvernance chez les élus locaux pour dresser un bilan après trois mois d'entrée en fonction ; le deuxième axe visait la question du rapatriement. Public-cible : toute la population burundaise.

Format : 25 minutes. Le magazine mêle le reportage (une vingtaine de minutes) avec une table ronde. Au cours du reportage de terrain, interviennent les élus locaux, des représentants de la société civile, mais avant tout des citoyens ordinaires qui expriment leur avis sur le thème de l'émission, partagent leur expérience personnelle et mettent les élus face à leurs responsabilités. Les journalistes tentent toujours de trouver un témoignage positif, afin que les auditeurs puis sent en prendre exemple pour gérer leur propre situation.

Thèmes abordés : Le projet s'étalait sur huit semaines et donc sur huit thèmes liés aux deux angles d'approche (bonne gouvernance et rapatriement) : cohabitation des élus locaux et des notables traditionnels, rôle des conseils communaux et bilan de ces conseils, rapatriement des réfugiés, les structures mises en place pour les accueillir, leur réinsertion qu'ils soient écoliers ou citoyens actifs, les problèmes de terres rencontrés par ces réfugiés, etc. Pour chaque émission, les journalistes se rendaient dans une province représentative du thème abordé

La dernière émission, qui clôturait le projet, a pris la forme d'un débat en direct. Les correspondants de l'intérieur du pays se trouvaient avec les conseillers communaux et la population. En communication téléphonique avec le studio, ceux-ci avaient dès lors la latitude d'intervenir dans le débat et de poser des questions en direct au ministre de l'Intérieur présent à la table ronde.

 

Après découpage de la grille de programme d'Isanganiro, la proportion de magazines ; de programmes informatifs ; et autres1 se répartit comme tel :

magazines
36%

autres 43%

informations
21%

Par magazine, on entend toutes les émissions à contenu (émissions environnementale, sportive, sociale, d'actualité, de débat, ...). Dans la catégorie autres, entrent les émissions musicales, les publicités, les communiqués, les ouvertures et fermetures d'antenne, etc. Une étude plus approfondie de la catégorie « magazine » s'avère pertinente. Dans le graphique suivant,

1 Source : grille des programmes disponible sur le site de la radio : www.isanganiro.org, en date du 15 février 2006. Voir annexe p. 157.

l'auteur a mis en évidence, parmi les magazines jugés proactifs, l'origine de leur financement (production propre, partenariat, ou produit par le Studio Ijambo) :

partenariats
extérieurs
14%

production sur
fonds propres

25%

Studio Ijambo
61%

Parmi les productions autofinancées par la station, ont été jugés comme proactifs les magazines suivants : Nyibuka (Rappelle-toi de moi) ; un magazine sur les conflits fonciers ; un dialogue avec la diaspora, une émission où les auditeurs ont l'opportunité de faire entendre leurs avis sur des questions d'actualité (Giricushikirije), un forum jeune, l'émission de débat politique Mosaïque et son équivalent kirundophone Ku nama, et enfin un magazine sur la démobilisation. C'est-à-dire huit émissions représentant en moyenne 50 minutes de programme quotidien. Au premier abord, cette grille a donc l'air raisonnablement bien fournie.

Pourtant, en comparant ce temps d'antenne avec celui accordé aux productions du Studio Ijambo, cette même grille prend automatiquement un autre relief : les magazines produits par le Studio Ijambo passent sur les ondes d'Isanganiro en moyenne 2 heures et 6 minutes par jour. Tous ces magazines étant considérés comme proactifs, les émissions du Studio Ijambo représentent dès lors 61% de la grille proactive d'Isanganiro. Le fait que ce type d'émissions soit majoritairement à l'origine d'un organisme extérieur à la station de radio n'est pas exceptionnel. On l'a vu, les autres médias n'ont généralement de programmes proactifs que dans la mesure où ceux-ci sont spécifiquement financés par un bailleur. Il y a pourtant un fait frappant chez Isanganiro, c'est la grande dépendance de ce média vis-à-vis de son voisin le Studio Ijambo, dont les productions représentent 36% de la catégorie << magazine >>.

Est-ce dû à cette prolifération de programmes qui viennent combler la grille de programmation, ou à un manque d'habileté pour trouver des bailleurs extérieurs ? Toujours est-il qu'Isanganiro conclut très peu de partenariats avec des organismes autres que le Studio Ijambo. Les émissions financées par des bailleurs externes n'occupent que 3% du temps de diffusion total d'Isanganiro (16 heures par jour), contre 13% pour le Studio Ijambo. Ce lien étroit entre le Studio Ijambo et sa << fille >> la radio Isanganiro ne peut en réalité que rendre cette dernière plus faible :

habituée à recevoir des émissions de qualité, elle n'a aucun autre bailleur solide qui pourrait la soutenir si SFCG pliait bagage du jour au lendemain. Si tel était le cas, ces plages horaires seraient très certainement remplacées par de la programmation musicale, du moins dans un premier temps. Ce qui diminuerait inévitablement la qualité de programmation d'Isanganiro. Or la grande qualité et la rigueur des émissions diffusées sur la radio sont les éléments de son succès. Elle tire d'ailleurs profit de cette popularité pour essayer d'attirer les annonceurs.

Radio Burundi : Rondera Amahoro (Chercher la paix)

Rondera Amahoro

Le magazine, produit sur fonds propre, a été lancé lors des négociations d'Arusha (2000)

But : aider les Burundais à trouver, ensemble, une façon de se réconcilier. L'émission, lancée alors que le pays était toujours en guerre, visait à apprendre aux populations rurales à vivre ensemble pacifiquement. Aujourd'hui, en situation post-conflit, le programme s'est orienté vers la consolidation de la paix, afin de reconstruire un Burundi viable pour tous. C'est un magazine qui vise à aider les Burundais à trouver, ensemble, la réconciliation.

