WOW !! MUCH LOVE ! SO WORLD PEACE !
Fond bitcoin pour l'amélioration du site: 1memzGeKS7CB3ECNkzSn2qHwxU6NZoJ8o
  Dogecoin (tips/pourboires): DCLoo9Dd4qECqpMLurdgGnaoqbftj16Nvp


Home | Publier un mémoire | Une page au hasard

 > 

Le discours religieux en Tunisie: L'exemple de la communauté juive

( Télécharger le fichier original )
par Sadek MTIMET
Faculté de droit et des sciences politiques de Tunis ( Université Al-Manar) - Master en sciences poltiques 2007
  

précédent sommaire suivant

Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy

§ I - L'occidentalisation du discours

La France constituait, pour une grande frange des juifs de la Tunisie, " l'âme sur un cheval "(1). Ils accueillaient avec joie l'entrée des troupes françaises . C'est que les juifs, toujours portés vers les mouvements émancipateurs, sentaient que les soldats français n'étaient pas armés seulement de fusils et de canons, mais qu'ils étaient armés aussi de la Déclaration des Droits de l'Homme . L'arrivée des français signifiait pour la Communauté juive la prémisse d'une autre époque et la fin d'un discours collaborateur, conciliateur et de cohabitation et le début d'un grand débarras d'une culture classique, cloîtrée sur elle-même et «  inévitablement dogmatique (2).

Le mouvement de scolarisation amorcé dès l'établissement du protectorat français en 1881 s'était poursuivi sans arrêt . C'est dans des écoles dispensant un enseignement moderne et laïc en langue française que les enfants, des deux sexes, de l'élite et de la classe moyenne juive ont été scolarisés . Alors, une augmentation continue du nombre de garçons et de filles scolarisés due, non seulement à un accroissement de la population mais encore à une élévation du taux de scolarisation par la croissance des effectifs de l'enseignement primaire et secondaire. Aussi bien, et après une génération, dès les années 1920, assiste-t-on à une progression du nombre de bacheliers juifs tunisiens des deux sexes (3) . De ce fait, le nombre des jeunes qui ont pu entreprendre des études supérieures dans les universités françaises (en France ou en Algérie ) s'était accru .

Les progrès de la scolarisation ont entraîné de nouveaux progrès de la francisation . La connaissance du français continuait à se répandre au sein de la population juive et " un bon usage de la langue française leur apparaît à la fois comme la condition et le signe d'une réelle promotion sociale "(4).

La diffusion et le progrès de la francisation se traduisaient par le déclin de la culture judéo-arabe . Avec cette déchéance inéluctable, la presse, la littérature et la culture en langue française gagnaient en importance . L'abandon de la Hâra et l'établissement dans les nouvelles cités, en dehors des vieilles villes facilitaient les contacts entre la population juive et les divers éléments de la population européenne, en favorisant l'adoption des modèles occidentaux en matière de mode de vie .

(1) Redissi H., Le discours musulman sur la modernité : la totalité désunie. Canada, Revue Carrefour, 1991 13-1, p.86 (2) Ibid , p. 86 (3) Sebag P., op cit , p.191. (4) Ibid, p.193

Face à ses grandes mutations, l'acculturation d'une grande partie de l'élite juive - son occidentalisation - était évidente . Elle a eu pour conséquence un recul certain de l'hébreu et de la pratique religieuse . Mais cette élite acculturée proposait pour la Communauté juive de faire un apport discursif nouveau ( A ) au contenu du discours juif en Tunisie . Mais cette alternative , quoique aidée par le " climat colonial ambiant ", n'était pas unique et était sérieusement concurrencée par d'autres courants d'idées, avec qui elle établissait des rapports discursifs ( B )

A - L'apport discursif nouveau : l'occidentalisation

Imbibée par la culture française , une grande partie de l'élite juive , qui a fait ses études dans l'école laïque française , s'enthousiasmait pour le modèle français et voyait dans le nouvel ordre politique du protectorat un facteur de progrès et un moyen de réduire l'important paupérisme juif .

Tout d'abord , cette élite était révolté contre la justice beylicale tunisienne qui n'offre aucune garantie au justiciable et " où les principes coraniques tiennent lieu de code pénal même pour les non-musulmans "(1). Alors, elle proposait que les juifs tunisiens devaient être soumis aux tribunaux français laïcs et respectueux des droits de la défense . Elle se lançait dans l'action publique tout en rompant avec l'habitude " des démarches feutrées et des sollicitations auprès des autorités dont sont coutumiers les notables juifs " (2) .

