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Débat autour du concept de journalisme de paix

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par Charline Burton
Université Libre de Bruxelles - Licence en information et communication 2006
  

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3. Réflexions sur l'opérationnalité concrète du journalisme de paix

Au fil de cette étude, nous avons abordé les différents types de productions qui composaient, au Burundi, le journalisme de paix : les programmes de fiction, les programmes à vocation réconciliatrice et enfin le traitement des informations d'actualité au travers des journaux parlés et des émissions d'analyse de l'actualité. Tirer des conclusions quant à l'opérationnalité concrète de ces différents concepts n'est pas chose aisée : les styles se mélangent, les situations, les acteurs et les époques également. Les niveaux de conscience ou d'application des théories du journalisme de paix varient aussi : tandis que pour certains ces principes sont une véritable ligne directrice de travail, d'autres n'ont conscience que de leur responsabilité sociale en tant que journaliste.

Nous tenterons dans ce chapitre de dresser un bilan de la situation pour chaque acteur du journalisme de paix, en soulignant les différents impacts, les éventuelles questions déontologiques ou problèmes de pertinence qu'ils soulèvent.

Rappelons les différentes catégories d'acteurs du journalisme de paix ou proactif :

- Les organismes non médiatiques, tels des ONG, des gouvernements, des organisations de la société civile ou des organisations internationales, qui n'utilisent les médias que de façon sporadique.

- Les studios de productions nés dans le but de promouvoir la résolution des conflits au travers de l'utilisation des médias.

- Les radios locales.

Un objectif commun

Quel était l'objectif poursuivi par ces acteurs au Burundi? Tout comme le disait Alice Hakizimana (voir p. 65), secrétaire de rédaction de Radio Bonesha, les objectifs ont évolué en fonction de l'actualité : recherche de la paix avant les accords d'Arusha ; cohabitation pacifique après la signature des accords de paix et, aujourd'hui, réconciliation nationale. Ces trois buts en cachent en réalité un seul : améliorer la représentation qu'a l'auditeur de l'Autre. Entendons par l'Autre, toute personne n'appartenant pas à un même groupe social, politique, ethnique, géographique ou communautaire. Dans une situation de tension ou de conflit, une étape incontournable est celle qui consiste à améliorer la représentation que les parties ont l'une de l'autre, afin que puisse naître le dialogue et que s'aplanissent les différends.

Des approches différentes

Après l'analyse du cas du Burundi, un constat s'impose que nous pouvons transposer à l'extérieur du cas d'étude pour en tirer une règle générale : il s'agit de la différence de philosophie et donc de méthode de travail entre les studios de production, les organismes non médiatiques et les radios.

Au Burundi, les studios de production sont nés de l'idée que le dialogue était un outil idéal pour humaniser l'Autre, et permettre dès lors l'émergence de compromis entre deux parties en conflit, ou de solutions à un problème. La méthodologie se fonde sur le dialogue qui permettra par la suite de s'attaquer aux conflits ou problèmes, quels qu 'ils soient, que rencontre la société.

Les organismes non médiatiques fonctionnent à l'inverse. Il s'agit de professionnels d'un secteur déterminé (Avocats sans frontières, Observatoire de l'action gouvernementale, Association d'accueil des réfugiés, ...) qui ont comme point de départ de leur méthodologie un problème précis (le non-respect des droits de l'homme, les exactions, l'intégration des réfugiés...) et donc un besoin qu'ils vont tenter de combler au moyen du dialogue.

Les radios se basent non sur une philosophie (studios de production) ou sur les besoins supposés de la population (organismes non médiatiques) mais bien sur les attentes de leurs publics, auxquelles elles essaient de répondre. Les possibilités offertes par le direct sont dès lors une particularité précieuse pour ces médias. Grâce au direct, elles arrivent à entretenir un lien étroit avec les auditeurs et à mieux connaître leurs attentes. Celui-ci offre la possibilité d'interagir avec les producteurs d'information, mais aussi avec les autres auditeurs via des appels téléphoniques par exemple. Le dialogue ne naît pas uniquement au sein de la population après réception des informations contenues dans une émission. Il se noue également entre producteurs et récepteurs de l'information, permettant dès lors aux journalistes de prendre en compte les attentes du public et de tenter d'y répondre.

Il serait hasardeux de tenter de mesurer l'impact des différentes émissions proactives que l'on trouve sur les ondes burundaises. Cependant, les réactions des auditeurs et les appels aux rédactions pour que les émissions soient rediffusées tendent à répondre, si non à la question de l'impact, tout au moins à la question de l'audience. Dans l'ensemble, les émissions proactives sont appréciées par la population burundaise, qui les suit avec un grand enthousiasme. On peut dès lors en conclure qu'elles arrivent dans une certaine mesure à leur fin : lancer un coup de projecteur sur un thème spécifique qu'elles considèrent comme un obstacle à l'épanouissement des citoyens ou la cohabitation paisible.