Public cible : toute la population burundaise.

Format : 25 minutes, sur la base d'interviews et de reportages, entrecoupés de commentaires du journaliste.

Sujet : tous les thèmes connexes à la consolidation de la paix, c'est-à-dire tous les thèmes qui pourraient éventuellement créer des conflits, et auxquels un journaliste peut apporter sa contribution par le biais de la médiation, l'explication et la remise en contexte.

Exemples : rôle de la femme dans la recherche de la paix : le journaliste interroge des femmes leaders et des paysannes, pour montrer comment elles vivent pacifiquement avec des femmes d'autres communautés et/ou ethnies. Chacun donne sa vision de la situation, apporte ses propres solutions, et le journaliste se sert de leur expérience pour en tirer des généralités sur des comportements adoptables par toutes les Burundaises.

Libération des prisonniers politiques : donne la parole à la population. Certains expriment leurs peurs face au retour de personnes accusées de crimes de sang ; d'autres sont d'avis qu'il s'agit d'un geste positif pour promouvoir la réconciliation nationale. Puis le journaliste tend le micro à des gouverneurs de provinces où beaucoup de génocides ont eu lieu, à des représentants de la ligue des droits de l'homme. Dans cette émission, le journaliste a surtout tendu le micro aux divers intervenants et n'est pas beaucoup intervenu, préférant qu'une interview vienne en réponse à la précédente.

 

En 2003, les productions propres de Radio Burundi (créées et financées par la radio) n'occupaient qu'un temps d'antenne très limité (une moyenne de 1h30 par jour, sauf le week-end). Pour le reste, l'antenne était essentiellement occupée d'une part par de très longues plages musicales, d'autre part par une multiplicité d'émissions concédées (40 émissions concédées par semaine !).

Trois ans plus tard, la situation a évolué sensiblement : les productions propres occupent désormais 2h25 d'antenne en semaine (13% du temps total), et 4h30 le week-end (25%). Parmi

celles-ci, 12 émissions (moyenne : 53 minutes quotidiennes) peuvent être considérées comme des programmes proactifs1:

- Rondera Amahoro (voir supra) ;

- Rema Ntiwihebure (<< sois solide, ne te décourage pas >> : émission qui vient soutenir les sinistrés de la guerre) ;

- 1 programme sur l'environnement (Dukingire Ibidukikije) ;

- 3 magazines sur le développement (Terimbere, Dusanure Igihugu et Turwanye Ubukene) ;

- 1 << éloge des braves >> (Intore Irayagwa) où l'on parle des exploits des gens en faveur de la résolution du conflit ;

- 2 programmes sur l'intégration des minorités (Ntunkumire, << Ne m'exclus pas >> et Ni abacu, << Ils sont nôtres >>), Ubugirigiri (<< L'Entraide >>) ;

- 1 émission sur les femmes (Ikiyago c 'abakenyezi) ;

- et enfin 1 émission de théâtre radiophonique avec la troupe N'Inde.

Les magazines programmés sont bien le reflet de la réalité politique et sociale du Burundi, tout au moins, les journalistes s'évertuent à ce qu'ils représentent le plus fidèlement possible la situation du pays. On y trouve un mélange de magazines réconciliateurs, qui visent à favoriser la vie commune et à réparer les esprits après la guerre ; et de magazines réparateurs. Ces derniers ont pour but de reconstruire le pays d'un point de vue social, économique et logistique. En cela, les émissions reflètent la réalité burundaise : d'une part, la guerre n'est pas encore entièrement finie ni sur le terrain ni dans les esprits, d'autre part après la période de transition les préoccupations sont toutes au développement et à la reconstruction. Et tout comme dans la réalité, les magazines réconciliateurs tendent à disparaître au profit des émissions réparatrices

En ce qui concerne les émissions concédées, la situation ne s'est pas améliorée depuis 2003 puisqu'on dénombre aujourd'hui... une cinquantaine d'émissions concédées par semaine. La radio nationale était auparavant un passage obligé pour se faire entendre dans tout le pays, avant l'arrivée des radios privées. Certains organismes ont donc gardé le réflexe de s'associer à la RTNB. Pour d'autres, il s'agit tout simplement de privilégier les partenariats avec la radio publique.

Parmi les organismes partenaires de Radio Burundi et qui diffusent des émissions proactives, l'on retrouve bien entendu le Studio Ijambo et le Studio Tubane, mais aussi d'autres acteurs non présents sur les ondes des radios privées :

1 Au 15 février 2006.

- Les associations religieuses : Fallait-il introduire les magazines qui promeuvent l'amour du prochain sur des bases religieuses dans la catégorie << émissions proactives >> ? Nous avons décidé de les y classer puisqu'il s'agit bien d'utilisation des médias dans le but de favoriser la paix. Et même si c'est au nom de dieu et sur base des livres sacrés que les présentateurs cherchent à pacifier les âmes, il s'agit tout de même de médias pour la paix. Attention cependant à ne pas assimiler émission religieuse et émission proactive : l'une n'entraîne pas nécessairement l'autre et de nombreux magazines religieux n'ont d'autre but que de dire la messe, où de diffuser des chants religieux. Il faut cependant citer le Studio Transworld Radio, d'obédience anglicane, qui a une place prépondérante parmi les émissions proactives (émissions de lutte contre le SIDA, de cohabitation, de santé, touj ours en référence à Dieu).