L'élite juive moderne s'était persuadée rapidement qu'il faut utiliser la presse écrite pour propager et défendre le nouveau discours . Elle lançait en 1907 un hebdomadaire en langue française " La Justice ", qui a pour sous-titre : " Journal pour l'extension des droits et des devoirs de la France en Tunisie et organe des revendications des israélites de Tunisie " . A travers ce long sous-titre, ce courant semble être à la fois le soutien des prérogatives de la puissance coloniale et le défenseur des droits pour les juifs en Tunisie .

Le journal n'était pas le seul moyen d'expression du groupe . Les membres de ce courant diffusaient leurs idées en intervenant dans les organisations professionnelles, dans les réunions des partis politiques républicains et des institutions communautaires . En 1931, le groupe se constituait enfin en Parti politique sous le nom : Parti d'action et d'émancipation juive (P.A.E.J.).

__________________________________________________________________

.(1) Nataf C., " La tentation de l'assimilation française " in Fellous S., Dir de , op cit , p.204 . (2) Ibid , p.205

L'apport discursif de ce courant s'axait autour de deux idées phares : les rapports de la Communauté juive avec la France et le contenu du discours religieux juif .

1 - " Une certaine idée de la France " . Ce groupe voyait dans la France le pays des droits de l'homme , le pays qui a été le premier au monde à émanciper les juifs et à leur conférer la dignité du citoyen . " Notre instruction, notre éducation, nos idées libérales, nous les devons entièrement à la patrie française et nous lui en sommes profondément reconnaissants (1). La France était le premier pays à accorder aux juifs les droits civils et politiques . La déclaration des droits de l'homme et du citoyen était ressentie comme l'acte le plus généreux de tous les temps et " la traduction laïque des Dix Commandements "

La France était par conséquent le pays qui apporte à la Tunisie les bienfaits de sa civilisation , ses principes généraux , l'instruction , l'hygiène et la culture . La France était pour ce groupe un Etat laïc où l'Eglise et l'Etat sont séparés , et qui permet à ses citoyens juifs d'exercer leur culte en toute liberté , tout en étant totalement intégrés à la Nation : les juifs en France , tout en restant fidèles à leurs traditions religieuses , peuvent occuper des hauts emplois dans l'Etat , être parlementaires et même ministres .

C'était de cette vision d'une France républicaine, laïque, progressiste et généreuse que découlait, pour ce groupe, la revendication d'une nationalité française, par raison ou par sentiment . En Tunisie, rappelait ce groupe, les juifs, bien que n'ayant jamais subi de graves persécutions, en revanche, n'ont jamais été des citoyens mais des sujets du Bey . Pour eux, malgré la généreuse hospitalité que la Tunisie réserva à leurs ancêtres, " la Tunisie ne fut jamais la patrie tunisienne ". Pour s'en convaincre, référence faite aux intellectuels tunisiens musulmans , lorsque , après le protectorat , le concept de nation prenait corps chez eux et engagèrent des luttes, ces luttes, dans leur esprit ne concernaient que leurs coreligionnaires . Or c'est seulement par la nationalité française que les juifs de Tunisie pourront être à la fois fidèles à leurs traditions religieuses tout en étant des citoyens égaux en droits et en devoirs . Cette intégration n'est pas possible, estimait ce groupe, dans un Etat musulman qui, quelque soit son degré d'évolution, restera imprégné de la tradition islamique, et de ce fait ne pourra admettre la totale et égalitaire intégration des minorités religieuses .

Dès la promulgation de la loi du 20 décembre 1923, relative à la naturalisation, ce groupe encourageait ouvertement les juifs tunisiens à en bénéficier et à constituer des dossiers de naturalisation . Pour eux, l'appel à l'acquisition de la nationalité française doit "se faire entendre en toutes circonstances, même par les rabbins dans leurs sermon, car eux aussi la France leur a

____________________________________________________________________

(1) Ibidem , p.208

assuré la liberté complète du culte et des avantages matériels considérables " (1) . Le journal La justice publie dans chaque parution la liste des naturalisés sous le titre : " Bonjour parmi nous ..."

Par ailleurs, ce groupe occidentalisant se caractérise par l'idéalisation de l'instruction moderne et par une conception sourcilleuse de l'égalité qui constituaient, pour eux, deux apports émancipateurs des troupes françaises entrées en Tunisie en 1881.

