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Les dirigeants et le processus d'apprentissage du leadership hors des salles de cours

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par Kim VU
CNAM - Master européen en formation des adultes - champs de recherche 2012
  

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Conservatoire national des arts et métiers

Université Paris 13 - Villetaneuse

Mémoire présenté en vue d'obtenir le master européen "Formation des adultes : champ de recherches"

Par

Kim VU

Les dirigeants et le processus d'apprentissage du leadership hors des salles de cours

Sous la direction de :

Pr. Gilles Brougère - professeur Université Paris 13

Paris

Le 16 novembre 2012

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TABLE DES MATIERES

Liste des figures : 4

Liste des tableaux : 4

Liste des annexes : 4

Résumé 5

Remerciements 6

Introduction 7

CHAPITRE 1: L'APPRENTISSAGE DU LEADERSHIP 9

1.1 Contexte 9

1.2 Objet de recherche 10

1.3 Plan de recherche 11

Phase 1 : Revue de la littérature 11

Phase 2 : Formulation de la problématique et construction des hypothèses 12

Phase 3 : Entretiens, recueil des données 12

Phase 4 : Analyse et traitement des données 12

Phase 5 : Vérification des hypothèses 13

CHAPITRE 2: REVUE DE LA LITTERATURE 14

2.1 Littérature sur le leadership 14

2.2 Littérature sur l'apprentissage 19

2.2.1 Skinner et le conditionnement opérant (néo-behaviorisme) 20

2.2.2 Les cognitivistes et l'apprentissage basé sur le traitement de l'information 21

2.2.3 Vygotski, le développement et le concept quotidien 22

2.2.4 L'apprentissage par l'expérience 22

2.3 Littérature sur l'apprentissage informel 25

CHAPITRE 3: PROBLEMATIQUE ET QUESTION DE RECHERCHE 29

3.1 Problématiques et hypothèses 29

3.1.1 La variété des significations du terme « leadership » 29

3.1.2 L'écart dans la compréhension du terme « dirigeant » 30

3.1.3 L'émergence du terme « sentiment d'apprendre » 31

3.1.4 La nécessité de la notion « situation-source » 32

3.2 La question de recherche 33

3 |

CHAPITRE 4: METHODOLOGIE 35

4.1 La recherche qualitative 35

4.2 La population cible, l'échantillon et les données 35

4.3 Les techniques pour le recueil de données sur l'action 38

4.4 Entretien d'auto-confrontation et analyse de l'activité d'apprentissage 41

CHAPITRE 5: LE DEROULEMENT DES ENTRETIENS ET LES DISCUSSIONS

SUR LES CONSTATS 45

5.1 Le déroulement des entretiens 45

5.2 Les entretiens effectués et les constats 47

5.3 Discussion 62

5.3.1 Le « sentiment d'apprendre » et son rôle 63

5.3.2 Le fil des pensées des dirigeants 67

5.3.3 La négativité de la « situation-source » 69

CHAPITRE 6: CONCLUSION ET PLAN POUR LES PROCHAINES RECHERCHES 72

6.1 Conclusion 72

6.2 Plan pour les prochaines recherches 73

Bibliographie 75

ANNEXES 79

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Liste des figures :

Figure 1 : Les deux catégories de « situation-source » Figure 2 : Le modèle d'apprentissage par l'expérience Figure 3 : Les styles d'apprentissage

Figure 4 : Les informations satellites de l'action

Liste des tableaux :

Tableau I : Résumé des théories du leadership

Tableau II : Description de l'échantillon

Tableau III : Le guide d'entretien d'explicitation et de décryptage Tableau IV : Liste des unités de l'activité de « donner des ordres » Tableau V : Liste des composantes de l'activité de « donner des ordres »

Liste des annexes :

Annexe 1 : Liste des auteurs utilisant le terme d'« apprentissage informel »

Annexe 2 : Schème du fil des pensées des dirigeants interrogés

Annexe 3 : Le « sentiment d'apprendre » dans le modèle d'apprentissage de Kolb

Annexe 4 : L'interaction avec autrui dans le modèle de l'apprentissage (situé) du leadership

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Résumé

La plupart des activités des dirigeants sont des processus complexes et difficiles à observer. Dans le présent travail nous nous intéressons à la question suivante : comment rendre visible l'activité d'apprentissage des dirigeants hors des salles de cours ? En nous focalisant sur l'analyse de l'activité d'apprentissage du leadership, dans un premier temps, nous avons essayé d'explorer les différentes situations durant lesquelles les dirigeants ont eu le « sentiment d'apprendre ». Dans un deuxième temps, nous avons adopté l'approche sémiologique dans l'analyse de l'activité d'apprentissage afin de mettre en évidence le fil des pensées des dirigeants et la manière dont ils établissent des liens entre leurs expériences vécues et leur apprentissage du leadership. Enfin, nous pensons que l'étude sur le « sentiment d'apprendre » présente un grand potentiel pour les futures recherches dans le domaine de l'apprentissage informel.

Mots clés : activité, apprentissage, dirigeant, leadership, processus, sentiment d'apprendre, situation

Abstract

Most activities of the managers are complex and difficult to observe. In the present work we are interested in the following question: how to make learning activity outside the classroom of the managers visible? By focusing on the analysis of leadership learning activity of the managers, firstly, we have tried to explore different situations in which leaders have the «feeling of learning». Secondly, we have adopted semiologic approach in the analysis of learning activity in order to highlight the train of thought of the managers and the way they establish the connections between the experiences they have lived and their leadership learning. Finally, we believe that the study on the «feeling of learning» has a great potential for the future researches in the field of informal learning.

Key words : activity, learning, managers, leadership, process, feeling of learning, situation

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Remerciements

En préambule à ce mémoire, je souhaite adresser mes remerciements les plus sincères aux personnes qui m'ont apporté leur aide et qui ont contribué à l'élaboration de ce mémoire ainsi qu'à la réussite de cette formidable année de formation.

Monsieur Jean-Marie Barbier, Directeur de la formation, qui m'a donné l'opportunité de suivre cette année d'études très intense et très riche.

Monsieur Brougère, mon Directeur de Mémoire, pour sa disponibilité et ses conseils.

Mme Nadine Faingold pour son cours d'entretien d'explicitation. Mr. Marc Durand pour son cours d'analyse de l'activité.

Tous les professeurs qui nous ont enseigné et qui par leurs compétences nous ont soutenu dans la poursuite de nos études.

Toutes les personnes interviewées qui ont accepté de répondre à mes questions en m'offrant généreusement de leur temps, et sans lesquelles cette étude n'aurait pu être réalisée.

J'adresse un remerciement très particulier à Madame Colette Trouvin, Monsieur Sonny Perseil qui ont eu la gentillesse de lire et corriger mes travaux, à mon amie Laurence Laillé-Berger pour sa précieuse aide, ainsi qu'à tous mes amis de groupe MERFA 2011-2012 pour leurs soutiens et leurs encouragements.

Merci à ma famille pour leur amour.

Pour finir, merci à tous ceux que je ne peux pas citer ici, pour leur soutien et leur amitié.

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Introduction

«C'est quand une personne ose prendre des risques et s'impliquer personnellement qu'elle

peut grandir et évoluer.»1

(Herbert A. Otto - auteur Américain, leader du mouvement du potentiel humain)

Le point de départ de ce travail de recherche est ma passion pour l'observation de la manière dont les personnes vivent les changements et les évolutions. Leurs récits de vie m'apprennent qu'il n'y a pas que des changements passifs, conditionnés par les situations, mais qu'il y a aussi des changements voulus par la personne elle-même. Parmi tous ces récits de vie, celles des personnes qui sont devenues leaders2 dans le monde des affaires bien qu'elles soient issues de familles modestes m'intéressent énormément. Voltaire l'a écrit : « Ce qui touche le coeur se grave dans la mémoire » (Voltaire, 1764, p. 183). Certains éléments fortuits, comme un mot, une phrase d'une certaine personne, une situation spécifique, ce qui s'est passé en dehors de toutes les activités programmées pour l'objectif éducatif peuvent se graver dans la mémoire et demeurent une source inépuisable d'inspiration et de motivation pour l'apprentissage.

Après avoir été formée et impliquée depuis près de vingt ans dans la gestion des entreprises, je n'aurais jamais pensé mener un jour une recherche en sciences de l'éducation. Pourtant, plus je travaille avec des personnes de cultures différentes, plus je suis intéressée par les changements dans leurs comportements et pensées. Actuellement, le travail d'organisatrice d'une formation de dirigeants provenant d'une quinzaine de pays me permet de découvrir de nombreuses expériences de terrain pour lesquels j'ai cultivé une curiosité et une attention particulière portant sur les aspects humains et sur le développement personnel des dirigeants d'entreprise. C'est donc dans cet état d'ouverture d'esprit que j'ai effectué mon année de formation en Master de Recherche Européen en formation des adultes du Cnam.

1«Change and growth take place when a person has risked himself and dares to become involved with experimenting with his own life.»

2 Personne qui, à l'intérieur d'un groupe, prend la plupart des initiatives, mène les autres membres du groupe, détient le commandement (Source: http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/leader/46518)

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L'intérêt que je porte aux comportements et pensées m'a finalement conduite vers un domaine totalement nouveau pour moi : celui de la formation des adultes.

Par ailleurs, dans un environnement concurrentiel intense et de plus en plus complexe dans la sphère économique actuelle, les quatre grands soft-skills (compétences « molles »3) requis par la plupart des entreprises sont les compétences interpersonnelles, les compétences en communication, la réflexion stratégique et le leadership (Geraghty, 2011). Cependant, la question : « comment et où les dirigeants peuvent-ils réaliser l'apprentissage de ces compétences » reste un des sujets très peu connus.

Face à ce constat, j'ai décidé dans un premier temps de me lancer dans un projet de recherche et de garder une certaine distance par rapport à ma posture habituelle d'acteur. Dans un second temps, j'ai réalisé de nombreux entretiens et sélectionné les observations primordiales avant d'en effectuer les analyses. Chacune d'entre elles a pour principal objectif de me faire découvrir et comprendre l'univers personnel des dirigeants, leurs pensées et leur façon d'apprendre les « compétences molles », dont le leadership, afin de « pratiquer » leur métier. Finalement, j'ai essayé de proposer une interprétation de certains phénomènes se produisant dans ce que les dirigeants l'appellent « l'apprentissage du leadership » et de tirer les conclusions à partir de l'analyse effectuée.

En plus du fait de travailler sur les comportements et sur les pensées des dirigeants, ce mémoire a été une formidable opportunité pour me rendre compte qu'une évolution de mes pensées était nécessaire et bénéfique ainsi qu'une modification de mes comportements et un changement de mes manières professionnelles de procéder.

J'espère de tout coeur que ce mémoire permettra également aux lecteurs qui sont généralement peu habitués à percevoir les dirigeants en tant qu'apprenants, de porter un nouveau regard sur les activités d'apprentissage de ces derniers.

3 Les compétences dites « molles » (versus « dures »), orientées vers les interactions humaines

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CHAPITRE 1: L'APPRENTISSAGE DU LEADERSHIP

1.1 Contexte

Aujourd'hui, le leadership4 - terme emprunté à l'anglais pour définir « la capacité d'un individu à mener ou conduire d'autres individus ou organisations dans le but d'atteindre certains objectifs », est une compétence en gestion largement étudiée et discutée dans la littérature anglo-saxonne. Steve Kempster5 a utilisé la question suivante comme titre de son ouvrage « Comment les dirigeants ont appris à diriger - l'exploration du développement des pratiques de leadership » (« How managers have learnt to lead : exploring the développent of leadership practice ») (Kempster, 2009). Il a orienté ses recherches dans le programme LEAD, où les dirigeants de PME et d'entreprises familiales sont en mesure de développer leur capacité de leadership. Drew Hansen - un employé du magazine Forbes a écrit: « En moi-même, j'ai examiné les raisons pour lesquelles mes collègues [...] m'ont encouragé à aller dans une école de management. [...] Mais je voulais apprendre, grandir et me développer comme un leader. L'école de management, est-elle en mesure d'offrir cela ? » (« In my head,

I reviewed reasons why my [...] colleagues encouraged me to go to business school. [...] But I wanted to learn, grow, and develop as a leader. Could business school offer that? »). (Hansen, 2011). En France, des questions telles que « le leadership, s'apprend-il dans les grandes écoles de management? », et « comment les dirigeants apprennent-ils le leadership? » attendent encore des réponses.

Certains chercheurs, comme Valérie Gauthier6 se focalisent sur l'évolution des formations des dirigeants. En effet, elle a remanié un programme MBA et l'a restructuré en vue des futurs changements sociétaux et éducatifs. Dans son article « Pour un apprentissage du leadership » dans le journal Les Echos du 15 mai 2008, elle a écrit : « Le leadership est avant

4 Leadership: Fonction ou rôle de leader d'une entreprise, d'une branche d'activité, etc. (Source : http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/leadership/46519)

5 Directeur de la Business School de l'Université de Cumbria (Royaume Uni)

6 Valérie Gauthier a été vice doyenne du programme MBA HEC de 2002 à 2010

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tout un acte, [...]. Nous montrerons ensuite comment nous avons transformé ce principe en pédagogie dans le cadre du programme MBA HEC. Nous verrons comment le leadership s'apprend, se construit et se développe par un travail inscrit dans une structure bien définie. Nous exposerons comment une formation MBA peut créer un cadre facilitant le passage du management au leadership. » (p. 8)

En même temps, d'autres chercheurs s'intéressent en priorité à l'analyse du travail ou de l'activité des dirigeants. Parmi les recherches récentes sur l'analyse du travail des dirigeants, l'une d'elles menée sous la direction de J-M. Barbier pour le Centre de Recherche sur la Formation (CRF) du Conservatoire National des Arts et Métiers (CNAM) montre que « les dirigeants ont une activité essentiellement immatérielle, réflexive, qui ne s'effectue pas seulement dans le temps de travail, mais qui se prolonge fréquemment dans l'univers personnel où le chercheur n'a pas accès » (Ulmann, 2009, p. 164)

Dans ce contexte, il existe bien un besoin manifeste d'approfondir l'étude de cette « activité immatérielle et réflexive » des dirigeants. En partant de la même idée que « ce sont essentiellement par des apprentissages informels en situation que les managers développent des pratiques autodidactes et apprennent leur "métier" » (Cristol, 2010), notre attention s'est bien portée sur l'analyse des processus d'apprentissage du leadership des dirigeants.

1.2 Objet de recherche

Henry Mintzberg a écrit : « Nul ne peut fabriquer un leader dans une salle de cours. Mais les dirigeants existants peuvent améliorer significativement leur pratique dans une classe où leur expérience alimente la réflexion » (2005, p. XVII). Et pourtant, en ce qui concerne le leadership, beaucoup de dirigeants en formation ne semblent pas percevoir ce processus d'amélioration des pratiques dans une salle de cours comme un apprentissage. Lors de nos entretiens exploratoires, tous les dirigeants interrogés ont partagé l'idée que « ce n'est pas dans une salle de cours que l'on peut apprendre le leadership ». Pour illustrer leur argument, ils nous ont fait part de situations, de moments de vie, au cours desquels ils ont ressenti un sentiment puissant d'apprendre. Ce qui est intéressant c'est qu'il existe bien un paradoxe de

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l'apprentissage du leadership entre l'absence du « sentiment d'apprendre » dans une salle de cours et la présence de celui-ci dans les situations réelles.

Voici pourquoi l'activité d'apprentissage du leadership des dirigeants et tous les facteurs intervenant dans ce type d'apprentissage en dehors des salles de cours, ont été choisis comme l'objet de notre recherche.

En plus, l'apprentissage, en dehors des espaces dédiés, n'est pas toujours visible. Selon Schugurensky (2007, p. 13): « Les apprentissages informels ont toujours existé chez l'être humain mais, à la manière d'un iceberg, la majeure partie est immergée et invisible. ». Avec cet objet de recherche, notre ambition est de pénétrer à l'intérieur de cette partie invisible de l'« iceberg », ou autrement dit, de rendre visible l'apprentissage du leadership dans les situations informelles. Nous souhaitons également attirer l'attention des chercheurs en formation des adultes sur les situations, les moments significatifs, qui favorisent l'apparition du « sentiment d'apprendre » et qui suscitent les processus d'apprentissage du leadership des dirigeants.

1.3 Plan de recherche

En tant qu'acteur dans le domaine de la gestion, nous avons l'avantage d'observer les activités des dirigeants et un accès plus ouvert à leur univers personnel que les chercheurs évoluant dans d`autres domaines d'activités. Cependant, le défi pour nous consiste à combiner les sciences de la gestion avec les sciences de l'éducation pour mener une recherche dont l'objectif est de reconnaître et de comprendre l'essence de ce processus d'apprentissage. Notre plan de recherche s'articule autour des cinq phases suivantes :

Phase 1 : Revue de la littérature

Comme l'a constaté Laurent Lapierre : « Le leadership est un phénomène à la fois omniprésent, ambigu et fuyant. Le concept lui-même est flou, fourre-tout, trop à la mode. Il en est question dans le monde politique, dans le milieu des affaires, dans les activités sportives, dans la vie culturelle, bref, partout » (2008, p. 12), la notion de « leadership » en général est une notion largement utilisée et aussi très discutée. La première phase de cette

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recherche est donc de cerner les théories qui sont les plus proches du milieu de la gestion des affaires et qui éttayent l'idée que le leadership s'apprend.

Phase 2 : Formulation de la problématique et construction des hypothèses

Intriguée par le paradoxe qui consiste en l'absence du « sentiment d'apprendre » chez les dirigeants dans les salles de cours alors même qu'ils ont ce « sentiment d'apprendre » dans les situations de la « vie réelle », notre intention a été de mettre en évidence la difficulté à saisir et à formuler ce phénomène à l'aide des théories existantes. Comme ce phénomène a été constaté sans être expliqué à ce jour, nous devons essayer d'élaborer des hypothèses à partir desquelles nous pourrons l'exprimer. La deuxième phase de cette recherche constitue donc une formulation de la problématique et des hypothèses.

Phase 3 : Entretiens, recueil des données

La troisième phase est consacrée aux entretiens semi-directifs ou non-directifs menés avec des dirigeants pour recueillir davantage de témoignages sur leurs pensées et sentiments - un sujet encore peu approfondi dans la littérature sur l'apprentissage ou sur le leadership. Si la revue de la littérature permet d'identifier les modèles et les notions qui ont été déjà étudiées, les entretiens devraient nous permettre d'accéder à de nouveaux types d'informations, d'explorer des nouvelles pistes d'analyse et de justifier la pertinence de l'utilisation de nouveaux termes. Deux types de données doivent être recueillis: (a) des récits ou des verbalisations des vécus lors des entretiens réalisés avec les dirigeants ; (b) des données d'observation d'activités des dirigeants.

