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Les dirigeants et le processus d'apprentissage du leadership hors des salles de cours

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par Kim VU
CNAM - Master européen en formation des adultes - champs de recherche 2012
  

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5.2 Les entretiens22 effectués et les constats

Avant d'aller dans les détails de ce qui s'est passé au cours de nos entretiens, nous voudrions d'abord exprimer quelques remarques générales tirées de l'ensemble de cette enquête. Premièrement, sur la base d'un échantillonnage volontaire, le contrat de confiance a été facilement mis en place. Deuxièmement, les scènes de la vie quotidienne, en dehors des salles de cours sont présentes de façon très spontanée dans tous les entretiens. Des notions abstraites et intangibles telles que le sens des responsabilités, les relations humaines, le respect de soi-même ou envers les autres et l'audace de faire les choses sont également très présentes dans les paroles des dirigeants. Ces notions sont souvent exprimées à travers les métaphores, les anecdotes, ou les images, ou bien associées avec un geste, un objet, ou même un mot. Enfin, parmi les dirigeants interrogés beaucoup ont exprimé leurs souvenirs de l'enfance, de la jeunesse, provoquant des émotions fortes lorsqu'ils se sont mis dans l'état d'évocation. A ce stade, il convient de les reprendre successivement afin de mesurer leur impact sur les questions que nous avons soulevées dans notre recherche. Comme le but de nos entretiens est d'aider la personne interrogée de retrouver des moments précis à expliciter ou des situations particulières à commenter, nous allons présenter les entretiens effectués sous deux perspectives : la première se focalise sur les extraits importants de l'entretien illustrant la scène où les éléments significatifs ont été évoqués par la personne interviewée ; la seconde se concentre sur les constats ainsi que sur les interprétations des données par l'intervieweur.

21 Extraits de l'entretien N° 06-E

22 Explication des signes:

Tout ce qui se trouve entre guillemets et en italique rapporte les propos des individus interviewés.

.... : silences dans le récit

[...] : partie omise

[texte] : notes de l'intervieweur

A, B : indicateur pour les personnes interrogées

01, 02 : numéro de l'entretien

a, b : indicateur pour les extraits différents du même entretien

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Dans le premier entretien, la personne interrogée est une dirigeante de terrain, directrice d'un hôtel. En répondant à notre demande de retrouver un moment précis où elle exerce son rôle du dirigeant, elle a évoqué la notion de responsabilité, mais à travers ce terme de responsabilité, elle a aussi parlé de la prise de conscience du lien entre sa nouvelle responsabilité et ses compétences:

« J'étais serveuse, mais le chef a vu que je parlais anglais et que j'étais polyvalente, il m'a donné plus de responsabilité, donc j'ai commencé à diriger une femme de chambre et un cuisinier. » (01-A-a: l'extrait du récit de la personne « A » sur la situation « a », lors de l'entretien 01)

L'interlocutrice a commencé le récit par une longue phrase, contenant beaucoup d'informations satellites à l'action. Grâce au schéma de Vermersch (Figure 4), nous avons identifié les informations telles que : l'aspect déclaratif (j'étais serveuse) les commentaires (mais le chef a vu que...), ainsi que l'action (j'ai commencé à diriger...). Ensuite, lorsque la personne a été interrogée à propos de la difficulté rencontrée dans l'exercice de sa nouvelle fonction en tant que dirigeante, elle a évoqué la relation humaine entre elle et sa subordonnée, qui est aussi son ancienne collègue et expliqué comment elle a reconstruit la relation humaine dans ce cas. L'explication ci-dessous nous a donné de nombreuses informations à la fois sur le raisonnement ainsi que sur l'intention de la personne.