Ce courant voue un véritable culte à l'instruction, considérée comme le moyen de l'émancipation individuelle, du progrès social et de la fraternité . L'instruction est le seul moyen de développer une camaraderie avec les autres éléments de la population et d'échapper au "ghetto" spatial ou religieux, réel ou fictif . Pour ce faire, le groupe de La Justice réclamait l'ouverture des écoles par la généralisation de la scolarisation de la jeunesse juive . Enfin, pour se vanter, ce groupe ne manque pas de se réjouir publiquement de présenter la première bachelière de la Tunisie et la première femme inscrite au barreau de Tunis ( Juliette Bessis ) ainsi que la première agrégée en Lettres ( Myriam Bonan ) (2)

En se fondant sur les principes de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen française de 1789, ce courant revendiquait une égalité totale de droits des juifs en Tunisie avec les autres citoyens . Cette revendication d'égalité était constante et se faisait en parallèle avec la campagne pour la naturalisation . C'est au nom du principe d'égalité que ce courant intente un recours pour excès de pouvoir devant le Conseil d'Etat français lorsque la majoration de traitement de 1928 dite " le tiers colonial ", dont bénéficiait les fonctionnaires français, était refusé aux juifs naturalisés en rappelant que la loi ne prévoit pas de discrimination entre les Français d'origine et les français par naturalisation (3)

2 - Une certaine conception du judaïsme . D'emblée, les hommes de La Justice, par application du principe d'égalité, refusaient l'assistance-charité pratiquée par la Communauté juive . La distribution du hilluq ( secours hebdomadaires ) aux juifs pauvres de la Hâra est humiliante et ne peut entraîner la suppression de la misère . Ils réclamaient le remplacement de l'assistance - charité par l'assistance au travail, à l'emploi et à la santé . " Il ne faut pas soulager la misère, il faut la supprimer " affirmaient-ils (3) . La suppression se faisait nécessairement à travers l'école et les progrès de l'hygiène .

Ce courant, apparaissant comme un levier de progrès et de motivation, dérangeait les traditions . Alors pour se prémunir contre les attaques, les membres du groupe affirmait leur

____________________________________________________________________

(1) Ibidem , p.210 (2) Sebag P. op cit p. 324 (3) Nataf C., op cit, p.213

attachement au judaïsme . Ils n'en voulaient pour preuve que le sous-titre de leur journal qui rappelait qu'il s'agissait d'un organe confessionnel. Mais au nom de la liberté de conscience, ils estimaient que chacun peut avoir une vision différente de la religion." Sur le terrain religieux, l'attitude de notre parti est nette. Neutralité absolue . Ni pour ni contre la religion"(1).

Ce courant séparait nettement la pratique religieuse, qui est une affaire individuelle, de la fidélité au judaïsme dont ils se réclamaient . Toutefois, ils étaient unanimes dans la condamnation des superstitions, les pèlerinages, le culte des saints et tous actes dans lesquels ils voyaient une déformation de la religion traditionnelle et contre lesquels ils luttaient avec fermeté en s'appuyant sur les textes fondateurs et sur l'autorité de savants rabbins .

En parallèle, et avec l'affirmation de la défense de la pure tradition juive épurée des superstitions, ils constataient que les jeunes juifs scolarisés en majorité par l'école française perdaient l'habitude de la langue arabe et se détournaient en même temps de la religion parce que les rabbins parlaient une langue qui devenaient pour eux incomprise et de ce fait la richesse et les valeurs du judaïsme se dépérissaient . Alors, pour assurer la pérennité du judaïsme, il faut tout d'abord orienter les jeunes rabbins tunisiens vers le séminaire consistorial français en France pour avoir une formation moderne en usant de la langue de Molière « moins émotive et plus rationnelle ». Ensuite, il faut faire appel à un Grand-Rabbin français pour coiffer et superviser les rabbins tunisiens dans le but de ramener tous les juifs (Twansa-s, Grana- , français et autres ) à la synagogue .

Ces propositions, à la fois politiques et religieuses, n'ont pas tardé de provoquer des réactions de la part des traditionalistes , du mouvement sioniste et des nationalistes tunisiens .avec qui des rapports discursifs ont été établis

précédent sommaire suivant






Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy








"Qui vit sans folie n'est pas si sage qu'il croit."   La Rochefoucault