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Théorie de la Reconstruction Rationnelle. Programmes de Recherche et Continuité en sciences

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par Julien NTENDO BIASALAMBELE SJ
Faculté de Philosophie St Pierre Canisius, KInshasa - Licence en philosophie 2007
  

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II.3. Libéralisme et méthodologie. Le problème de l'évaluation objective.

Le libéralisme méthodologique veut que l'heuristique positive minimise l'anomalie ou le contre-exemple. Cependant, prévient Lakatos, le chercheur devra se garder du danger de conserver un programme jusqu'à l'épuisement total de son pouvoir heuristique. Ainsi s'ouvre la possibilité d'adopter un programme rival avant que le premier n'ait atteint le point de dégénérescence.

En ouvrant l'activité scientifique à la compétition des programmes de recherche, le souci de notre auteur est celui de prévenir contre le danger du dogmatisme : ce danger est la tendance, chez certains programmes de recherche, à s'imposer comme une norme unique de rationalité scientifique. Ainsi,

« On ne doit jamais permettre à un programme de recherche de devenir une Weltanschauung ou une sorte de rigueur scientifique se posant en arbitre entre l'explication et la non-explication. Telle est malheureusement la position que Kuhn est enclin à prôner : ce qu'il nomme "science normale" n'est rien d'autre, à vrai dire, qu'un programme de recherche qui a établi son monopole »163(*).

A quoi il ajoute :

« L'histoire des sciences a été et devrait être celle de la rivalité entre programmes de recherche (ou si l'on veut, entre "paradigmes"), mais elle n'a pas été et ne doit pas devenir une succession de périodes de science normale : plus la compétition commence tôt, mieux cela vaut pour le progrès. Le "pluralisme théorique" est préférable au "monisme théorique" »164(*).

L'histoire des sciences témoigne certes d'un monopole de certains programmes de recherche, mais un monopole simplement passager. Elle reste une histoire de programmes de recherche concurrents.

Au coeur de cette concurrence se pose le problème de l'élimination de programmes non concurrents. Dès lors, la question est de savoir s'il existe une raison objective, et non pas seulement un critère psychologique, qui militerait en faveur du rejet total d'un programme de recherche incapable à fournir les prédictions nouvelles. Une telle question implique de reconnaître que le seul déplacement dégénératif n'est pas pertinent pour occasionner l'élimination totale d'un programme. Ainsi, en guise de réponse à la quête d'un critère objectif, Lakatos énonce ce qui suit :

« Notre réponse serait, dans les grandes lignes, qu'une telle raison objective est fournie par un programme de recherche rival qui explique la réussite antérieure du premier et le supplante en déployant un pouvoir heuristique supérieur »165(*).

Objectivement, le seul critère devant occasionner l'élimination du noyau dur et de l'heuristique négative d'un programme reste le faible pouvoir heuristique ou une capacité explicative nulle.

Ce critère dépend cependant de la conception que le chercheur se fait de la "nouveauté factuelle"166(*). Cette nouveauté factuelle est souvent supposée comme apparaissant immédiatement dans chaque programme. C'est aussi l'impression que peut donner la méthodologie de programmes de recherche qui insiste tant sur cet aspect. Lakatos affirme pourtant que la reconnaissance des prédictions inédites est une entreprise qui ne réussit qu'après un bon laps de temps. Ce qui importe, c'est l'élément rétrospectif dans la reconnaissance de cette nouveauté. Ce n'est qu'après une relecture critique que l'historiographe des sciences discerne en quoi, en son temps, un déplacement a été novateur; c'est-à-dire en quoi une découverte a été une nouveauté et en quoi elle a contribué de manière significative au développement du programme. Rien ne permet de discerner immédiatement une telle nouveauté.

Il s'en suit que le libéralisme normatif vaut mieux que la recherche des éléments pouvant éliminer un programme de recherche. Il importe donc de laisser les programmes concourir, car :

« Un nouveau programme de recherche qui vient d'entrer dans la compétition, peut commencer par expliquer des "faits anciens" de manière inédite, mais un très long intervalle peut s'écouler avant qu'il soit considéré comme produisant des faits "authentiquement inédits" »167(*).