Phase 4 : Analyse et traitement des données

En utilisant la méthode d'analyse sémiologique de l'activité7, nous avons tenté de ne pas seulement écouter les récits ou les verbalisations des dirigeants sur ce qu'ils pensaient ou

7 Peirce a décrit de manière formelle les mécanismes de production de la signification et a établi une classification des signes. « [...] je suis, autant que je sache, un pionnier ou plutôt un défricheur de forêts, dans la tâche de dégager et d'ouvrir des chemins dans ce que j'appelle la sémiotique, c'est-à-dire la doctrine de la nature essentielle et des variétés fondamentales de semiosis [le procès du signe] possibles [...] » (Peirce, 1978, p. 135). Inspirée des travaux de Peirce, la théorie sémiologique du cours d'action (Pinsky, 1992) permet de décrire la dynamique de l'activité selon le point de vue de l'acteur.

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ressentaient, mais aussi de les faire argumenter leurs pensées et leurs sensations, afin de faire émerger l'une des activités les plus représentatives du métier de dirigeant. Nous visons ensuite à identifier les éléments significatifs de cette activité.

Le traitement des données a consisté à identifier (a) les différents thèmes dans le flux de pensées évoqués durant une situation spécifique ou dans un entretien après coup au sujet d'une situation spécifique et les liens possibles entre ces thèmes (b) la dynamique de la production d'un sentiment qui est souvent associé avec ce qu'ils appellent « l'apprentissage du leadership ».

Phase 5 : Vérification des hypothèses

La vérification des hypothèses de notre recherche constitue le processus par lequel les hypothèses préalablement formulées, sont confirmées ou infirmées. Nos hypothèses seront vérifiées par une tentative d'observation de l'activité réelle d'un dirigeant. Cette étape comprendra ainsi la discussion des résultats avec le dirigeant observé sous forme d'un entretien non-directif, avec les autres chercheurs dans le domaine de la formation des adultes ainsi que des chercheurs dans le domaine du management. A la suite de la vérification des hypothèses, les constats de la vérification vont être dégagés.

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CHAPITRE 2: REVUE DE LA LITTERATURE

La revue de la littérature que nous avons effectuée vise à recenser les ouvrages et les articles publiés tant en France que dans les pays anglo-saxons, où se croisent les théories du leadership et les théories d'apprentissage. Notre revue de littérature n'avait pas pour objectif de réaliser un état de l'art exhaustif sur l'apprentissage ou sur le leadership. L'ensemble des ouvrages et articles que nous avons recueillis doit nous aider à démontrer la pertinence de notre recherche en révélant des lacunes dans la littérature existante sur le ressenti des acteurs et le processus d'apprentissage du leadership, ce qui offre la possibilité d'effectuer une recherche exploratoire dans ce sens.

2.1 Littérature sur le leadership

Jusqu'aux années 1930, le concept de leadership n'existait pas dans la pensée du monde de la gestion des entreprises. Aujourd'hui, la littérature managériale est devenue abondante sur ce sujet. Une simple recherche sur Google Scholar avec le mot « leadership » donne un résultat de millions de documents différents. En 2006, une équipe des chercheurs de l'Université Regent (Etats-Unis) a compilé 160 articles et chacun de ceux-ci contenait de 1 à 25 définitions, ou descriptions du leadership. Comme le remarque Valérie Gauthier: « Mais à l'heure où tout le monde parle de leadership, on peut se demander de quel leadership il s'agit ? Certains confondent leadership et pouvoir. D'autres assimilent leadership et stratégie» (2008, p.8). C'est pourquoi avant d'aller plus loin dans l'exploration de la littérature sur l'apprentissage du leadership des dirigeants, il est important de noter que la profession de dirigeant n'est pas un métier comme les autres. « On y découvre une activité dirigeante d'une nature tout à fait particulière, dans laquelle les dimensions du pouvoir et de la parole jouent un rôle considérable. Cela en fait un métier qui n'est pas tout à fait comme les autres, mais qui peut en retour jeter un éclairage inédit sur tous les autres. » (Raveleau, 2007, p. 5)

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Théories

 

Caractéristiques

Grand Homme

Basé sur la croyance que les leaders sont des gens exceptionnels, nés avec des qualités innées, destinés à conduire les autres. L'utilisation du terme «Hommes» était intentionnelle puisque jusqu'à la fin du XXe siècle le « leadership » a été pensé comme un concept qui est essentiellement masculin, militaire et occidental. Cela a inspiré l'école des théories des Traits de caractère.

Traits de caractère

Les listes de traits ou qualités associés au leadership existent en abondance et continuent à être produites. Elles s'appuient sur pratiquement tous les adjectifs qui dans le dictionnaire décrivent un attribut positif et vertueux.

Comportementales

Ces théories se concentrent sur ce que les leaders font réellement plutôt que sur leurs qualités. Différents modèles de comportement sont observés et classés comme « les styles de leadership ». Cette école a probablement eu une influence majeure sur les managers.

Situationnelles

Cette approche voit le leadership comme étant spécifique à la situation dans laquelle il est exercé. Par exemple, certaines situations peuvent exiger un

style autocratique, d'autres peuvent avoir besoin d'une approche plus
participative. Il peut y avoir des différences dans les styles de leadership à différents niveaux de la même organisation.

Contingence

Il s'agit d'un raffinement du point de vue de la situation qui se concentre sur

l'identification des variables situationnelles qui prédisent le style de
leadership le plus approprié ou le plus efficace pour répondre à des circonstances spécifiques.

Transactionnelles

Cette approche met l'accent sur l'importance de la relation entre le leader et les suiveurs, en se concentrant sur les échanges mutuels établis sous la forme

d'un «contrat» à travers lequel le leader délivre des choses telles que des
récompenses ou de la reconnaissance en contrepartie de l'engagement ou la loyauté des suiveurs.

Transformationnelles

Le concept central ici est le changement et le rôle de leadership dans la stratégie et dans la mise en oeuvre de la transformation de l'organisation.

Tableau I : Résumé des théories du leadership
(Bolden, Gosling, Marturano, & Dennison, 2003)

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Revenons à notre revue de la littérature, comme notre tâche est d'identifier la transversalité entre les théories du leadership et les théories d'apprentissage, nous allons examiner les travaux écrits par des auteurs se rattachant à des courants théoriques différents (Tableau I). En même temps nous allons nous concentrer particulièrement sur les auteurs qui considèrent que le leadership s'apprend.

En ce qui concerne la théorie du « Grand Homme », les auteurs pionniers de ce courant considèrent que les leaders sont nés pour changer le monde. Thomas Carlyle a déclaré que « l'Histoire du Monde, je l'ai déjà dit, c'est la Biographie des Grands Hommes » (1888, p. 23). Au début, cette théorie nous semblait n'avoir aucun lien avec l'apprentissage, parce que si les leaders sont nés leaders, il ne peut y avoir de place pour l'apprentissage du leadership. Cependant, nous pouvons constater que dans la littérature sur les Grands Hommes d'aujourd'hui, les capacités innées ne sont plus l'objet de discussion, mais plutôt les capacités d'apprendre ou d'inspirer l'apprentissage chez les autres. L'une des explications possibles est que « même les plus grands leaders s'inspirent de leaders qui les ont précédés. » (Marquis, 2011, p. 7). Une des hypothèses que nous allons examiner dans les chapitres qui suivent est : L'apprentissage du leadership des dirigeants peut être un processus inspiré par les exemples de grands leaders.

Etant la suite logique de la théorie du Grand Homme, le courant axé sur les « Traits de caractère » se focalise sur les caractéristiques clés des grands leaders. Les auteurs de ce courant visent à distinguer le leader des « non-leaders ». On croyait que grâce à cette approche, les qualités essentielles des leaders auraient pu être isolées et que les personnes ayant ces traits auraient pu alors être recrutées, sélectionnées et installées dans les postes des leaders (Zaccaro, Kemp, & Bader, 2004). Il est intéressant de noter à cet égard qu'un des traits du leader moderne est l'engagement pour la croissance. C'est-à-dire que les leaders n'arrêtent pas d'entreprendre toute démarche nécessaire pour avancer professionnellement et personnellement et garder le contact avec les nouvelles tendances et outils ainsi que les réalités et les technologies de l'activité. Spreitzer et al, (1997) ont également souligné la capacité d'apprendre de l'expérience comme une qualité importante du leader.

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Selon les auteurs du groupe « comportemental », s'intéressant à la question : « qu'est-ce que le leader fait ? », les habitudes de comportement constructives de politesse, de contrôle de soi, de communication bilatérale, de délégation et d'empathie envers les autres, peuvent s'apprendre et être mises en pratique. Kurt Lewin, Ronald Lipitte et Ralph K. White (1939) ont élaboré une classification des styles de leadership qui offre aux dirigeants un outil d'analyse grâce auquel ils peuvent consciemment cultiver (apprendre) leur style personnel de leadership pour être efficace. En effet, c'est le groupe dont les auteurs font tout pour démontrer que l'apprentissage du leadership est possible. Cependant, ils n'ont pas suffisamment montré ce que font les « leaders » afin d'avoir des « suiveurs ». Comme Henry Mintzberg l'a remarqué : « Lorsqu'un manager apprend qu'une usine détruite par un incendie est en panne et qu'il conseille à son interlocuteur d'envisager une solution provisoire pour fournir les clients via une filiale étrangère, est-il en train de planifier, d'organiser, de coordonner ou de contrôler? Et lorsqu'il offre une montre en or à un employé qui part à la retraite, ou qu'il assiste à un congrès pour rencontrer les gens du métier et revient avec une idée d'innovation qu'il soumet à son équipe, comment cela s'appelle-t-il ? » (Mintzberg, 1999, p. 7).

Les théories citées en quatrième (Situationnelles) et cinquième (Contingence) positions se concentrent sur les situations et leur relation avec le style du leadership requis. Les leaders doivent moduler leur style en fonction de la disponibilité et de la possibilité du groupe à suivre la direction montrée par le leader. Se basant sur l'ensemble de l'équation « leader-suiveurs », quatre manières de mobiliser les individus ont été identifiées (Hersey & Blanchard, 1993):

1. Dire unilatéralement que faire et quoi faire : à utiliser dans les situations où, soit les capacités des suiveurs sont faibles, soit ils ne veulent pas prendre de responsabilités

2. Convaincre et soutenir : dans le cas où la capacité des suiveurs à prendre des responsabilités serait modérée mais où ils auraient la volonté de le faire

3. Faire participer : capacité relativement grande des suiveurs à prendre des responsabilités, mais ne se sentent pas assez en sécurité pour le faire

4. Déléguer : capacité des suiveurs à prendre avec assurance des responsabilités. Ils n'ont besoin que de peu de soutien.

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La connexion entre ces positions et l'apprentissage se trouve sous l'influence de la situation et de ses variables (telles que les caractéristiques et les capacités des suiveurs) sur le choix du style ainsi que sur l'adaptation du comportement des dirigeants. De plus, l'existence d'au moins un « suiveur » est un élément déterminant pour l'existence d'un « leader ». Dans cette logique, le « followership »8 (le « suivisme ») et « leadership » sont des composantes indissociables d'un seul et même phénomène. Comme l'a remarqué Barbara Kellerman (2007, p.84) : « Il n'y a pas de leader sans au moins un suiveur - c'est évident. » (« There is no leader without at least one follower - that's abvious »).

Les variables de la situation peuvent être considérées comme des causes dans une relation cause-effet avec l'ajustement du style de leadership chez les dirigeants. Dans la prochaine section, nous reviendrons sur ce type de relation avec le travail de Skinner, qui nous démontrera la logique de l'apprentissage par l'ajustement.

Les auteurs du sixième groupe (Transactionnelles) s'intéressent essentiellement à la performance organisationnelle ou à la performance du groupe. Ces auteurs présentent le leadership en tant que relation entre des personnes qui partagent les mêmes désirs et les mêmes besoins et qui luttent pour atteindre un but commun, dans le cadre d'un « contrat » entre le leader et les suiveurs. « Les chefs doivent conclure avec leurs subordonnés une transaction, échange par lequel ils énoncent et précisent ce qu'ils exigent de leurs subordonnés, ainsi que la considération dont ceux-ci feront l'objet s'ils respectent leurs engagements. » (Yammarino & Bass, 1990, p. 152). Ce style de leadership s'appuie sur les processus de la gestion : gestion par objectif, par contrôle et par planification etc. Il a été donc beaucoup critiqué par ceux qui ne croient pas au leadership par contrôle et par objectif. « Vous avez appris à planifier, organiser, animer et contrôler. Bref, à manager ! [...] Pourtant, vous aimeriez bien retrouver votre place d'avant, ... avant d'être manager ! » (Delavallée, 2005, p. 11). Selon Delavallée, l'important n'est pas l'apprentissage des règles et des techniques, mais l'adaptation et l'application de celles-ci dans des situations et contextes d'entreprises. Il a écrit « Dès lors, de telles formations ne peuvent plus être ces "prêts à penser", culpabilisants pour les managers de la "vraie vie", que sont encore nombre de

8 Le dictionnaire Merriam-Webster Online Dictionary définit le « followership » comme: « la capacité ou la volonté de suivre un leader ». (Source : http://www.merriam-webster.com/dictionary/followership)

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séminaires ayant la prétention d'enseigner les prescriptions des manuels de management, le modèle du manager idéal. Souvent, ces formations préparent les managers à faire des choses qu'ils ne font pas, voire qu'ils ne feront jamais. Inversement, elles ne les préparent pas suffisamment à faire ce qu'ils font dans la "vraie vie" » (ibid., p. 19).

Enfin, selon les auteurs du dernier groupe (Transformationnel), l'élément le plus important de ces théories est le rôle de leader dans le processus de la transformation de l'entreprise. Selon Bass et Riggio : « Une formation en leadership transformationnel peut être évaluée réussie si l'organisation a été transformée de telle manière qu'elle incite les participants comme les personnes de leur environnement à se développer ainsi que d'autres autour d'eux. [...] si les dirigeants peuvent se développer pour stimuler et entraîner intellectuellement leurs subordonnés ou leurs suiveurs à résoudre les problèmes d'une manière unique et créative [...] » (« A transformational leadership training and development program should be evaluated successful if the organization has been transformed to a level where it challenges participants to develop themselves as well as others around them. [...] if leaders develop themselves so that they can inspire their followers, intellectually stimulate them to solve problems in unique and creative ways [...]»). (Bass & Riggio, 2005, p. 138)

La façon dont ces auteurs définissent une formation au leadership réussie nous conduit à penser que s'il existe une forme d'apprentissage en imitant et en suivant, il pourrait y avoir aussi une forme d'apprentissage en entraînant et en menant. Nous pensons aussi que dans une telle structure où se trouve le leadership transformationnel, l'apprentissage doit exister dans les deux sens, celui des « suiveurs » en imitant et en suivant le « leader », mais aussi celui du « leader » en recrutant ses « suiveurs » et puis en entraînant et en menant efficacement les suiveurs vers l'objectif.

2.2 Littérature sur l'apprentissage

De la même manière que pour la notion de « leadership », dans cette section, parmi les nombreux écrits sur l'apprentissage, nous allons identifier les articles et les ouvrages, où les théories de l'apprentissage et les théories du leadership se croisent. Nous commençons par les

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travaux des auteurs des trois courants principaux dans le domaine de l'apprentissage, qui sont présents pratiquement dans chaque revue de la littérature des chercheurs en sciences de l'éducation : Behaviourisme, Cognitivisme et Constructivisme. Nous terminerons avec un aperçu sur les recherches de David Kolb qui ont attiré notre attention, puisque dans son travail, l'apprentissage est considéré comme un processus et l'expérience concrète comme une source de connaissances.

2.2.1 Skinner et le conditionnement opérant (néo-behaviorisme)

Skinner a développé les concepts de « conditionnement opérant » et de « renforcement », où il a réussi à appliquer le principe de Stimulus-Réponse à l'étude de la conduite humaine. Selon Skinner, l'apprentissage est au centre de la transformation. L'individu apprend en adoptant un comportement lui évitant les renforcements négatifs et augmentant les renforcements positifs. Dans son ouvrage La révolution scientifique de l'enseignement, il a écrit que « Enseigner n'est rien d'autre, en effet, qu'arranger les conditions de renforcement dans lesquels les élèves apprendront. Ils apprennent en fait, sans qu'on les instruise, dans leur milieu naturel, mais l'enseignement organise les conditions de l'apprentissage, de façon à leur faciliter, à accélérer l'apparition de comportements qui, sans cela, ne seraient que lentement acquis, ou n'apparaîtraient jamais. » (1968, p. 79). La théorie de Skinner nous amène à penser que l'ajustement de style, d'attitude d'un dirigeant, en fonction de l'ampleur de la « conséquence » causée par son action constitue une partie importante de l'apprentissage du leadership. Nancy Adler (2008) a aussi confirmé par le résultat de sa recherche que l'ajustement (culturel) constitue une expérience d'apprentissage qui doit permettre aux managers expatriés de se développer et d'acquérir une certaine confiance. Nous allons examiner l'effet du choc culturel sur le processus d'apprentissage dans les prochains chapitres de notre mémoire.

Par ailleurs, aussi dans le travail de Skinner (1974, p. 1) le sentiment de l'individu peut trouver sa place comme cause du comportement. Il a écrit : « Les sentiments se produisent juste au bon moment pour servir les causes du comportement...». L'exemple de Skinner était qu'une personne peut répondre à la question : « Pourquoi vous avez haussé la voix avec un ami ? » par « Parce que nous nous sentions en colère ». Le fait que cette personne associe la colère avec le haussement de ton montre la façon dont elle pourrait en déduire et

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généraliser une conclusion simplement de ce qu`elle a vu ou vécu dans une autre situation antécédente (dans cet exemple, la personne a probablement déjà parlé fort quand elle a senti de la colère dans le passé).

La remarque de Skinner sur l'interaction entre certains sentiments et comportements nous a fait réfléchir aux sentiments qui se manifestent dans diverses situations de vie et leur rôle dans l'apprentissage du leadership.

2.2.2 Les cognitivistes et l'apprentissage basé sur le traitement de l'information

Si Skinner utilise le principe Stimulus-Réponse pour expliquer le phénomène d'apprentissage, les auteurs cognitivistes basent leurs explications sur les différents processus internes tels que la pensée et la mémoire. Ils ont donné des « explications sur l'apprentissage en mettant l'accent sur les processus mentaux internes que les individus utiliseraient en essayant de faire une représentation du monde » (Eggen & Kauchak, 1994, p. 305). Or, pour expliquer le phénomène d'apprentissage des dirigeants, Mintzberg souligne : « Les écoles de management commenceront à former sérieusement des managers lorsqu'elles accorderont la même place à l'apprentissage pratique qu'à l'apprentissage cognitif. L'apprentissage cognitif est détaché et informatif, comme le fait de lire un livre ou d'écouter un cours. Certes, le futur manager doit assimiler un bon nombre de connaissances importantes, mais un savoir théorique ne formera pas plus un manager qu'il ne forme un athlète à la natation. Ce dernier se noiera dès qu'il plongera dans l'eau, si son instructeur ne l'a jamais sorti de la salle de cours, afin qu'il se mouille, et puisse juger de ses performances » (Mintzberg, 1999, p. 27). La remarque de Mintzberg nous a amené à penser qu'il serait possible de trouver la différence entre deux types d'apprenants appliquant deux modes d'apprentissage différents : l'un, qui reste dans une salle de classe en adoptant la méthode de « l'étude de cas »9 où « le cas est une expérience vécue de façon indirecte...» (Cherubini, Smith, Goldblatt, Engemann, & Kitchen, 2008, p. 4) et l'autre, qui passe son temps en dehors de la salle de cours en « vivant » et tirant des leçons à partir de sa propre expérience). Si les apprenants ne font

9 La méthode des cas est l'utilisation de situations dans le domaine des affaires à des fins pédagogiques (Hammond, 2002)

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qu'absorber les informations, écouter les opinions des autres, filtrer, stocker les informations, prendre les décisions, présenter et discuter leurs pensées avec les autres, acquièrent-ils les mêmes « aptitudes » dans les deux cas ? Les principes d'apprentissage des auteurs cognitivistes ne semblent pas tenir suffisamment compte des facteurs intuitifs intervenant dans l'apprentissage des dirigeants pour répondre à cette question.