- Les associations locales : trois d'entre elles ont créé un partenariat avec Radio Burundi. L'association Ubuntu a monté un magazine de l'humanisme et l'association Burundi Buhire (<< Burundi bienheureux >>) tend le micro à des interlocuteurs qui expliquent comment se déroulait la cohabitation dans le temps. Enfin, une association locale de défense des droits de l'homme loue les ondes de la radio pour y sensibiliser les auditeurs au thème des droits humains.

Avec une trentaine de partenaires, dont une dizaine qui réalisent des émissions proactives, cette politique de concession devrait rapporter gros à la Radio Burundi, notamment lorsque les partenariats se font avec des grandes associations internationales ou ONG, qui sont parmi les rares à payer leur dû en temps et en heure. Pourtant, ce ne sont pas les concessions qui remplissent les caisses de la Radio Burundi, et malgré ces nombreux partenariats, la radio publique est certainement celle qui est le moins dépendante des bailleurs extérieurs pour sa survie financière, grâce au financement étatique.

Les informations d'actualité : étude d'un cas concret

Un journalisme proactif peut se réaliser au travers de chaque phrase prononcée à l'antenne. Il serait dès lors réducteur de n'envisager l'influence positive des médias qu'à travers des magazines ou du théâtre radiophonique. Le journalisme de paix peut s'appliquer à tout moment : dans le choix d'un interlocuteur, dans les propos tenus au cours d'animations libres, dans la façon de présenter les informations chaudes. Les radios privées abordées plus haut (Bonesha, Isanganiro, RPA), disent toutes vouloir promouvoir la paix et la réconciliation de la population burundaise, volonté d'ailleurs inscrite dans leurs statuts. Nous avons vu qu'elles diffusaient toutes des émissions proactives, en quantité et en qualité variables selon leurs revenus. Peut-on pour autant les qualifier de << radios promotrices de paix et de la réconciliation >> ? Pas si cette volonté ne

transparait pas dans l'ensemble des productions radiophoniques. C'est pour cela que nous allons tenter, dans ce point, d'analyser chez chacune de ces radios, le traitement de l'information d'actualité qui elle, n'est pas financée directement par des bailleurs externes.

Une enquête réalisée par l'auteur auprès d'un échantillon représentatif des professionnels des médias burundais met en évidence la conception qu'ont les journalistes burundais de leur rôle dans la société1. La plupart des personnes interrogées s 'accordent à dire que leur rôle est de diffuser des informations exactes qui ont été recoupées (76% tout à fait d'accord), d'éduquer ses auditeurs (55% tout à fait d'accord, 32% d'accord), de les protéger (37% tout à fait d'accord, 39% d'accord) et enfin, 87% des journalistes considèrent qu'ils possèdent un rôle de contre-pouvoir, de << chien de garde de la démocratie >>. Dès lors que les journalistes se définissent en tant qu'acteur à part entière de la société civile, jouant un rôle essentiel dans la vie des récepteurs des médias, cette conception influence leur traitement de l'information : 77% des répondants se déclarent en désaccord avec le postulat selon lequel << Ce que fait la population de l 'information que j 'ai diffusée ne me concerne plus. Mon rôle est de fournir de l 'information exacte, et libre à ceux qui la reçoivent de l 'utiliser comme ils l 'entendent >>. A contrario, avant de diffuser une information, 97% disent réfléchir aux conséquences que celle-ci aura sur la population réceptrice.

De même, lorsqu'ils sont mis devant la possibilité de diffuser un scoop, qui aurait la fâcheuse conséquence de raviver les tensions entre les différentes communautés et/ou ethnies, 71% préféreraient ne pas informer la population plutôt que de le faire sans précaution particulière. 86% des journalistes accompagneraient cette nouvelle délicate d'émissions spéciales consacrées au sujet, dans lesquelles ils feraient intervenir des personnes modérées de façon à éviter les tensions entre communautés et/ou ethnies. Tous les journalistes burundais seraient-ils, sans le savoir, des journalistes proactifs ?

Les attitudes révélées par ce questionnaire appartiennent au domaine de la théorie : les journalistes n'ont pas toujours la latitude de travailler comme bon leur semble. Ils doivent respecter les grilles de programmations, les instructions du rédacteur en chef et les exigences des bailleurs. Afin de mesurer le degré d'application, par les journalistes, des techniques de construction de la paix et des principes journalistiques de base dans les bulletins d'information, le présent document se propose d'étudier la couverture des informations d'actualités par les radios Bone sha, Isanganiro, RPA et radio Burundi.

1 Enquête réalisée sur un échantillon de 72 journalistes issus de la RPA, la RTNB, Isanganiro, Studio Ijambo, Studio Tubane, Bonesha, CCIB et le studio de production de l'Onub. Voir les résultats complets en annexe p. 160.

Dans la mesure où il était impossible de traiter l'ensemble des bulletins d'information diffusés par les médias précités, une sélection était nécessaire. Il nous a semblé intéressant de faire l'analyse du traitement médiatique d'une actualité spécifique, la libération des prisonniers politiques annoncée de 10 janvier 2006 par la ministre de la Justice. Pourquoi avoir choisi ce sujet ? Il s'agissait d'un sujet sensible, susceptible de réveiller de vieux démons parmi la population touj ours pas entièrement guérie de la crise dont elle sort petit à petit. Cette libération au cours de notre séjour au Burundi présentait une opportunité exceptionnelle d'analyser la façon dont les radios allaient présenter cette libération, choisiraient les intervenants et leurs consacreraient des temps d'antenne différents.

