b- Le résultat du processus autonomique, un
régionalisme asymétrique
La distribution des compétences opérée
par l'activation du principe dispositif aboutit à l'organisation d'un
régionalisme asymétrique.
En effet, l'Etat autonomique espagnol est
caractérisé par la différence de compétences
assumées entre les différentes C.A..
Il s'avère ainsi que les quatre C.A. construites par le
biais de la voie renforcée (Pays-Basques, Catalogne, Andalousie et
Navarre), plus les Canaries et la C.A. de Valence, assument des
compétences importantes (législatives et exécutives), dans
les domaines de l'éducation, la santé, l'environnement... Les
onze autres, ne pouvaient pas à l'origine intervenir dans ces
domaines.
Initialement, la différence entre ces deux groupes de
C.A. non seulement résidait dans le fait que le premier possédait
un pouvoir législatif dans des domaines importants, mais aussi dans la
mesure où il existait une grande inégalité dans les
transferts de services émanant de l'Etat et les ressources
financières correspondantes. En effet, pour chaque transfert de
compétence se réalisait une évaluation corrélative
des coûts et l'Etat transférait à la C.A. les ressources
économiques nécessaires pour son fonctionnement.
Cette configuration asymétrique de l'autonomie des C.A.
espagnoles accrédite donc l'idée d'une évidente rupture
avec l'hypothèse d'un Etat fédéral puisque ces derniers
garantissent une pleine égalité constitutionnelle entre leurs
Etats membres, alors que l'Etat autonomique présente des
différences structurelles entre ses C.A. ; la doctrine espagnole
parle ainsi de « faits différentiels ».
2_Evolution constitutionnelle jusqu'au régionalisme
asymétrique de l'Espagne actuelle ; le fruit de l'exercice d'un
pouvoir monopolistique d'interprétation du juge constitutionnel :
l' « Etat jurisprudentiel autonomique »
a- L' « Etat
jurisprudentiel autonomique »
Le principe d'autonomie ne permet pas à lui seul
d'encadrer la réalité évolutive de l'Etat autonomique, ni
dans sa construction initiale, ni dans sa dynamique interne.
En effet, l'activation du principe d'autonomie n'est possible
que si celle-ci est corrélée à celle du principe
dispositif, c'est-à-dire la libre volonté et initiative des C.A..
Le processus autonomique révèle donc le
défi posé par la Constitution de 1978, à savoir la
conjugaison des principes d'unité et de diversité (base unitaire
et relief constitutionnel des caractéristiques
différentielles).
S'il ne fait guère de doute que le constituant de 1978
n'avait pas réellement précisé le type d'Etat qu'il
s'agissait de mettre en place, il apparaît clair que c'est bien la
jurisprudence du T.C. qui déterminera, au regard de la CE, les limites
constitutionnelles de l'exercice du droit d'autonomie des C.A. et donc la
configuration du modèle organisationnel de l'Etat espagnol.
Ainsi, dés les premières décisions du
T.C., il ne fait plus de doute que le pouvoir politique est bien
désormais partagé entre les entités que constituent
respectivement l'Etat et les C.A..
En effet, dés sa première décision (sur
recours en inconstitutionnalité) du 2 février 1981, relative
à la loi instituant les bases du régime local du 24 juin 1955, le
T.C. évoquait la « conception large et complexe de l'Etat,
composée par une pluralité d'organisations à
caractère territorial, dotées de l'autonomie ».
Quant au principe même d'autonomie, qui par nature
évoque un pouvoir limité, le T.C. a jugé avec force de son
incompatibilité avec la notion de dépendance hiérarchique,
notamment dans sa décision n°76/1983 du 5 aout 1983 relative au
projet d'harmonisation du processus d'autonomie : « le pouvoir
de surveillance ne peut placer les C.A. dans une situation de dépendance
hiérarchique à l'égard de l'administration de
l'Etat ».
Le T.C. a ainsi d'abord admis, en terme prudent, qu'il
s'agissait d'une autonomie « qualitativement supérieure
à l'autonomie administrative » dans sa décision
n°4/1981 du 2 février 1981.
Ainsi, les CA, sans constituer un Etat au sens plein du terme,
se sont néanmoins vu progressivement reconnaitre une nature politique.