2.2.3 Vygotski, le développement et le concept quotidien

Parmi les auteurs constructivistes, le travail de Lev Vygotski, qui a abordé l'apprentissage en mettant l'accent sur l'interaction entre la personne et l'environnement social nous intéresse beaucoup. Dans son ouvrage Pensée et langage (1934) Vygotski a fait clairement la distinction entre les concepts quotidiens (ou spontanés) et les concepts scientifiques (ou enseignés), qui ne se développent pas du tout de même façon. Pour illustrer cela, il a mis en parallèle les deux processus : l'apprentissage de la langue maternelle (concepts quotidiens) et l'apprentissage d'une langue étrangère (concepts scientifiques). Selon Vygotski, les concepts quotidiens sont appris de l'expérience concrète, alors que les concepts scientifiques sont appris à la suite d'une explication d'un enseignant (un «médiateur»). Ses distinctions nous ont amené à l'idée d'appliquer ce principe pour décrire le processus de l'apprentissage du « leadership » en tant qu'un concept quotidien, mais non pas en tant que concept scientifique et trouver la différence entre ces deux schémas. Afin de décrire ce processus, nous avons décidé de chercher davantage des publications sur l'apprentissage par l'expérience et sur l'apprentissage de la situation ou dans une situation donnée.

2.2.4 L'apprentissage par l'expérience

C'est en 1984, que David A. Kolb publiait « Experiential Learning ». Ce livre expose essentiellement le principe qu'une personne fait son apprentissage par la découverte et l'expérience. La théorie de l'apprentissage par l'expérience (ELT) de Kolb définit « l'apprentissage comme un processus par lequel la connaissance est créée par la transformation de l'expérience. La connaissance est acquise à partir de la combinaison de préhension et de transformation de l'expérience» (« ELT defines learning as the process whereby knowledge is created through the transformation of experience. Knowledge results from the combination of grasping and transforming experience. ») (1984, p. 41)

Expérience

Mise en pratique

Réflexion

Conceptualisation

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Figure 2: Le modèle d'apprentissage par l'expérience (Kolb, 1984)

Selon Kolb « l'apprentissage doit être envisagé comme un processus, et non pas en termes des résultats » (« Learning is best conceived as a process, not in terms of outcomes ») (ibid. p. 26). Son modèle d'apprentissage représente un cycle ou un flux d'activités entre quatre éléments : Expérience concrète (CE), Observation réflexive (RO), Conceptualisation abstraite (AC) et Expérience (expérimentale) active (AE) (Figure 2). Kolb a écrit aussi que : « Les idées ne sont pas des éléments de pensées fixes et immuables, mais sont formées et réformées par l'expérience » (ibid.).

Nous nous sommes très intéressés par les mouvements, représentés par les flèches entre quatre éléments dans le modèle de Kolb. Si Kolb a souligné à plusieurs reprises que l'apprentissage constitue un processus, nous n'avons pas pu trouver son explication sur le motif de ces mouvements, qui pousse l'apprenant d'une étape à l'autre dans ce processus.

Ressentir

ret

concrèteExpérien

on

nceptualisation

e

pratiqueMise en

flectif

Observer

nser

ait

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Figure 3 : Les styles d'apprentissage

(Source : Adapté par l'auteur de Kolb, & Kolb, 2008)

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De plus, Kolb démontre qu'il y a plus d'un style d'apprenant (Figure 3). La notion de style d'apprentissage de Kolb « décrit les différences individuelles dans l'apprentissage en fonction des préférences de l'apprenant pour l'emploi des différents éléments du cycle d'apprentissage » (Kolb & Kolb, 2008, p. 46)

Les deux styles favorisant le contact humain et ayant « l'expérience concrète » (CE) comme source d'apprentissage sont ceux qui nous intéressent le plus. Les individus, ayant le style Divergeant préfèrent ressentir et observer. Ils sont intéressés par les gens, ont tendance à faire preuve d'imagination et émotionnelle. Kolb a constaté que « les individus avec le style Divergeant préfèrent travailler en groupe, écouter les autres et recevoir des commentaires personnels » (ibid.). Quant au style « Accommodateur », incluant les individus préférant ressentir et faire, qui utilisent l'analyse des autres, et préfèrent prendre une approche pratique, ils sont attirés par les nouveaux défis et les nouvelles expériences. « Les personnes ayant un style d'apprentissage Accommodateur aura une tendance à compter sur les autres pour obtenir des informations, plutôt qu'à procéder leur propre analyse » (ibid., p.47).

Enfin, si l'on compare la définition d'apprentissage et la catégorisation des styles d'apprentissage de Kolb avec notre objet de recherche - le processus d'apprentissage du leadership dans les situations de la vie, sur le terrain, dans un milieu familial, nous pensons que les dimensions utilisées dans le travail de Kolb peuvent également servir d'indicateurs pour analyser les données recueillies auprès des dirigeants.

2.3 Littérature sur l'apprentissage informel

Si le modèle de Kolb nous semble être une piste prometteuse pour analyser l'apprentissage tiré d'une expérience, d'un vécu concret, nous pensons qu'il y a encore beaucoup d'autres formes d'apprentissage qui ne suivent pas le même cycle. A ce stade, parmi des nombreux écrits sur l'apprentissage, ce qui nous intéresse le plus, c'est la littérature sur les processus, qui ne sont pas encore visibles ou tout ce qui lié à l'apprentissage de la vie quotidienne des individus. Comme Gilles Brougère le remarque: « S'il y a partout une vie quotidienne, elle diffère selon les sociétés, les milieux sociaux, les familles, les institutions. Elle a donc été apprise non pas à l'école, mais par confrontation, immersion, contact. » (2009, p. 24).

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Selon Daniel Schugurensky : « c'est dans la sphère «informelle», source de si peu d'intérêt et de travail de recherche, que s'acquièrent la plupart des apprentissages significatifs dont on se sert dans la vie de tous les jours. » (Schugurensky, 2007, p. 14)

Les remarques de Schugurensky nous conduisent vers l'idée que nous devons approfondir notre recherche dans le domaine de l'apprentissage informel. En nous détachant de la littérature sur l'apprentissage formel, nous espérons être en mesure de nous concentrer sur la recherche de nouveaux indicateurs et de repères nous permettant de décrire et d'expliquer le processus d'apprentissage du leadership et l'effet du « sentiment d'apprendre » sur l'apprentissage du leadership chez les dirigeants.

Bien que la littérature sur l'apprentissage informel soit très vaste et diverse, nous n'avons pu trouver que très peu d'ouvrages qui sont proches de notre domaine d'intérêt. Parmi ces livres, le travail de Jean Lave et Etienne Wenger sur l'apprentissage situé (situated learning) nous a donné une nouvelle dimension de l'apprentissage - la relation sociale. En supposant que l'apprentissage provient en grande partie de notre expérience de la participation dans la vie quotidienne, leur modèle de l'apprentissage a proposé que l'apprentissage implique un processus d'engagement dans une « communauté de pratique ». Comme Kolb, Lave et Wenger ne considèrent pas l'apprentissage comme l'acquisition de certaines formes de savoirs, mais plutôt comme le déplacement de l'apprenant de participation périphérique légitime vers la « pleine participation » (Lave & Wenger, 1991, p. 37). Selon eux, « une communauté de pratique est un ensemble de relations entre les personnes, l'activité et le monde, à travers le temps et en relation avec d'autres communautés » (ibid., p. 98). Ici, le rôle central de la relation humaine constitue le point commun entre la théorie de Lave et Wenger et le leadership transactionnel ainsi que le leadership transformationnel dans le travail de Bass.

Or, pour Arthur S. Reber, l'apprentissage reste toujours l'acquisition de connaissances. Cependant son centre d'intérêt se retrouve particulièrement dans le cadre d'un processus implicite qui mène à l'acquisition de connaissances sans effort conscient ou de toute prise de conscience explicite de ce qui a été appris. « L'apprentissage implicite est l'acquisition de

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connaissances qui se déroule en grande partie indépendamment des tentatives conscientes pour apprendre et surtout en l'absence de connaissances explicites sur ce qui a été acquis. » (1993, p. 5)

En même temps, Victoria Marsick et Karen Watkins (1990) font valoir que, même si le lieu de travail fournit des possibilités d'apprentissage, il existe certaines caractéristiques personnelles, qui peuvent favoriser l'apprentissage :

1. Pro-activité - la volonté de prendre l'initiative dans les situations.

2. Réflexion critique - une tendance à réfléchir, non seulement sur les événements, mais sur ce qui sous-tend hypothèses.

3. Créativité - ce qui permet à une personne de penser au-delà de son point de vue habituel.

Alain Mumford (1995) a identifié quatre approches d'apprentissage au travail :

1. Apprentissage intuitif - processus inconscient, provoqué par l'expérience.

2. Apprentissage fortuit - résultat d'un hasard.

3. Apprentissage rétroactif - capacité à tirer les leçons de l'expérience.

4. Apprentissage prospectif - Les événements futurs sont considérés comme des occasions d'apprendre

Il suggère que différentes personnes peuvent être enclines à l'une ou l'autre de ces approches de la même manière qu'elles se penchent vers un style d'apprentissage particulier.

Après avoir examiné ces extraits de la littérature récente, nous sommes convaincus que « l'apprentissage informel » joue un rôle considérable dans le développement de la personnalité et de l'expertise professionnelle dans le milieu de travail et dans la vie familiale.

Toutefois, comme l'ont noté Gilles Brougère et Hélène Bézille : « Si les différents auteurs qui utilisent l'expression d'éducation ou d'apprentissage informel sont d'accord sur l'idée que l'éducation ne se limite pas aux situations socialement construites en fonction d'objectifs éducatifs et sur l'idée que l'individu acquiert des connaissances dans une multitude de situations qui n'ont pas été faites pour cela, la façon dont est circonscrit l'apprentissage informel est fort variable » (Brougère & Hélène, 2007, p. 122).

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La remarque faite par ces auteurs a non seulement montré l'usage aussi vaste que varié (Annexe 1) du terme d'apprentissage informel, mais elle ouvre aussi la voie vers une grande variété de sujets d'études possibles qui pourraient être inclus parmi les priorités de la recherche en sciences humaines y compris l'introduction et la mise en valeur des notions nouvelles relatives à l'apprentissage des adultes.

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CHAPITRE 3: PROBLEMATIQUE ET QUESTION DE
RECHERCHE

3.1 Problématiques et hypothèses

Depuis plus d'une décade, Henry Mintzberg a écrit : « En pratique, il s'agit bien d'un management à deux faces où les activités cérébrale et intuitive viennent se compléter et s'équilibrer. [...] Dans un monde si préoccupé par le management, une grande partie des ouvrages de vulgarisation reste superficielle et la recherche scientifique peu inspirée. Certes, de nombreuses recherches ont été effectuées ces dernières années, mais la plupart ne faisaient que reprendre des études précédentes. Ainsi, nous sommes toujours terriblement ignorants du contenu fondamental du travail des managers et nous n'avons fait qu'effleurer les problèmes et dilemmes majeurs qu'il rencontre » (Mintzberg, 1999, pp. 33-34). L'ignorance de ce que les dirigeants apprennent de la vie et de ce qu'ils appellent « l'activité intuitive » constitue justement le défi que nous voulons relever. Pourtant, d'une part, les termes scientifiques existants ne semblent pas pouvoir nous aider à expliquer certains phénomènes tels que le paradoxe entre l'absence du « sentiment d'apprendre » en salle de cours et sa présence perçue hors salle de cours, qui a été constaté seulement de façon empirique. D'autre part, les termes, qui sont utilisés par les dirigeants pour décrire les activités de ce type, ne sont pas encore acceptés dans la littérature scientifique. Notre objectif est donc de trouver un moyen afin que ces soi-disant « termes quotidiens » soient donc identifiés et validés pour la description ainsi que pour l'explication de l'apprentissage du leadership chez les dirigeants avec un maximum de réalisme.

3.1.1 La variété des significations du terme « leadership »

Tel que mentionné précédemment dans le chapitre de la revue de la littérature, le fait que le concept « leadership » soit entré dans la littérature académique depuis les années 1930 aux États-Unis dans le cadre du mouvement « relations humaines » dont le fondateur était George Elton Mayo10, montre l'importance du leadership comme une des compétences

10 Source : http://www.larousse.fr/encyclopedie/personnage/Mayo/132447

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managériales des dirigeants. Toutefois, la problématique est qu'un concept tel que le « leadership comporte diverses facettes. Lorsque le terme « leadership » est utilisé par les individus provenant de différents domaines, il semble y avoir beaucoup « d'hommes aveugles » décrivant un « éléphant en mouvement ». Cela signifie que la signification du terme « leadership » peut varier d'une personne à l'autre, d'une situation à l'autre, également en fonction de l'évolution des recherches en sciences humaines. Afin de mieux comprendre et mieux exploiter ce concept, les chercheurs doivent communiquer les uns avec les autres, tout en continuant à examiner une multitude de compréhensions et d'interprétations différentes.

3.1.2 L'écart dans la compréhension du terme « dirigeant »

Selon le dictionnaire Larousse, le « dirigeant » est la « personne qui est à la tête d'un organisme quelconque »11. Bien que le terme « dirigeant » constitue une des traductions possibles du terme « manager » dans les littératures anglophones, nous pouvons constater que la version « anglo-saxonne » met plus particulièrement l'accent sur le rôle de la personne plutôt que sur sa position dans l'organisation. Selon le dictionnaire Oxford, le « manager » est la « personne responsable du contrôle ou de l'administration d'une organisation ou un groupe d'employés » (« manager » - a person responsible for controlling or administering an organization or group of staff »)12. Cela signifie que lorsqu'il n'y a pas de norme de principe, les dirigeants de différentes cultures et origines peuvent appréhender ce mot dans une acception beaucoup plus large qu'un statut de la personne au sein de l'organisation. Le terme « dirigeant » peut donc s'appliquer non seulement à ceux qui sont à la tête d'une organisation mais également à ceux qui participent à l'administration d'une entreprise ou d'une institution, à tous les niveaux de la hiérarchie. Cela signifie également que dans la sphère du management opérationnel, la qualification de « dirigeant » est réservée à ceux qui prennent la décision et la font exécuter. Ce public est beaucoup plus varié que celui décrit dans la littérature.

11 Source : http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/dirigeant/25795

12 Source : http://oxforddictionaries.com/definition/english/manager

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3.1.3 L'émergence du terme « sentiment d'apprendre »

La notion de « sentiment d'apprendre » n'apparaît encore ni dans la littérature sur l'apprentissage, ni dans la littérature sur le leadership. Dans la littérature scientifique, les recherches sur l'apprentissage et sur leadership s'orientent davantage vers l'explication des processus d'acquisition de nouvelles connaissances, qui présupposent que l'apprentissage dépend d'approches (Mumford, 1995) et de « stratégies » (Edith, 2004). Dans la vie pratique, les dirigeants déclarent plus souvent qu'ils apprennent le leadership sans aucune application d'approche ou de stratégie précise. Si une partie de leurs commentaires correspond bien à la définition du Larousse, que l'apprentissage est « l'ensemble des processus de mémorisation mis en oeuvre par l'animal ou l'homme pour élaborer ou modifier les schèmes comportementaux spécifiques sous l'influence de son environnement et de son expérience »13, le reste qui se réfère à l'activité intuitive ou au sentiment se produisant sous l'influence de la situation (l'environnement) demeure encore largement ignoré de la plupart d'entre nous. Le manque d'un terme adapté pour décrire ce sentiment constitue un véritable obstacle qui empêche les chercheurs de comprendre le phénomène que les dirigeants appellent « l'apprentissage ». Or, à ce jour, le seul concept lié au sentiment des apprenants que nous pouvons trouver dans la littérature scientifique sur l'apprentissage est le concept du « sentiment de compétence » (self-efficacy) qui a été défini comme les jugements que les gens portent sur leurs capacités à organiser et à exécuter les actions requises pour atteindre un type de performance donné (Bandura, 1986).

Selon notre hypothèse, si le « sentiment de compétence » signifie les jugements sur la capacité d'exécuter une action, le « sentiment d'apprendre » pourrait signifier la prise de conscience d'une modification des connaissances (savoir), de la compétence (savoir-faire) ou des attitudes (savoir-être), résultant d'une ou de plusieurs situations majeures vécues dans la cadre de leur vie quotidienne. Autrement dit, le « sentiment d'apprendre » pourrait constituer un indicateur d'une prise de conscience d'un processus d'apprentissage.

13 Source : http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/apprentissage/4748

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3.1.4 La nécessité de la notion « situation-source »

Anne-Lise Ulmann a constaté que « les directeurs faisaient très souvent référence, pour expliquer leurs manières de faire, à des idéals professionnels qu'ils s'étaient forgés en observant leur directeur... » (Ulmann, 2009, p. 164). En plus de l'observation d'Anne-Lise Ulmann, nous pouvons confirmer que c'est lors de conversations informelles avec des dirigeants (au cours de déjeuners qui se sont déroulés dans le cadre de notre travail opérationnel) que ceux-ci ont souvent évoqué l'influence d'autres facteurs, tels que l'éducation familiale, l'interaction avec les membres de la famille, l'amitié, et même, ce n'est pas rare, l'amitié avec les collègues ou des clients. A notre surprise, ces « conversations au cours du déjeuner» parfois expliquent et décrivent, de façon très détaillée, les situations au cours desquelles ont lieu les moments de transformation perçus par les dirigeants. Pourtant, si on accepte que le leadership s'apprend à partir de la vie quotidienne, doit-on s'étonner du fait que certaines situations peuvent rester gravées dans la mémoire et jouer un rôle formateur ?