La libération des prisonniers politiques

Le 10 janvier 2006, Clotilde Niragira, ministre burundaise de la Justice, annonce la libération provisoire de 673 prisonniers politiques, qu'elle motive par un désir de réconciliation de la population burundaise, conformément aux accords pris à Arusha. Cet élargissement provoque des remous dans tout le pays et ce pour deux raisons. D'une part parce que parmi les bénéficiaires de cette mesure figurent des personnes accusées d'avoir participé aux massacres qui ont suivi l'assassinat du président Ndadaye en 1993, alors que le président Nkurunziza avait affirmé lors de ses voeux à la nation (3 1/12/05) qu'aucune personne soupçonnée d'avoir commis des crimes de sang ne bénéficierait de cette mesure. Une grande confusion règne donc sur la définition du prisonnier politique. D'autre part, nombreux sont ceux qui prennent peur à l'idée de voir revenir au village des personnes ayant peut-être pris part au massacre de leur famille douze ans plus tôt.

Afin d'étudier le traitement médiatique de cette actualité controversée, nous utiliserons une grille d'analyse mêlant les recommandations énoncées par Lynch et Mc Goldrick pour réaliser un journalisme proactif (voir supra, p.6)

· Eviter de réduire le conflit à l'espace-temps des violences.

· Prêter une attention particulière au vocabulaire employé.

· Eviter de mettre en évidence continuellement ce qui divise les parties, les différences entre ce qu'elles déclarent vouloir : mettre en évidence les intérêts et buts partagés.

· Eviter de toujours se concentrer sur les souffrances et les peurs du même côté.

· Eviter de laisser les protagonistes se définir par les déclarations de leurs chefs quant à leurs demandes, leurs réclamations : donner l'occasion aux gens ordinaires d'exprimer leurs opinions... Aux principes journalistiques de base :

· Non-séparation des faits et des commentaires

· Déséquilibre dans le traitement de l'information

· Incitation à la haine, à la révolte ou à la violence, apologie du crime

· Exagération des faits, sensationnalisme à outrance...

Puisque les bulletins d'information ne se prêtent guère à la médiation, nous nous pencherons principalement sur le choix des intervenants au cours des jours qui ont suivi l'annonce de l'ordonnance ministérielle. Ensuite, nous verrons les efforts fournis par les radios pour éclairer et peut-être calmer les esprits, et ce dans les magazines d'actualité dédiés à ce sujet.

Les bulletins d'informations de la radio Bonesha, RPA, Isanganiro et Radio Nationale (2e chaîne publique)

Le 10 janvier, jour de la libération des prisonniers politiques, toutes les radios font preuve d'un sérieux déséquilibre de l'information, dans la mesure où seuls les propos de la ministre de la Justice passent sur antenne :

La Ministre s'exprime sur les motivations de cette libération (réconciliation du peuple burundais) ; déclare qu'il ne s'agit pas d'une mesure favorisant l'impunité (puisqu 'elle n 'est que provisoire en attendant les jugements de la future CVR - Commission vérité et réconciliation, prévue par les accords d 'Arusha) ; rassure la population sur le fait que ces ex-prisonniers ne pourront pas échapper à la justice (dans la mesure où ils n 'ont pas le droit de franchir les frontières). Elle explique également l'origine du choix des prisonniers à libérer (liste établie par une Commission chargée d 'identifier les prisonniers politiques). Temps d'antenne (T.A.) de la Ministre : Bonesha 2'46, RPA 3'14, Isanganiro 2'00, Ndegarakura 3'48.

Des réactions auraient du être récoltées à chaud, et diffusées sur antenne le jour même, si ce n'est dans l'édition de la mi-journée, tout au moins dans les bulletins de la soirée. De plus, aucune des radios n'a mis cette information en perspective, en expliquant l'origine de cette relaxation. Ce n'est que le lendemain que les échos se font entendre, du moins pour les radios privées. La radio nationale n'approfondira pas le sujet les jours suivants, alors que les autres radios diffuseront des informations jusqu'au 14 janvier.

Le mercredi, les réactions fusent de toutes parts :

Bonesha :

- Monde politique : satisfaction du parti Frodebu, le parti du président Ndadaye mort en 1993, qui salue la mesure. T.A. 1'00

- Société civile : AC Génocide qualifie cet acte de consécration de l'impunité et d'un << coup de poignard dans le dos des victimes des massacres de 1993 >>. T.A. 1'50

Maître Sinarinzi parle de << culture d'impunité >> et de danger imminent pour les rescapés des génocides, témoins gênants qui risqueraient d'être éliminés par les prisonniers libérés. T.A.1 '06

RPA : le journaliste parle désormais de prisonniers dits politiques.

- Monde politique : re-diffusion d'un extrait d'interview de la ministre de la Justice. T.A. 0'52

 

P.A. Masekanya : parle d'inamnestiabilité du crime de génocide, et qualifie les libérés de terroristes génocidaires. Déclare que les victimes des massacres croupissent dans des camps de réfugiés alors que leurs bourreaux, les terroristes génocidaires, << sont traités comme des généraux et doivent recevoir des millions >>. T.A. 1 '30 Parti Uprona : Demande la suppression de la mesure et met en garde contre les conséquences néfastes de cette libération (suppression des témoins et rescapés). T.A. 0'20

Isanganiro :

- Monde politique : Frodebu : affirme son soutien à la mesure, et sa confiance dans le choix des prisonniers par la commission chargée d'identifier les prisonniers politiques. T.A. 2'00

CNDD-Nyangoma : la libération sans avoir déterminé les responsables des massacres de 1993 et de la mort de Ndadaye est une gifle à la population burundaise qui attend impatiemment la vérité. Mais qualifie la mesure de << salutaire >> pour ceux qui étaient détenus sans dossier. T.A. 1'00

- Société civile : A.C. Génocide fait part de sa déception, parle du sentiment de désespoir des rescapés << qui vont voir défiler leurs bourreaux >>. T.A. 0'51

Les trois stations réalisent un billet d'information relativement équilibré, où des intervenants du pour et du contre expriment leurs positions. Cependant, ces interviews auraient dû être réalisées et diffusées à chaud la veille.