« Je faisais la chambre avec elle et je lui montrais comment il fallait faire. Je ne disais pas « fais ci, fais ça, ça. [...] J'étais comme elle,... » (01-A-b)

[En suite, sans aucune relance de la part du chercheur] « Je sais faire des choses, depuis très longtemps. Tu sais, j'ai quitté très tôt ma famille, à 16 ans. Ma famille est très modeste. On a eu plein de soucis, de problèmes. Mes parents ne parlent pas français. Donc je les connaissais... les soucis, dès l'enfance... ». (01-A-c)

Le brusque changement de thème (même si la personne a commencé son discours en parlant d'une situation liée à son travail, mais tout en cherchant réponse à notre question sur l'apprentissage du leadership, elle a soudainement tourné vers une autre situation liée à son enfance et à sa famille) a montré que la pensée de la personne au sujet de l'apprentissage du leadership se déplace indépendamment du temps, de l'ordre chronologique ainsi que des autres aspects procéduraux de l'action. En revanche, la seule chose qui peut servir de lien

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entre ces thèmes dans sa pensée est le savoir-faire que la personne a pensé avoir acquis dès l'enfance. Sa pensée semblait être dirigée vers les situations, où le « sentiment d'apprendre » a émergé.

Un des premiers constats intéressants pour le chercheur a été l'évocation spontanée d'éléments significatifs de la part de personne interrogée. Par exemple, en répondant à la question du chercheur : « Comment es-tu arrivée à comprendre les soucis de ta famille si jeune ? », la personne interrogée, avec le regard comme accroché à un point éloigné, a répondu :

« ... Des lettres. [l'image des lettres est venue brutalement à son esprit.]. Comme mes parents ne parlaient pas français, c'était moi et ma soeur, plutôt moi, qui lisaient les lettres et les traduisaient pour eux. J'avais 12 ans ». [sa voix est devenue plus grave] (01-A-d)

Notre intérêt ici se porte d'abord sur l'évocation du lien entre l'âge et le souvenir de l'interlocutrice à propos de sa compréhension enfantine des « soucis ». À l'âge de 12 ans, l'interviewée commence à comprendre ce que signifient les « soucis » à travers l'image des « lettres », qui revient dans l'extrait de l'entretien N° 02-A ci-dessous.

Il est important de noter aussi la façon dont l'image claire du père apparaissait à côté de l'image floue de la mère. Cette scène classique a illustré la pensée de notre interlocutrice à propos d'un « leadership masculin » en contraste avec ses compétences par rapport aux compétences des autres membres féminines de sa famille :

« Tout ce qui est argent, banque, c'est mon père. [...] ...Hum... J'ai un père très nerveux. [...] Je me souviens parce que mon père, une fois, n'était pas content. Il a cru que j'avais mal fait mon travail. Que je n'avais pas bien expliqué. Il ne comprenait pas très bien. Il ne pouvait pas s'exprimer mais, mais il était très exigeant. Ma mère, elle ne parlait pas.» (01-A-e)

Une heure après le premier entretien, pour reprendre la conversation sur ce qui s'est passé dans son enfance, nous avions décidé d'essayer une autre technique d'entretien, l'entretien de décryptage pour décrypter le sens de l'image des lettres pour cette personne.

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« J'ai appris déjà...hum... trop vite, tous les soucis d'adulte. Les soucis qu'on a maintenant, quand on est adulte. 1...] J'ai appris très vite le problème de l'argent, les problèmes de la vie...et les systèmes aussi. Les systèmes administratifs. 1...] Ce que j'ai appris sur l'administration. Je me disais plus tard quand je serai plus grande, je vais faire bien les choses, au bon moment, pour que tout passe... Si tu oublies quelque chose..., car t'es obligée...tu perds beaucoup de temps avant de revenir dans l'ordre. C'est pourquoi maintenant, je suis très carrée là dessus. » (02-A)

Comme indiqué précédemment, le retour de l'image de « lettres » nous a montré comment un élément qui pourrait sembler sans importance, a pu être gravé dans la mémoire d'un enfant et le rapport entre celui-ci et l'acquisition de certaine aptitude de la personne quand elle est arrivée à l'âge adulte :

« Moi maintenant, quand je reçois des lettres. Je fais en sorte de faire attention à ce que tout soit en ordre, car cela peut créer des problèmes graves après. 1...] Quand je vois la tête de Marianne [la figure sur l'enveloppe de la lettre administrative], 1...] j'ai appris de décrypter tout de suite ce qu'écrit la lettre. L'objet, de quoi ça parle. En deux secondes, si je la prends ou ... poubelle. » (02-A) (l'aspect déclaratif)

Notre interprétation est que le motif sous-jacent, poussant la personne à acquérir cette attitude, est lié directement à plusieurs pressions dont la pression des autorités et la pression familiale.