La citation de Voltaire sur « ce qui touche le coeur... » (1764) nous conduit à admettre que si ces situations sont à l'origine des souvenirs qui restent « gravées dans la mémoire », c'est parce qu'elles sont source d'émotions et de sentiments puissant (« touchent le coeur ») chez la personne. Pour étayer davantage cette argumentation, nous nous trouvons face à la nécessité de trouver un « nom » pour les situations de cette nature. A ce stade de notre réflexion il est impératif de trouver un terme pour désigner les situations de cette nature. L'emploi du mot « source » laisse entendre que la situation qui fait l'objet de notre étude doit être à l'origine (la source) d'un sentiment spécifique, grâce auquel elle devient inoubliable et exerce un rôle formateur sur la personne : le « sentiment d'apprendre ». Conformément à cette idée, une «situation-source » doit se différencier d'autres situations. Une fois produite elle se fait remarquée par le « sentiment d'apprendre » qu'elle a provoqué. Dans cette circonstance, une situation ordinaire pourrait devenir la « situation-source », qui continue à vivre et à accompagner la personne tout au long de sa vie. Nous supposons qu'il y a quand-même deux catégories de « situations-source » à examiner. La première catégorie regroupe des situations durant lesquelles le « sentiment d'apprendre » se produit; la deuxième catégorie regroupe des situations, où le « sentiment d'apprendre » apparaît lors d'une rétrospection de la situation en question. (Figure 1).

Enfin, il ne faut pas confondre ce terme avec la « situation d'apprentissage » (ou bien la «situation apprenante»), qui est une situation typique choisie ou construite par l'éducateur ou par le formateur dans un but éducatif. Contrairement à ces termes, qui sont souvent utilisés d'une manière générale dans l'éducation ou dans la formation collective, le terme « situation-source » dans notre étude renvoie à des situations réelles et souvent singulières, qui sont porteuses de sens pour une seule et unique personne selon sa propre perception.

Situation-source Rétrospection

de la situation-source

Situation-source

Sentiment d'apprendre

Sentiment d'apprendre

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temps

Figure 1 : Les deux catégories de « situation-source »
(Source : l'auteur)

3.2 La question de recherche

Jean Berbaum, parlant de l'apprentissage de la vie quotidienne s'exprime ainsi: «L'expérience montre que la vie quotidienne (l'activité professionnelle comme les moments

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de détente, de vie associative ou familiale) contribue à l'élaboration de modes nouveaux de comportement et joue par conséquent le rôle de situation d'apprentissage. L'apprentissage se présente comme un effet annexe des situations que propose la vie. Toutes les informations reçues contribuent à modeler notre manière d'être. » (Berbaum, 2005, p. 10).

Même si la remarque de Jean Berbeaum correspond à ce que nous voulons faire valoir ici : « les situations que propose la vie » et leur rôle dans l'apprentissage, il nous manque toujours des termes adéquats pour expliquer le phénomène. De plus, notre hypothèse est que certaines situations peuvent être plus importantes que d'autres et dans certains cas l'apprentissage ne se présente pas comme un « effet annexe », mais plutôt comme une action intentionnelle. Dans la sphère du management, certaines personnes parviennent à anticiper les situations qu'ils perçoivent comme des opportunités d'apprentissage. Par exemple, une personne ayant l'ambition de devenir dirigeant peut se porter volontaire pour les missions les plus difficiles afin de faire la preuve de ses compétences.

En définitive, la problématique de notre recherche s'articule autour d'un phénomène nécessitant d'être décrit et expliqué en détail. Ce qui nous conduit à examiner cette hypothèse et à vérifier la pertinence de nouveaux termes destinés à formuler l'objet de notre recherche. Finalement, la question de recherche soulevée dans le cadre de cette étude peut être formulée ainsi : dans quelles conditions et de quelle manière une situation de vie peut devenir plus signifiante qu'une autre au point de jouer un rôle formateur dans l'apprentissage du leadership chez les dirigeants ?

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CHAPITRE 4: METHODOLOGIE

Dans ce chapitre nous allons justifier notre choix de méthode et des techniques à appliquer. Nous allons définir les données ainsi que l'échantillon de notre recherche. Nous allons par la suite décrire la procédure utilisée pour le recueil de données et pour l'analyse de l'activité en exploitant ces données. Pour terminer, nous nous attacherons à décrire le rôle du chercheur compte tenu de l'approche et de la méthodologie de recherche retenues.

4.1 La recherche qualitative

Nous retenons comme méthode, la recherche qualitative, puisque notre question vise à éclaircir un « comment ». Selon Yves Poisson, « le chercheur partisan de l'approche qualitative n'essaie pas d'abord de quantifier les phénomènes observés afin d'établir des corrélations. Il tente plutôt de saisir la réalité telle que la vivent les sujets avec lesquels il est en contact; il s'efforce de comprendre la réalité en essayant de pénétrer à l'intérieur de l'univers observé. » (Poisson, 1983, p. 371). Ceci résume parfaitement l'objectif de notre recherche. C'est pourquoi nous ne chercherons pas à quantifier ou à mesurer, mais plutôt à recueillir des données verbales permettant une démarche interprétative. Nous voulons aussi explorer les émotions, les sentiments, ainsi que les expériences personnelles des dirigeants, afin d'obtenir une meilleure compréhension du fonctionnement de leur apprentissage du leadership. A ce titre, la recherche qualitative est particulièrement adaptée à notre ambition.

4.2 La population cible, l'échantillon et les données

Selon Steven Taylor et Robert Bogdan (1984) la recherche qualitative produit et analyse des données descriptives, telles que les paroles écrites ou dites et le comportement observés des personnes.

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La population cible de notre recherche se compose de tous les dirigeants issus de formations différentes et venant de divers milieux professionnels. Cependant, comme nous souhaitons nous détacher de l'apprentissage formel des dirigeants, notre choix se porte sur les dirigeants ayant un profil d'ingénieur ou scientifique, plutôt que sur les dirigeants issus directement des écoles de management. Par conséquent, bien que nous ayons effectué 27 entretiens y compris les entretiens exploratoires et les entretiens d'essai (pour valider le guide d'entretien), notre analyse finale porte sur un échantillon restreint aux 6 entretiens les plus représentatifs avec 5 individus, avec qui nous avons travaillé au cours de l'année académique 2011-2012 au CNAM (Conservatoire national des Arts et Métiers).

Nous reprenons ci-après la description de notre échantillon. (Tableau II).

Individus

Entretiens

Origine
académique

Domaine d'activité

Origine

géographique

Mme A

N°01 et 02

Comptabilité

Service

Afrique du Nord

Mr B

N°03

Physique

Gestion des projets

Europe

Mme C

N°04

Infermière

Formation

Europe

Mr D

N°05

Vétérinaire

Mode

Asie

Mr E

N°06

Mathématique

Conseil

Europe

Tableau II : Description de l'échantillon

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Pourquoi avoir choisi le CNAM comme le terrain de recherche ? Tout d'abord, il est important de noter que, selon les documents des archives du CNAM, dans les années 80 la formation professionnelle devait permettre aux apprenants de maintenir leur compétitivité en adaptant leurs qualifications aux exigences des entreprises. Dans ce contexte, en 1987, à la demande des secteurs professionnels industriels, une formation professionnelle en management a été mise en place, dans le cadre du Centre de Perfectionnement et de Recherche en Ingénierie et Management (CEPRIM) du CNAM.

En 1991, cette formation en management pour l'ingénieur a été homologuée par la Commission Technique d'Homologation (CTH) au niveau I (3ème cycle), sous l'intitulé « Diplôme d'études supérieures de management pour l'ingénieur ». Elle fut ensuite homologuée sous l'intitulé « Management pour l'ingénieur » en 2003, puis « Manager d'entreprise » en 2005 à la suite d'une demande de changement d'intitulé. Elle a bénéficié d'un renouvellement de son enregistrement au RNCP14 en 2007. Parallèlement avec le titre RNCP niveau I Manager d'entreprise, cette formation délivre également le diplôme, le plus reconnu internationalement en matière de management - le MBA.

Dans ce contexte, la plupart des « étudiants » du CNAM sont des professionnels parmi lesquels on retrouve de nombreux ingénieurs, scientifiques ou spécialistes des domaines différents, ayant en moyenne 10 ans d'expérience professionnelle.

Concernant les données et compte tenu de la question de recherche, nous avons fait la collecte de récits et de verbatim des personnes interviewées et observées. Ces données sont des enregistrements audio d'entretiens ou des notes d'entretiens en milieu naturel ou des notes d'auto-explicitation du chercheur. Elles sont donc des données difficilement quantifiables et catégorisable. Cependant, afin de faire l'analyse des données, nous considérons la « situation-source » comme une unité d'analyse en utilisant le schéma proposé par Pierre Vermersch sur les informations satellites de l'action (1994). Selon Vermersch,

14 Le Répertoire National des Certifications Professionnelles

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l'action se situe, en effet dans un ordre chronologique, dans un contexte donné et comporte des jugements, des opinions et des commentaires (Figure 4)

 

CONTEXTE

ENVIRONNEMENT

 
 
 
 
 
 

DECLARATIF
SAVOIR

PROCEDURAL ACTION

INTENTIONEL BUT

JUGEMENTS
COMMENTAIRES

Figure 4 : Les informations satellites de l'action (Vermersch, 1994)

Grâce à sa logique, nous assumons que dans chaque « situation-source » l'ensemble des informations ne concernent pas uniquement l'action (l'apprentissage) mais s'attachent également à des informations gravitant autour de l'action. Il s'agit des informations concernant le contexte dans lequel s'est déroulé l'apprentissage, le jugement porté par l'individu vis-à-vis de son apprentissage, les intentions poursuivies et, finalement, les connaissances et savoirs sur lesquels l'individu s'est basé pour agir.

4.3 Les techniques pour le recueil de données sur l'action

Selon Daniel Schugurensky « [...] certaines personnes peuvent ne pas être conscientes d'avoir appris quelque chose au cours d'une expérience particulière jusqu'à ce qu'elles en parlent avec une autre personne (par exemple un chercheur) qui leur pose des questions visant à permettre une prise de conscience rétrospective. » (Schugurensky, 2007, p. 16)

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En suivant l'idée de Schugurensky, nous avons décidé de choisir une technique d'entretien nous permettant non seulement d'échanger avec les dirigeants mais aussi de collecter un large panel des « situations-sources » choisies spontanément par la personne elle-même pour illustrer ses arguments. L'objectivité de notre enquête s'appuie principalement sur le choix spontané de « situation-source » de la personne.

Pourtant, la difficulté opérationnelle de cette recherche réside dans le fait que les « situations-sources » sont souvent des souvenirs de la vie privée et le chercheur doit avoir toute la confiance de la personne interviewée, pour accéder à ses souvenirs d'enfance. Beaucoup d'entre eux n'ont pas pris conscience du lien entre certaines situations du milieu familial, qui se sont passées entre les membres de famille ou entre les amis... et leur attitude au travail. De telles situations ne sont pas faciles, voire impossibles à observer. C'est pourquoi nous avons choisi la technique de l'entretien d'explicitation15 puis, l'entretien de décryptage16, pour évoquer les souvenirs de la personne sur les « situations-sources », d'où la personne a puisé ses « leçons ».

Par ailleurs, les aptitudes que les dirigeants acquièrent au travail ou dans la vie quotidienne ne sont pas faciles à décrire avec des mots. L'entretien d'explicitation est la technique, concentrant sur l'action, utilisée pour aider la personne à prendre conscience de sa façon de travailler ou bien, de qui ou de ce qui influence sa façon de faire les choses. Cette technique s'est avérée également efficace en aidant la personne à verbaliser les étapes par lesquelles elle a appris à adopter une attitude donnée.

D'autre part, les éléments implicites comme les sentiments, les sens, les valeurs et les convictions de la personne lorsqu'elle exerce sa fonction de dirigeant sont très souvent cachés derrière des mots, des gestes répétitifs ou des images spécifiques. Donc l'entretien de

15 Inventé et mis au point par P. Vermersch (GREX, CNRS), l'entretien d'explicitation est un entretien qui vise une description aussi fine que possible d'une activité passée, réalisée par une personne en situation de pratique professionnelle ou engagée dans la réalisation d'une tâche. (Source: http://www.grex2.com/)

16 Elaborée par N. Faingold (GREX) une méthodologie de recueil des verbalisations visant l'accès au sens subjectif de moments du vécu. Les entretiens de décryptage permettent ainsi, par un accompagnement spécifique de l'évocation d'un souvenir, d'aider à la prise de conscience et à la mise en mots des enjeux identitaires de points clés du parcours de vie (Faingold, 2011)

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décryptage est utilisé pour aider l'interviewé à se focaliser sur un moment précis et à verbaliser ce qui s'est passé en lui à un moment et à « mettre en évidence des analogies structurelles entre les moments choisis, identifiables par des récurrences de mots, de thèmes, et [...] de gestes » de la personne. (Faingold, 2011, p. 24)

Pour la mise en place d'une relation de confiance

Explication de l'objectif de la recherche, demande d'autorisation d'enregistrer en audio la conversation. Prise de notes évitée pendant l'entretien pour se concentrer sur les mots, les gestes et l'état d'évocation de la personne. (La prise de notes peut être faite dès que possible après l'entretien.)

Pour l'entretien

Etape 1 : Demander à la personne de raconter une situation professionnelle récente, dans

laquelle elle a dû diriger un groupe. Demander à la personne de choisir un moment précis durant lequel elle a réussit une tâche dans son rôle de dirigeant.17

Objectif : Explorer l'expérience de la personne, recueillir le maximum d'informations sur les attitudes qu'elle adopte lorsqu'elle dirige une ou plusieurs personnes dans une situation choisie comme signifiante. Lui faire expliciter les sentiments qu'elle a dans cette situation.

Etape 2 : Demander à la personne de retrouver une autre situation dans le passé, au cours de laquelle, pour la première fois, ces sentiments lui sont venus à l'esprit.

Objectif : Accompagner l'interviewé à remonter dans le passé pour aller plus loin vers d'autres « situations-sources » de ces sentiments

Etape 3 : Demander à la personne de revenir à la « situation-source » la plus représentative de son identité de dirigeant, en privilégiant l'arrêt sur un geste, un mot ou une image.

Objectif : Approfondir la remémoration de la personne sur la « situation-source ». Explorer l'existence d'une interaction entre la personne et son environnement à travers des éléments significatifs

Etape 4 : Demander à la personne d'imaginer comment réagirait-elle face à une situation similaire ?

Objectif : Mettre en évidence des analogies et des liens entre différentes « situations-sources » potentielles

Tableau III : Le guide d'entretien d'explicitation et de décryptage

17 Selon Vermersch, la technique de l'entretien d'explicitation cherche à documenter précisément ce que fait réellement le sujet dans l'exécution d'une tâche. (2007)

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Afin de faciliter l'utilisation effective de ces techniques, nous avons élaboré un guide d'entretien après avoir effectué plusieurs ajustements des consignes (table III). Au lieu d'utiliser un questionnaire rigide, nous avons opté pour un guide d'entretien simple, qui nous permette de centrer l'entretien autour de thèmes que nous avons définis, tout en laissant une large marge de manoeuvre à la personne interrogée pour qu'elle puisse s'exprimer le plus naturellement possible.

En dehors de cela, les limites principales de ces techniques tiennent au fait qu'elles nécessitent beaucoup de temps pour créer l'ambiance appropriée avant que la personne interrogée puisse aller à l'essentiel et que la qualité de données recueillies dépend étroitement de la relation de confiance entre l'intervieweur et l'interviewé. C'est la raison pour laquelle, le guide d'entretien a été construit en deux parties dont la première comprend la mise en place d'une relation de confiance sans laquelle l'entretien ne pourrait pas être poursuivi ; la deuxième partie comprend les démarches importantes correspondant à chaque étape d'avancement de l'entretien. Ces étapes servent de points de repère pour aider l'intervieweur à conduire l'entretien vers le but en respectant le délai prévu.

4.4 Entretien d'auto-confrontation18 et analyse de l'activité d'apprentissage

Bien que l'entretien d'explicitation et l'entretien de décryptage permettent au chercheur de se concentrer au maximum sur la collecte d'informations concernant l'aspect procédural de l'expérience vécue - l'action (Figure 4), nous pensons qu'ils ne sont pas suffisants pour nous aider à examiner les autres aspects de la « situation-source » afin de trouver une réponse plus complète à notre question : dans quelles conditions une situation de vie peut-elle devenir un fragment de vie signifiante pour l'apprentissage du leadership ?

18 La méthode peut être définie comme un type d'entretien de recherche. Elle consiste à présenter aux personnes observées les traces les plus nombreuses possibles de leur comportement et à leur demander de les commenter (Thereau, 1992)

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Toujours selon Schugurensky (2007, p.18), « [...] une question ouverte sur les connaissances tacites et les apprentissages informels en tant que tels n'avait aucune chance de déboucher sur une conversation riche sur ce sujet. » C'est la raison pour laquelle nous avons besoin de trouver un autre moyen d'explorer plus en profondeur les « situations-sources » et tout ce qui se passe autour de l'action dans chaque « situation-source » évoquée.

Ici, nous nous sommes intéressées par une autre technique - l'auto-confrontation qui doit nous permettre de recueillir plus d'informations sur divers éléments de la « situation-source » vécue ainsi que de collecter les commentaires de la personne interrogée. En outre, nous pensons que cette technique peut également nous permettre de vérifier nos interprétations de données en comparant nos constats avec les commentaires formulées par la personne interrogée sur leurs propres récits ou actions. Cependant, dans le cadre concret de notre recherche, la limite principale de cette technique réside dans le fait que les « activités immatérielles » des dirigeants ne peuvent pas être filmées.

Pour relever ce défi méthodologique, nous avons essayé de nous soumettre à la même question que nous voulions poser à nos interlocuteurs. Tout en cherchant la réponse, nous nous sommes souvenus d'une situation intéressante, qui a été mentionnée par un dirigeant de notre connaissance au sujet du jour où il a dû donner un ordre sans savoir comment le donner. Selon son récit, le problème peut venir du côté des subordonnés comme le remarque Serieyx : « Plus une population est éduquée, informée, plus elle exige, avant d'obéir, éventuellement, de comprendre pourquoi on lui demande de le faire. » (2009). La difficulté peut venir aussi de la situation dans laquelle les dirigeants peuvent se trouver. « Selon les moments, les lieux et les interlocuteurs, il faut être tantôt détendu et apte à faire des concessions, ou au contraire à donner le change et à taper du poing sur la table. » (Milspelblom, 2010, p. 267).

Depuis le moment où le dirigeant a témoigné, il a dit qu'il a déjà tiré beaucoup de leçons. S'il s'agit d'une forme d'apprentissage, la question maintenant est : comment analyser cette activité d'apprentissage et ses composantes ? La difficulté la plus importante repose sur le fait que les activités managériales sont difficiles à observer ou à enregistrer en cours d'action.

