2° Quant à la justification du refus de
qualification contractuelle par la CJCE
Si on examine les motifs précédent la
décision de la CJCE dans l'affaire Jakob Handte34, deux
arguments paraissent avoir emporté la conviction des juges
communautaires.
Premièrement, la notion de matière contractuelle
doit être interprétée de façon autonome en se
référant principalement au système et aux objectifs de la
convention de Bruxelles en vue d'assurer l'application uniforme de celui-ci
dans les États contractants, ce qui prohibe une qualification lege
fori de la matière pour déterminer si elle est
contractuelle. Dans ce cas, la qualification communautaire uniforme conduit
à retenir la qualification délictuelle, la position
adoptée par le droit français étant, on le sait,
relativement isolée.
32 CJCE, 22 mars 1983, aff. 34/82, Peters c/ ZNA
V, (point 9 de l'arrêt) : Rev. Crit. DIP 1983, p. 667
33 Cass. 1ère Civ. 28 oct. 1986 :
Rev. Crit. DIP 1987, 612 note H. Gaudemet-TALLON
34 Arrêt préc.
Deuxièmement, la CJCE a affirmé que
l'application de l'article 5-1° au litige opposant le
sous-acquéreur d'une chose au fabricant n'est pas prévisible pour
ce dernier. En réalité, le motif ne peut se comprendre qu'au
regard de l'observation que « dans la grande majorité des
États contractants, la responsabilité du fabricant à
l'égard du sous-acquéreur pour vice de la chose vendue est
considérée comme n'étant pas de nature contractuelle
». L'imprévisibilité pour ces États, plus exactement
pour les défendeurs à l'action domiciliés dans ces
États, de l'application en la matière de l'article 5-1° est
réelle.
Mais, cet argument paraît réversible puisque
l'article 5-1° n'apparaissait pas de nature à déjouer les
prévisions du fabricant. Dans ce contexte de chaîne de contrats,
l'objet qui sert de base à la demande et dont le lieu d'exécution
fonde les compétences du forum contractus ne pouvait s'entendre
que de l'obligation assumée par le fabricant envers son propre acheteur,
et non d'une obligation de ce fabricant vis-à-vis d'un
sous-acquéreur. Deux motifs peuvent justifier cette conclusion. La
première résulte du caractère essentiellement
dérivé du droit dont dispose le titulaire de l'action directe.
Selon la formule de la Cour de cassation35, « l'action
exercée par l'acquéreur est celle de son auteur ». Ce
caractère a pour corollaire nécessaire que même
exercée par le sous-acquéreur, l'action directe contractuelle
doit s'articuler dans sa mise en oeuvre autour du contrat passé par le
fabricant et prendre appui sur les obligations générées
par ce contrat. La seconde raison découle de la technique même de
la mise en oeuvre de l'article 5-1°. On sait, en effet, que depuis
l'arrêt Tessili du 6 octobre 197636, la détermination
du lieu de l'exécution de l'obligation qui sert de base à la
demande s'opère conformément « à la loi qui
régit l'obligation litigieuse selon les règles de conflit de
juridiction saisie ». Appliquée aux chaînes de contrats, la
méthode ne peut conduire qu'à la loi régissant
l'obligation du fabricant envers son contractant immédiat. Et l'on ne
saurait naturellement demander à cette loi de déterminer le lieu
d'exécution d'une prétendue obligation qu'assumerait le fabricant
vis-à-vis du sous-acquéreur car il se peut fort bien que cette
loi demeure
35 Cass. 1ère Civ. 27 juin 1993
« Société Métrologie » : Bull. civ
I, n° 45, p. 10
36 JDI 1977, p. 702, obs. J-M Bischoff et A.
Huet
attachée au principe de l'effet relatif des contrats et
exclue que le fabricant puisse être tenu d'une obligation contractuelle
à l'égard de quelqu'un d'autre que son propre
acquéreur.
Rappelons que l'article 5-1° prévoit que « le
défendeur domicilié sur le territoire d'un Etat contractant peut
être attrait dans un autre Etat contractant (...) » , ce qui exclut
donc la compétence, à ce titre, de tout tribunal de l'Etat du
défendeur, ici le fabricant. Mais en pratique, il semble que le jeu de
cette disposition aurait presque inévitablement conduit au tribunal du
lieu du domicile du vendeur intermédiaire. L'argument tiré d'un
défaut de prévisibilité perd donc, de ce fait, une partie
de sa crédibilité.
Si la CJCE avait insisté sur l'objectif de
proximité des juges avec le litige ou sur celui de la concentration des
compétences pour une même affaire, l'objectif de « protection
juridique des personnes établies dans la communauté »,
figurant dans le préambule de la convention de Bruxelles, apparaissait
davantage en retrait.
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