Les expériences cruciales corroborant apparaissent tardivement, et même retrospectivement. Ainsi, poursuit notre auteur,

« Nous ne devons pas écarter un programme de recherche naissant parce qu'il n'est pas encore parvenu à supplanter un puissant rival. Nous ne devrions pas l'abandonner s'il constituait un déplacement progressif de problème, à supposer que son rival n'existe pas. Et nous devrions contrairement considérer un fait qui a reçu une interprétation nouvelle comme un fait nouveau, en refusant de tenir compte de la priorité à laquelle prétendent isolément les amateurs qui collectionnent les faits. Tant qu'un programme de recherche naissant peut être reconstruit rationnellement sous forme d'un déplacement progressif, il faut le protéger contre un puissant rival bien établi »168(*).

Ainsi, il reste difficile de vaincre totalement un programme de recherche. Le chercheur peut toujours le protéger contre la dégénérescence de son noyau dur par des hypothèses auxiliaires ou en adoptant un autre version du même programme capable de prédiction qui augmente son contenu.

Signalons enfin que ce libéralisme normatif est loin de s'identifier à une quelconque forme de scepticisme ou d'anarchisme. Il est essentiellement un principe de tolérance méthodologique. Avec ce principe de tolérance, la question portant sur le critère objectif d'élimination des programmes de recherche reste finalement sans réponse169(*).

II.3.1. L'utopie de la rationalité immédiate. Le cas de Michelson et Morley

Le problème des expériences cruciales se pose aussi bien à l'intérieur d'un même programme de recherche, qu'à l'extérieur, entre des programmes rivaux. A l'intérieur, Lakatos reconnaît l'existence des expériences cruciales mineures pouvant départager des versions successives mais concurrentes d'un même programme. Même à ce niveau, l'élimination de ces variantes est une affaire de routine. En ceci que, d'abord l'expérimentation est assez forte pour juger entre une version et celle qui la supplante, ensuite parce que la décision portant sur le rejet des variantes d'un programme de recherche peut toujours injecter appel.

Cette procédure d'appel peut être source de conflit entre deux programmes entiers du fait qu'elle remet en cause leurs théories d'observation. Ce cas nécessite la présence d'expériences cruciales majeures capables de trancher au sujet de la rationalité. Mais un programme, quoique progressif, ne peut générer les faits inédits qu'à la suite d'un long développement de son heuristique positive. L'expérience de Michelson et Morley tombe à propos pour illustrer, à la suite de Lakatos, l'inexistence des expériences cruciales de rationalité immédiate.

II.3.1.1. Michelson et le problème de l'éther

Le progrès de la physique classique a coïncidé avec le triomphe de la théorie ondulatoire de la lumière, seule capable de rendre compte des phénomènes comme la diffraction ou les interférences. Mais la notion d'onde, entendue non pas comme matière ni comme corpuscule, mais comme l'ébranlement d'un milieu se transmettant de proche en proche170(*), nécessite l'existence d'un milieu qui ondule. Sachant que la lumière sa propage à travers l'espace, le vide et les milieux transparents, l'éther fut imaginé comme ce milieu hypothétique jouant le rôle d'un continuum qui pénètre partout où il y a la lumière171(*). La conception de l'éther stationnaire semblait être en harmonie avec la conception newtonienne d'un espace absolu172(*), qui serait comme un milieu immobile servant de référence. Ainsi vint l'idée de vérifier le mouvement de la Terre par rapport à ce milieu en vue d'affirmer l'existence d'un vent d'éther. Plus concrètement,

« il s'agissait de déterminer si une émission lumineuse, émise de la Terre et donc entraînée par son déplacement dans l'espace, était affectée par ce mouvement, ou si en d'autres termes, la vitesse de la Terre pouvait s'ajouter à celle de la lumière déjà connue »173(*).