Notons que le journaliste de la RPA parle désormais non plus de prisonniers politiques mais de prisonniers dits politiques, ce qui peut faire l'objet d'une double interprétation. D'une part ce changement peut être considéré comme l'expression d'une stricte neutralité, puisque les intervenants ne sont pas tous d'accord pour qualifier les personnes libérées de << prisonniers politiques >>. D'autre part, ceci peut être interprété comme une prise de position du journaliste qui nierait par là le fait que ces prisonniers soient réellement politiques. Si tel était le cas, il s'agirait d'un cas de non-séparation des faits et commentaires. Notons enfin que lorsque le porte-parole du mouvement P.A. Masekanya s'exprime sur les ondes de la RPA en faisant allusion aux << terroristes génocidaires >>, il rappelle tristement les propos qu'utilisait la radio nationale avant les accords d'Arusha, lorsqu'elle qualifiait les rebelles de << tribalo terroristes génocidaires >>. Aujourd'hui, plus aucun journaliste n'utilise ce terme représentatif d'une époque révolue. Bien que ce qualificatif n'ait pas été employé par le journaliste lui-même, celui-ci aurait pu utiliser l'interview en choisissant d'autres extraits significatifs, où l'intervenant ne parlait pas de terroristes génocidaires.

Le jeudi, le sujet fait à nouveau la Une des journaux parlés des trois stations.

Bonesha : un seul intervenant, le président de l'AproDH (ligue des droits de l'homme) : déclare que plus de 90% des libérés sont des Hutu accusés des massacres de 1993. S'étonne que cette mesure ne s'applique qu'à un groupe si peu diversifié. T.A. 2'28.

RPA :

Vice-président de la Commission chargée d'identifier les prisonniers politiques : répond aux reproches d'exclusivité de la mesure aux auteurs des massacres de 1993. Explique qu'il n'y a pas de traitement préférentiel, que les listes sont établies selon des critères objectifs inspirés des accords d'Arusha et des codes de droit burundais. T.A.2'00 Isanganiro :

Uprona : se dit théoriquement d'accord avec une libération des prisonniers politiques, mais en désaccord avec cette ordonnance, puisqu'en libérant des auteurs de crime de sang, elle va à l'encontre des propos du président Nkurunziza. « Mesure qui pêche par excès ». T.A. 1 '35

Ligue des droits de l'homme Iteka : mesure caractérisée par la précipitation. Illustre par l'exemple du Rwanda où des témoins furent tués lors de précédentes libérations de prisonniers. T.A. 1'18

La RPA sort du lot puisqu'elle confronte les propos diffusés la veille avec une intervention du vice-président de la Commission chargée d'identifier les prisonniers politiques. Les autres radios, quant à elles, diffusent toujours des réactions critiques vis-à-vis de cette ordonnance, sans apporter ni opinion constructive, ni réponse de la part des responsables politiques (ministère de la Justice ou commission susmentionnée). Laisser la parole à un côté sans permettre à la partie critiquée de se justifier ne répond pas aux critères énoncés par Lynch et Mc Goldrick, qui préconisent le dialogue comme source de solutions. Les journalistes auraient pu dès lors poser des questions donnant lieu à un débat constructif, notamment en demandant aux intervenants d'exposer des solutions aux diverses conséquences négatives de cette libération (intégrer les prisonniers dans leur communauté d'origine, favoriser le pardon des victimes qui allaient bientôt se retrouver face à face avec ceux qui avaient attenté à leur vie ou à celle de leurs proches, ...).

Le 13 janvier, une fois encore, les billets portant sur le suivi de cette affaire laissent la parole à de nombreuses critiques :

Bonesha : Le Collectif des associations burundaises des droits de l'homme s'insurge. Il rappelle que crimes de sang et de guerre sont inamnestiables. En appelle à la justice pour qu'elle réclame son indépendance au nom du principe de séparation des pouvoirs. T.A. 1 '38

L 'Eglise anglicane approuve la mesure mais déplore un manque de préparation des esprits des libérés comme de la population qui devra les accueillir, car le pardon du gouvernement n'est pas suffisant pour une réintégration efficiente des ex-détenus. T.A.1'53

RPA :

Les prisonniers récemment libérés demandent à la population de les accueillir comme des citoyens en quête de respectabilité et non comme des tueurs. Demandent aux politiciens de cesser le discours incitant la population à la peur mais plutôt de tenir des propos réconciliateurs. T.A. 0'40

AproDH salue la mesure, mais exprime des inquiétudes quant aux critères utilisés pour définir le prisonnier politique. T.A. 1'45

Isanganiro :

AproDH exprime ses doutes quant au choix des critères utilisés pour qualifier les détenus de prisonniers politiques, puisque de nombreux auteurs de crimes de sang figurent parmi eux. T.A. 1'15

Action des chrétiens pour l'abolition de la torture : parle << d'impunité criante >>. T.A. 1 '23

Le journaliste rappelle la déclaration qu'avait faite Nkurunziza lors de ses voeux à la nation. Extrait du discours.

L'objet de cette étude n'est pas de juger du bien-fondé de cette libération des prisonniers, ou du choix des prisonniers, mais bien de vérifier la diversité des sources et des avis. Or, une fois de plus, les radios donnent l'antenne libre aux protestations de la société civile, sans pour autant demander des comptes à la partie gouvernementale. De même, les journalistes ne mettent pas le Président devant ses responsabilités en lui demandant de s'exprimer sur son soudain revirement d'opinion quant à la relaxation des auteurs de crimes de sang. De plus, la société civile polémique beaucoup sur le choix des détenus libérés. Les médias auraient dès lors dû exposer aux auditeurs une définition communément acceptée d'un << prisonnier politique >>.

