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Haïti : Etat serendip? Mecanismes de blocage et/ou d'accélération de l'émergence de l'Etat moderne

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par Renald Luberice
Université Paris VIII - Master Science politique 2008
  

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1.2. La métropole et sa politique contradictoire

Inconstante. Voila comment on aurait pu qualifier la politique française vis-à-vis de sa riche colonie « peuplée d'environ mille blancs, à peu près du même nombre de nègres et de mulâtres libres, et de sept cent mille esclaves parmi lesquels on comptait douze à quinze mille mulâtres »60 en 1789. Pour corroborer cette « affirmation » nous n'avons pas besoin de remonter au début de la colonisation, c'est-à-dire sous l'ancien régime. Tardons-nous seulement à la période d'après 89.

Aout-septembre 1793 Sonthonax et Polvérel, commissaires de la République, proclament l'abolition de l'esclavage61 en déclarant aux habitants de la colonie, en particulier les Noirs et les Mulâtres que « toute monde vini dans monde pour io rétés libes & égal entre io : a vlà, citoyens, vérité qui sorti en France. Li temps pour que io piblié li dans toute pays la République Français, pour toute monde conné »62. Moins d'une décennie plus tard, soit le 30 Floréal An X, Napoléon À encourager par sa femme créole Joséphine et les milieux d'affaires coloniaux À va confier une impressionnante expédition à son beau frère Emmanuel Leclerc avec pour mission : le rétablissement de l'esclavage aux Antilles ce qui va dresser la majorité de la population contre l'armée française63 dans un contexte où les troubles qu'a suscités 1789 sont encore vivaces64. Mais avant cette ultime décision lourde de conséquences tant sur le

60 Victor Schoelcher, Vie de Toussaint Louverture, Paris, Karthala, 1982, P. 29. Ces chiffres ne sont pas précis. « on n'avait déclaré en 1789 que cinq cent mille esclaves ; mais comme les relevés se faisaient par tête imposée à 40 sous et à 3 livres, on ne déclarait ni les enfants, ni les adultes de plus de quarante-cinq ans ; le nombre de ces deux classes se montait à deux cent mille. » Malenfant, Des colonies, et particulièrement de celle de Saint- Domingue, In-8°, paris, 1814, cité par Victor Schoelcher, Ibid.

61 Voir en annexe l'acte de l'abolition de l'esclavage.

62 Acte de proclamation de l'abolition de l'esclavage rapporté par l'Avocat Français, le commissaire Sonthonax et ses coéquipiers. Cependant, avant même d'avoir eu ces informations les esclaves s'étaient déjà affranchis.

63 Gérard Barthélemy et Christian Girault (dir.), La République haïtienne, état des lieux et perspectives, Paris, ADEC-KARTHALA, « hommes et sociétés », 1993, p.7

64 « La révolution qui débute en 1789, en se prolongeant dans les colonies françaises d'Amérique, y entraina des troubles profonds, particulièrement dans la principale colonie, la partie occidentale de Saint-Domingue (actuelle République d'Haïti). Les événements qui se succédèrent dans cette île furent caractérisés par une radicalisation croissante : tentative autonomiste des « Grands Blancs » (grands propriétaires, principalement du nord de l'Île), révolte des libres de couleur revendiquant l'égalité des droits avec les Blancs et, surtout, révolte des esclaves

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plan humain que matériel. Les ex-esclaves formulaient des revendications d'ordre politique À la liberté À mais aussi économique À revendication agricole.

Cette dernière consistait en une demande de « trois jours de la semaine où ils soient libres de travailler et de cultiver pour eux-mêmes »65, revendication que les « patrons de l'époque [...] n'ont même pas prise au sérieux »66. Or le commissaire Polvérel avait bien envisagé en l'été 1793 « de lier abolition de l'esclavage et attribution de terres aux esclaves »67, mais a préféré y renoncer sans élucider les motivations de sa nouvelle décision.

Polvérel a renoncé à quelque chose qui aurait pu permettre à Saint-Domingue de parvenir à une certaine «autosuffisance alimentaire »68 quand on sait que la quasi-totalité des outils et autres produits consommés dans la colonie provient de l'importation (métropole). Cette « non-décision » a probablement joué dans l'échec de l'expédition commandée par Leclerc. Car Saint-Domingue vit au rythme des blocus maritimes. Dès qu'il y a rupture avec l'extérieur « la colonie n'a plus rien de ce qu'il lui faut [...]. Pas même de quoi équiper d'armes à feu et de munitions les forces qu'elle emploie contre les révoltes d'esclaves »69. Emmanuel Leclerc s'est trouvé avec ses troupes coupé de la métropole à cause d'un blocus maritime imposé par l'Angleterre, ce qui allait donner à l'armée indigène un avantage significatif. Pourtant, « malgré leurs succès, les chefs de l'insurrection avaient conservé une sorte d'attachement et de respect pour la métropole. Si donc sous le Consulat le gouvernement français avait reconnu franchement la liberté des Noirs et les droits politiques des affranchis, il eut été certainement possible d'y faire reconnaître la suzeraineté de la France. Mais les anciens préjugés n'étaient pas dissipés à la cour des Tuileries : on ne croyait pas les Noirs susceptibles d'organisation, et on oubliait la capacité qu'avaient montrée les hommes de couleur depuis 1792. »70 Napoléon et ses conseillers croyaient qu'il suffisait d'envoyer une

(aout 1791). Ces troubles coïncidèrent avec une tentative d'invasion anglaise, la France républicaine étant entrée en guerre avec la Grande-Bretagne. », Victor Schoelcher, op. cit. p.5

65 Yves Bénot, « Le compromis historique de Toussaint Louverture », in Gérard Barthélémy (dir.), La République haïtienne. Etat des lieux et perspectives, Paris, ADEC-KARTHALA, « hommes et sociétés », 1993, P. 22. Mais aussi, Yves Bénot, La démence coloniale sous Napoléon, Paris, La Découverte, 1992

66 Ibid, P. 23

67 Ibid.

68 Ce terme est probablement anachronique, mais permet ici une meilleure argumentation.

69 Yves Bénot, op. cit. P. 24

70 http://webu2.upmf-grenoble.fr/Haiti/Christophe.htm

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« formidable armée composée des bandes de l'Italie et des débris de l'armée d'Égypte »71 pour faire régner l'ordre dans la colonie et parvenir à satisfaire les ambitions esclavagistes de ses proches.