« Je devais [faire les choses de cette manière], parce que j'avais une pression, 1...]. Il faut que ça soit fait. Tu comprends ce que je veux dire...car quand il y a une lettre ...je veux la réponse.» (02-A) (L'aspect intentionnel)

Dans le troisième entretien, nous avons commencé l'interrogation par une demande simple à notre interlocuteur - un ingénieur diplômé d'une Grande Ecole dans les années 70 - de partager avec nous ses expériences signifiantes dans sa vie personnelle et professionnelle. Cependant, comme la personne connaissait pas déjà l'objet de notre recherche, il nous a cité tout de suite la scène où il avait échoué à « donner un ordre » à son fils de 4 ans, de ne pas s'approcher du feu et comment il avait eu peur ... Cette « leçon de l'accident » (03-B-a) l'a aidé à conclure un principe fondamental, qu'il a ensuite appliqué, testé dans d'autres

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situations. Selon lui, « si tu veux « lead » (diriger) les autres, il faut être devant ». Afin d'expliquer comment il est arrivé à cette conclusion, notre interlocuteur a évoqué une autre scène liée à sa présence dans l'armée :

« Tu sais pourquoi ?... J'étais dans l'armée. [...] Je me rappelle d'un capitaine. Un officier très calme. [...]Il doit emmener cent personnes traverser une grande montagne. [...] Le temps est mauvais, tout le monde n'a pas dormi. Les gens sont épuisés. [...] Il a fait traverser la montagne à tous avec une corde. [...] Il a aidé les soldats un par un. Après ça, s'il demande n'importe quoi, tout le monde s'exécute avec un énorme respect. Il est devant dans le temps, dans la performance... Le leader, ce n'est pas de pousser les autres mais de tirer. » (03-B-b)

Le fait que la notion du respect soit apparue en faisant le lien entre l'échec d'un jeune papa (N°03-B-a) et la réussite d'un officier (N°03-B-b), montre le fil des pensées23 de la personne et le cheminement de son raisonnement dans les autres expériences similaires. Il a illustré tout ça par la scène suivante, toujours quand il était dans l'armée :

« Dans une des situations, où il faut sauter au dessus des flammes...Tout le monde était terrorisé. J'avais très peur, moi aussi, mais je me disais qu'il faut que j'y aille, parce que pour être suivi, il faut être devant. » (03-B-c)

Son raisonnement ne se limite pas à l'idée que le leader doit montrer l'exemple, mais aussi doit oser traverser les épreuves de la vie, afin de permettre à soi-même de prendre des risques et de se donner les moyens d'évoluer. Nous avons reconnu également que ses pensées ne se limitent pas qu'à des remarques isolées, mais elles sont développées ou transformées en généralisations sous forme d'une « leçon ».

« ...à un moment donné on a une opportunité. Il n'y a pas des opportunités comme ça tous les jours. Il y en a moins de 10 fois dans la vie. Il faut garder la fraicheur pour accepter ces opportunités pour pourvoir se dire : Tiens, on peut faire quelque chose...» (03-B)

23 Le fil de pensée ou une chaîne de pensée se réfère à l'interconnexion dans l'ordre des idées exprimées lors d'un discours connecté ou la pensée, ainsi que la séquence elle-même, en particulier dans la discussion comment cette séquence conduit d'une idée à une autre. (Source : l'auteur adapté de Léviathan (Hobbes, Martinich & Battiste (ed)., 2011, p. 584))

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Le quatrième entretien a été fait avec une dirigeante dans le domaine de la formation professionnelle. La personne interrogée a évoqué le même élément du respect mais d'une façon complètement différente et dans des relations beaucoup plus complexes. Au début de l'entretien, le déclencheur « donner des ordres » ne semblait pas marcher, donc nous devions trouver tout de suite un autre déclencheur, car étant formatrice et référent d'un groupe d'élèves professionnels elle n'a jamais dirigé les subordonnés. Elle dirige uniquement ses étudiants - les futurs professionnels.