Enfin, elles auraient pu tendre le micro aux premiers intéressés de cette mesure : les détenus libérés d'une part, les rescapés de massacres de 1993 d'autre part, ce qui aurait permis de mettre cette libération en relief, en donnant aux auditeurs une idée de l'état d'esprit régnant au sein de ces groupes. Or seule la RPA prend l'initiative de donner la parole à un ex-prisonnier dans le dernier billet de la semaine consacré à ce sujet.

Le 14 janvier, seules les radios Bonesha et Isanganiro couvriront encore la nouvelle, à la suite d'un communiqué de presse du parti MRC-Rurenzangemero, qui propose une solution pour contrer la précipitation dans laquelle le gouvernement a pris l'initiative de libérer provisoirement les 673 prisonniers :

Bonesha : Le parti MRC-Rurenzangemero s'affiche contre la relaxation des prisonniers politiques. Il propose au gouvernement d'organiser un grand débat autour de cette question, afin de ne pas agir dans la précipitation. T.A.0'44 Isanganiro : MRC-Rurenzangemero (mêmes propos que sur Bonesha). T.A. 0'50

Rappelle les idées principales des intervenants de la veille : Action des chrétiens pour l'abolition de la torture, AproDH, Collectif des associations burundaises des Droits de l'Homme, discours de Nkurunziza.

En conclusion, on remarque que le traitement de cette nouvelle pourtant délicate n'est pas entièrement conforme aux principes journalistiques de base ni à ceux du journalisme proactif. La Radio nationale ne couvre l'évènement que d'un point de vue strictement gouvernemental, sans chercher à recueillir des opinions en faveur ou en défaveur de la mesure. Il s'agit d'un déséquilibre de l'information. De même, la rédaction ne travaille absolument pas en profondeur puisque malgré les remous causés par cette libération, le lendemain, le sujet est déjà oublié pour ses journalistes.

Bone sha et Isanganiro adoptent un comportement plus ou moins similaire : Interview de la Ministre le premier jour, réactions positives (du Frodebu) et négatives le deuxième jour, puis, les

deux jours suivants, une suite d'intervenants contestant la me sure. Elles manquent dès lors aux recommandations suivantes :

· Eviter de toujours se concentrer sur les souffrances et les peurs du même côté.

· Équilibrer l'information.

· Eviter de laisser les protagonistes se définir par les déclarations de leurs chefs quant à leurs demandes, leurs réclamations. Ici, en laissant les associations de la société civile s 'exprimer sur les peurs de la population - notamment les rescapés des massacres de 1993 - sans récolter directement les avis de la population.

· Donner aux gens ordinaires l'occasion d'exprimer leurs opinions au même titre que les personnalités officielles.

Pour généraliser, ces trois médias ont attendu que l'information « leur tombe dessus », se contentant de diffuser ce que les officiels et la société civile leur fournissaient. Elles auraient dû aller de l'avant, et aller chercher l'information chez d'autres acteurs.

La RPA se démarque puisqu'elle demande des comptes au vice-président de la commission chargée d'identifier les prisonniers politiques (12/0 1) et qu'elle offre la voix au chapitre à un exdétenu ayant bénéficié de la mesure (13/01). Cependant, pas plus que les trois autres stations, elle n'offre de définition du prisonnier politique, n'explique les modalités du caractère provisoire de cette libération, ni ne la contextualise dans le cadre des accords d'Arusha.

C'est donc une information pluraliste que nous offrent les radios privées, dans la mesure où partisans et opposants de la mesure ont eu voix au chapitre sur antenne. Mais ce pluralisme n'est pas assez poussé pour répondre aux exigences du journalisme de paix, tels qu'énoncés plus haut. Les informations sont un peu superficielles, même si les radios privées ont continué à traiter de l'information durant cinq jours. Voyons maintenant ce qui a été fait du côté des émissions d'actualité/d'analyse, qui sont par nature moins superficielles.

Les émissions d'actualité/d'analyse

Tous les dimanches à 7 heures 30, la deuxième chaîne radio de la RTNB (la chaîne dite internationale), diffuse l'émission Infos+, qui traite d'un sujet à la Une de la semaine achevée. Constituée d'une part d'une revue de presse tant nationale qu'internationale, l'émission consacre d'autre part une vingtaine de minutes à un dossier d'actualité au choix. Le programme du dimanche 15 janvier se penche sur cette libération des prisonniers politiques, peut-être pour compenser la légèreté avec laquelle le service d'information de la RTNB avait suivi le sujet.

L'émission est constituée sous la forme d'un reportage en profondeur sur les positions et les réactions des différentes composantes de la société : elle mêle des extraits d'entretiens avec la ministre de la Justice - qui défend le bien-fondé de l'ordonnance qu'elle a prise, sa légalité, et son rôle positif pour la réconciliation - avec des interviews de différents acteurs de la société civile. Les représentants de la Ligue des droits de l'homme Iteka et de l'Association pour la restructuration d'un état de droit au Burundi expliquent leurs peurs, parlent d'impunité flagrante et donnent leur définition du prisonnier politique, qui exclut les auteurs de massacres. Il s'agit d'un montage d'interviews, et les extraits sont montés de façon à se répondre les uns aux autres. Dès lors l'interview de la Ministre semble répondre à celle du président de la Ligue Iteka, sans pour autant qu'il n'y ait de réel débat. Lorsque le journaliste demande à ce dernier ce qui devrait être fait, << puisque après tout, il faut bien avancer >>, celui-là conseille de << passer pas la justice d'abord, le pardon après >>, tandis que son collègue affirme que la solution réside dans la suppression de la mesure, afin de réhabiliter la justice.