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Pour cette raison, notre première idée est d'interroger les dirigeants-acteurs dans un premier temps pour ensuite analyser les éléments significatifs évoqués lors de l'entretien d'auto-confrontation de l'acteur à ses propres récits. Ici, nous empruntons l'hypothèse «représentative » qui « considère l'activité cognitive, les stratégies et les habiletés déployées par des professionnels pour faire le métier en s'informant et se formant, en argumentant leur pratique et en agissant dans l'espace de la profession. » (Morandi, 2005, p. 36)

La deuxième idée vient du fait que, pour les dirigeants, les activités réflexives sont souvent associées avec les événements de parole et orientées vers les interactions interpersonnelles. Mispelblom a constaté que : « Si encadrer est travailler, alors l'essentiel du travail porte sur les mots. Et dans cette dimension de la parole, se produisent des événements, se constituent des enjeux, se jouent des luttes : des positions établies sont bousculées, les évidences en cours sont mises en cause, des changements d'orientations se produisent.» (ibid. p. 237). Lors des conversations des dirigeants avec les autres interlocuteurs, nous pouvons identifier des éléments qui se déroulent avant, pendant et après l'événement. Ce lien nous a donné l'idée de pénétrer dans cet univers réflexif selon les trois étapes suivantes :

a) Définir un événement de parole net et représentatif pour aider l'interviewé à verbaliser son activité sans l'orienter

b) Faire une analyse de l'activité basée sur les éléments significatifs extraits du récit, c'est-à-dire les éléments qui font « signe » pour l'acteur à l'aide d'un entretien d'auto-confrontation

c) Faire une analyse sur les processus de transformation et de production des connaissances de l'acteur

4.5 Le rôle du chercheur

Depuis 2003, après avoir été diplômée d'un MBA, l'auteur de ce Mémoire travaille en tant qu'organisatrice - dirigeante de la formation « MBA - Manager d'entreprise du Cnam » où on peut rencontrer un public très varié en termes d'origines géographiques, de backgrounds académiques, de parcours professionnels et d'âges. Les participants de cette formation peuvent être ingénieurs, informaticiens, chercheurs scientifiques, juristes, consultants, cadres,

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responsables de projets, directeurs de PME19 etc. Certains occupent déjà le poste de dirigeant depuis une dizaine d'années. Très souvent, nous nous sommes demandé : que cherchent-ils encore à apprendre dans cette formation ? De plus, puisque l'investissement pour la formation de type MBA est toujours très élevé (le frais de scolarité s'élève à 30 000 euros en moyenne), cela donne l'impression que la préoccupation prioritaire des participants concerne uniquement les « gains financiers » ou le « retour sur l'investissement », malgré leur volonté très forte de transformer leur « façon de penser » (« way of thinking »).

Dans ce contexte, nous croyons qu'il est aussi important de présenter ici les difficultés que nous avons rencontrées tout en menant la recherche sur le même terrain de notre travail opérationnel. D'une part, nous devons garder à l'esprit que, contrairement à un acteur sur le terrain, notre nouveau rôle de chercheur ne consiste ni à trouver une solution, ni à intervenir dans l'action, mais plutôt à observer et à aider les dirigeants à expliciter leurs sentiments et leurs pensées. D'autre part, afin de suivre de près toutes les étapes de leurs opérations et de vérifier notre hypothèse nous devons utiliser le raisonnement d'un acteur ou même la technique de l'observation participante (observer en participant aux activités des dirigeants sans être soumis au centre de l'action) pour pénétrer dans l'univers personnel de la personne que nous étudions.

19 La catégorie des petites et moyennes entreprises (PME) est constituée des entreprises qui occupent moins de 250 personnes et qui ont un chiffre d'affaires annuel inférieur à 50 millions d'euros ou un total de bilan n'excédant pas 43 millions d'euros.

(Source : http://www.insee.fr/fr/methodes/default.asp?page=definitions/petite-moyenne-entreprise.htm)

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CHAPITRE 5: LE DEROULEMENT DES ENTRETIENS ET
LES DISCUSSIONS SUR LES CONSTATS

Dans ce chapitre, nous allons présenter les différentes étapes de la réalisation de notre enquête sur le terrain, les constats, ainsi que les discussions sur les constats. Tous ces éléments influent les uns sur les autres. La réalisation concrète de l'enquête, les limites de notre méthode de recherche ainsi que les difficultés que nous avons rencontrées qui peuvent nous amener à formuler de nouvelles hypothèses pour nos prochains travaux de recherche.

5.1 Le déroulement des entretiens

Notre intention était de faire des entretiens avec les dirigeants mais sans trop altérer leurs manières d'exprimer avec le vocabulaire spécifique à la gestion ou à la littérature managériale. Nous ne voulions pas nous limiter aux généralités, mais au contraire, nous voulions découvrir des situations originales et des moments uniques qui font « signes » dans la vie quotidienne de chaque individu. Nous voulions entendre autre chose que les propos habituels formulés par un groupe de dirigeants dans une salle de cours, en réponse à des questions prescrites. Nous voulions, autant que possible, éviter que ceux-ci ne préparent leurs réponses, leurs discours, ce qui en aurait diminué la spontanéité et aurait risqué de modifier leurs propos s'ils en avaient discuté entre eux. Pour ce faire, nous avons abordé les interviewés potentiels en évoquant notre participation au programme Master de recherche européen en formation des adultes en leur donnant pour seul repère la référence à un travail de fin d'études dont le sujet concerne les situations significatives et les éléments spécifiques dans la vie quotidienne des dirigeants. Le retour général a été très encourageant. Beaucoup de personnes ont exprimé leur volonté de participer à notre enquête. Ensuite nous avons écrit, le 22 mars 2012, à l'ensemble des participants du MBA du CNAM - promotion 2011-2012, afin de leur demander de nous rencontrer individuellement après leurs cours pour une discussion informelle entre collègues sur le développement des `compétences-molles' (soft-skills). Après

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avoir répondu à quelques demandes de clarification sur le thème de la discussion auxquelles nous avons répondu, nous avons reçu rapidement 100% de réponses positives.

L'étape suivante a consisté à négocier avec chaque personne quels seraient le lieu, la date et la durée de cet entretien. Nous ne fixions pas le lieu pour nos entretiens, mais la plupart des individus ont accepté de nous rencontrer à notre bureau hors temps de travail. Pour les entretiens, qui sont effectués à l'extérieur de l'institution dans un lieu public, où il est parfois difficile d'enregistrer, nous devions compter sur nos notes ainsi que sur la technique de l'auto-explicitation20 (Vermersch, 2007) sur le moment de l' l'entretien.

Nous avons essayé de réaliser les entretiens dans un climat de grande liberté avec un maximum de flexibilité, tout en respectant le temps annoncé et en suivant le guide d'entretien. Pourtant, au cours des premiers entretiens, nous étions très inquiète parce que de nouvelles questions se posaient, les différentes techniques d'entretien se mélangeaient, nous conduisant ainsi hors du schéma prévu. Cependant, à partir du quatrième entretien, nous nous sommes familiarisés avec les différentes techniques de l'entretien, ce qui nous a permis de les combiner en fonction de la situation ou de l'activité évoquée. Ainsi tout fonctionnait avec de plus en plus de fluidité. Il faut noter également qu'au début de chaque entretien, nous rappelions le cadre de cette recherche et nous assurions les personnes interrogées d'une totale confidentialité. Ainsi les participants, au moment de l'entretien, étaient certains que leurs propos étaient destinés à un usage de retranscription avant d'être intégralement effacés.

Afin de permettre aux personnes interrogées d'expliciter clairement leurs activités, après de nombreux essais, nous avons décidé de choisir les mots « donner des ordres » pour décrire l'activité cible de l'analyse. Pour démarrer un entretien, la question utilisée le plus souvent était : « Tu te souviens encore d'une situation professionnelle précise, dans laquelle tu avais à donner des ordres à tes subordonnés ». Ces trois mots se sont effectivement révélés être un bon déclencheur. La plupart des personnes interrogées ont tenté de citer toutes leurs activités

20 L'auto-explicitation est une introspection auto guidée permettant le chercheur de prend sa propre expérience comme objet de description (Vermersch, 2007)

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sauf « donner des ordres » pour justifier le fait qu'ils « n'aiment pas donner des ordres » et qu'ils « ne donnent pas d'ordres » et que « ces mot sont trop forts »21.

5.2 Les entretiens22 effectués et les constats

Avant d'aller dans les détails de ce qui s'est passé au cours de nos entretiens, nous voudrions d'abord exprimer quelques remarques générales tirées de l'ensemble de cette enquête. Premièrement, sur la base d'un échantillonnage volontaire, le contrat de confiance a été facilement mis en place. Deuxièmement, les scènes de la vie quotidienne, en dehors des salles de cours sont présentes de façon très spontanée dans tous les entretiens. Des notions abstraites et intangibles telles que le sens des responsabilités, les relations humaines, le respect de soi-même ou envers les autres et l'audace de faire les choses sont également très présentes dans les paroles des dirigeants. Ces notions sont souvent exprimées à travers les métaphores, les anecdotes, ou les images, ou bien associées avec un geste, un objet, ou même un mot. Enfin, parmi les dirigeants interrogés beaucoup ont exprimé leurs souvenirs de l'enfance, de la jeunesse, provoquant des émotions fortes lorsqu'ils se sont mis dans l'état d'évocation. A ce stade, il convient de les reprendre successivement afin de mesurer leur impact sur les questions que nous avons soulevées dans notre recherche. Comme le but de nos entretiens est d'aider la personne interrogée de retrouver des moments précis à expliciter ou des situations particulières à commenter, nous allons présenter les entretiens effectués sous deux perspectives : la première se focalise sur les extraits importants de l'entretien illustrant la scène où les éléments significatifs ont été évoqués par la personne interviewée ; la seconde se concentre sur les constats ainsi que sur les interprétations des données par l'intervieweur.

21 Extraits de l'entretien N° 06-E

22 Explication des signes:

Tout ce qui se trouve entre guillemets et en italique rapporte les propos des individus interviewés.

.... : silences dans le récit

[...] : partie omise

[texte] : notes de l'intervieweur

A, B : indicateur pour les personnes interrogées

01, 02 : numéro de l'entretien

a, b : indicateur pour les extraits différents du même entretien

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Dans le premier entretien, la personne interrogée est une dirigeante de terrain, directrice d'un hôtel. En répondant à notre demande de retrouver un moment précis où elle exerce son rôle du dirigeant, elle a évoqué la notion de responsabilité, mais à travers ce terme de responsabilité, elle a aussi parlé de la prise de conscience du lien entre sa nouvelle responsabilité et ses compétences:

« J'étais serveuse, mais le chef a vu que je parlais anglais et que j'étais polyvalente, il m'a donné plus de responsabilité, donc j'ai commencé à diriger une femme de chambre et un cuisinier. » (01-A-a: l'extrait du récit de la personne « A » sur la situation « a », lors de l'entretien 01)

L'interlocutrice a commencé le récit par une longue phrase, contenant beaucoup d'informations satellites à l'action. Grâce au schéma de Vermersch (Figure 4), nous avons identifié les informations telles que : l'aspect déclaratif (j'étais serveuse) les commentaires (mais le chef a vu que...), ainsi que l'action (j'ai commencé à diriger...). Ensuite, lorsque la personne a été interrogée à propos de la difficulté rencontrée dans l'exercice de sa nouvelle fonction en tant que dirigeante, elle a évoqué la relation humaine entre elle et sa subordonnée, qui est aussi son ancienne collègue et expliqué comment elle a reconstruit la relation humaine dans ce cas. L'explication ci-dessous nous a donné de nombreuses informations à la fois sur le raisonnement ainsi que sur l'intention de la personne.

« Je faisais la chambre avec elle et je lui montrais comment il fallait faire. Je ne disais pas « fais ci, fais ça, ça. [...] J'étais comme elle,... » (01-A-b)

[En suite, sans aucune relance de la part du chercheur] « Je sais faire des choses, depuis très longtemps. Tu sais, j'ai quitté très tôt ma famille, à 16 ans. Ma famille est très modeste. On a eu plein de soucis, de problèmes. Mes parents ne parlent pas français. Donc je les connaissais... les soucis, dès l'enfance... ». (01-A-c)

Le brusque changement de thème (même si la personne a commencé son discours en parlant d'une situation liée à son travail, mais tout en cherchant réponse à notre question sur l'apprentissage du leadership, elle a soudainement tourné vers une autre situation liée à son enfance et à sa famille) a montré que la pensée de la personne au sujet de l'apprentissage du leadership se déplace indépendamment du temps, de l'ordre chronologique ainsi que des autres aspects procéduraux de l'action. En revanche, la seule chose qui peut servir de lien

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entre ces thèmes dans sa pensée est le savoir-faire que la personne a pensé avoir acquis dès l'enfance. Sa pensée semblait être dirigée vers les situations, où le « sentiment d'apprendre » a émergé.

Un des premiers constats intéressants pour le chercheur a été l'évocation spontanée d'éléments significatifs de la part de personne interrogée. Par exemple, en répondant à la question du chercheur : « Comment es-tu arrivée à comprendre les soucis de ta famille si jeune ? », la personne interrogée, avec le regard comme accroché à un point éloigné, a répondu :

« ... Des lettres. [l'image des lettres est venue brutalement à son esprit.]. Comme mes parents ne parlaient pas français, c'était moi et ma soeur, plutôt moi, qui lisaient les lettres et les traduisaient pour eux. J'avais 12 ans ». [sa voix est devenue plus grave] (01-A-d)

Notre intérêt ici se porte d'abord sur l'évocation du lien entre l'âge et le souvenir de l'interlocutrice à propos de sa compréhension enfantine des « soucis ». À l'âge de 12 ans, l'interviewée commence à comprendre ce que signifient les « soucis » à travers l'image des « lettres », qui revient dans l'extrait de l'entretien N° 02-A ci-dessous.

Il est important de noter aussi la façon dont l'image claire du père apparaissait à côté de l'image floue de la mère. Cette scène classique a illustré la pensée de notre interlocutrice à propos d'un « leadership masculin » en contraste avec ses compétences par rapport aux compétences des autres membres féminines de sa famille :

« Tout ce qui est argent, banque, c'est mon père. [...] ...Hum... J'ai un père très nerveux. [...] Je me souviens parce que mon père, une fois, n'était pas content. Il a cru que j'avais mal fait mon travail. Que je n'avais pas bien expliqué. Il ne comprenait pas très bien. Il ne pouvait pas s'exprimer mais, mais il était très exigeant. Ma mère, elle ne parlait pas.» (01-A-e)

Une heure après le premier entretien, pour reprendre la conversation sur ce qui s'est passé dans son enfance, nous avions décidé d'essayer une autre technique d'entretien, l'entretien de décryptage pour décrypter le sens de l'image des lettres pour cette personne.

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« J'ai appris déjà...hum... trop vite, tous les soucis d'adulte. Les soucis qu'on a maintenant, quand on est adulte. 1...] J'ai appris très vite le problème de l'argent, les problèmes de la vie...et les systèmes aussi. Les systèmes administratifs. 1...] Ce que j'ai appris sur l'administration. Je me disais plus tard quand je serai plus grande, je vais faire bien les choses, au bon moment, pour que tout passe... Si tu oublies quelque chose..., car t'es obligée...tu perds beaucoup de temps avant de revenir dans l'ordre. C'est pourquoi maintenant, je suis très carrée là dessus. » (02-A)

Comme indiqué précédemment, le retour de l'image de « lettres » nous a montré comment un élément qui pourrait sembler sans importance, a pu être gravé dans la mémoire d'un enfant et le rapport entre celui-ci et l'acquisition de certaine aptitude de la personne quand elle est arrivée à l'âge adulte :

« Moi maintenant, quand je reçois des lettres. Je fais en sorte de faire attention à ce que tout soit en ordre, car cela peut créer des problèmes graves après. 1...] Quand je vois la tête de Marianne [la figure sur l'enveloppe de la lettre administrative], 1...] j'ai appris de décrypter tout de suite ce qu'écrit la lettre. L'objet, de quoi ça parle. En deux secondes, si je la prends ou ... poubelle. » (02-A) (l'aspect déclaratif)

Notre interprétation est que le motif sous-jacent, poussant la personne à acquérir cette attitude, est lié directement à plusieurs pressions dont la pression des autorités et la pression familiale.

« Je devais [faire les choses de cette manière], parce que j'avais une pression, 1...]. Il faut que ça soit fait. Tu comprends ce que je veux dire...car quand il y a une lettre ...je veux la réponse.» (02-A) (L'aspect intentionnel)

Dans le troisième entretien, nous avons commencé l'interrogation par une demande simple à notre interlocuteur - un ingénieur diplômé d'une Grande Ecole dans les années 70 - de partager avec nous ses expériences signifiantes dans sa vie personnelle et professionnelle. Cependant, comme la personne connaissait pas déjà l'objet de notre recherche, il nous a cité tout de suite la scène où il avait échoué à « donner un ordre » à son fils de 4 ans, de ne pas s'approcher du feu et comment il avait eu peur ... Cette « leçon de l'accident » (03-B-a) l'a aidé à conclure un principe fondamental, qu'il a ensuite appliqué, testé dans d'autres

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situations. Selon lui, « si tu veux « lead » (diriger) les autres, il faut être devant ». Afin d'expliquer comment il est arrivé à cette conclusion, notre interlocuteur a évoqué une autre scène liée à sa présence dans l'armée :

« Tu sais pourquoi ?... J'étais dans l'armée. [...] Je me rappelle d'un capitaine. Un officier très calme. [...]Il doit emmener cent personnes traverser une grande montagne. [...] Le temps est mauvais, tout le monde n'a pas dormi. Les gens sont épuisés. [...] Il a fait traverser la montagne à tous avec une corde. [...] Il a aidé les soldats un par un. Après ça, s'il demande n'importe quoi, tout le monde s'exécute avec un énorme respect. Il est devant dans le temps, dans la performance... Le leader, ce n'est pas de pousser les autres mais de tirer. » (03-B-b)

Le fait que la notion du respect soit apparue en faisant le lien entre l'échec d'un jeune papa (N°03-B-a) et la réussite d'un officier (N°03-B-b), montre le fil des pensées23 de la personne et le cheminement de son raisonnement dans les autres expériences similaires. Il a illustré tout ça par la scène suivante, toujours quand il était dans l'armée :

« Dans une des situations, où il faut sauter au dessus des flammes...Tout le monde était terrorisé. J'avais très peur, moi aussi, mais je me disais qu'il faut que j'y aille, parce que pour être suivi, il faut être devant. » (03-B-c)

Son raisonnement ne se limite pas à l'idée que le leader doit montrer l'exemple, mais aussi doit oser traverser les épreuves de la vie, afin de permettre à soi-même de prendre des risques et de se donner les moyens d'évoluer. Nous avons reconnu également que ses pensées ne se limitent pas qu'à des remarques isolées, mais elles sont développées ou transformées en généralisations sous forme d'une « leçon ».