« Je suis formatrice, [...], donc je suis référent d'une promotion d'étudiants. [...] Pour moi, le premier [principe] que je veux qu'il soit respecté c'est le respect. C'est le respect du fonctionnement, des règles de l'équipe pédagogique, de moi en tant que référent de la promotion et le respect entre eux. » [La personne répète souvent les phrases, les mots importants avec une intonation très expressive]. (04-C)

Dès le début, la présence de l'image des élèves a déjà été très signifiante pour elle. Pour parler du respect, la première « situation-source » qu'elle a choisie, concernait sa première expérience en tant que responsable de la promotion avec un élève.

« Eh bah, il y en a un, très précisément... c'est un étudiant qui est un petit peu marginal...non ... plutôt original » [La personne fait attention aux choix des mots]. (04-C)

La « situation-source » dont elle a parlé était la scène quand notre interlocutrice a convoqué l'élève pour discuter son résultat et lui demandé d'attendre devant son bureau. La scène critique était l'acte de parole entre notre formatrice et l'élève (N°04-C-a). Le début de son récit contenait plusieurs informations sur le contexte. Alors que dans les parties suivantes du discours, son récit n'était pas seulement riche en verbes mais aussi en adjectifs forts et soigneusement sélectionnés. Cela montre que la personne est consciente de son style du leadership autoritaire.

« Je lui ai dit qu'il n'avait pas le choix et donc qu'il attendrait le temps nécessaire. » (Le déclaratif)

« Je ne suis pas en colère ... non, pas en colère mais très ferme. Je pense que j'ai un visage fermé quand même. » (Le jugement)

« J'étais, mais alors, extrêmement virulente ». (Le jugement)

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« Donc, mon intention était de le déstabiliser, pour qu'il comprenne que c'était vraiment mal, ce qu'il avait fait, [...] de la manière qu'il avait réagi, même s'il avait peur, tant pis. » (L'intentionnel)

« Tout ca [les excuses de l'élève], je l`ai stoppé mais... net. » (L'action)

En effet, à cet instant, nous avons voulu savoir si le style autoritaire, qu'elle avait délibérément choisi était destiné à s'adapter à une situation particulière ou non. Pourtant, comme notre principe est de ne pas imposer notre opinion sur la personne interrogée, nous avons décidé de laisser assez de temps afin que la personne puisse poursuivre sa logique. Il s'agit d'une bonne décision, car avant que nous intervenions, la personne a déjà poursuivi d'elle-même avec l'image d'un autre élève.

« Pourquoi je t'ai dis ça, parce que je suis en train de penser qu'il y a deux jours, non, c'était hier. Il y a un étudiant, qui a eu son diplôme... en juin de cette année... là [elle tape sur la table]. Ce n'est même pas un an qu'il a eu son diplôme, qu'il s'est déjà fait virer. » (04C-b)

Encore une fois, derrière l'image de ses étudiants, la personne nous a montré le fil de ses pensées, le lien entre le respect et la responsabilité. Comme le fil de pensées de la personne interrogée est un élément très important pour notre analyse, notre approche a toujours été d'aller pas à pas dans le passé, d'accompagner la personne pour remonter dans le temps, une expérience après l'autre, tout en gardant le thème évoqué au début de l'entretien. Dans cet entretien, en faisant cela, nous avons pu voir comment le respect est lié à la responsabilité et puis au résultat du travail.

« Ma responsabilité a été engagée de former des professionnels. Je ne peux pas laisser passer les gens comme ça, qui peuvent être potentiellement dangereux sur le terrain... Mais, derrière, c'est l'humain, c'est des enfants, des personnes âgés, une maman, un papa... » (04C)

Nous avons également vu comment le recours au style autoritaire a d'abord été réalisé dans une situation précise (04-C-a) et puis « validé » à une autre occasion (04-C-b) jusqu'à devenir un élément à part entière de son attitude (04-C-c).

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« Eh voilà, [...] cette année, il y a trois étudiantes [...] Je ne les ai pas laissé passer l'examen. Elles ne regrettent pas d'avoir redoublé. [...] Là, j'ai bien confiance en elles [...] et la relation est tout à fait honorable... ». (04-C-c)

En remontant le temps avec la personne, nous étions presque convaincus que son style autoritaire avait été acquis exclusivement pendant le travail, or, la personne nous a montré qu'il ne fallait pas tirer des constats trop rapides.