Le Studio Ijambo a joué un rôle central dans la pratique du journalisme de paix au Burundi. Son arrivée en 1995 dans le paysage médiatique burundais, alors totalement dominé par les médias

publics, a fait l'effet d'une bouffée d'air frais. Peut-on néanmoins affirmer que ce sont ses productions, toujours équilibrées et axées vers la résolution pacifique des conflits, qui ont inspiré les radios privées nées par la suite ? Ou qu'elles ont contribué à l'amélioration des programmes des radios publiques ? Les responsables du Studio Ijambo se plaisent à le croire et à le dire, mais rien n'est moins facile à prouver. Certes, le Studio Ijambo a montré qu'un autre type de journalisme était possible, loin des productions formelles et partisanes de la RTNB de l'époque. S'il n'était certainement pas le seul à s'en être rendu compte, c'est bien le seul, à l'époque, à avoir bénéficié des financements nécessaires pour s'implanter au Burundi.

Une enquête datant de 2001 indique que 57% des Burundais estimaient que le studio contribuait très fort au retour à la paix ; 55,6% pensaient qu'il promouvait fortement le dialogue ; et 5 1,9% trouvaient que les émissions du Studio Ijambo aidaient très souvent à promouvoir la réconciliation. Dès lors, si l'on ne pourra jamais prouver ou nier qu'il ait été la source d'inspiration des autres radios, l'on peut tout de même affirmer avec beaucoup de certitude qu'à cette époque, le Studio Ijambo répondait aux objectifs qu'il s'était fixés : promouvoir le dialogue grâce à une représentation humanisée de l'Autre.

Les studios de productions ont su s'imposer dans les médias locaux en raison de leur professionnalisme. Ils prennent le temps de réaliser des enquêtes sur des sujets d'une grande complexité, ne font pas de « direct » et ne doivent donc pas traiter d'actualité chaude. Pour un même magazine, les équipes de journalistes sont plus nombreuses et ont plus de temps à consacrer que les journalistes des radios locales. C'est pourquoi leurs productions sont bien souvent meilleures et qu'elles n'ont aucune difficulté à trouver des stations partenaires pour être diffusées. Cette qualité technique qui caractérise les studios de production est également l'un des arguments qui justifie leur présence sur le terrain. Contrairement aux médias locaux qui par essence ne peuvent être parfaits, les studios de productions proactifs aspirent à s'imposer comme modèle pour les médias locaux. Faire des émissions techniquement irréprochables est également un but en soi.

Des relations financières déterminantes

Dans les relations entre les trois acteurs présents on pourrait croire que l'intérêt fondamental est le partage d'une vision commune sur les contenus. Mais les flux financiers jouent un rôle essentiel dans ces relations en cela que faire du journalisme de paix est parfois l'unique moyen d'obtenir des fonds pour que survive la radio.

Lors de l'émergence des nouvelles radios, les sommes astronomiques données par le Studio Ijambo contre diffusion de ses programmes ont joué un rôle essentiel pour la survie financière de ces nouvelles stations. Cependant, au fil des ans, ces dernières ont fini par développer une

dépendance aux émissions fournies par les studios de production. Dans le cas d'une collaboration entre un studio de production et un média, la dépendance est à double sens. Par contre, lorsqu'un organisme parraine une émission, seule la radio est dépendante de ce partenariat.

Il ne s'agit pas ici de critiquer le bien-fondé des émissions initiées par des organismes tiers - leurs buts sont généralement louables et leurs émissions utiles - mais de mettre en exergue la relation financière qui lie les bailleurs et les radios locales au-delà de la philosophie.

Les radios burundaises et les médias locaux dans leur ensemble sont pauvres, très pauvres même : ils s'adonnent à une gymnastique financière et jonglent entre les bailleurs pour arriver à payer leurs factures et leurs employés. Quant à leurs taxes, certains médias ne les paient plus depuis des années déjà. Pour un grand nombre d'entre eux, l'unique façon d'obtenir des rentrées financières est de conclure des partenariats avec des associations locales ou internationales. Et très peu de ces bailleurs offrent des subsides sans contrepartie plus ou moins contraignante. L'échange se fonde généralement sur le suivi d'une certaine ligne éditoriale ou de certains thèmes d'actualité ou de société. Sans ces partenariats et/ou mécénats, les radios burundaises seraient contraintes de mettre la clé sous la porte plus ou moins rapidement.

