Nous avons vu au cours de l'étude que la plupart des
journalistes des radios privées, bien que ne connaissant pas les
règles du journalisme de paix, les appliquent dans l'ensemble. Tous ont
conscience du rôle qu'ils pouvaient jouer dans le processus de
résolution du conflit, de cohabitation pacifique puis de
réconciliation nationale. D'emblée, ils ont voulu s'imposer comme
les piliers d'un mouvement démocratique et réconciliateur. Je dis
piliers car en faisant preuve de rigueur et de discipline, ils ont
permis aux radios dans lesquelles ils travaillaient de s'imposer dans le coeur
des Burundais. Ils ont su se positionner en acteurs clé de la
société civile, jouant avec celle-ci le rôle de
contre-pouvoir. Ils ont pris le parti de donner la parole à tous, du
chef de parti au paysan, et ont offert la possibilité au peuple non
seulement de faire connaître ses besoins ou ses opinions, mais aussi
d'avoir une place de choix pour diffuser ses idées constructives,
créant ainsi une tribune pour que surgisse une conscience citoyenne
burundaise. Les radios ont réussi à se transformer en un outil
à double sens : du haut vers le bas mais aussi du bas vers le haut, ce
qui marque leur spécificité par rapport aux studios et aux
organismes non médiatiques. Elles ont retrouvé là le sens
initial de leur fonction : médiatrice.
Certes, ce ne sont pas les radios qui ont mis fin au conflit
burundais. Certes, elles commettent de temps à autres des
dérapages - aussitôt relevés par le CNC -. Certes, les
radios attendent parfois un peu trop que l'information leur tombe dessus
au lieu d'aller à sa recherche. Cependant, leur rôle a
été primordial dans l'éveil de la nation, dans sa prise de
conscience de l'absurdité du conflit. Etre journaliste au Burundi est
une fierté. À raison.
Dans ce petit pays enclavé au coeur de l'Afrique
centrale, tous les médias privés disent appartenir à la
veine du journalisme de paix. A première vue, le principe même du
journalisme de paix semble dilué dans la masse médiatique
burundaise : à partir du moment où tout le monde le pratique,
existe-t-il encore ? se demande-t-on. Mais après approfondissement, on
se rend compte qu'il s'agit de la réalité, tout au moins pour les
trois stations privées étudiées dans le présent
travail (RPA, Isanganiro et Bonesha). Comme le disait Dieudonné Jujute
(voir p. 62), après douze ans de crise, tout est humanitaire, et tout
tend à oeuvrer pour la paix, puisque sans paix, aucun
développement ou épanouissement personnel n'est possible.
84% des journalistes burundais affirmaient être tout
à fait en désaccord avec l'affirmation suivante :
<< J'estime que les médias dont la ligne éditoriale est
uniquement la promotion de la paix et de la réconciliation nationale n
'ont plus de raison d'être : soit ils doivent changer de ligne
éditoriale, soit ils doivent disparaître
>>1. Cependant, convient-il toujours de parler de
journalisme de paix aujourd'hui ? En quelques sortes, cette question reste
d'actualité. D'une part parce que cette pratique ne s'applique pas qu'en
temps de crise - le conflit a touj ours existé et continuera toujours
à exister de par le simple fait d'être des humains mus par des
envies et des besoins différents, apparais sent des divergences
d'intérêts -, d'autre part parce que la guerre au Burundi n'est
pas terminée. Il est fort dangereux en effet de conclure que la
signature d'accords de paix signifie un retour effectif à la paix.
Celui-ci se prépare dans les coeurs, puis se cultive. Et pour cela, les
médias burundais ont encore un grand rôle à jouer. Et ils
s'y appliquent.
Mais est-ce réellement le journalisme de paix que les
professionnels des médias se doivent d'appliquer ? Pour répondre
aux besoins de la population burundaise, se pose peut-être davantage la
question de la responsabilité sociale du journalisme, qui doit
être exacerbée. Avec un défi : tendre vers l'idéal
d'un journalisme professionnel conjugué à un haut sens de
responsabilité.