« ...à un moment donné on a une opportunité. Il n'y a pas des opportunités comme ça tous les jours. Il y en a moins de 10 fois dans la vie. Il faut garder la fraicheur pour accepter ces opportunités pour pourvoir se dire : Tiens, on peut faire quelque chose...» (03-B)

23 Le fil de pensée ou une chaîne de pensée se réfère à l'interconnexion dans l'ordre des idées exprimées lors d'un discours connecté ou la pensée, ainsi que la séquence elle-même, en particulier dans la discussion comment cette séquence conduit d'une idée à une autre. (Source : l'auteur adapté de Léviathan (Hobbes, Martinich & Battiste (ed)., 2011, p. 584))

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Le quatrième entretien a été fait avec une dirigeante dans le domaine de la formation professionnelle. La personne interrogée a évoqué le même élément du respect mais d'une façon complètement différente et dans des relations beaucoup plus complexes. Au début de l'entretien, le déclencheur « donner des ordres » ne semblait pas marcher, donc nous devions trouver tout de suite un autre déclencheur, car étant formatrice et référent d'un groupe d'élèves professionnels elle n'a jamais dirigé les subordonnés. Elle dirige uniquement ses étudiants - les futurs professionnels.

« Je suis formatrice, [...], donc je suis référent d'une promotion d'étudiants. [...] Pour moi, le premier [principe] que je veux qu'il soit respecté c'est le respect. C'est le respect du fonctionnement, des règles de l'équipe pédagogique, de moi en tant que référent de la promotion et le respect entre eux. » [La personne répète souvent les phrases, les mots importants avec une intonation très expressive]. (04-C)

Dès le début, la présence de l'image des élèves a déjà été très signifiante pour elle. Pour parler du respect, la première « situation-source » qu'elle a choisie, concernait sa première expérience en tant que responsable de la promotion avec un élève.

« Eh bah, il y en a un, très précisément... c'est un étudiant qui est un petit peu marginal...non ... plutôt original » [La personne fait attention aux choix des mots]. (04-C)

La « situation-source » dont elle a parlé était la scène quand notre interlocutrice a convoqué l'élève pour discuter son résultat et lui demandé d'attendre devant son bureau. La scène critique était l'acte de parole entre notre formatrice et l'élève (N°04-C-a). Le début de son récit contenait plusieurs informations sur le contexte. Alors que dans les parties suivantes du discours, son récit n'était pas seulement riche en verbes mais aussi en adjectifs forts et soigneusement sélectionnés. Cela montre que la personne est consciente de son style du leadership autoritaire.

« Je lui ai dit qu'il n'avait pas le choix et donc qu'il attendrait le temps nécessaire. » (Le déclaratif)

« Je ne suis pas en colère ... non, pas en colère mais très ferme. Je pense que j'ai un visage fermé quand même. » (Le jugement)

« J'étais, mais alors, extrêmement virulente ». (Le jugement)

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« Donc, mon intention était de le déstabiliser, pour qu'il comprenne que c'était vraiment mal, ce qu'il avait fait, [...] de la manière qu'il avait réagi, même s'il avait peur, tant pis. » (L'intentionnel)

« Tout ca [les excuses de l'élève], je l`ai stoppé mais... net. » (L'action)

En effet, à cet instant, nous avons voulu savoir si le style autoritaire, qu'elle avait délibérément choisi était destiné à s'adapter à une situation particulière ou non. Pourtant, comme notre principe est de ne pas imposer notre opinion sur la personne interrogée, nous avons décidé de laisser assez de temps afin que la personne puisse poursuivre sa logique. Il s'agit d'une bonne décision, car avant que nous intervenions, la personne a déjà poursuivi d'elle-même avec l'image d'un autre élève.

« Pourquoi je t'ai dis ça, parce que je suis en train de penser qu'il y a deux jours, non, c'était hier. Il y a un étudiant, qui a eu son diplôme... en juin de cette année... là [elle tape sur la table]. Ce n'est même pas un an qu'il a eu son diplôme, qu'il s'est déjà fait virer. » (04C-b)

Encore une fois, derrière l'image de ses étudiants, la personne nous a montré le fil de ses pensées, le lien entre le respect et la responsabilité. Comme le fil de pensées de la personne interrogée est un élément très important pour notre analyse, notre approche a toujours été d'aller pas à pas dans le passé, d'accompagner la personne pour remonter dans le temps, une expérience après l'autre, tout en gardant le thème évoqué au début de l'entretien. Dans cet entretien, en faisant cela, nous avons pu voir comment le respect est lié à la responsabilité et puis au résultat du travail.

« Ma responsabilité a été engagée de former des professionnels. Je ne peux pas laisser passer les gens comme ça, qui peuvent être potentiellement dangereux sur le terrain... Mais, derrière, c'est l'humain, c'est des enfants, des personnes âgés, une maman, un papa... » (04C)

Nous avons également vu comment le recours au style autoritaire a d'abord été réalisé dans une situation précise (04-C-a) et puis « validé » à une autre occasion (04-C-b) jusqu'à devenir un élément à part entière de son attitude (04-C-c).

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« Eh voilà, [...] cette année, il y a trois étudiantes [...] Je ne les ai pas laissé passer l'examen. Elles ne regrettent pas d'avoir redoublé. [...] Là, j'ai bien confiance en elles [...] et la relation est tout à fait honorable... ». (04-C-c)

En remontant le temps avec la personne, nous étions presque convaincus que son style autoritaire avait été acquis exclusivement pendant le travail, or, la personne nous a montré qu'il ne fallait pas tirer des constats trop rapides.

« Ça [le principe du respect], c'est pendant le travail, c'est sûr. Je pense que le reste était induit par la culture professionnelle, dans le travail des équipes... ... ou alors ... dès l'enfance... [la voix est ralentie, le regard est fixe]. Oui, certainement ma maman nous a toujours élevés dans le respect de l'autre hein... oui, oui » (04-C)

Nous avons remarqué l'hésitation lorsque la personne cherchait l'origine de son principe du respect. Le mouvement dans la pensée de la personne commençait à partir de l'idée que ce principe a été induit au travail et par la culture professionnelle dans une nouvelle direction que ce principe du respect a été en fait le résultat de l'influence de sa mère sur elle.

En effet, elle commençait à avoir cette attitude depuis son adolescence.

«J'avais 14 ou 12-13 ans. Et donc bah, c'était moi la deuxième référence d'autorité sur mes frères et soeurs après ma mère. J'étais son soutien [de sa mère] incontestablement...», « Je les [frères et soeurs] punissais. J'étais autoritaire. Ah oui, j'étais dure. » (04-C)

Or, à son adolescence, elle ne s'était pas rendu compte tout de suite de son autorité et de son pouvoir sur ses frères et soeurs.

« C'était implicite ..., tout s'est passé de façon tellement spontanée » (04-C)

En « fouillant » dans sa mémoire pour trouver le moment à partir duquel elle est devenue dure, autoritaire avec ses frères et soeurs, la première chose qui lui est venue à l'esprit était une scène de la vie de famille, une situation « dramatique »:

« Le jour où elle [sa mère] est partie, où elle nous a dit : faites vos valises. Oui, là, c'est le jour où j'ai pris les choses en main, avec elle. Pas avant ça, parce que les circonstances n'étaient pas les mêmes. » (04-C-d)

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Ici, en appliquant les trois catégories24 d'expérience de Peirce (1931-1935)25, nous avons trouvé que la scène 04-C-d décrite ci-dessous illustre bien la « situation-source » où la personne interrogée a ressenti son nouveau rôle en tant que le « deuxième parent » pour ses soeurs et frères. Cette scène a la caractéristique d'une expérience de la catégorie Potentielle. L'adoption du style autoritaire se caractérise par la révélation de soi au monde en comparant soi-même avec sa mère. Ensuite, dans son expérience en tant que référent d'un groupe des étudiants, la situation 04-C-a ou 04-C-b porte la caractéristique d'une expérience de la catégorie Actuelle. Enfin la situation 04-C-c quand notre interlocutrice est devenue la présidente du jury et quand elle s'est assurée que son style décisive et autoritaire résultant des généralisations de ses expériences précédentes corresponde tout à fait à son travail d'un « dirigeant ». C'est là que ce constat nous conduit à l'idée d'analyser l'activité du dirigeant avec l'aide d'un entretien d'auto confrontation sur son propre récit d'expérience. Nous allons décrire cette tentative « peu canonique » plus en détail à travers un autre entretien plus loin ci-dessous (05-D).

C'est seulement à la fin de l'entretien, que la personne a évoqué plusieurs mots, phrases, images de différentes personnes de son entourage proche: « ma petite soeur, qui l'a dit : «stop, tu n'es pas mon père, ni ma mère», mes filles, qui m'ont appris de voir les choses à "moitie plein au lieu de à moitie vide» ». Les réactions de ses filles quand elles ont dit : « tu pourrais me dire "c'est bien" plutôt que me dire "je pourrais faire mieux" ou « Tu me n'écoutes pas. Tiens, je reviendrai quand tu m'écouteras » sont transformée en ses

24 Selon Peirce, trois catégories sont nécessaires et suffisantes pour rendre compte de toute l'expérience humaine. Ces catégories correspondent aux nombres : premier, second, troisième. Elles sont désignées comme « priméité » (potentielle), « secondéité » (actuelle), « tiercéité » (virtuelle).

La priméité est la catégorie d'expérience d'un acteur tel qu'il est. La priméité se rattache au mode potentiel dans la mesure où elle constitue pour l'acteur une ouverture liée à ses expériences passées - de possibles non actualisés dans l'expérience présente.

La secondéité est la catégorie d'expérience d'un acteur lors de la concrétisation d'un fait. Elle traduit l'expérience pour l'acteur d'une interaction particulière avec son monde. La secondéité se rattache au mode actuel dans la mesure où elle est l'actualisation concrète d'un ou plusieurs possibles pour l'acteur.

La tiercéité est la catégorie d'expérience d'un acteur donnant lieu à l'élaboration de raisonnements, à la généralisation. Elle est le mode de la construction de connaissances. La tiercéité permet la typicalisation de son rapport au monde à partir des expériences passées et présentes. Elle se rattache au mode virtuel dans la mesure où elle produit et/ou modifie les connaissances de l'acteur selon un mode dégagé des contingences.

25 Publication des volumes I à VI des Collected Papers de Peirce dans les « Harvard University Press » entre 1931 et 1935

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expériences « Virtuelles », résultant de ses généralisations produites à partir des expériences précédentes. (04-C).

Enfin, elle a évoqué les deux images de deux différentes personnes : son ancienne patronne et sa supérieure actuelle, qui ont influencé son attitude et son principe. Concernant son ancienne patronne :

« Il y a une personne, c'est mon ancien chef. C'est comme je lui dois toute ma carrière. Des chefs comme ça il n'y en a pas beaucoup. C'est la seule personne en tant que chef, qui a réussit à me manager comme j'aime.» (04-C)

Quant à sa nouvelle supérieure, son image représente un contre-exemple pour notre interlocutrice.

« Toutes ses phrases commencent par un "Non, mais". Elle te dévalorise tout le temps. Ma première chef, elle n'a jamais fait cela. Jamais. » (04-C)

Nous pensons que la tendance à comparer une personne à une autre et de garder dans sa mémoire, côte à côte, l'exemple et l'anti-exemple ; mérite d'être analysée plus profondément dans les prochaines recherches sur l'activité des dirigeants.

Comme nous l'avons exprimé précédemment, notre ambition est, à travers des récits d'expérience des dirigeants, de mettre en évidence le lien entre leur « sentiment d'apprendre » et les modifications de leurs connaissances, compétences et attitudes. Nous voulons également nous appuyer sur les trois catégories d'expérience de Peirce pour décrire ce phénomène. L'entretien (N°05-D) suivant a donc pour but d'illustrer cette tentative.

L'acteur dans cette analyse est un dirigeant hongkongais, d'environ trente-cinq ans. La raison du choix de cette personne est qu'il a un profil assez atypique par rapport aux autres étudiants MBA en général. En termes de profil académique, son diplôme n'est pas dans le domaine de l'économie ou du commerce. De plus, il a un diplôme d'un niveau inférieur au niveau général26 pour la formation MBA. En termes d'expérience professionnelle, il a travaillé pendant environ dix ans avant d'entrer dans la formation MBA. Sa dernière

26 La plupart des MBA exige un niveau « Bachelor » ou Licence à l'entrée

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expérience avant le MBA se déroulait dans le service de vente d'une grande firme dans le domaine des vêtements en cashmere. En contraste avec les remarques que « les étudiants en M.B.A. sont des individus actifs, compétitifs et agressifs qui aiment exercer de l'influence, dominer ... » (Allaire & Toulouse, 1973, p. 481), cet étudiant « est réservé, timide, observateur, parfois surprenant. Il parle rarement pendant la classe, mais il peut apporter des commentaires originaux et justes... »27

Selon le même principe que pour tous les autres entretiens effectués dans le cadre de cette recherche, l'expérience qui est présentée ci-dessous est donc choisie par l'interviewé lui-même. C'était quand il a été embauché pour la première fois pour le poste de Manager Marketing et Vente (poste « numéro deux », sous la PDG), et expatrié en Chine afin de restructurer le système de vente de la société en Chine. C'est sa première expérience en tant que cadre dirigeant supérieur (le niveau le plus élevé par rapport à ses postes précédents). De plus, c'était la première fois qu'il devait diriger des personnes issues d'une autre culture28. La « situation-source » choisie consiste à la rencontre avec ses subordonnées où il doit donner les directives (ordres).

Les paragraphes ci-dessous sont les extraits du verbatim de l'interviewé (05-D)

1. « C'était excitant et en même temps, drôle, car les employés chinois sont très polis. Ils avaient beaucoup de respect envers moi. Ils ne me traitaient pas comme un chinois. C'était vraiment excitant ».

2. « C'est aussi drôle, parce qu'ils vous respectent, mais en même temps, s'ils ne sont pas d'accord avec vous, ils peuvent vous affronter directement. J'étais choqué. Ils sont plus directs. A Hongkong ce n'est pas comme ça. Les hongkongais respectent les cadres supérieurs. Ils ne se confrontent pas directement comme ça. Je n'ai jamais osé m'opposer à mon chef directement comme eux l'ont fait. »

27 Extraits des commentaires de ses professeurs et ses collègues de classe, que nous avons pu recueillir, non pas en tant que chercheur, mais en tant qu'acteur dans le cadre de la formation.

28 Selon l'acteur, ça veut dire la culture chinoise - continentale, traditionnelle vs la culture à HK, qui a été occidentalisée

3.

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« Dès que j'ai reçu cette offre, j'ai effectué de nombreux voyages en Chine. Dans les deux premiers mois, j'ai dû voyager dans tant d'endroits, même des lieux, où je n'avais jamais imaginé d'aller. La première chose que j'ai apprise c'est la langue. J'ai appris vraiment la langue en l'utilisant, pas autrement ».

4. « En Chine, je suis nouveau, le marché est nouveau. Je dois venir avec un plan après avoir fait l'étude de marché par moi-même. Je dois restructurer et changer l'image des produits ».

5. « J'étais vraiment choqué de découvrir un chiffre d'affaires si bas en juillet. A Hong Kong tout doit être rapide. Ici je devais aller plus lentement. »

6. « Je devais faire les choses étape par étape. Je devais comprendre le fait que la culture est différente. Je devais comprendre leur façon d'abord, puis proposer ma façon, car je ne peux pas me contenter de leur imposer ma façon comme ça. »

7. « A Hong Kong j'ai beaucoup appris en travaillant avec des personnes de différents départements. Ils avaient besoin de moi pour être soutenus. En retour, ils m'ont soutenu quand j'en avais besoin. Cela m'a aidé à découvrir un peu le concept que j'allais appliquer dans mon travail en Chine. »

Pour faire une analyse locale, avec l'aide d'un entretien d'auto-confrontation sur les mots répétés, les mots qui font signes à l'interviewé, nous avons établi le tableau des unités d'activités significatives ci-dessous (Tableau IV).

Lors de la première unité, l'acteur compare ses attentes avec les « réactions » des employés locaux. Ce qui s'est passé correspond assez positivement avec ses attentes (le respect des subordonnés chinois envers lui). Ce n'est pas une nouvelle connaissance construite pour l'acteur, mais plutôt une validation de sa connaissance ancienne.

La deuxième unité est très importante, il exprime, ce que qui se passe « ici et maintenant » et ce qui l'a choqué. La connaissance validée de la première unité est transformée en une nouvelle connaissance par l'invalidation de celle-ci lors de la deuxième unité.

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Au moment suivant, il se souvient du fait qu'il a appris la langue pendant ses voyages en Chine en l'utilisant activement. C'est une connaissance construite dans le passé, qui a poussé l'acteur à voyager avant de passer à l'action : « donner des ordres ».

A la quatrième unité, il se rend compte qu'il est nouveau, le marché est nouveau etc., il anticipe les difficultés en se basant sur la connaissance construite à partir de la dernière expérience.

La généralisation lors de la cinquième unité évoque une nouvelle attitude, une connaissance potentielle de l'acteur.

A la sixième unité, il a opté pour une stratégie à valider.

Et à la dernière unité, il essaye de mobiliser les outils et les méthodes, qu'il a appris précédemment dans la nouvelle situation.

#

Récits

Unités

1

Excitant. Drôle. Ils ne me traitent pas comme un chinois.

J'imagine l'image que je donne aux employés locaux. J'observe leur réaction, en même temps je m'ajuste.

2

Je suis choqué. Ils sont plus directs.

J'ai appris une nouvelle différence culturelle entre le Hong Kong et la Chine

3

J'ai beaucoup voyagé, j'appris la

langue, je dois l'utiliser.

Je me souviens d'avoir appris la langue en parlant. Je souhaite avoir la même chance pour apprendre la langue française.

4

Je suis nouveau, le marché est nouveau, les produits sont nouveaux.

Je m'inquiète. J'anticipe les obstacles.

5

Je dois aller plus lentement.

Je choisis d'être prudent.

6

Je dois comprendre leur façon, je ne peux pas leur imposer ma façon.

J'opte pour la stratégie de faire les choses étape par étape.

7

J'ai appris des « concepts » de mes collègues au HK. Je vais les appliquer en Chine.

Je pense aux méthodes et « concepts » du passé, qui peuvent être mobilisés et utilisés.

Tableau IV : Liste des unités de l'activité de « donner des ordres »

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A partir de cette liste des unités extraites du récit nous avons fait aussi une analyse locale des composants hexadiques de cette activité (Table V)

Nous pouvons faire deux remarques : Premièrement, le fait de devenir dirigeant d'une équipe dont les membres ont une autre culture, met l'acteur dans une nouvelle situation avec de nouvelles relations interpersonnelles. Les sentiments forts tels que « excitant », « choqué » ont marqué la prise de conscience de la personne d'un écart entre ses « connaissances anciennes » et la « réalité », ce qui l'a motivé à poursuivre l'acquisition d'autres connaissances en s'impliquant dans des confrontations multiculturelles.

Deuxièmement, les transformations importantes de l'acteur résultent d'un processus de production et de transformation des connaissances qui renvoie à l'apprentissage du langage, des attitudes, des comportements, ainsi que des conflits potentiels entre les intérêts, les méthodes de travail et les personnalités des individus de différentes cultures.