Enfin, le présentateur clôture l'émission en regrettant que le parti Frodebu ait manqué l'interview promise, et s'attriste de l'attitude des responsables de la commission chargée d'identifier les prisonniers politiques, qui selon lui fuient les médias.

Tribune Bonesha, l'émission de débat sur l'actualité burundaise, est diffusée en direct chaque dimanche à 10 heures sur les ondes de Bonesha. Le 15 janvier, Alice Hakizimana, la journaliste en charge du programme, avait invité un représentant du CENAP (Centre d'alerte et de prévention des conflits), de l'AproDH (Association de promotion des droits de l'homme), ainsi que du Frodebu. Finalement, seuls deux des invités débattront, puisque le porte-parole du Frodebu n'arrivera jamais dans les studios de Bonesha. L'émission est judicieusement construite : un rappel des faits, puis les réactions par rapport à la mesure elle-même et à la définition du prisonnier politique, un débat sur les conséquences de cette libération et enfin les recommandations des invités pour éviter une montée de la violence.

Les débats sont calmes, à vrai dire il n'y a pas vraiment de controverse puisque les deux parties présentes sont à peu près d'accord sur les mêmes points et que l'invité supposé être en discorde avec eux n'arrivera jamais (porte-parole du Frodebu). Dès lors, il s'agit d'une exposition d'idées, de concepts de la justice, de l'Etat de droit, et de la réconciliation, tenant davantage de la discussion philosophique que du débat politique.

L'émission a le mérite de mettre en avant des points de vue non abordés à l'époque dans les journaux parlés, brefs par nature. Les points de vue des invités, les questions précises de la journaliste permettent d'affiner les propos tenus par la société civile tout au long de la semaine écoulée. Désormais, l'auditeur sait que ces deux parties ne sont pas contre une libération des prisonniers politiques dans l'absolu, mais qu'ils préconisent une batterie de mesures menées

conjointement, afin de rendre crédible une réconciliation sans passer par l'impunité. Les adversités sont aplanies, et la médiatrice conclut en disant que « les pouvoirs publics ont désormais compris que la société civile est présente pour l 'aider dans cette lourde tâche ».

À visage découvert, l'émission du dimanche matin de la RPA, comptait comme invités le vice-président de la commission chargée d'identifier les prisonniers politiques, le directeur du CENAP ainsi que le secrétaire général de l'AproDH. Un débat somme toute assez similaire à celui de Tribune Bonesha (mêmes associations invitées). Le thème du débat : la libération des prisonniers dits politiques va-t-elle réellement renforcer le processus de paix ? Le journaliste met le représentant de la commission devant ses responsabilités, dans la mesure où les questions posées sont axées sur le futur et les éventuelles répercussions de cette mesure sur la réconciliation nationale.

Même principe pour Mosaïque, l'émission de débat politique d'Isanganiro. Le samedi 14 janvier, ils sont quatre invités à avoir répondu présent à l'appel de Franck Kaze, le journaliste en charge du magazine d'actualité : Clotilde Niragira, ministre de la Justice, le porte-parole de l'association AC Génocide, le président de la ligue Iteka, ainsi que le porte-parole du parti Frodebu. Le débat durera 60 minutes, mené par le journaliste qui répartit équitablement les tours de parole. Les invités s'emportent de temps à autres, mais sans faire preuve d'une réelle confrontation. Tout d'abord, il est demandé à la Ministre de préciser les critères établis afin de définir les prisonniers politiques. Les trois autres parties réagiront par la suite à cette définition, mettant en évidence les lacunes et donnant leur point de vue sur la question. Cela permet à Mme Niragira de répondre à ces critiques, mais ses réponses sont soit peu convaincantes, soit les représentants de la société civile se montrent trop pointilleux. En effet, le débat semble s'éterniser sans aboutir à un accord de principe. Le journaliste engage alors un nouveau thème, celui du caractère provisoire de la libération. Ensuite, il engage le débat sur la pertinence d'avoir libéré des auteurs de crimes de sang. Toutes ces questions découlent en réalité du manque de transparence de la commission chargée de définir les prisonniers politiques. Le porte-parole du Frodebu n'est guère loquace, et la Ministre elle se retranche sans cesse derrière les deux mêmes principes : l'idée de libérer les prisonniers n'est pas la sienne, mais celle issue des accords d'Arusha ; le choix des prisonniers n'est pas le sien mais celui de la commission. En deuxième partie, l'émission aborde les conséquences futures et concrètes de cette libération : premièrement, savoir si les combattants du FNL pourraient être considérés comme des prisonniers politiques et donc relaxés ; deuxièmement, voir les mesures qui sont faites pour protéger les libérés et leurs anciennes victimes. Enfin, le débat se termine sur un tour de table afin que chacun fasse part de ses recommandations pour éviter frictions et frustrations.

Analyse de contenu

A vrai dire, aucune des émissions proposées par les différentes radios n'obéit entièrement aux principes du journalisme de paix : les animateurs de débats se contentent de poser les questions - certes judicieuses - sans toutefois donner aux gens ordinaires l'occasion de s'exprimer sur la question, sans proposer eux-mêmes de solutions alternatives au problème rencontré. Toutefois, dans un cas comme celui de la libération des prisonniers politiques, la seule solution à apporter consiste à faire connaître les peurs et les revendications de chacun à la Ministre en charge du dossier, en espérant qu'elle les prendra en considération pour ses futures décisions. En cela, les journalistes de Bonesha et d'Isanganiro ont le mérite d'avoir creusé le sujet, permettant dès lors aux auditeurs de relativiser les divers sentiments qui avaient pu surgir lors de l'annonce de la libération des prisonniers politiques.