« Ça [le principe du respect], c'est pendant le travail, c'est sûr. Je pense que le reste était induit par la culture professionnelle, dans le travail des équipes... ... ou alors ... dès l'enfance... [la voix est ralentie, le regard est fixe]. Oui, certainement ma maman nous a toujours élevés dans le respect de l'autre hein... oui, oui » (04-C)

Nous avons remarqué l'hésitation lorsque la personne cherchait l'origine de son principe du respect. Le mouvement dans la pensée de la personne commençait à partir de l'idée que ce principe a été induit au travail et par la culture professionnelle dans une nouvelle direction que ce principe du respect a été en fait le résultat de l'influence de sa mère sur elle.

En effet, elle commençait à avoir cette attitude depuis son adolescence.

«J'avais 14 ou 12-13 ans. Et donc bah, c'était moi la deuxième référence d'autorité sur mes frères et soeurs après ma mère. J'étais son soutien [de sa mère] incontestablement...», « Je les [frères et soeurs] punissais. J'étais autoritaire. Ah oui, j'étais dure. » (04-C)

Or, à son adolescence, elle ne s'était pas rendu compte tout de suite de son autorité et de son pouvoir sur ses frères et soeurs.

« C'était implicite ..., tout s'est passé de façon tellement spontanée » (04-C)

En « fouillant » dans sa mémoire pour trouver le moment à partir duquel elle est devenue dure, autoritaire avec ses frères et soeurs, la première chose qui lui est venue à l'esprit était une scène de la vie de famille, une situation « dramatique »:

« Le jour où elle [sa mère] est partie, où elle nous a dit : faites vos valises. Oui, là, c'est le jour où j'ai pris les choses en main, avec elle. Pas avant ça, parce que les circonstances n'étaient pas les mêmes. » (04-C-d)

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Ici, en appliquant les trois catégories24 d'expérience de Peirce (1931-1935)25, nous avons trouvé que la scène 04-C-d décrite ci-dessous illustre bien la « situation-source » où la personne interrogée a ressenti son nouveau rôle en tant que le « deuxième parent » pour ses soeurs et frères. Cette scène a la caractéristique d'une expérience de la catégorie Potentielle. L'adoption du style autoritaire se caractérise par la révélation de soi au monde en comparant soi-même avec sa mère. Ensuite, dans son expérience en tant que référent d'un groupe des étudiants, la situation 04-C-a ou 04-C-b porte la caractéristique d'une expérience de la catégorie Actuelle. Enfin la situation 04-C-c quand notre interlocutrice est devenue la présidente du jury et quand elle s'est assurée que son style décisive et autoritaire résultant des généralisations de ses expériences précédentes corresponde tout à fait à son travail d'un « dirigeant ». C'est là que ce constat nous conduit à l'idée d'analyser l'activité du dirigeant avec l'aide d'un entretien d'auto confrontation sur son propre récit d'expérience. Nous allons décrire cette tentative « peu canonique » plus en détail à travers un autre entretien plus loin ci-dessous (05-D).

C'est seulement à la fin de l'entretien, que la personne a évoqué plusieurs mots, phrases, images de différentes personnes de son entourage proche: « ma petite soeur, qui l'a dit : «stop, tu n'es pas mon père, ni ma mère», mes filles, qui m'ont appris de voir les choses à "moitie plein au lieu de à moitie vide» ». Les réactions de ses filles quand elles ont dit : « tu pourrais me dire "c'est bien" plutôt que me dire "je pourrais faire mieux" ou « Tu me n'écoutes pas. Tiens, je reviendrai quand tu m'écouteras » sont transformée en ses

24 Selon Peirce, trois catégories sont nécessaires et suffisantes pour rendre compte de toute l'expérience humaine. Ces catégories correspondent aux nombres : premier, second, troisième. Elles sont désignées comme « priméité » (potentielle), « secondéité » (actuelle), « tiercéité » (virtuelle).

La priméité est la catégorie d'expérience d'un acteur tel qu'il est. La priméité se rattache au mode potentiel dans la mesure où elle constitue pour l'acteur une ouverture liée à ses expériences passées - de possibles non actualisés dans l'expérience présente.