E (Engagement) : Les préoccupations: connaître les nouveaux employés, donner une image positive de lui, convaincre ses nouveaux employés d'accepter les mesures du changement

A (Actualité potentielle) : Les attentes : du respect envers le manager

S (Référentiel) : Les connaissances mobilisées sont : l'expérience à Hongkong, l'expérience des voyages en Chine

R (Représentamen) : Les éléments significatifs : la contestation directe d'un certain employé local

U (Unité élémentaire) : Les faits : les ordres donnés ; les sentiments : excitant, choqué

I (Interprétant) : Les connaissances construites ou valides/invalides : le système en Chine est moins formel (moins standard), il faut faire les choses étape par étape, il faut apprendre la langue en l'utilisant.

Tableau V: Liste des composantes de l'activité de « donner des ordres »

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Le dernier entretien (N°. 06-E) a eu pour but de vérifier notre hypothèse. C'est la raison pour laquelle nous l'avons effectué spécialement après l'observation de l'activité réelle d'un dirigeant lors d'une réunion29. L'objet principal de la réunion était un projet dont l'échéance approchait et il y avait un risque énorme que la date de livraison serait retardée. Afin de résoudre ce problème, le dirigeant (E) a voulu que tous les membres de l'équipe exécutent son plan d'urgence avec la répartition des tâches « point par point ». Cependant, durant toute la réunion de deux heures, il ne pouvait pas imposer son plan à ses membres de l'équipe. Jusqu'à un moment donné, il perdit patience et soudainement éleva la voix sur ses membres. La réunion s'est terminée sans résultat concret.

En ce qui concerne l'entretien, qui a eu lieu l'après-midi du même jour, nous essayions d'intervenir aussi peu que possible et de laisser un maximum de flexibilité à la personne interrogée afin qu'elle exprime ses ressentis ainsi que ses commentaires sur ce qui s'est passé. En outre, nous espérions qu'en restant « passive », nous pouvions voir l'occurrence spontanée de nouveaux éléments, ce qui pouvait nous aider à tester notre hypothèse de manière plus objective et convaincante.

Au début de cet entretien, malgré tous nos efforts pour inciter la personne à se mettre en état d'évocation en le détachant des généralités, la seule réponse que nous avons obtenue est :

« Donner les ordres... non, non...les mots sont trop forts, ... je ne dis pas ça. Je préfère demander gentiment à la personne concernée de faire les choses plutôt que de donner des ordres.» (06-E)

En répondant à la question du chercheur: « Mais comment fais-tu quand la personne n'a pas suivi tes instructions », l'interviewé hésitait « Ah...ça dépend... Je peux commencer par parler avec la personne. Puis, si ça ne fonctionne pas, je vais faire appel à l'autorité formelle et puis à l'application des lois... Comme tu l'as vu d'ailleurs... » [A ce moment le dictaphone pour l'enregistrement audio s'est arrêté, faute de piles. Lorsque nous étions en train de nous excuser pour le problème technique, la personne interrogée a commencé à évoquer une autre

29 Une réunion de la direction d'un projet, à laquelle le dirigeant en question a participé en tant que chef du projet et le chercheur - en tant que secrétaire chargé de prendre des notes en vue d'établir un compte-rendu de la réunion.

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scène de sa vie au cours de laquelle la notion de « respect » était malheureusement associée avec une grande déception.]

« Je vais te raconter une chose, qui m'est arrivée quand j'étais jeune. [une longue
pause] J'avais eu un Directeur. Il m'a fait l'honneur de m'accepter dans son équipe. Il était comme un père pour moi, peut-être plus qu'un père. [...] Puis, une fois, alors que je lui rendais un travail, il a brusquement changé. Il n'a pas critiqué mon travail, mais il a dit qu'il ne comprenait rien à ce que j'avais fait ... Après un certain temps, on m'a dit qu'il a publié ce que j'ai écrit. La déception était énorme. Je me sentais comme ... la mort du père. Tu comprends... Pendant quelques années après ça, je refusais d'avoir un chef quelconque. » (06-E)

De même que les cinq entretiens précédents, ce dernier entretien confirme notre hypothèse principale qu'il existe une connexion implicite mais assez résistante entre ce qui est exprimé par les interviewés comme « l'apprentissage en dehors des salles de cours » et une situation radicale - une « situation-source ». D'autre part, lors du dernier entretien, nous avons été très impressionnée par l'occurrence des émotions négatives : la déception, la colère dans les récits de ce dirigeant et, surtout, par leur impact sur l'évolution des attitudes de ce dernier. Le refus d'avoir un chef quelconque montre la perte de la confiance dans le leadership, ou même la foi en sa propre capacité d'être un « leader ». La personne n'a pas dit un mot à propos de ce qui s'est passé à la réunion du matin. Toutefois, la déception, la colère sont les seuls points communs entre la scène critique de la réunion que nous avons observée et la « situation-source » dont il a parlé.

5.3 Discussion

Revenons à notre problématique initiale: peut-on discerner les différents éléments et la façon, dont ils fonctionnent et contribuent à la dynamique de l'apprentissage du leadership des dirigeants ? Après avoir analysé les récits d'expérience et exposé les constats principaux dans la section précédente, il convient d'aborder trois thèmes de discussion : 1) le « sentiment d'apprendre » et son rôle dans l'apprentissage du leadership ; 2) le fil de pensées qui lie différents éléments de la vie quotidienne avec la compréhension du leadership et qui conduit

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la personne à l'apprentissage du leadership et enfin, 3) la négativité de la « situation-source » et son influence sur l'occurrence du «sentiment d'apprendre ».

5.3.1 Le « sentiment d'apprendre » et son rôle

En ce qui concerne le « sentiment d'apprendre », il est important de noter que nos entretiens confirment la pertinence de la théorie des trois catégories de Peirce, car lors de l'analyse des données nous avons effectivement pu identifier trois sortes de « sentiment d'apprendre » apparaissant dans trois types de « situations-sources » différentes. La première catégorie (Potentielle) est caractérisée par le fait que le « sentiment d'apprendre » peut se produire à partir de la « situation-source indirecte », à travers une expérience vécue par d'autres personnes. Dans une « situation-source » de la première catégorie, par exemple dans la situation N°03-B-b (le capitaine), le « sentiment d'apprendre » de la personne a été généré à partir de l'observation d'une scène réelle. Cependant, l'observateur ne pensait pas nécessairement à répéter exactement la même chose que le capitaine, mais il pensait plutôt à des situations « Potentielles » ou « possibles non-actualisées » comme les appelait Peirce. Dans l'enseignement et l'apprentissage formel, les auteurs de la méthode d'étude de cas ou de la méthode d'enseignement du leadership en donnant les exemples de personnes extraordinaires peuvent affirmer que les apprenants peuvent inspirer leur « sentiment d'apprendre » et alimenter leurs pensées par les exemples des autres. En revanche, aucun des dirigeants interrogés n'a évoqué de l'influence des grands leaders lors de leur conversation avec nous sur ce qu'ils considèrent comme « l'apprentissage hors des salles de cours ». Ce constat nous a fait penser en quelque sorte à la double facette du concept « leadership », y compris le « leadership » étudié dans les livres, reposant essentiellement sur l'exemple des grands leaders (comme un « concept scientifique ») et le « leadership » appris dans la vie avec l'exemple des gens ordinaires comme leurs amis, proches (un concept « quotidien »).

La deuxième catégorie (Actuelle) se réfère au « sentiment d'apprendre » qui se produit directement à partir de ce que la personne a réalisé elle-même. Le « sentiment d'apprendre » de ce groupe correspond plus particulièrement à la « mise en pratique » du cycle d'apprentissage de Kolb (1984). Ce qui conduit à se demander si le « sentiment d'apprendre » se produit à partir de chaque expérience vécue par la personne? Dans la

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recherche sur le choc culturel et son impact sur l'ajustement des dirigeants expatriés, Adler remarque que « Étonnamment les dirigeants expatriés (« global managers ») les plus efficaces souffrent souvent le choc culturel le plus sévère. En revanche, les dirigeants expatriés, qui ne sont pas particulièrement efficaces se décrivent comme subissant peu ou pas du tout de choc culturel. » (2008, pp. 277-278). Aussi selon cet auteur, « un choc culturel sévère est souvent un signe positif indiquant que l'expatrié est de plus en plus impliqué dans la nouvelle culture au lieu de rester isolés dans un ghetto d'expatriés » (ibid., p.278). Les résultats de la recherche d'Adler ont nous aidé à démontrer que « le sentiment d'apprendre » constitue l'« indicateur » d'un processus de l'ajustement particulier. Les analyses des données recueillies dans l'entretien N° 05-D illustrent clairement la façon dont la personne (D) ayant un caractère timide et réservé, se déplace d'un style « divergeant » vers un style plutôt « accommodateur ».

De plus, le « sentiment d'apprendre » qui a été généré par la première rencontre avec les nouveaux subordonnés est devenu plus tard le moteur de nouvelles tentatives de changement. C'est ce qui explique l'origine du changement de style, ce qui peut parfois surprendre ceux qui l'entourent. Cet exemple révèle que dans certaines conditions, le « sentiment d'apprendre » d'une personne, une fois généré et mémorisé, il pourrait se reproduire et se transformer d'un effet en une cause de l'action.

Au cours de notre recherche, le récit des dirigeants confirme également qu'il existe une tendance de combinaison de certains traits de caractère de la personne selon leurs différentes approches d'apprentissage ou leurs styles de leadership. Une personne ayant des caractéristiques personnelles de type « réflexion critique » comme le dirigeant du dernier entretien (06-E) peut avoir une tendance à opter en faveur d'une approche d'apprentissage « rétroactif » et d'un style de groupe « assimilateur ». Or, les exigences du métier de dirigeant peuvent les priver de leur préférence ou tendance naturelle et les obliger à adopter d'autres styles ou à appliquer d'autres approches même si ces styles et approches sont contraires à leur nature.

Enfin, la troisième catégorie (Virtuelle) représente le « sentiment d'apprendre » généré lorsque ces dirigeants ont tiré des généralisations à partir de plusieurs expériences

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accumulées, y compris les expériences des deux catégories mentionnées précédemment. Le sentiment de la troisième catégorie peut tout à fait servir la cause de la « soif de connaissances », qui poussent la personne vers la recherche de nouvelles « situations-sources » éventuelles. Cela confirme aussi la remarque de Skinner que le sentiment peut servir la cause du comportement. A quelque niveau que ce soit, le « sentiment d'apprendre » peut conduire la personne vers d'autres situations qu'elle peut explorer ou tester pour valider ou invalider ces nouveaux savoirs.

Maintenant, il devient plus évident, à partir de ces récits, que les dirigeants présentés dans notre recherche partagent un point commun - un désir d'apprendre non pas seulement « à faire », mais à « bien faire » son « métier », même si c'est un métier complexe universel qui implique toute leur vie professionnelle ainsi que leur vie personnelle comme le métier de dirigeant. Ils confirment les résultats des études précédentes, qui démontrent que les « bons » leaders ne cessent jamais l'apprentissage. Tous les dirigeants de notre enquête démontrent un niveau très élevé dans leur capacité d'apprendre : apprendre tout le temps et en toute circonstance. Contrairement aux études qui montrent que l'apprentissage est causé comme un « effet annexe » de la situation proposée par la vie, dans cette étude, ce sont les dirigeants interrogés qui ont affirmé la place centrale de l'activité d'apprentissage dans chaque situation radicale de leur vie. Pour ces dirigeants, nous pouvons dire que l'apprentissage implicite du leadership n'existe pas. Si Reber a dit qu'il existe des processus d'acquisition de connaissances sans effort conscient ou sans toute prise de conscience explicite de ce qui a été appris, dans l'apprentissage du leadership, même en dehors des salles de cours, l'apparition du « sentiment d'apprendre » est la preuve que les deux éléments sont toujours présents : l'effort conscient et la prise de conscience de ce qui a été appris.

C'est aussi une des raisons pour lesquelles les récits de ces dirigeants sur leur « apprentissage informel » sont toujours très riches. Selon le schéma de Kolb, les dirigeants sont continuellement en activité et en mouvements: ils observent, ressentent, jugent, réfléchissent à chaque fois sur leurs propres expériences ainsi que sur les expériences des autres. En déplaçant d'une action à l'autre, ils modifient leurs attitudes qu'ils avaient adoptées, afin de ne pas répéter l'expérience de la même manière. C'est pourquoi, au lieu de se concentrer sur les quatre composants (expérience, réflexion, conceptualisation, mise en

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pratique) du cycle d'apprentissage en un état fixe, nous nous focalisons particulièrement sur la dynamique de ce cycle ou le motif des déplacement de l'apprenant quand il passe d'un étape à l'autre (de ressentir à observer, de penser à faire etc.) . Par conséquent, nous trouvons que le modèle de Kolb demeure pertinent et que le rôle du « sentiment d'apprendre » constitue bien le moteur de ces mouvements. Autrement dit, l'une des contributions les plus importantes de notre étude porte sur le fait que nous pouvons compléter le schéma de Kolb avec un nouvel élément : le « sentiment d'apprendre ». (Annexe 3).

Selon la classification de Schugurensky (2007), il y a trois formes d'apprentissage informel: les apprentissages auto-dirigés (conscients et intentionnels), les apprentissages fortuits (non-intentionnels, mais conscients) et la socialisation (apprentissages non intentionnels, non conscients). En ce qui concerne la dernière forme, il a écrit : La socialisation (ou apprentissage tacite) renvoie à l'assimilation presque naturelle des valeurs, attitudes, comportement, savoir-faire et connaissances qui se produit dans la vie quotidienne. Non seulement l'apprenant n'aucune intention préalable de les apprendre, mais il n'est absolument pas conscient qu'une activité d'apprentissage a eu lieu. » (ibid, p.16). Ici, nous voulons démontrer que, sous certaines conditions, l'apprentissage peut être parfois un processus intentionnel mais non-conscient. La preuve est que dans certain cas, les dirigeants interrogés nous avons montré qu'une personne ayant l'ambition de devenir un « dirigeant - leader » garde souvent à l'esprit un ou plusieurs « exemple » à suivre (ou un ou plusieurs « anti-exemple à éviter). Bien que l'intention est présente dès que le début, le « sentiment d'apprendre » comme un indicateur de la conscience de l'apprentissage peut apparaître après coup. Cela signifie que pendant une première phase du cycle, la conscience de l'apprentissage a été absente, alors que l'intention a déjà été là.

De plus, ces constats montrent que dans le contexte de l'apprentissage du leadership hors de salle des cours, la richesse de la vie sociale, dans laquelle nos dirigeants peuvent se nourrir des exemples des autres doit avoir un impact signifiant sur leurs aptitudes ainsi que sur leur attitude au travail. Il est intéressant de noter que « le sentiment d'apprendre » le leadership ne peut se produire que dans les « situations-sources » où les relations interpersonnelles jouent un rôle dominant dans la pensée de la personne.

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Pour terminer notre discussion au sujet du « sentiment d'apprendre », l'argument que nous voulons développer ici est que l'interaction avec autrui joue un rôle déterminant dans les processus d'apprentissage du leadership des dirigeants. D'ailleurs, la plupart de leurs récits sur les relations interpersonnelles confirment des études antérieures qui démontrent l'influence des personnes clés de l'entourage comme les parents, les enfants, les amis proches, les anciens chefs ainsi que les subordonnés sur le dirigeant. Puisque le leadership - l'une des « compétences molles » ou compétences sociales, ne peut pas être appris dans des conditions isolées, sans interaction avec autrui. Cependant, les constats tirés de récits de nos interlocuteurs, montrent que l'interaction avec autrui dans leur apprentissage du leadership ne fonctionne pas de la même façon que celle qui existe dans l'apprentissage des concepts scientifiques. Plus particulièrement, lorsque l'autrui est un ou plusieurs suiveurs. En plus, avec ces récits nous voulons démontrer que l'interaction avec autrui sert un facteur important qui incite le déplacement du non-leader de la zone « participation périphérique » en zone « participation centrale » du leader (Annexe 4).

5.3.2 Le fil des pensées des dirigeants

Notre attention a particulièrement été attirée par le fait que, selon les recherches de Kolb et Vygotski, l'apprentissage implique la transformation des connaissances. Tandis que selon les récits des dirigeants interrogés, leurs pensées impliquent la généralisation des connaissances. Il apparaît important de noter que les récits des personnes interrogées durant l'enquête offrent une visibilité étonnante sur ce qui se passe dans leurs pensées, sur la façon dont ils absorbent les différents éléments de l'expérience puis les généralisent et les intègrent à leurs propres connaissances. Les techniques comme l'entretien d'explicitation, l'entretien de décryptage et l'entretien d'auto-confrontation nous ont menés à observer tous les « recoins » de la pensée de ces personnes. Il est aussi intéressant de remarquer une grande tendance à associer la « pensée » représentant une grande partie immatérielle et réflexive de l'activité des dirigeants, avec ce qu'ils appellent « l'apprentissage du leadership ». D'ailleurs, un lien inséparable entre le concept de « respect » - un concept quotidien et le concept de « leadership » a été identifié dans chaque verbalisation de leur pensée. Le respect et le leadership forment un « parallélisme », même si c'est implicite, dans leur pensée. Selon ces

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dirigeants, nous ne pouvons pas avoir l'un sans l'autre. D'une part, dans les entretiens N°01-A, N°03-B et N°05-D nos interlocuteurs ont classé tout ce que ces personnes faisaient afin de gagner et de maintenir le respect d'autrui envers eux-mêmes, que se soit leurs subordonnés ou leurs supérieurs, leurs frères et soeurs ou leurs parents, dans leur « apprentissage du leadership ». D'autre part, dans les entretiens N°01-B, N°06-E, même si le mot « respect » n'est pas apparu dans leurs récits, le couplage « respect » - « leadership » existe toujours, mais sous forme d'« anti-exemple » d'un père nerveux ou d'un directeur malhonnête. Plus particulièrement, dans l'entretien N°04-C, la comparaison entre les deux supérieurs nous a clairement démontré que les effets de contraste contribuent à la dynamique de réflexion du dirigeant.

En dépit de la tendance qui considère que l'apprentissage est une activité comme les autres, la variété des thèmes abordés dans les pensées des dirigeants interrogés montre que l'apprentissage semble ne pas tout à fait correspondre au schéma de Vermersch (Figure 4) où nous pouvons facilement trouver l'action au centre de l'expérience vécue. Dans la verbalisation des pensées des dirigeants de notre enquête, nous avons constaté qu'au lieu de l'information sur l'action procédurale, les dirigeants se focalisent particulièrement sur les actions cognitives et les informations satellites de l'action (les jugements, les déclaratifs et les intentions). Dans leurs récits, il y a beaucoup d'images de proches (père, mère, frère, soeur, enfants...), d'adjectifs soigneusement sélectionnés (N°04-C) ainsi que des métaphores et des anecdotes, provoquant de nombreuses émotions. L'entretien N° 03-C constitue une illustration claire de cet argument. De plus, les données de notre enquête montrent également que l'apprentissage du leadership n'est pas non plus un processus d'apprentissage comme les autres, qui peut être réalisé dans les espaces dédiés comme dans les formations de type MBA (Gauthier, 2008) et actualisé par l'application de stratégies spécifiques (Edith, 2004). Les liens entre des thèmes différents (Annexe 2) dans la verbalisation des pensées des dirigeants montrent que c'est un processus implicite, spontané et fortuit (entretien N°04-C). Rien ne peut indiquer que les dirigeants appliquent des méthodes ou des stratégies particulières pour devenir leaders. A la différence d'une action procédurale, l'apprentissage du leadership regroupe en même temps plusieurs actions cognitives. Les dirigeants peuvent à la fois ressentir et se remémorer, réfléchir et considérer, comparer et généraliser. Comme il s'agit d'actions cognitives, la notion du temps semble perdre sa valeur.