Les quatre stations ont le mérite de montrer la face invisible de cette mesure : elles analysent et mettent en perspective les risques, à long terme, de dommages psychologiques sur la population, et intègrent cette libération dans le processus plus complexe de réconciliation nationale. De plus, les deux rédactions n'oublient pas de clôturer l'émission par une note positive, demandant à chacun des invités de donner leurs recommandations pour une issue positive. L'émission de la RTNB, elle, reste assez superficielle, se contentant de coller des morceaux d'interviews, et n'atteint pas le degré de finesse d'un débat où les intervenants auraient l'occasion de rebondir sur les propos les uns des autres. Pour les intervenants choisis dans l'émission, le format de la table ronde se serait révélé beaucoup plus riche. Il en aurait été autrement s'il s'était agi d'interviews de personnes difficilement disponibles pour se rendre en studio (paysan, réfugié, détenu bénéficiaire de la mesure,...). Malheureusement, aucune des radios n'a tendu le micro à cette frange de la population dans ces émissions.

Enfin, dernière constatation, aucune des trois radios n'explique clairement l'historique de cette mesure, se contentant dès lors de limiter l'actualité à l'espace-temps des polémiques, alors que la source même du problème remonte à 1993, puisque les prisonniers libérés ont pour la plupart été mêlés aux tueries de cette époque. Il aurait dès lors fallu brosser un rapide tableau, en deux minutes, du pourquoi de cette idée née à Arusha de libérer les prisonniers politiques, afin de permettre à toute la population de comprendre l'objet du débat.

Nous sommes dès lors assez éloignés d'un exemple scolaire du traitement proactif de l'actualité. Pourtant, une enquête menée par Research Solutions Ltd pour le compte de Search For Common Ground (février 2005) sur l'attitude des professionnels de la radio en Afrique

subsaharienne révélait une forte conscience des principes de construction de la paix dans des émissions d'information et d'actualité1 :

87%

90%

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73%

74%

77% 78%

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73%

69%

75%

63%

65%

donner aux "gens ordinaires" l'occasion d'exprimer leurs opinions
au même titre que les hommes politiques et les personnalités
off icielles

mettre en évidence les intérêts et les buts partagés qui peuvent
révéler un terrain d'entente entre factions opposées

trouver des personnes affectées qui sont opposées à la violence
et inclure leurs opinions

distinguer vos propres opinions des faits

citer le nom de celui qui donne son opinion af in de souligner que
c'est une opinion et non un fait

appeler les gens par le nom qu'ils s'attribuent au lieu d'utiliser des
mots comme "terroriste", "extrémiste", ou "fanatique"

confronter les leaders à des solutions alternatives et faire écho de
leurs réactions

Utilisation précise et prudente d'un vocabulaire fort, de mots
comme "assassinat", "massacre" ou "génocide"

0% 10% 20% 30% 40% 50% 60% 70% 80% 90% 100

%

Programmes d'information

Programmes d'actualités / analyse

Etre d'accord avec des affirmations lues sur un questionnaire est une chose. Penser intuitivement à les appliquer en est une autre. Les journalistes burundais, dans l'absolu, ne connaissent pas les règles du journalisme proactif. Ou du moins, pas en théorie. La plupart d'entre eux n'ont jamais entendu parler de John Galtung ou de Jake Lynch. Pourtant en pratique, ils

1 Source : Research Solutions Ltd, Rapport d'enquête : synthèse, Enquête de base sur l'attitude des professionnels de la radio en Afrique subsaharienne, conçu pour SFCG, Nairobi, févier 2005, version révisée.

appliquent déjà ces principes, bien que de façon non systématique. Tous ont compris l'impact positif qu'ils peuvent avoir sur le processus de réconciliation nationale : la totalité des journalistes burundais interrogés s'accordent pour dire qu 'en tant que journalistes, ils ont la sensation d'avoir joué un rôle important dans le processus de retour à la paix et à la réconciliation. Pour ce faire, ils s'évertuent à poser les bonnes questions aux bonnes personnes et au bon moment, afin de toujours rendre les décideurs responsables de leurs actes face à la population, de faire connaître les desideratas du peuple, de servir de forum à la société civile,...

Cependant, ils ne réalisent pas toutes ces tâches simultanément. En témoigne l'exemple du traitement médiatique de la libération des prisonniers politiques : les journalistes laissent le champ libre aux critiques et organisent des émissions visant à approfondir le sujet, puisque les journaux parlés sont par nature assez superficiels. Les journalistes burundais sont proactifs à leur façon, sans pour autant répondre à toutes les exigences des théoriciens du journalisme de paix. En effet, l'analyse faite démontre qu'il manque certains éléments pour correspondre à l'attitude proactive recommandée par Lynch et Mc Goldrick, par exemple. Cependant, si tous les impératifs du journalisme de paix ne sont pas pris en compte dans chaque émission séparément, il faut savoir que d'autres magazines sont venus compléter les manquements des émissions analysées ci-dessus, notamment en laissant davantage la parole aux petites gens.

C'est en cela que les radios locales divergent des studios de productions rompus aux méthodes du proactivisme : elles ne visent pas toujours l'équilibre au sein de chaque émission. Si ce sont des officiels qui expriment leur avis dans un magazine, alors les gens ordinaires auront la parole la semaine suivante, au travers d'appels téléphonique par exemple.

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"Aux âmes bien nées, la valeur n'attend point le nombre des années"   Corneille