La recherche de la paix, la réconciliation nationale, la cohabitation pacifique, ... peu importe le nom que l'on met sur l'idée, le thème attire immanquablement les bailleurs de fond. Et lorsque l'un d'eux finance une émission, il fournit généralement assez d'argent ou de moyens pour que d'autres journalistes en profitent également1. C'est en cela qu'ils sont indispensables aux radios locales. Dès lors, il importe de s'interroger sur le degré d'implication de la radio dans la définition des contenus des émissions qu'elle diffuse. L'émission ou la ligne éditoriale a-t-elle été imposée par un bailleur, ou au contraire le bailleur a-t-il été attiré par une émission ou une ligne éditoriale déjà existante ?

Le journalisme de paix rencontre un grand succès auprès des organismes étrangers, nationaux ou internationaux. Ces derniers ont en effet compris l'influence de la radio sur toutes les couches de la population. L'exemple de Radio Burundi et de sa trentaine de partenaires est le plus frappant, preuve du succès de la pratique de concession d'antenne2.

1 Si le partenariat se fait sur base d'un échange financier, la somme est généralement telle qu'elle permet non seulement de payer l'essence pour les descentes, mais aussi de payer le salaire de cinq ou six employés. Si le bailleur ne paie que les frais de réalisation, d'autres journalistes peuvent aussi en profiter (d'autres journalistes peuvent par exemple accompagner une descente sur le terrain pour laquelle la voiture et l'essence sont payées par le bailleur).

2 Tous ces partenaires ne travaillent pas pour la promotion de la paix. Ils visent parfois des thèmes connexes comme le SIDA ou l'environnement. Mais c'est parmi ces partenaires que l'on retrouve ceux qui mettent en oeuvre les « programmes à vocation réconciliatrice ».

Un rapport différent au public et à ses attentes

Les radios qui font l'objet de cette étude se sont positionnées en faveur de la réconciliation dès leur apparition et réalisent en règle générale un assez bon travail journalistique. Pour qu'une radio ait un sens, elle doit pouvoir imposer sa propre ligne éditoriale, choisir l'information qui réponde aux attentes de son public. Or, la dépendance financière des radios amenuise leurs possibilités de choisir librement leurs orientations. Certes, les bailleurs ont tous des objectifs louables, mais répondent-ils réellement aux besoins prioritaires de la population ou plutôt à l'image qu'ils se font des besoins prioritaires des publics? Si elles avaient les moyens de refuser l'aide des bailleurs, les radios auraient-elles choisi d'approfondir les mêmes thèmes ?

Augustin Kabayaya, président de l'association burundaise des journalistes (ABJ), aspire à une prise de conscience des producteurs médiatiques burundais : << Les médias doivent s 'interroger sur les questions qui constituent la vraie réalité et priorité de leurs publics. D 'accord pour le dialogue et la réconciliation, mais les médias doivent rester libres de choisir les domaines qu 'ils considèrent utiles pour leurs publics >>. Et d'aj outer qu'aujourd'hui, << les médias semblent suivre les financements, au lieu de les attirer >>.1

Tel est-il réellement le cas ? C'est possible, mais alors bien malgré eux. Bonesha est apparue au début de la crise dans une optique de réconciliation, de retour à la paix. La RPA est née de l'esprit rebelle de quelques personnes qui voulaient révolutionner la façon de faire du journalisme au Burundi. Isanganiro a tout d'abord servi de tribune aux émissions du Studio Ijambo qui se sentait à l'étroit avec les autres radios partenaires. Sa devise (le dialogue vaut mieux que la force) correspond aux idées des journalistes qui y travaillent. Quant à la radio nationale, elle n'a d'autres aspirations que de devenir un jour ou l'autre un véritable service public d'information, et elle s'y efforce.

Dans la relation bailleur-radio, les deux parties y trouvent leur compte : d'une part, l'organisme payeur trouve la tribune à laquelle il aspirait. D'autre part, la radio reçoit des fonds qui lui permettent de financer deux ou trois émissions supplémentaires. C'est donc un échange gagnant-gagnant, mais dans lequel le média local est le plus susceptible de se transformer en perdant... si le bailleur se retire ou si la radio se retrouve dans une situation financière telle qu'elle ne peut refuser un partenariat qu'elle juge pourtant inutile ou inadapté par rapport à son public ou à sa ligne éditoriale.

1 Entretien du 07 février 2006.

ONG, organisations internationales et de la société civile ont peu à peu envahi l'espace journalistique burundais. Elles sont devenues actrices de l'information parce que cette méthode s'avérait la plus efficace pour remplir leurs objectifs : mettre en lumière un certain aspect de l'actualité ou résoudre les problèmes de société au travers du dialogue.

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"L'imagination est plus importante que le savoir"   Albert Einstein