1.3.2. Critique du journalisme de paix
La critique la plus fondée à l'encontre du
journalisme de paix, n'est pas forcément celle-la même qui est le
plus souvent énoncée. Au premier abord, un journaliste quidam
dira que son rôle se limite à décrire la
réalité, sans essayer d'interférer dans celle-ci. Nombreux
sont les professionnels des médias qui estiment avoir rempli leur
<< responsabilité sociale >> en offrant un tableau
fidèle de la réalité, laissant dès lors le
récepteur tirer ses propres conclusions. Comme nous l'avons vu
auparavant, le journalisme de paix ne s'éloigne pas forcément de
cette vision du rôle du journaliste. Il prête tout simplement une
attention plus poussée à la formulation des faits, au vocabulaire
employé, à la recontextualisation, laisse s'exprimer tous les
protagonistes dans la mesure du possible et laisse une place
considérable à la recherche de solutions en cas de conflit. Il
s'agit simplement d'une prise de conscience plus considérable de son
propre impact sur son public, en essayant dès lors d'offrir au
récepteur les clés pour une compréhension en profondeur
des faits sociaux. Le journaliste quidam reprochera dès lors au <<
journaliste proactif >> de vouloir influencer
1 op. cit. art 13.
le cours des évènements. Mais peut-on
réellement reprocher au journaliste de désirer une issue
pacifique à un conflit ? Certainement pas ! D'ailleurs, les textes
déontologiques créés dans le but précis de
prévenir les excès de la presse abondent en ce sens,
préconisant une vigilance particulière en cas de tension
intercommunautaires, dans le traitement de l'information relative aux
minorités ou encore lorsque les valeurs démocratiques sont en
péril. L'association générale des journalistes
professionnels de Belgique (AGJPB) a notamment adopté un ensemble de
<< recommandations pour l'information relative aux allochtones
>>1. On y préconise un traitement de l'info particulier
pour les étrangers : << éviter le plus possible les
polarisations du type `nous-eux' >>, << ne mentionner la
nationalité, le pays d 'origine, l 'appartenance ethnique, la couleur de
la peau, la religion ou la culture que si ces informations sont pertinentes
>>, << éviter de créer inutilement des
problèmes et de dramatiser. Recommandation : les médias
pourraient parler des immigrés d'une façon plus positive
>>, << assurer le suivi maximal de chaque sujet (...)
>>. Ces principes ressemblent à s'y méprendre aux
recommandations énoncées par Lynch et Mc Goldrick en
matière de traitement `proactif' de l'information.
De même, le Conseil de l'Europe, dans sa
résolution 1003 sur l'éthique des journalistes, déclare
que <<lorsqu 'il s 'agit de défendre des valeurs
démocratiques, personne ne doit rester neutre. Dans ce sens, les
médias doivent contribuer dans une mesure importante à
prévenir les moments de tension et favoriser la compréhension
mutuelle, la tolérance et la confiance entre les différentes
communautés dans les régions en conflit (...) >>
(article 34). Cette critique souvent énoncée à l'encontre
du journalisme proactif ne tient dès lors pas la route, puisque ses
principes se retrouvent dans des chartes déontologiques dont
l'autorité n'est pas à remettre en question.
Une question peut toutefois être soulevée, à
savoir qui se cache derrière les organes de journalisme de
paix. On l'a dit précédemment, le journaliste proactif vise
à promouvoir les valeurs démocratiques, ainsi que la confiance
entre des communautés divisées. Cependant, tout comme le
journaliste classique exerce un pouvoir sans avoir été
mandaté ou élu pour remplir cette fonction, l'instigateur d'une
radio ou un journal `proactif' travaille généralement à
partir de ses propres intuitions quant à l'importance de certaines
valeurs et quant aux solutions à apporter à un conflit. La
critique peut dès lors se faire à deux niveaux : d'une part, les
valeurs qu'il juge démocratique peuvent être différentes de
celles reconnues comme telles par la majorité ; d'autre part, sa vision
de la réalité du pays dans lequel il va implanter son
média peut être tronquée, faute d'une connaissance
suffisante du terrain, des moeurs et de la population locale.
1 NOBRE-CORREIA J.-M., Introduction à l 'information
et à la communication, Bruxelles, Presses Universitaires de
Bruxelles, 2001, 15ème édition, p. 136.
Inadéquation des valeurs de l'instigateur de
l'initiative avec celles de la majorité
Les valeurs démocratiques sont-elles des valeurs
immuables, identiques d'une époque à l'autre ? Le droit à
la vie a été déclaré comme valeur universelle.
Pourtant, aux Etats-Unis, ce même droit à la vie est bafoué
de par la condamnation à mort, alors que la nation se déclare
pionnière en matière de droits humains. De même, peut-on
invoquer le droit à la vie pour juger une mère somalienne qui
aurait tué un nouveau-né, incapable qu'elle était de
nourrir une bouche de trop et préférant assurer la survie de ses
précédents enfants plutôt que d'hypothéquer la vie
de toute sa famille ? Ces valeurs dites universelles sont donc variables et il
faut prendre garde à ne pas tomber dans le piège de
l'ethnocentrisme. Dès lors, un individu ou une ONG, désireux de
créer une radio proactive pour « aider des communautés en
difficultés », agira peut-être sur base d'un principe en
lequel il croit, mais qui ne correspond pas à la norme universelle et/ou
locale. En cela, l'absence d'une quelconque instance supérieure de
surveillance en ce qui concerne le journalisme de paix constitue en
lui-même une dérive potentielle.
Inadéquation de la perception de l'instigateur
de l'initiative avec la réalité locale
La plupart du temps, le journalisme de paix s'inscrit dans une
démarche prise par des acteurs du Nord à l'égard des
populations du Sud. Dans ce cas, même si des études de terrain
approfondies ont été réalisées avant l'implantation
du média proactif dans le pays en crise, il n'empêche qu'un acteur
extérieur au pays, même mu par les meilleures intentions et
animé par une volonté de fer, aura énormément de
difficultés dans les premiers mois à capter toutes les nuances de
la réalité locale. Il devra s'entourer de collaborateurs natifs
du pays visé et leur offrir une totale confiance, notamment en raison de
la barrière du langage.
Ces initiatives sont généralement bien
intentionnées. Pourtant, dans la pratique, il faut relever un paradoxe
important : alors que le journaliste proactif estime que la
recontextualisation, l'explication des tenants et des aboutissants du
problème, la prise de parole par toutes les parties, améliorera
sensiblement la situation et amènera à une résorption des
tensions, lui-même n'est généralement pas conscient de
toutes les nuances du conflit et ne parle pas la langue locale qui lui
permettrait de juger des propos tenus par les différents acteurs. L'on
parlait précédemment de l'éventualité d'une
mauvaise interprétation des valeurs démocratiques. Dans ce cas,
cette dispersion des jugements de valeurs par l'intermédiaire des
personnes dont le journaliste étranger est dépendant, ne fait
qu'aggraver la situation.
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