En effet, dans sa décision du 14 juillet 1981 (sur recours en
inconstitutionnalité), le T.C. précise que « les
C.A.... disposent d'une autonomie qualitativement supérieure à
l'autonomie administrative attribuée aux entités locales puisque
s'y ajoutent des pouvoirs législatifs et de gouvernement qui en font une
autonomie de nature politique ».
La théorie de l'Etat composite, ou
« Estado compuesto », a été elle reprise par
des décisions ultérieures ; on mentionnera par exemple la
décision, rendue sur conflit de compétence, du 28 janvier 1982,
dans laquelle la haute juridiction se réfère aux Etats, qui comme
l'Espagne, « ont une structure interne non uniforme, mais plurale et
composite quant à leur organisation territoriale ».
Le concept d'« Etat des autonomies » sera
plus tard consacré dans au moins deux décisions ; il s'agit
de la décision n° 64/1982, relative à la loi catalane de
protection des espaces naturels dans laquelle le tribunal se
réfère à la collaboration entre l'Etat et les C.A.,
« nécessaire au bon fonctionnement de l'Etat des
Autonomies » et surtout la décision n°78/1983 du 5 aout
1983 qui évoque à son tour « le bon fonctionnement de
l'Etat des autonomies ».
Dans le même ordre d'idée, la décision
35/1982 du 14 juin 1982 (sur recours en inconstitutionnalité), relative
à la création, au pays basque, du Conseil des Relations du
Travail, évoque le double principe constitutionnel de
l'« unité indissoluble de la nation espagnole » et
du « droit à l'autonomie » dont
bénéficient les nationalités et les régions et
estime qu'ils déterminent « implicitement la forme composite
de l'Etat en fonction de laquelle il y a lieu d'interpréter tous les
concepts constitutionnels ».
La même formule se retrouve plus nette dans la
décision n° 27/1983 du 20 avril 1983 dont la motivation souligne
l'importance du critère de compétence « dans un Etat
composite ou le pouvoir normatif et le pouvoir d'exécution peuvent ne
pas être attribués, pour une même matière, à
une même autorité ».
Ainsi, le modèle autonomique espagnol suit une
configuration particulière parmi ceux que présentent les
démocraties occidentales, dans la mesure la construction de l'Etat des
autonomies a été très largement insufflée et
orientée par la jurisprudence de la plus haute juridiction. En effet,
les interprétations du juge constitutionnel, par touches successives,
permettent aujourd'hui de définir et de mieux situer l'Etat et les C.A.
(dans le schéma de distribution territorial du pouvoir en Espagne), dont
les relations réciproques, à peine ébauchées par le
texte constitutionnel, sont les garantes d'un fonctionnement harmonieux du
système.
Comme nous l'avons vu dans cette première partie, le
juge constitutionnel dispose, de par une configuration particulière de
l'organisation du pouvoir dans l'Etat espagnol, d'attributions tant diverses
qu'étendues et se place donc, à se titre, à la tête
même du système institutionnel.
D'autre part, nous avons également pu mettre en exergue
le rôle déterminant du T.C. espagnol dans le processus de
construction autonomique, dans la mesure où sa jurisprudence a
très rapidement dû compenser les lacunes et imprécisions du
texte constitutionnel.
Néanmoins, il convient de rappeler que le processus
d'autonomie n'est pas achevé et que le pacte autonomique conclu entre
l'Etat et les C.A. est amené à évoluer.
Le T.C. a donc vocation à se porter garant du maintient
de ce système autonomique dans la mesure où il exerce un
contrôle étendu et multiforme C.A..
D'autre part, et paradoxalement, le juge constitutionnel est
également amené, de par l'exercice de cette compétence
décisive qu'est la résolution des conflits de compétence
qui surgissent entre Etat et C.A., à faire évoluer le
modèle autonomique suivant que sa jurisprudence tranche en faveur d'une
autonomie accrue ou non des C.A.
Sous quels aspects les plus probants s'illustre le
caractère décisif de la jurisprudence du T.C. dans
l'évolution du système autonomique ?
Comment et dans quelle mesure, la juridiction suprême
contribue t-elle paradoxalement au maintient du modèle espagnol tel
qu'il est schématisé par la CE, par le contrôle des C.A.
elles-mêmes ?
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