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Effectivement, dans notre enquête, les récits des interviewés montrent que la dimension du temps et l'ordre chronologique dans le fil de leurs pensées ne sont pas significatifs. Les dirigeants interrogés peuvent en même temps penser à des thèmes divers, indépendamment du moment où ces thèmes sont apparus dans leur vie. Une autre remarque importante est que la « situation-source » la plus mémorable est souvent la plus ancienne. De plus, certaines d'entre elles ont été présentées sous forme d'une « blessure ouverte », qui peut être reliée avec chaque événement similaire du présent. Dans une situation de ce type, la personne en question n'a pas pu traiter sa frustration et son conflit intérieur dans l'immédiat. Le dernier entretien peut confirmer la pertinence de cette remarque. La personne interrogée n'a pas dit un mot au sujet de la scène de la réunion du matin (N°06-E). Pour lui le « problème » semble être trop récent pour être évoqué et ce qui cause un dilemme entre le manque de réflexion pour une résolution efficace et l'incapacité d'accepter ce qui s'était passé. C'est là que nous pensons avoir trouvé la raison de l'existence des mouvements, des actions sous-jacentes représentées par les flèches entre les quatre éléments dans le cycle d'apprentissage par l'expérience du modèle de Kolb (Figure 2 et 3).

5.3.3 La négativité de la « situation-source »

Quant à la négativité de la « situation-source » et son impact sur l'apprentissage, nos entretiens montrent que les sentiments négatifs de nuances différentes surgissent dans la plupart des « situations-sources » : la sensation de pression et de souci dans la pensée d'une fille de 12 ans (entretien N° 02-A), la peur d'un jeune père pour son fils (entretien N°03-B), la virulence d'une formatrice envers ses élèves et sa colère face aux dysfonctionnements du système d'évaluation, (N°04-D), le choc culturel d'un dirigeant face à ses nouveaux employés étrangers (N°05-E) et enfin la déception et la perte de « foi » d'un mathématicien, chercheur envers son directeur, qui « était plus qu'un père » (N°06-D). Les émotions négatives générées au cours de ces situations n'empêchent pas les dirigeants d'avancer et d'apprendre le leadership. Bien au contraire, il nous semble qu'elles les aident plutôt à stimuler leur réflexion et l'ajustement de leurs comportements. L'interlocutrice (A) a appris à être « carrée » dans la façon dont elle traite les lettres administratives, pour éviter toutes les

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conséquences négatives représentées par le mot « soucis » dans sa pensée. Elle a appris à construire une relation humaine en « faisant la chambre » avec sa subordonnée afin d' « effacer » l'image d'une personne « nerveuse », rappelant l'image de son père. Le dirigeant (B) a appris à contrôler sa peur et à gagner le respect des autres.

Dans l'enseignement classique, l'émotion négative a le potentiel de perturber la capacité de raisonner ou d'apprendre. Alors que dans chacun des six cas de notre enquête, les dirigeants ont réussi à tirer des leçons à partir de ceux qui ont causé leurs émotions négatives. L'aptitude à percevoir une situation « difficile » comme une source inépuisable pour « tirer des leçons » a créé chez eux un réflexe d'apprentissage en permanence. Le point commun de ces récits réside dans le fait que ces émotions négatives peuvent être des motifs importants, qui aident la personne à anticiper les conséquences inattendues ou les « dangers » à éviter. Telle est l'explication que nous donnons au fait que le « sentiment d'apprendre » a bien existé et servi l'élément grâce auquel les dirigeants ont pu maintenir leur équilibre émotionnel pour avancer. Ces exemples confirment que le « sentiment d'apprendre » peut être généré à partir de l'écart entre ce que la personne savait ou ne savait pas et ce que la personne a su dans l' « après-coup ». Cet argument a été illustré clairement par les cinq premiers cas de façon positive. Quant au dirigeant présenté dans le dernier cas, la déception causée par la « situation-source » dans sa jeunesse a généré un « sentiment d'apprendre » fort mais de façon très négative. La personne a refusé complètement d'utiliser sa compétence de « leader », ou autrement dit d'actualiser son « leadership », bien qu'il ait reçu une bonne formation et qu'il ait acquis d'excellentes connaissances en gestion pour assumer sa fonction de dirigeant. Dans ce dernier exemple uniquement, la personne (E) apparemment n'a toujours pas pu « réussir » à regagner sa confiance en un leader. La perte de confiance causée par la déception dans ce récit représente la négativité d'un niveau particulièrement élevé. Si, dans d'autres cas, la négativité de la « situation-source » a juste un effet stimulant sur le « sentiment d'apprendre », alors que la négativité causée par la perte de confiance a un impact considérablement destructif sur l'apprentissage.

Les anciens Grecs disaient « par la souffrance la connaissance », les Anglais disent : « no pain, no gain » (pas de souffrance, pas de résultat) et selon les bouddhistes : toute vie implique la souffrance. Au sujet de la négativité de la « situation-source », même si nos

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interprétations faites à partir de six entretiens ne peuvent pas être représentatives, avec ces proverbes populaires, apparus parfois depuis des siècles, nous pouvons affirmer que le « sentiment d'apprendre » de la vie quotidienne est très attaché aux émotions fortes, des émotions provoquées par la négativité de la situation de vie.

Le dernier argument que nous voulons soulever est inspiré par le travail de Vygotski qui a distingué, l'apprentissage des concepts quotidiens de l'apprentissage des concepts scientifiques. Les entretiens avec les dirigeants de notre enquête ont démontré que l'émotion générée par la négativité des situations de vie peut les influencer de manière totalement différente que celle dont elle influence les apprenants dans les formations classiques. Nous avons remarqué dans certains récits que, les dirigeants interrogés ajoutaient assez souvent les mots tels que : « Tu sais ...». En même temps, lorsque la personne évoquait une émotion forte, voire négative, nous avons pu constater, à travers son regard, son intonation une sensation de fierté, la fierté implicite d'avoir surmonté les épreuves difficiles de la vie. Diriger les subordonnés et gérer les relations humaines ne sont pas des tâches simples. Bien au contraire, ces tâches impliquent de nombreuses prises de décisions et de nombreux de défis à relever. De plus, c'est souvent dans des situations d'incertitude et de complexité que le leadership du dirigeant devient un facteur déterminant. La fierté peut être générée de manière très variée dans des situations différentes. Chez les dirigeants de notre enquête, la fierté de se sortir de situations difficiles représente un élément déterminant. C'est la raison pour laquelle aucun de nos cinq dirigeants interviewés n'a choisi une situation de joie ou une situation de succès facile comme « situation-source ». Ils ont tous commencé leur récit en évoquant une ou plusieurs situations difficiles d'où ils ont pu « se sortir » en ajustant leurs comportements et attitudes.

Enfin, nous pouvons ajouter que les entretiens effectués nous ont permis de confirmer la pertinence de nos hypothèses sur le « sentiment d'apprendre » ainsi que sur la « situation-source ». Nous pouvons aussi, à ce stade, inviter les autres chercheurs à utiliser et tester ces termes, qui nous semblent appropriés pour les autres recherches à l'avenir.

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CHAPITRE 6: CONCLUSION ET PLAN POUR LES
PROCHAINES RECHERCHES

6.1 Conclusion

L'objet de cette recherche était d'étudier les éléments et de faire une étude « anatomique » du processus d'apprentissage des dirigeants dans leur vie quotidienne. Les premiers résultats ont démontré une occurrence importante du « sentiment d'apprendre » et son rôle ainsi que sa position dans le cycle d'apprentissage des dirigeants. Ces premiers résultats nous ont aidés également à mettre en évidence et à tracer les liens, qui connectent les différents termes dans le fil des pensées des dirigeants, à l'égard de l'apprentissage du leadership.

Cette étude nous permet de mieux comprendre les sentiments ainsi que le fil des pensées, les façons de raisonner au travail ainsi que les manières d'être dans la vie quotidienne des dirigeants. La contribution essentielle de cette étude est d'avoir proposé le concept du « sentiment d'apprendre » comme un élément important de l'apprentissage dans les situations informelles. Certes, le phénomène n'a pas été traité quantitativement, mais les occurrences importantes de ce sentiment semblent avoir un impact considérable sur l'apprentissage de « compétences-molles » telles que le leadership. Ainsi, nous avons constaté que la présence du « sentiment d'apprendre » lors des situations difficiles, qui ont provoqué des émotions fortes, voire négatives, n'était pas neutre par rapport à la capacité d'apprendre des dirigeants.

Néanmoins, notre recherche présente un certain nombre de points sur lesquels des approfondissements pourraient être nécessaires dans les prochaines recherches.

Tout d'abord, en ce qui concerne la pertinence de l'échantillon étudié, celui-ci paraît particulièrement approprié à notre recherche dans la mesure où il est essentiellement constitué de dirigeants de niveau bas ou de niveau intermédiaire de l'échelle hiérarchique, qui peuvent garder un esprit ouvert face aux opportunités d'apprendre dans ce que la vie quotidienne peut leur offrir. Toutefois, l'échantillon des cadres dirigeants de niveau

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supérieur, occupant déjà des postes très importants dans la hiérarchie, n'était peut-être pas le plus pertinent concernant le « sentiment d'apprendre ».

En ce qui concerne la méthodologie, l'approche qualitative nous a permis de pénétrer dans l'univers des pensées et des sentiments des dirigeants - apprenants. En revanche, nous n'avons pas pu confronter notre méthode, visant à explorer les éléments encore « invisibles » à des méthodes d'analyse quantitative en termes de l'objectivité dans l'interprétation des résultats. C'est pourquoi, nous pensons qu'il est également nécessaire d'adapter les méthodes traditionnelles pour le recueil des données intangibles telles que les sentiments. En effet, nous nous sommes intéressés à des questionnaires sous forme de carte heuristique30, la liste des indicateurs d'apprentissage informel de Schugurensky (2007, pp.26-27).

6.2 Plan pour les prochaines recherches

La première piste qui pourrait être explorée lors de notre prochaine recherche est axée sur le rôle des signes significatifs dans l'apprentissage informel. Nous nous intéresserons aussi sur les différentes formes d'apprentissage des « compétences-molles ». Nous espérons pouvoir identifier les différences entre les formes de l'apprentissage des « compétences-molles » et celles de l'apprentissage des « compétences dures ». A propos des formes d'apprentissage des « compétences-molles », nous pensons à approfondir l'étude sur la pratique du jeu de rôle (JDR) pour les apprenants-adultes. Ces exercices peuvent mettre les adultes dans la position d'« une autre personne », de sorte qu'ils doivent « vivre » et réagir comme que le personnage de leur rôle. Bien que les situations vécues dans les JDR ne soient pas un miroir représentatif de la réalité, on peut se demander : le « sentiment d'apprendre » pourrait-il se réveiller par le biais de cette méthode ?

La seconde piste pourrait consister à tester la pertinence de l'existence du « sentiment d'apprendre » dans d'autres formes non-traditionnelles d'apprentissage telles qu'apprendre en voyageant, apprendre à travers de l'utilisation des appareils de haute technologie, apprendre en jouant à un jeu vidéo, en participant au réseau social etc. Notre démarche exploratoire a

30 Une Mind Map (ou carte heuristique) est un schéma, calqué sur le fonctionnement cérébral, qui permet de suivre le cheminement associatif de la pensée. (Source : http://www.tonybuzan.com/about/mind-mapping/)

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débouché sur une proposition d'un nouveau paramètre de l'activité d'apprentissage - le « sentiment d'apprendre ».

Enfin, la troisième piste pourrait consister à étudier comment l'apprentissage des « compétences-molles » est influencé par les émotions fortes et négatives, provoquées par des situations significatives dans la vie quotidienne. Nous pensons à son impact sur la réussite personnelle ainsi que professionnelle de l'individu. Notre approche qualitative pourrait être combinée avec une approche quantitative qui tenterait de corroborer les résultats à partir d'une étude approfondie.

Pour clore, nous revenons à l'une des questions principales concernant le leadership : le leadership peut-il être appris? Le leadership, tout comme n'importe quelle autre compétence sociale, ne peut pas être enseigné, mais il peut être appris et développé. A notre avis, ce sont les verbes « stimuler » et « faciliter » qui doivent remplacer le verbe « enseigner ». A partir de cette recherche exploratoire, nous pensons qu'il est nécessaire de donner l'occasion aux dirigeants d'acquérir les connaissances et la compréhension des comportements humains ainsi que de créer la possibilité de pratiquer et de développer les compétences requises par l'apprentissage par l'action ou l'apprentissage par l'expérience. Encore une fois, l'apprentissage du leadership n'exige pas une « recette » mais plutôt la « sagesse » permettant les apprenants de savoir quand et comment utiliser leurs aptitudes et qualités qui constituent leur leadership. Enfin, nous pouvons dire que l'apprentissage du leadership c'est l'apprentissage de l'art de vivre et de diriger. Les dirigeants doivent être les meilleurs apprenants qui mèneront les autres à apprendre.

« Avec le meilleur leader au-dessus d'eux, les gens savent à peine qu'il existe. Le meilleur leader parle peu. Il ne parle jamais négligemment. Il oeuvre sans intérêt personnel et ne laisse aucune trace. Quand tout est fini, les gens disent, «Nous l'avons fait par nous-mêmes.» (Lao Tzu, Tao Te Ching, "The Book of the Way". 600 BC-531 BC)

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ANNEXES

Annexe 1 : Liste des auteurs utilisant le terme d'« apprentissage informel »
(Adaptée du travail de Brougère & Bézille, 2007)

Année

Auteur

Thème

1967

R D Laing

Le rôle central de l'expérience comme ressource formative, dans le contexte de la vie quotidienne, au travail et dans les loisirs.

1970

J Dewey

Apprentissage par l'expérience

1970

A Tough

Pratiques d'apprentissage adulte « autoprogrammées » et

intentionnelles, métaphore « iceberg »

1971

Freire, Illich

Trio : formel, non formel et informel.

1972

E Faure et al

«l'éducation diffuse » définie comme « le processus permanent grâce auquel tout individu adopte des attitudes et des valeurs,

acquiert des connaissances grâce à son expérience quotidienne

1974

P Coombs

Référence sur le non-formel

1976

C Rogers

L'expérience de la vie est formatrice en elle-même.

1988

R Monjo

L'enjeu majeur est de développer des sciences de l'éducation qui ne soient pas enfermées dans un paradigme scolaire

1989

1990

A Pain

Des activités dont l'objectif n'était pas éducatif, provoquaient des effets chez les participants, qu'on ne pouvait pas attribuer à une

volonté intentionnelle. Il n'y avait ni but éducatif explicite, ni
programme formalisé ni animateur ou enseignant désigné, mais des changements de comportement et l'acquisition d'informations étaient repérables chez les spectateurs

1998

Boshier Jarvis

Une opposition entre le champ institutionnel et collectif d'une part et d'autre part la sphère privée

2000

D.W.

Livingstone

Distinction entre explicit informal learning et tacit informal learning

2000

G. Foley

Ce qui distingue les différentes formes d'éducation et d'apprentissage

est leur degré de formalisation, selon lequel les activités
d'apprentissage sont socialement organisées et contrôlées.

2000&2

D Schugurensky

Trois formes selon la présence d'intentionnalité et d'une conscience

80 |

006

 

(awareness) d'apprendre au moment même où l'expérience est vécue.

L'apprentissage auto-dirigé (self-directed) est caractérisé par la
présence des deux, l'apprentissage fortuit (incidental) par la conscience d'apprendre sans intentionnalité et la socialisation par l'absence des deux

2002

Colley,

Hodkinson &
Malcom

Dimensions de la situation qui peuvent être analysées selon des systèmes d'opposition entre un pôle formel et un pôle informel : ces adjectifs ne s'appliquent pas globalement mais de façon spécifique au processus, au lieu, au but ou au contenu

2004

I Illich

« C'est sorti de l'école, ou en dehors, que tout le monde apprend à vivre, apprend à parler, à penser, à aimer, à sentir, à jouer, à jurer, à se débrouiller, à travailler »

2005

Cléopâtre Montan- Don

Ainsi une situation peut être partiellement informelle au niveau du lieu qui n'est pas conçu pour une activité éducative, du processus qui n'est pas structuré avec un enseignant mais avoir un but d'apprentissage reconnu. Toutes les combinaisons sont possibles.

2005

P Carré

« Les contextes dans lesquels les Européens pensent avoir appris quelque chose au cours des douze derniers mois sont le domicile (69 %), des rencontres informelles (63 %), des activités de loisir (50 %), la formation sur le tas (44 %), le lieu de travail (41 %), les bibliothèques ou centres culturels locaux (31 %). Viennent loin ensuite les sessions de formations formelles

sur le lieu de travail (18 %), les cours ou séminaires dans une institution éducative (17 %). »

être devant

corde

tirer

capitane-soldats

père-fils

système

lettres

souci

autorité

père, mère

respect

étudiants

engagement

subordonnés

directeur (père)

danger

relation humaine

déception

choqué

drôle/excitant

mère, frères, soeurs, filles

vie
humaine

ancienne><nouvelle patronnes

culture
Chine/HK

diriger

donner des ordres

responsabilité

polyvalence

femme de chambre

81 |

Annexe 2 : Schème du fil des pensées des dirigeants interrogés
(Source : l'auteur, inspiré de la carte heuristique de Tony Buzan, 2011)

Sentiment d'apprendre

Accommodateur Accommodateur

Mise en

ActifActif

RéflectifRé

ConceptualisationCo

AbstraitAbstr

Convergeant Convergeant

Sentiment d'apprendre

Sentiment d'apprendre

Assimilateur Assimilateur

FaireFair

Ressentir

ConcretConc

Expérience

Observer

RéflexionRéflexi

Sentiment d'apprendre

DivergeantDi vergeant

PenserPe

82 |

Annexe 3 : Le « sentiment d'apprendre » dans le modèle d'apprentissage de Kolb (Source : L'auteur, inspiré par le modèle de Kolb )

Dirigeant-Leader

Non-Leader

L'interaction avec autrui

Annexe 4 : L'interaction avec autrui dans le modèle d'apprentissage (situé) du leadership (Source : l'auteur, inspiré par les théories de Vygotski et de Lave et Wenger)

83 |






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"En amour, en art, en politique, il faut nous arranger pour que notre légèreté pèse lourd dans la balance."   Sacha Guitry