La contradiction dans la politique de la Métropole envers Saint-Domingue est palpable. D'un coté les autorités métropolitaines faisaient inscrire sur les drapeaux la mention : « Braves Noirs, la France reconnaît seule vos droits et votre liberté », un décret, datant du 20 mai 1802, allait de l'autre consacrer la suppression de cette liberté. Une explication semble plausible à cette politique : au jour le jour les autorités métropolitaines surfent, esquivent, contournent, jouent sur les rapports de force, arbitrent entre des valeurs et des intérêts souvent contradictoires dans la France métropolitaine mais ne semblent pas prendre suffisamment conscience des rapports de force et les antagonismes au sein de la colonie qui nécessitent une certaine constance et des mesures appropriées. Ce qui fait que les arbitrages dans la colonie ressemblent plus à de la « tractation (marchandage)» que des mesures cohérentes consciemment prises en vue d'influer sur la vie des habitants et leur en environnement en adéquation avec la volonté de la France.

Pendant tous ces épisodes de « tractations » aucun des actants, ni les Noirs de Saint- Domingue, ni les « Grands Blancs » qui pourtant auraient voulu une indépendance sous leur contrôle en vue de satisfaire seuls leurs intérêts, ni les envoyés de Napoléon, n'a pu anticiper des conséquences de leurs actions. C'est en ce sens que l'apparition de l'Etat d'Haïti est sérendipitienne. « Après avoir été mis hors la loi par le capitaine général Leclerc, Christophe lutta contre les troupes françaises. Mais à la fin d'avril, il accepta de se soumettre, après avoir obtenu d'être maintenu dans son grade »72 . Ce qui était le plus important pour Christophe, le futur Henri 1er, c'est vraisemblablement son grade. Une fois confirmé dans sa position, il n'aura pas de mal à se battre contre les rebelles qui étaient pourtant préalablement dans son camp, jusqu'à ce que la situation d'un revirement lui soit favorable. Cette remarque (ces faits) met à mal une partie de la mythologie haïtienne qui veut qu'Haïti soit une construction dans le sens architecturale du terme. Comme si les héros de l'indépendance avait tout prévu des le début des combats en vue de parvenir à un Etat qui s'appellera haïtien. Et les mulâtres, et les Noirs n'ont eu de mal à combattre dans n'importe quel camp. Il semble que ce qui leur était

71 Ibid.

72 Thomas MADIOU, op. cit., 1847-1848, t. II, chap. 26, p. 246

primordial était les rétributions personnelles. En suivant les faits historiques il serait délicat d'affirmer que les actants Domingois avaient un plan bien élaborés ou suivaient un plan allant dans le sens de l'indépendance.

« Devenu premier consul, Bonaparte voulut employer les hommes de couleur à retirer le gouvernement de l'île à Toussaint-Louverture, qui avait traité avec les Espagnols. A cette fin il leur donna des grades, mais inférieurs à ceux qu'ils avaient, dans l'expédition qu'il confia à son beau-frère le général Leclerc (1801). L'armée était composée en partie des vieilles bandes qui avaient fait les campagnes d'Italie. Boyer [mulâtre qui deviendra président d'Haïti] y fut employé comme capitaine. Il débarqua au Cap le 1er février 1802 »73. Il n'y a pas eu refus motivés par la croyance à des valeurs universelles qui seraient liberté et égalité qui pourtant ont semblé justifier l'acte de l'indépendance.

Haïti semble plus être le fruit de tractations, d'erreurs, de calculs (du coté des habitants de la colonie comme du coté de la métropole), de volonté de promotion personnelle plutôt que d'une action concertée visant dès le départ l'indépendance nationale. « Dans une proclamation du 8 novembre 1801, le Premier consul avait promis aux habitants de Saint-Domingue, sans distinction de couleur, la liberté et l'égalité des droits ; mais par un arrêté antérieur et secret (du 25 décembre 1800), il avait envoyé trois commissaires pour y rétablir les « cultures », autrement dit l'esclavage. Le 20 mai 1802, il fit promulguer à Paris la loi rétablissant l'esclavage dans les colonies. » 74

Cette décision politique aura les conséquences que l'on connaît : l'indépendance d'Haïti75. Cependant Saint-Domingue n'était pas un simple champ ou la métropole menait sa politique contradictoire et où les habitants étaient en proie aux calculs, stratégies en vue d'assouvir des intérêts immédiats. La colonie avait sa dynamique propre capable de se joindre à la dynamique globale qu'a connue l'Europe des derniers siècles et qui a permis des accumulations de capitaux, des monopolisations de contraintes que l'histoire de l'humanité connue n'a jamais révélées.

73 Voir http://webu2.upmf-grenoble.fr/Haiti/Boyer.htm consulté le 22/04/08

74 Ibid.

75 Voir Yves Bénot et Marcel Dorigny (sous la direction de), Rétablissement de l'esclavage dans les colonies françaises. 1802 aux origines de Haïti, paris, Maisonneuve et Larose, 2003, p.590

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