La secondéité est la catégorie d'expérience d'un acteur lors de la concrétisation d'un fait. Elle traduit l'expérience pour l'acteur d'une interaction particulière avec son monde. La secondéité se rattache au mode actuel dans la mesure où elle est l'actualisation concrète d'un ou plusieurs possibles pour l'acteur.

La tiercéité est la catégorie d'expérience d'un acteur donnant lieu à l'élaboration de raisonnements, à la généralisation. Elle est le mode de la construction de connaissances. La tiercéité permet la typicalisation de son rapport au monde à partir des expériences passées et présentes. Elle se rattache au mode virtuel dans la mesure où elle produit et/ou modifie les connaissances de l'acteur selon un mode dégagé des contingences.

25 Publication des volumes I à VI des Collected Papers de Peirce dans les « Harvard University Press » entre 1931 et 1935

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expériences « Virtuelles », résultant de ses généralisations produites à partir des expériences précédentes. (04-C).

Enfin, elle a évoqué les deux images de deux différentes personnes : son ancienne patronne et sa supérieure actuelle, qui ont influencé son attitude et son principe. Concernant son ancienne patronne :

« Il y a une personne, c'est mon ancien chef. C'est comme je lui dois toute ma carrière. Des chefs comme ça il n'y en a pas beaucoup. C'est la seule personne en tant que chef, qui a réussit à me manager comme j'aime.» (04-C)

Quant à sa nouvelle supérieure, son image représente un contre-exemple pour notre interlocutrice.

« Toutes ses phrases commencent par un "Non, mais". Elle te dévalorise tout le temps. Ma première chef, elle n'a jamais fait cela. Jamais. » (04-C)

Nous pensons que la tendance à comparer une personne à une autre et de garder dans sa mémoire, côte à côte, l'exemple et l'anti-exemple ; mérite d'être analysée plus profondément dans les prochaines recherches sur l'activité des dirigeants.

Comme nous l'avons exprimé précédemment, notre ambition est, à travers des récits d'expérience des dirigeants, de mettre en évidence le lien entre leur « sentiment d'apprendre » et les modifications de leurs connaissances, compétences et attitudes. Nous voulons également nous appuyer sur les trois catégories d'expérience de Peirce pour décrire ce phénomène. L'entretien (N°05-D) suivant a donc pour but d'illustrer cette tentative.

L'acteur dans cette analyse est un dirigeant hongkongais, d'environ trente-cinq ans. La raison du choix de cette personne est qu'il a un profil assez atypique par rapport aux autres étudiants MBA en général. En termes de profil académique, son diplôme n'est pas dans le domaine de l'économie ou du commerce. De plus, il a un diplôme d'un niveau inférieur au niveau général26 pour la formation MBA. En termes d'expérience professionnelle, il a travaillé pendant environ dix ans avant d'entrer dans la formation MBA. Sa dernière

26 La plupart des MBA exige un niveau « Bachelor » ou Licence à l'entrée

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expérience avant le MBA se déroulait dans le service de vente d'une grande firme dans le domaine des vêtements en cashmere. En contraste avec les remarques que « les étudiants en M.B.A. sont des individus actifs, compétitifs et agressifs qui aiment exercer de l'influence, dominer ... » (Allaire & Toulouse, 1973, p. 481), cet étudiant « est réservé, timide, observateur, parfois surprenant. Il parle rarement pendant la classe, mais il peut apporter des commentaires originaux et justes... »27

Selon le même principe que pour tous les autres entretiens effectués dans le cadre de cette recherche, l'expérience qui est présentée ci-dessous est donc choisie par l'interviewé lui-même. C'était quand il a été embauché pour la première fois pour le poste de Manager Marketing et Vente (poste « numéro deux », sous la PDG), et expatrié en Chine afin de restructurer le système de vente de la société en Chine. C'est sa première expérience en tant que cadre dirigeant supérieur (le niveau le plus élevé par rapport à ses postes précédents). De plus, c'était la première fois qu'il devait diriger des personnes issues d'une autre culture28. La « situation-source » choisie consiste à la rencontre avec ses subordonnées où il doit donner les directives (ordres).

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"Enrichissons-nous de nos différences mutuelles "   Paul Valery