C'est ce que tenta de réaliser Michelson en 1881. Depuis lors, il répéta l'expérience plus d'une fois, toujours avec le même résultat désastreux. Bien que Michelson détermina avec précision la constance de la vitesse de la lumière174(*), l'expérience était négative : il n'y avait pas de vent d'éther. Jean-Marie Aubert explique,

« Il n'y avait alors que trois interprétations possibles : ou bien la Terre était immobile (et c'était alors revenir au vieux système de Ptolémée!); ou bien il fallait supposer gratuitement que l'appareil de mesure se contractait sous l'effet du "vent d'éther", compensant par là la différence qu'on aurait dû trouver (Solution choisie par Lorentz, dont les calculs furent d'ailleurs utilisés par Einstein, mais interprétés différemment); ou bien les ondes électromagnétiques ou lumineuses existaient sans support »175(*).

Il a fallu attendre l'ingéniosité de Einstein176(*) pour attendre la confirmation de l'inexistence de l'éther. Celui-ci reprit le problème à la base mais en partant d'une idée lumineuse que 'espace absolu ne pouvait pas être un milieu de référence pour un mouvement quelconque, même celui de vibration électromagnétique, car l'éther n'existe pas. La suppression de l'éther et de l'espace absolu sonnait le glas de la théorie classique de la lumière.

* 163 Idem, p. 95. On comprend alors pourquoi Lakatos qualifie de dogmatique le point de vue kuhnien.

* 164 Ibidem.

* 165 Idem, p. 96.

* 166 Ibidem.

* 167 Idem, p. 98.

* 168 Ibidem.

* 169 Idem, p. 99.

* 170 Cfr. AUBERT, J. M., Philosophie de la nature. Propédeutique à la vision chrétienne du monde, Paris, Ed. Beauchesne et ses fils, 1965, p. 142.

* 171 Cet éther possédait des propriétés contradictoires: "il devrait être subtil et indiscernable, car il n'oppose aucun obstacle au déplacement de la Terre dans l'espace; d'autre part il devrait avoir une rigidité incommensurablement plus grande que celle du meilleur acier, en raison de l'énorme vitesse (...) de propagation des vibrations dont il serait le siège. Cfr. AUBERT, J. M., op.cit, p. 142.

* 172 Newton conçoit l'espace absolu comme un cadre de référence éternel et immuable, responsable des forces d'inertie. C'est par rapport à cet espace qu'on pourrait mettre en évidence les mouvements accélérés puisque ces mouvements sont justement assujettis à de telles forces. Finalement c'est par rapport à cet espace absolu qu'on pourrait affirmer qu'un corps tourne où accélère. Cfr. http://www.relativite.info/RG.htm#Introduction.

* 173 Ibidem.

* 174 Idem, p. 144.

* 175 Idem, note infrapaginale 21. La dernière solution fut celle choisie par Einstein. Mais elle exige un changement de modèle explicatif de la lumière car on ne peut imaginer des ondes sans un milieu qui ondule.

* 176 En effet le principe de la relativité galiléenne se limite aux mouvements mécaniques. Einstein le reprit et l'étendit aux ondes magnétiques. Ensuite, il se sert, en électromagnétique, de l'expérience de la constante de la lumière de Michelson de la même manière que Galilée s'est servi de l'évidence du principe d'inertie en relativité mécanique. Avec la constance de la vitesse de la lumière, on ne peut plus penser l'existence des mouvements rectilignes uniformes. Einstein élargit la relativité à tous les autres mouvements physiques, mécaniques et électromagnétiques. A ce stade, la relativité est encore dite restreinte, car elle ne concerne pas les mouvements non-rectilignes et non-uniformes. Le principe suprême de cette relativité restreinte professe l'identité des lois de la Nature pour tous les systèmes en mouvements rectilignes uniformes. Il s'en suit d'abord, une variation du concept de la vitesse. La vitesse de la lumière devient la vitesse limite, invariante à travers tout l'univers, du fait qu'elle n'est pas affectée par le mouvement de la source ou par l'observateur. Ensuite, la relativité restreinte rompt avec la notion d'espace absolu qui serait une référence fixe de mouvement. Chaque mouvement a sa vérité propre, nul n'étant plus vrai que l'autre. Seule, l'appréciation de ce mouvement est relative. Enfin, la relativité restreinte récupère quelque chose d'absolu : l'invariance des lois de la Nature, indépendamment de tout système. Cette harmonie de la nature est assurée par deux constantes, l'inertie et la vitesse de la lumière. (Cfr. Idem, pp. 144-145).

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